Chevron 10

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Un Chevron plus tard, Arténiss se tenait devant une habitation à l’allure plus que singulière. Le bâtiment, presque aussi grand que le Ciel Brisé, se trouvait sur l’avenue qui courait sous le Pont intérieur Sud. Ce qui le rendait si particulier, c’était non seulement qu’il prenait toute la hauteur de la rue, ce qui était assez rare étant donné la construction en palier progressif de la ville, mais aussi que sa façade était composée de plusieurs ailes différentes : ici une petite tour circulaire décorée de vitraux, là une grande baie vitrée, qui ne laissait pourtant rien voir de ce qui se trouvait derrière ; plus haut encore une terrasse si petite qu’une personne seule aurait eu du mal à y tenir debout. Bois, métal, verre, brique et pierre se rencontraient sans aucune logique, et pourtant le tout dégageait une étrange sensation d’harmonie.

Découvrir des batisses aux styles très hétéroclites n’était pas inhabituel à Oasis, mais il s’agissait généralement d’habitations bien distinctes, pas d’un seul et même bâtiment. L’Atelier donnait l’impression d’avoir été construit par plusieurs personnes à la fois, sans qu’aucune d’entre elles ne cherche à se concerter avec les autres pour lui donner ne serait-ce qu’un peu de cohérence.

Un endroit parfait pour abriter deux génies qui ne se souciait que très peu de l’esthétique, de l’ordre, et parfois même de l’éthique.

Elle ne prit même pas la peine de toquer et, d’un geste habitué, glissa sa main entre les motifs de la porte en bois sculpté décoré d'un rapace qui servait d’accès à la bâtisse. Après quelques pressions expertes, un déclic se fit entendre et la voie lui fut ouverte. Elle se retrouva dans un couloir qui paraissait bien exigu pour la taille de la maison, et surtout pour le nombre de portes qu’il contenait.

Elle ne s’arrêta pas là. Passant une seconde porte, en fer cette fois, elle gravit l’escalier en colimaçon qui se trouvait juste derrière. Arrivée en haut, elle se retrouva dans une grande pièce où régnait un chaos digne de la carapace de l’Infesté qu’Alyss et elle avaient vaincu la veille. Partout sur le sol et sur les nombreux rayonnages qui occupaient la pièce, une multitudes de babioles de différentes tailles, formes et matériaux avaient été placées -ou plutôt jetée- ci et là sans aucune semblance de triage.

Le tout était si désordonné qu’elle eut une pensée pour Aurore, et pouffa en imaginant la tête qu’elle ferait si d’aventure elle entrait un jour dans cette pièce.

Alors qu’elle s’amusait à l’imaginer en train de commencer à mettre de l’ordre dans tout ce bazar, une voix agacée se fit entendre derrière l’une des étagères.

- Zaph m’en soit témoin ! Si cet idiot m’a encore « emprunté » ma clé, je vais te tester sur lui !

Arténiss fit le tour du rayon, prenant garde de ne pas trébucher sur un drôle de mécanisme composé de piston et de gros tuyaux, attrapa un outil posé sur le rebord de la fenêtre, puis s’avança vers le grand atelier où était assise une jeune femme aux cheveux blanc-argent portant une étrange armure.

Posant une main sur l’épaule d’Alyss, elle lui mit la clé sous les yeux. Cette dernière l’attrapa sans se retourner, et commença aussitôt à resserrer un boulon sur le côté du long fusil qui était posé sur le plan de travail.

- Merci ma belle. Bien dormi ? demanda l’Inventrice, les yeux toujours fixés sur son travail.

- Parfaitement oui, j’imagine que ce n’est pas ton cas ?

- La sieste que j’ai faite au Dôme hier m’a suffi, et de toute manière je préfère travailler la nuit.

Elle ne fut pas étonnée de cette réponse. Alyss dormait quand elle en ressentait le besoin, autant qu’il le fallait pour pouvoir être en forme le temps qu’elle prévoyait de rester éveillée. Et si personne ne pouvait la forcer à dormir plus longtemps, il était encore plus difficile de l’extirper de l’une de ses « siestes ». Elle ne s’inquiétait donc pas trop pour son amie.

