Chevron 19

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Ils passèrent le reste de la soirée à traverser la jungle à bord de la bête mécanique. À la surprise de Liam, cette dernière progressait à travers la végétation avec une fluidité que son gabarit n’aurait pas laissé deviner. Malgré les nombreux obstacles sur son chemin et l’obscurité grandissante, sa vitesse ne semblait jamais diminuer, comme si elle savait toujours à l’avance quel chemin prendre pour ne pas être ralentie. Et même si le balancement irrégulier qu’elle faisait subir à ses passagers lui donnait parfois quelques haut le cœur, le voyage n’en devenait pas trop désagréable.

Il était subjugué par la nature qui l’entourait. Cette partie de la forêt n’avait rien à voir avec celle où Alyss et lui avait passé l’après-midi : on était bien loin des arbres bien rangés et équidistants qui entouraient le lieu où il s’était réveillé. Ici, on aurait dit que chaque plante se disputait son espace vitale avec sa voisine. La végétation était si dense qu’il était difficile de voir à plus de dix mètres, ce qui était à la fois impressionnant, magnifique et - Liam devait l’avouer - assez inquiétant : après l’attaque qu’ils venaient de subir, il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer que d’autres de ces monstres pouvaient facilement se dissimuler dans les hautes herbes, fougères et autres buissons qui les entouraient. D’autant plus que les rayons du soleil couchant parvenaient de moins en moins à percer la cime des arbres, plongeant les alentours dans une semi-obscurité qui n’avait rien d’accueillante.

Cela ne semblait cependant pas inquiéter ses nouveaux camarades : Alyss et Arténiss, assisent à sa droite dans des harnais similaires à celui qui le maintenait sur le flan du véhicule, discutaient calmement dans leur langue. Et bien qu’il ne les comprît pas, les regards qu’elles lui lançaient laissaient deviner le sujet de leur conversation. Bien que mal-à-l’aise, Liam prit la décision de ne pas trop y faire attention : leur rencontre devait être tout aussi étrange pour elles que pour lui, et il était normal qu’elles fassent le point sur tout ce qui venait de se passer. Pour ce qui est des deux garçons, les bruits de course de la machine couvraient le plus gros des sons provenant de son poste de conduite, mais il put tout de même percevoir des rires à plusieurs reprises.

Il n’aurait su dire si leur attitude détendue était le signe qu’il n’y avait pas de danger, ou simplement qu’ils y étaient tellement habitués qu’ils n’y faisaient plus vraiment attention : après tout, ils s’étaient débarrassés de ce groupe de créatures avec une facilité presque irréelle. Il avait encore beaucoup de questions à poser, mais il prit son mal en patience : après tout, Alyss lui avait clairement fait comprendre qu’elle répondrait à ses interrogations plus tard, quand ils auraient atteint la destination vers laquelle se pressait actuellement leur moyen de transport. Quant à la nature de cette destination, Liam ne savait pas à quoi s’attendre. Il avait bien compris qu’ils se rendaient là où Alyss et les autres vivaient, mais il n’avait pas la moindre idée sur la forme que leur lieu de vie prendrait. Peut-être vivaient-t-ils dans des bâtisses souterraines semblables à celle où il avait repris connaissance ? Il n’eut cependant pas beaucoup plus de temps pour s’imaginer les lieux. Alors que la nuit finissait de tomber, Alyss s’adressa de nouveau à lui :

- On est bientôt. On est tard. On ne sait pas si on va pouvoir monter.

- Monter ? Monter quoi ?

- Tu vas voir.

Un sourire énigmatique sur le visage, elle se tourna de nouveau vers Arténiss et lui dit quelque-chose qui sembla la faire rire. Cette fois, Liam pris la mouche : elle était clairement en train de profiter du fait qu’il ne les comprenait pas pour se moquer de lui, et il n’était pas sûr de pouvoir laisser passer ça très longtemps.

