Chevron 3
Elle jeta un autre regard alentour, observant le Dôme une fois de plus, sans succès. Vide.
Un léger soupir quitta ses lèvres. Perdre son amie de vue était une habitude dont elle se serait bien passée. Elle rajouta une tâche à la liste affichée par son Mémoriam.
Trouver Arténiss.
Se mettant en marche, elle traversa lentement l'immensité du lieu, ne pouvant s’empêcher de l’étudier une fois de plus. Le Dôme était une gigantesque pièce parfaitement ronde, la plus grande du complexe de ruines où elle se trouvait. Sa voûte en coupole lui avait donné son nom. Pas très original certes, mais elle aimait ce sobriquet simple et sobre, qui correspondait parfaitement à l’allure de la salle.
À sa grande peine, l'endroit ne présentait aucune décoration particulière, que ce soit sur les immenses dalles qui en composaient le sol, le long des murs, où même sur ce qui restait du plafond. Des racines appartenant aux arbres qui avaient poussé au-dessus des ruines en avaient percé la coupole. Elles l'avaient recouverte dans son intégralité, avant de descendre le long des parois. Bien qu'elles aient détruites une grande partie de ce qui auraient pu être un indice crucial dans ses recherches pour mieux comprendre l'endroit, Alyss appréciait la présence de ces plantes. Elles donnaient à la pièce un charme qu’elle n’avait pas dû posséder du temps où elle était encore utilisée.
Elle avait d’abord trouvé étrange qu’une salle si massive soit complètement dépourvue de tout travail sur ses façades, mais c’est en examinant les murs dans l’espoir d’y repérer des signes de peintures ou de fresques qu’elle avait découvert avec surprise qu’ils n’avaient rien d’anodin. Tous étaient parcourus de petites anfractuosités qui couraient sur leur surface en de minuscules vagues aux formes géométriques prononcées. Elles ne ressemblaient en aucun cas à de l’usure, mais n’était pas assez visible à l'échelle de l'édifice pour avoir un intérêt esthétique.
Il lui avait fallu plus de trois Séries pour se rendre compte de leur utilité, après s’être subitement rendu compte que le Dôme, pourtant complètement vide, ne produisait aucun écho. Les sons les plus forts y étaient fortement atténués, au point que ses cris et ceux d’Arténiss s’étaient transformés en murmures durant les essais qu’elles avaient réalisés dans cette partie du bâtiment. Après avoir analysé plus de données à l'aide de ses Yeux, elle avait pu confirmer que ces motifs étaient bel et bien à l’origine de l'absorption du son.
C’est en pensant à son amie qu'elle se rappela qu'elle était toujours à sa recherche. Arténiss l'accompagnait toujours lors des descentes hors d’Oasis. D’un naturel calme et réfléchi, elle détestait cependant d’être enfermée. Elle avait dû en avoir assez de faire les cent pas et était allée l’attendre dehors.
- Typique. Chuchota-t-elle dans un soupir faussement agacé.
Prenant à son tour la direction de la sortie des ruines, elle passa par l’une des nombreuses portes qui s’ouvraient tout autour du Dôme, menants à autant de couloirs. Les larges corridors se ressemblaient tous, et s'étendaient dans toutes les directions. Les ruines étaient un véritable labyrinthe. Alyss n'eut cependant pas besoin de se munir de la carte qu'elle avait minutieusement dressée lors de ces précédentes expéditions. Elle n’avait plus aucun mal à trouver son chemin.
Ses premières explorations des lieux n'avaient pas été une mince affaire. Les murs étaient encore couverts des restes de plantes et gravas qu'elle avait passée des Ellipses à dégager, témoignant du temps que ces bâtiments avaient passés à l’abandon. A en croire les artefacts et les imposantes ruines que l’on retrouvait un peu partout autour d’Oasis, les Hamagus avaient été une civilisation très avancée, et justifiait à ses yeux le mal qu'elle s'était donnée à explorer les lieux. Même parmi les autres Inventeurs, les seuls à voir dans ces « vieilles babioles » un autre intérêt que celui de servir de matière première, elle savait se démarquer par un besoin particulièrement insatiable d’en apprendre plus sur ceux qui les avaient précédés.
Plus que quiconque, elle avait passée de longues Rotations à étudier chacune des traces laissés par les Hamagus à proximité de la ville, à la fois excitée et prise d’une étrange nostalgie. Elle aurait voulu y passer davantage de temps, mais les membres du Conseil finissaient toujours par en confier l'étude à de plus grosses têtes… Ou plutôt à des têtes plus enclines à suivre sagement leurs ordres.