- J’ai de bonnes nouvelles, Kairn a accepté de…

- Un Temps.

Coupé dans sa prise de parole, Arténiss se tût. Il ne servait à rien de continuer. Elle observa son amie travailler quelques instants, puis porta son attention sur l’atelier qui l’entourait. Contrairement au reste de la pièce, il était impeccablement ordonné. Même elle, qui ne connaissait pas grand-chose aux différents outils et équipements rangé là, aurait pu s’y retrouver. Il était parfaitement éclairé par une lampe à algue qui s’étirait sur tout son long, attachée à deux câbles qui pendaient du plafond. Sur le mur étaient accrochés divers outils, ainsi que plusieurs prototypes d’armes à feu qu’elle avait vus dans les mains d’Alyss. Les tests de certains d’entre eux lui avaient laissé de très mauvais souvenirs.

Son amie termina ses ajustements et souleva l’arme. Elle tira quelque chose sur le côté de l’objet, et celui-ci reprit instantanément sa forme de fusil mitrailleur.

- Parfait, dit-elle d’un ton satisfait. Bien mieux qu’hier.

L’Inventrice reposa le fusil, et se détourna enfin de son atelier. Elle la regarda d'abord dans les yeux, puis son attention se posa sur le bas ventre d'Arténiss. Elle leva une main pour le caresser doucement et l’examiner.

- Ça va mieux ?

- Oui, ne t’inquiète pas, je suis trop solide pour qu’un petit Infesté ne puisse me faire plus qu’un bleu. Tu vas écouter ce que j’ai à dire maintenant ?

- Oui. Excuse-moi. répondit Alyss, rassurée.

- Bien, j’ai parlé à Kairn de notre trouvaille d’hier.

Les yeux d’Alyss s’assombrirent, et elle ouvrit la bouche pour parler. Arténiss ne lui en laissa pas le temps.

- Je sais que tu voulais que l’on garde ça secret, mais j’ai pensé qu’il pourrait nous aider à le faire entrer en ville sans trop de difficulté. Il a accepté, à condition qu’on le tienne au courant de tout ce qui concerne l’artefact. Certes, ce n’est pas dans ta façon de faire, mais tu n’es pas obligée non plus de tout lui dire, et je pense que c’est un petit mal pour un bien plutôt intéressant.

Alyss sembla chercher une réponse, ouvrit la bouche, puis la referma. Enfin, elle hocha la tête.

- D’accord. Ça me va, finit-elle par dire. Dans ce cas, allons chercher les deux autres.

- Où sont-ils ? demanda-t-elle.

Un bruit sourd, qui fit trembler les fenêtres, lui donna la réponse. Il provenait du large hangar qui faisait à lui seul la moitié de l’Atelier. Situé au sous-sol, il était le repère du frère d’Alyss et de son comparse Soreï. Alyss poussa un nouveau juron.

- Je ne sais pas ce qu’ils font, dit-elle, mais ça fait plusieurs Rotations que ça dure et ça commence sérieusement à me taper sur les nerfs.

- Encore cette fameuse cabine volante ? hasarda-t-elle. Heytham ne cesse pas d’en parler.

- Je ne crois pas, j’ai cru comprendre que ça concernait quelque chose pour Soreï, mais Kiel seul pourra nous dire de quoi il s’agit. Allons les rejoindre, nous en aurons le cœur net.

Sur ces mots, l'Inventrice se leva, plaça son sniper dans son dos, et se saisit d’une arme plus petite qu’elle accrocha à sa cuisse. Elle alla ensuite ouvrir une porte faite de barres métalliques qui, en coulissant, donnait accès à une petite pièce complètement vide, ou deux personnes pouvaient tenir debout sans trop de problèmes.

Arténiss la suivie dans l’ascenseur qui, après qu’Alyss eu tiré les des leviers qui pendaient du plafond, commença tranquillement sa descente vers les profondeurs de l’Atelier.