Il n’eut cependant pas le temps de montrer son mécontentement, car la machine avait enfin atteint la limite de la jungle. Et malgré le fait qu’ils eurent quitté le toit végétal qui leur cachait le soleil pour entrer dans un espace à ciel ouvert, ils ne retrouvèrent pas la lumière du soir pour autant. Liam n’en crut pas ses yeux.

Le mur était immense. Si grand qu’il eût l’impression de se déboîter le cou pour en apercevoir le haut, presque indiscernable dans l‘obscurité de la nuit naissante. Son architecture était d’autant plus incroyable qu’en plus d’être gigantesque, et bien que Liam ne sût dire si ce constat était dû à la faible visibilité, le mur semblait sculpté dans un seul immense bloc de roche. Et d’une manière bien particulière : à mi-hauteur, la surface jusqu’à lors parfaitement lisse se disloquait en une multitude de blocs de tailles et de formes différentes, qui jaillissaient hors de la muraille ou, au contraire, s’y enfonçaient par endroit. Enfin, sur ce qui semblaient être les dernières dizaines de mètres, le mur s’élargissait sur une certaine distance : ainsi, si quelqu’un était assez fou pour tenter d’y grimper, il se retrouverait finalement en dessous d’une corniche impossible à escalader sans avoir à s’accrocher à l’horizontal au-dessus du vide.

Alors qu’il observait le haut de l’édifice, l’attention de Liam fut soudain attirée par le ciel qui se détachait au-dessus de ce dernier. Il comprit alors pourquoi il faisait assez clair pour y voir malgré que le soleil leur soit désormais complétement caché : une énorme série d’arches de lumière semblable à une traînée de poussière brillaient parmi les premières étoiles. Leur lueur suffisait amplement à éclairer la scène. Le spectacle était magnifique.

Il était clair que le mur avait été construit pour agir telle une véritable forteresse. Sans doute pour se protéger des créatures qu’ils avaient combattu plus tôt. Ou même de monstres encore plus dangereux, à en juger par la taille de l’édifice. Alors qu’ils le longeaient, Liam put également constater l’absence totale de porte ou, de manière générale, de quelconque moyen de passer de l’autre côté. Il allait interroger Alyss à ce propos lorsque le mouvement mécanique de la machine se stoppa net, et pour cause : un peu plus loin devant eux, la muraille plongeait dans une immense étendue d’eau. Et toujours aucune porte en vue. En y réfléchissant à deux fois, Alyss avait parlé de monter, et même si la clarté de leurs échanges était encore précaire, il doutait qu’elle ait choisi ce mot au hasard. Il était peu probable que leur véhicule, malgré son aspect arachnéen, puisse grimper le long de la muraille, peut-être auraient-ils affaire à une sorte d’ascenseur ?

Liam voulu demander des explications à Alyss, mais elle était déjà descendue de l’autre côté du Grouilleur et était sortie de son champs de vision. Il tourna donc son regard vers Arténiss, qui était toujours assise à côté de lui, et fut surpris de voir qu’elle l’observait déjà en retour. Elle lui adressa un sourire rassurant, et lui fit un signe qu’il interpréta comme une invitation à attendre. Il pointa le mur du doigt, affichant un air interrogatif, teinté d’une touche d’incrédulité devant la taille de la muraille. La jeune femme fit une moue en réponse à sa demande implicite. Liam se rappela soudain qu’elle ne pouvait pas parler sa langue, et amorça un geste pour lui dire de laisser tomber. Mais elle le coupa dans son élan en prononçant un seul mot :

- Oasis.