C’est la raison pour laquelle elle ne les avaient pas informés de la découverte du Dôme: elle voulait en visiter et en étudier chaque recoin avant d’éventuellement, peut-être, envisager la possibilité d’en parler à un autre Inventeur. À ce jour, seules Arténiss et elle en connaissaient donc l’existence.
En parlant d’Arténiss, où a-t-elle bien pu passer ? Je pensais qu’elle serait là à m’attendre.
Perdu dans ses pensées, Alyss avait fini par rejoindre l'extérieur, mais ne fut pas pour autant extirper de sa solitude: son amie n'était visible nul part.
Elle se trouvait maintenant dans une forêt au toît dense. Les rayons du jour passaient à peine au travers des épaisses et larges feuilles de la seule espèce d’arbre qu’on pouvait y voir. Ils s'imposaient à tout ce qu'ils recouvraient, réclamant respect et considération. Bien qu'habituée à les comtempler, elle ne fit pas exception.
Les yoks se distinguaient prétentieusement des autres plantes exotiques de la région par leur forme et leur taille impressionnantes. Se tordant à la manière de deux gigantesque serpents, leur deux troncs s'enlaçaient l'un autour de l'autre et grimpait à plusieurs dizaines de mêtres. Leurs feuillages s'ouvrant ensuite tel d'immenses gueules, tentant d'enloutir les cieux pour se nourrir de leur lumière.
Apparemment, cette forme particulière n’était pas anodine, comme son frère Heytham lui avait un jour expliqué : « J’ai un peu étudié ces arbres, pendant que tu t’amusais avec tes vieux cailloux » avait-il dit. « Il est possible que les deux troncs soient en fait deux arbres différents, mâle et femelle, et qu’ils s’enlacent ainsi dans une sorte d’accouplement pour relâcher des spores au moment où leur feuillage s’ouvre. D’en haut, ils doivent avoir l’air d’éclorent comme d’immenses fleurs, romantique n’est-ce pas ? »
Personnellement, elle les trouvait plus inquiétants que romantiques, et elle avait failli rétorquer que c’est sans doute parce qu’il s’intéressait plus à ses machines et aux arbres que ses relations avec les gens étaient si difficiles. Mais il avait aussitôt continué : « Le plus intéressant, c’est le chemin que suivent les troncs, il semble qu’ils poussent autour de puissants flux d’Ather, et qu’ils montent jusqu’à trouver une zone où ce dernier s’amasse. C’est stupéfiant de voir à quel point ce bois peut être si flexible lors de sa croissance, pour finir plus dur que de la pierre. »
En effet, le bois était célèbre pour être quasiment indestructible, malgré toutes les tentatives des artisans d’Oasis pour le traiter. Elle n’était donc pas effrayé que quelqu’un d’autre puisse découvrir le Dôme par hasard: il était complètement camouflé par les yoks qui avaient poussés sur toute sa surface. Et personne ne venait dans cette forêt. Pour la simple raison qu’il n’y avait rien d’autre à y trouver que des arbres impossibles à couper. C’est pourquoi...
TROUVER ARTENISS.
L'instruction des Yeux d'Or la fit sursauter, clignotant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel devant son œil droit. Les prothèses lui donnaient parfois l'impression de penser par elles-même, agacées de la voir ainsi se perdre dans ses contemplations. Et elles n’auraient pas tout à fait tort. Alyss savait avoir la fâcheuse tendance à se perdre dans ses propres travaux.
- Pas que je compte y changer quoi que ce soit, cependant.
Elle avait parlé tout haut, un petit sourire narquois sur le visage, comme pour se moquer d’elles. Bien évidemment, ces dernières ne réagirent pas.
Alyss se reconcentra malgré tout, et leur demanda de lui afficher les courants d’Ather environnant. Sa vision se transforma immédiatement. Désormais, tout ce qui l’entourait apparaissait en diverses nuances de gris, à l’exception de légères formations de fumés colorées, qui dansaient partout autour d’elle.
Toutes d'une couleur différente, et il ne lui fallut pourtant pas longtemps pour y repérer celle qu'elle cherchait. Parmi les courants de vapeur qui s’écoulaient lentement sous ses yeux, deux se distinguaient des autres par l’intensité de leur coloration : l’un, discret et d’un blanc pur, sortait des ruines qu’elle venait de quitter et flottait lentement derrière elle. L’autre arborait un puissant magenta, presque violet, et serpentait doucement entre les courants de teintes neutres qui remontaient à l’intérieur des yoks.