Après quelques instants, la cabine se stoppa devant une énorme salle, sculptée dans la roche. Elle abritait un bazar semblable à celui de la pièce qu’elles venaient de quitter, à la différence que les babioles avaient ici laissées place à d’imposantes machines, dont Arténiss ne put deviner la fonction que de quelques-unes. Elles durent traverser les quelques cinquante mètres du hangar, qui ressemblait davantage à une immense grotte, avant d’enfin trouver ce qu’elles cherchaient.

Deux jeunes hommes étaient assis devant un atelier, assez semblable à celui où elle venait de trouver Alyss. L’un, fin mais dont les larges épaules laissaient deviner un corps sculpté, était habillé d’un veston chic mais pratique par les nombreuses poches qui s’y trouvaient, sans manche, sous laquelle il portait un habit vert. Il avait enfilé un pantalon de treillis et d’imposante chaussure dans un épais cuir noir. Finalement, il semblait plutôt normal, avec ses cheveux noirs coiffé-décoiffé et son air décontracté. Seul sa peau d’une teinte inhabituelle, légèrement ambrée, le démarquait particulièrement.

Rien à voir avec le phénomène qui lui tenait compagnie. Les cheveux en batailles, d’un gris-blanc presque métallique, il portait une étrange combinaison grise qui paraissait trop grande pour lui, d’imposantes chaussures de travail, et une paire de lunettes de mécanicien qui cachait des yeux qu’elle savait d’une couleur dorée. Mais ce qui le rendait si particulier, c’étaient les deux bras métalliques qui sortaient de ses omoplates, sur lesquelles était fixée une armure assez similaire à celle qu’utilisait Alyss.

Aucun des deux ne remarqua l’arrivée de nouvelles venues. En s’approchant, elles purent entendre Heytham prendre la parole, alors que ses bras robotiques s’affairaient à manipuler quelque chose qu’elles ne pouvaient pas voir.

- Il faut encore un petit ajustement sur le troisième et le cinquième, et il faut recalibrer le synchroniseur, mais je sens qu’on touche au but.

- Les aimants méritent d’être polis encore un peu plus, de ce que j’ai senti, tu peux jeter un œil ?

- Oui, j’avais cru remarquer aussi, je vais voir ce que…

- Qu’est-ce que vous fabriquez, vous deux ?

Alyss avait parlé d’un ton impérieux, comme si elle venait de les prendre la main dans le sac en train de faire une chose malhonnête.

Ils ne réagirent pas différemment que si ça avait été le cas. Soreï sursauta et leva les mains en l’air en se tournant vers les deux jeunes femmes, rapidement imité par Heytham. Cependant, bien que les paumes de ce dernier soient bien visibles, ses deux bras mécaniques continuaient de traficoter dans son dos, toujours hors de vue des deux amies.

- Rien du tout, ma très chère petite sœur, nous nous amusions à compter les aimants de ma réserve.

- Ah, vraiment ? Je crois pourtant avoir entendu parler d’un synchroniseur, mes oreilles doivent me jouer des tours, très cher petit frère ?

- Absolument, je n’ai pas dit « synchroniseur », mais « sainte liqueur », nous discutions du nouveau cocktail que nous ont servi les filles de l’auberge hier soir. Un véritable délice, je te le conseille.

Alors que les jumeaux continuaient de se chamailler, Soreï, toujours les mains au-dessus de la tête, fit un geste de salut à Arténiss.

- Yo, Vi, fit-il le sourire aux lèvres.

Vi, diminutif de violet, faisait référence à la couleur de son œil droit.

- Salut Soreï, encore en train de traîner avec un individu douteux ?

Il haussa les épaules.

- On raconte que sa sœur est bien pire, et qu’elle est toujours flanquée d’une fille douteuse elle aussi.

- Vraiment ? J’ai entendu une histoire différente. On parlait de deux belles et mystérieuses jeunes femmes, dont l’une d’elles aurait un frère avec qui elle combat régulièrement pour décider lequel d’entre eux compte de 1 à 100 le plus vite, dans un sens puis dans l’autre.

Soreï prit un air grave.

- Maintenant que tu le dis, je crois avoir entendu quelque chose de similaire moi aussi.

Ils éclatèrent de rire, se calmèrent, puis repartirent de plus belle devant les regards incrédules des deux jumeaux, qui avaient stoppé leur joute verbale en les entendant s’esclaffer.

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