Liam avait déjà entendu ce mot, Alyss l’avait prononcé plus tôt dans la journée, lorsqu'elle avait dessiné dans le sable pour apprendre à parler avec lui. Sur le moment, il n’avait pas compris à quoi faisaient référence les dessins qu’elle lui avaient fait en prononçant ce mot, mais maintenant qu’il avait le mur sous les yeux, il comprit qu’elle avait dessiné des bâtiments entourés d’un très grand mur. Oasis devait être le nom de l’endroit où ils venaient d’arriver. Il fit un signe de tête pour indiquer à Arténiss qu’il avait compris, et elle sembla rassurée de ne pas avoir à se lancer dans de plus longues explications gestuelles. Attaché comme il l’était, il ne pouvait pas voir ce qu’il se passait au-dessus de lui, mais après un court instant, il sursauta au son d’une petite explosion. Un projectile lumineux fila dans le ciel, dessinant une courbe de fumée derrière lui. La petite boule de feu disparut très vite, remplacée par le visage d’Alyss penché sur lui.

- J’appelle des amis. On va monter.

Elle leva la tête vers le haut du mur, et l’invita d’un geste à faire de même. Il leva de nouveau les yeux au ciel. Il y avait du mouvement en haut du mur. Le projectile lumineux, qui était pourtant monté à une hauteur considérable, avait à peine dépassé la hauteur de l’imposant bloc de pierre. Tout en prononçant ces mots, elle pointa le haut du mur du doigt : il était toujours difficile de définir clairement la limite entre l’édifice et ciel, mais Liam put tout de même discerner deux ombres se déployer au-dessus d’eux. Encore quelques instants, et Alyss et Arténiss avait terminé d’attacher de lourdes chaînes descendues jusqu‘à eux aux quatre coins de la machine. Peu de temps après, le cœur de Liam descendit dans sa poitrine alors que l’ascension commençait.

Se dévoilant au fur et à mesure qu’ils prenaient de la hauteur, les alentours du mur étaient spectaculaires : sur la gauche du jeune homme, le point d’eau immense avant lequel ils s’étaient arrêtés. De tous les autres côtés, des arbres à perte de vue. Le mur était la seule construction visible dans ce paysage naturel, comme tombé du ciel. Liam aurait pensé qu‘un tel monument aurait été entouré d’autres bâtisses, mais il ne pouvait rien voir de tel de ce côté de la muraille. Cependant, il ne fallait pas oublier qu’il s’était éveillé dans un immense complexe enfoui sous la forêt, il n’était pas impossible qu’il en soit de même pour d’autre bâtiments.

Alors qu’il arrivait à cette conclusion, il se rendit compte qu’ils étaient à présent très haut au-dessus du vide, et même s'il n’était pas sujet au vertige, avoir les pieds si loin du sol n’était pas l’expérience la plus plaisante qu’il ait vécu depuis qu’il avait repris conscience. Heureusement, il n’eut pas à s’inquiéter longtemps : dans un brouhaha de choc métallique, les chaînes stoppèrent de les tirer vers le haut, et le mouvement verticale de leur embarcation devint horizontal. Bientôt, il put apercevoir un sol de pierre ainsi que de larges rails défiler à quelques centimètres en dessous de lui. Finalement, le complexe mécanisme qui les entourait désormais stoppa tout mouvement, et une fois les chaînes retirées par Alyss et son amie, Heytham dirigea leur transport vers un box non loin de l’endroit où l’ascenseur les avaient déposés.

Tout ce qui les entourait n’était pour le moment que pierre et acier, et même si Liam fut content d’enfin pouvoir quitter son siège, il se sentit légèrement mal-à-l’aise au milieu de ces énormes machines. Les autres commencèrent à décharger le véhicule, déposant précautionneusement la Cellule devant la plateforme où l’araignée de métal s’était arrêtée. Il était sur le point d’aider Arténiss et Alyss à récupérer les derniers sacs, mais cette dernière se figea soudain et lâcha une série de mot qui n’exprimait clairement pas de la joie. Inquiet, Liam jeta quelques regards autour de lui pour tenter d’identifier l’origine de son mécontentement, mais Arténiss ne lui en laissa pas le temps : lui saisissant le bras, elle le fit passer derrière le véhicule et lui fit signe de se cacher et de rester silencieux, avant de repartir vers Alyss. Cela ne manqua pas d’agacer Liam, et il jura tout bas :

- Bon sang, vous ne pouvez pas simplement essayer de me dire ce qu’il se passe au lieu de me tirer là où vous voulez que j’aille à chaque fois ?!