Il était anormal qu’un flux d’Ather soit si visible, et elle était certaine que si un Lecteur s’était trouvé là, il aurait pu le voir à l’œil nu sans même avoir à se concentrer. Elle l'isola donc et commença à le suivre, après s’être assurée d’avoir camouflée l’entrée des ruines du mieux qu’elle le pouvait à l’aide d’un assemblage de branches et de terre qu’elle avait construit à cet effet. Arténiss, malgré son départ inattendu, avait eu la prudence de laisser derrière elle une piste qu’elle pouvait facilement suivre. Une prudence toute relative, étant donné que n’importe qui capable de ressentir les courants d’Ather n’aurait aucun mal à se lancer sur ses traces. N’importe qui, ou n’importe quoi.
À en juger par la puissance de la piste en question, Arténiss avait quitté les abords du Dôme peu de temps auparavant. De plus, sa direction n’était pas aléatoire, elle n’était donc pas en train de chasser, mais se dirigeait vers un objectif précis.
La plage, constata-t-elle. Que va-t-elle chercher là-bas ?
Les plages qui s’étendaient au sud d’Oasis étaient les lieux les plus fouillés des environs, car la mer y rejetait régulièrement des matériaux intéressants. Il était inutile de s’y rendre si tard dans la journée, car elles avaient déjà dû être passées au peigne fin par d’autres Récolteurs. Autre chose avait donc attiré Arténiss. Elle savait que son amie ne ferait rien de risqué sans y avoir mûrement réfléchi, mais ça ne l’empêchait pas de se mettre en danger de manière assez régulière. Elle pressa le pas.
La forêt avait bien changé : les yoks qui l'entouraient avaient laissés place à une végétation bien plus dense, plus variée, et surtout plus chaotique. Faisant attention à chaque pas pour ne pas trébucher sur un petit bosquet ou une racine, elle avait désormais plus la sensation de se déplacer dans une jungle. Sans la trace laissée par Arténiss, Alyss se serait sans doute perdue. La capacité de la jeune Modeleuse à se déplacer avec tant de facilité dans les environnements inconnus lui avait toujours été impressionnante. Cette dernière avait sans aucun doute un don pour tout ce qui touchait à ce travail de Récolteur, ce qui lui avait valu une certaine réputation en ville.
Malheureusement, cette capacité d’adaptation n’avait d’égal que son incroyable talent pour se fourrer dans les pires situations. Alyss ne fut donc pas surprise lorsque la piste qu’elle suivait croisa un autre courant d’Ather, et elle ne put s’empêcher de jurer en identifiant sa nature. Le flux qui s’était joint à celui d’Arténiss était bien différent de ceux qu’elle avait observés jusque-là : il n’avait rien d’une douce vapeur colorée. Il était bien plus dense, bien plus trouble, d’un jaunâtre malsain qui la mit immédiatement mal à l’aise. Un Infesté. Et un gros qui plus est, à en juger par la taille du flux qu’il laissait derrière lui.
Elle se mit aussitôt à courir, aussi vite qu’elle le pouvait. La boule au ventre, elle se força à garder une respiration régulière afin de ne pas se fatiguer trop rapidement. Le flux d’Arténiss avait disparu, et elle ne pouvait qu’espérer que cette dernière l’avait stoppée pour se cacher… Bien que les chances soient faibles.
La jungle commençait peu à peu à devenir moins dense, du sable se fit bientôt sentir sous ses pieds. Des relents salés parvinrent à ses narines, se mélangeant à une odeur de cuivre qu'elle ne connaissait que trop bien. Au travers des arbres, elle pouvait enfin apercevoir un bleu bien plus sombre que celui du ciel. L'océan.
Elle entendit l’Infesté bien avant de le voir. Un son strident, suivi d’une série de grincements semblables à ceux que produit un engin rouillé lorsque l’on tente de s’en servir après plusieurs Cycles, retentit par-delà les arbres. Enfin, elle déboula hors de la forêt, et faillit tomber en freinant subitement sur le sable fin. La scène qui se déroulait sur la plage la laissa sans voix. Elle resta un moment immobile. Son cerveau n’arrivant pas à accepter ce que ses yeux lui montraient.
- C’est une blague, n’est-ce pas ? Finit-elle par laisser échapper dans un souffle.
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