Il obéit cependant à Arténiss et resta caché, observant la scène entre les pattes du Grouilleur.

Trois hommes se dirigeaient vers le petit groupe, qui s’était dépêché de se rassembler près de la Cellule, presque comme s'ils espéraient la cacher en se tenant devant. L’homme qui marchait en tête était habillé d’une robe beige d’aspect simple et robuste, mais d’une couture qu’on devinait de grande qualité. Maigre, les cheveux noir de jais, Liam pouvait, malgré la distance, apercevoir dans ses yeux dorés briller une colère mal dissimulée par son expression qui semblait se vouloir la plus neutre possible. Il devait être assez jeune, à peine plus vieux que lui, mais ses traits anguleux et son air austère ne le mettaient pas vraiment en valeur.

Malgré son physique peu impressionnant, l’homme dégageait une forme d’autorité, probablement accentuée par la présence des deux colosses qui l’escortaient : habillés d’un cuir épais, ils portaient tous deux un bandeau leur entourant la tête sur lequel était dessiné un œil tricolore asse étrange, mais qui ne manquait pas de souligner la présence inquiétante que leur conférait leur gabarit. Cependant, à mesure qu’ils approchaient, Liam put lire dans leur comportement non pas un quelconque air menaçant, mais plutôt de l’embarras, l’un d’eux sembla même s’excuser d’un petit sourire gêné auprès d’Alyss, même si cette dernière ne sembla pas y faire attention.

A l’instant où il fut arrivé à portée de voix du petit groupe, l’homme en beige commença à assener des propos cinglants à l’égard d’Alyss qui, loin de se démonter face à ce qui semblait clairement être une figure d’autorité, répondait plutôt d’une manière que Liam sut provocatrice sans même comprendre un mot de leur échange. Heytham semblait tenter de calmer sa sœur, mais elle l’ignorait complètement, préférant continuer son débat houleux avec son interlocuteur. Liam avait envie d’intervenir, mais il dut prendre son mal en patience : on lui avait dit de rester caché pour une raison, et il n’aurait de toute manière pas pu se faire comprendre.

- Khi iccé thul ?

Liam faillit pousser un cri de surprise, mais se retint au dernier moment. Une petite fille était apparue à côté de lui, et le regardait avec curiosité. À en juger par ses trait et son gabarit, elle devait avoir entre 12 et 14 ans, mais l’intelligence dans son regard lui en donnait bien plus. De plus, elle dégageait une sorte d’aura qu’il aurait été bien incapable de décrire. On aurait dit qu’elle brillait. Rien de tangible, bien sûr, mais sa présence seule avait quelque-chose d’hypnotisant. Ses courts cheveux blonds étaient bouclés mais pas très bien coiffés, et elle portait seulement une fine robe de tissu ocre ornée de motif pourpre, que ses bras gardaient plaqué sur ses genoux alors qu’elle s’était accroupie sur la pointe des pieds à côté de lui.

- Khi iccé thul ?

Voyant qu’il ne répondait pas, la jeune fille avait reposé sa question, ses grands yeux gris fixés dans les siens.

- Désolé, je ne parle pas ta langue, fit Liam le plus bas possible.

La fille fit la moue, comme déçue par sa réponse. Elle sembla réfléchir un instant, jeta un œil au groupe qui était toujours en pleine dispute, puis lui fit signe de s’approcher. Après qu’il se soit exécuté, elle tendit les bras vers lui et prit sa tête entre ses mains. Un geste inattendu, mais Liam se laissa faire. Il ne voulait pas prendre le risque de la vexer ou de l’énerver, car elle pouvait dévoiler sa cachette à tout moment. Elle se redressa pour se mettre à son niveau, ferma les yeux et vint plaquer son front contre celui de Liam. Embarrassé par cette proximité soudaine, il failli la repousser, mais sa curiosité commençait à prendre le dessus. Tout de même gêné, il ferma les yeux à son tour.

D’abord, il ne se passa rien. Mais peu à peu, il commença à ressentir un léger malaise. De la même manière que lorsque Soreï lui avait rendu l’usage de ses jambes, il pouvait sentir cette étrange énergie qu’il avait découvert en lui plus tôt dans la journée. Cependant, cette fois était différente. La fillette ne se contentait pas de manipuler son énergie : il n’aurait su dire pourquoi, mais il savait qu’elle était aussi en train de lui transférer la sienne. Il avait de plus en plus froid là où leurs fronts étaient en contact, au point que cela en devint presque douloureux. Puis, sans prévenir, il eut l’impression de perdre connaissance. Des images défilèrent devant ses yeux, et il put entendre des voix faire écho dans son crâne. Il vit des silhouettes, des paysages, il ressentit une multitude d’émotions et manipula une infinité d’objet. Sans pouvoir l’arrêter, douleur, joie, envie, faim, inquiétude, plénitude, se bousculèrent dans son esprit en l’espace d’un instant. Enfin, il reprit ses esprits et ne sentit plus rien qu’un léger mal de crane, comme si son cerveau avait surchauffé.

Un air fier sur le visage, la fille se recula et mit les mains sur ses hanches dans une pose faussement héroïque, avant de commencer à débiter un véritable torrent de parole.

- Nous nous savons naturellement doués pour la réécriture des réseaux d’Ather, mais Eryn s’est réellement surpassée cette fois. Nous n’avions jamais essayé de modifier autant les réseaux auparavant, mais il semblerait que vous l‘ayez plutôt bien vécu. Il faut dire que malgré l’air un peu bête que vous avez eu lorsque nous vous avons surpris, vous semblez en fait assez malin. Eryn pensait que ça allait être plus compliqué et que vous alliez au moins vous évanouir. C‘est assez décevant en réalité, ça aurait pu être drôle. Cela aurait été votre faute de toute manière, c’est vous qui étiez incapable de vous souvenir comment parler convenablement. A moins que vous ayez du mal à parler parce que votre peau est marronne ? La seule autre personne marrone que nous connaissons n’est pas très bavarde non plus. Nous pensions que c’était juste parce qu’elle est un peu bizarre, mais peut-être que ça vient de votre peau finalement. Oh ! Mais nous oublions pourquoi nous avons fait tout ça ! Nous nous demandions qui vous étiez et pourquoi nous ne vous avions jamais vu. En plus, vous êtes bizarre à vous cacher comme cela. C’est Maître Riven qui vous fait peur ? C’est vrai qu’il est toujours en colère, nous ne l’aimons pas beaucoup non plus. Si vous le souhaitez, nous pouvons aller lui dire de se taire, comme ça vous pourrez sortir.

C’est cette dernière phrase qui sortit Liam de son état de choc, et il eut juste le temps de rattraper le bras de l’enfant avant qu’elle ne sorte de derrière le Grouilleur. Il la tira de nouveau vers lui et la plaqua contre la machine en la bâillonnant d’une main. Il jeta ensuite un léger coup d’œil au nouvel arrivant pour vérifier qu’ils n’avaient pas été découvert, mais l’homme en robe continuait d’invectiver Alyss sans porter la moindre attention à quoi que ce soit d’autre. Liam put donc reporter son attention sur la fille.

Elle regardait sa main d’un air choqué, et son visage commençait à devenir rouge. Croyant l’étouffer, Liam relâcha légèrement son emprise, mais il ne pouvait pas la lâcher avant d’être sûr qu’il n’y avait plus de danger.

- Écoute, chuchota-t-il, je ne sais pas plus que toi pourquoi on m’a demandé de rester cacher là. Du coup, ça m’arrangerait si tu pouvais rester tranquille le temps qu’on vienne me chercher. Je n’ai pas envie d’avoir à te retenir comme ça. Alors promet moi que tu restes ici en faisant le moins de bruit possible, et je te lâche, d’accord ?

La fille, toujours aussi rouge, hocha doucement la tête. Il relâcha prise et s’assit juste en face d’elle, un sourire sur le visage dans une tentative de la rassurer.

- Merci. Pour répondre à ta question, je m’appelle Liam. Je ne suis pas d’ici. Maintenant, le temps que ça se calme par là-bas, on pourrait discuter d’accord ? Je voudrais aussi te demander certaines choses. Tu t’appelles Eryn c’est ça ? Pas besoin de me vouvoyez. Comment fais-tu pour apprendre à parler mon langage avec autant de facilité ? C’est presque effrayant que toi et Alyss en soyez capable. Est-ce en lien avec cette énergie que j’ai sentie quand tu m’as touché ? Et Maître Riven, c’est cet homme en beige là-bas ? Qu’est-ce qu’il veut à Alyss ?

Après avoir prononcé ces mots, Liam dû se racler la gorge. Sa voix lui avait paru étrange. Sans doute avoir tant parlé durant son après-midi avec Alyss avait fatigué ses cordes vocales. Il prit le temps de se masser la gorge, attendant patiemment la réponse de la jeune fille. Cette dernière, qui commençait peu à peu à reprendre une couleur normale, détourna tout de même le regard et fit la moue lorsqu’elle recommença à parler, si bas qu’il l’entendit à peine.

- Personne ne nous avait touché comme ça auparavant, vous… Tu ne dois vraiment pas être d’ici. Nous te pardonnons donc ces gestes déplacés. De plus, pour une personne qui nous veut silencieuse, Hir Liam pose beaucoup de questions.

Liam eut un petit rire gêné.

- Désolé pour ça. Tu m’as fait peur en te montrant tout à coup.

- Nous n’allions pas prévenir Maître Riven de ta présence, juste lui demander de se taire et de partir. Il n‘était pas nécessaire de nous stopper de telle manière, Eryn n’est pas stupide.

- Encore désolé, je ne te pense pas stupide, loin de là. Après tout, tu parles comme moi alors que tu-

- Tu n’as pas encore compris. Ce n’est pas nous qui parlons comme toi. C’est toi qui as appris à parler comme nous. Nous avons utilisé notre Ather pour remodeler le tien et t’aider à mieux parler. Tu as une drôle de voix cependant.

Liam accusa le coup.

- Hein ? Ne raconte pas de bêtise, il est impossible que je –

- Si tu ne nous crois pas, le coupa-t-elle à nouveau, tu n’as qu’à écouter Maître Riven. Tu verras bien.

Peu convaincu, Liam tendit tout de même l’oreille pour écouter la dispute. Ce n’est pas sans surprise qu’il se rendit compte qu’il pouvait en effet comprendre les dires du dénommé Riven, toujours en plein sermon :

- .. trop dangereux ! Le statut particulier qui vous a été accordé par le Conseil ne vous donne en aucun cas le droit de contourner les règles de la sorte ! Vous devriez au contraire vous comportez en conséquence de l’honneur qui vous a été fait. Il y a des raisons pour lesquelles les Ponts sont fermés avant la nuit, ce n’est pas pour que vous vous permettiez d’utiliser vos relations avec certains des Passeurs pour rentrer après le coucher du soleil !

Alors qu’il prononçait ces mots, Liam remarqua que les deux colosses avaient de plus en plus de mal à cacher leur inquiétude. Peut-être n’étaient-ils pas là pour escorter Riven après tout. Une hypothèse qui se vit confirmer lorsque ces derniers reprirent des couleurs lorsqu’Alyss prit à son tour la parole :

- Les Passeurs n’y sont pour rien. Ils ne font qu’obéir aux ordres que mon frère et moi leur avons donné. Le statut spécial que le Conseil nous a accordé nous y autorise, non ? De plus, le Chevron vient à peine de se fermer, ce n’est pas comme si nous avions demandé le fonctionnement du Pont en plein milieux de la nuit. Comme je vous l’ai déjà expliqué, nous avons été retardés par une attaque d’Infestés, et Arténiss et moi-même ne voulions pas prendre le risque de passer la nuit à l’extérieur - pour un retard d’à peine quelques Segments qui plus est - alors que nous étions exceptionnellement accompagnés de deux civils.

- La présence de votre frère et de son ami n'est pas une excuse, bien au contraire. Si je découvre que vous n’avez pas suivis les démarches nécessaires aux sorties civiles, vous ne vous en sortirez pas cette fois. Le Conseil ne saurait permettre que vous-

Liam dut stopper son écoute. La petite lui tirait le bras pour avoir son attention.

- Mirr Alyss risque de s’attirer des ennuis si ça continue, elle n’a pas la réputation d’être très bonne diplomate et nous avons entendu que Maître Riven l’a à l’œil depuis un moment maintenant. Nous pouvons aller l’aider, mais il faudrait que tu nous laisse partir.

- Tu connais Alyss ? Je me rends bien compte que les choses vont mal, mais qu’est-ce qu’une enfant comme toi pourrait y faire ?

- Nous ne sommes pas une enfant. Nous avons 15 Cycles. Et tu serais surpris de voir ce que nous pouvons faire.

Elle réfléchit un instant, puis hocha la tête, comme si elle venait de se mettre d’accord avec elle-même.

- De toute manière, mieux vaut te montrer plutôt que d’attendre que tu te décides.

Sur ces mots, elle se leva à nouveau. Liam voulu amorcer un mouvement pour l’en empêcher, mais il sentit tout à coup ses membres se raidir, en même temps qu’un flot d’énergie faisait son entrée en lui pour stopper ses mouvements. La jeune fille lui tira la langue.

- Notre grande sœur Kristal nous as appris ça. Reste là et regarde.

Sur ces mots, elle sortit de derrière le Grouilleur et partit en trottinant vers le petit groupe. Liam retrouva vite le contrôle de ses mouvements, mais bien trop tard pour arrêter la jeune fille. Après à peu près la moitié du chemin les séparant des autres, elle interpela le dénommé Maître Riven et Alyss.

- Maître Riven ! Mirr Alyss ! Bonsoir !

Elle avait parlé d’un ton enjoué, et son intervention stoppa net la discussion agitée entre les deux concernés.

- Elle est folle, laissa échapper Liam dans un souffle.

Cependant, son anxiété disparut complètement lorsque, bouche-bée, il vit l’intégralité des personnes présentes - y compris Riven et les deux géants - s’agenouiller immédiatement devant la jeune fille.

- Première Ange ! s’exclama Riven. Que nous vaut l’honneur de votre présence ? Je ne pensais pas vous croisez ici, surtout à ce Chevron. Je –

- On dirait que vous avez un problème avec Mirr Alyss, le coupa-t-elle. Nous nous baladions par là et nous vous avons remarqué. Eryn s’est dit que nous pouvions peut-être vous aider à mieux vous entendre.

Maintenant qu’elle lui avait adressé la parole, l’homme se remit doucement sur ses jambes.

- Et vous nous en voyez ravis, fit le Maître, mais je vous assure que le sujet de notre petite… mésentente ne vaut pas la peine que vous vous en préoccupiez. Nous ne voudrions pas vous ennuyez avec de telle broutilles.

- Vous n’embêtez pas Eryn. C’est à nous de nous assurer que tout le monde à Oasis est le plus heureux possible. Mirr Alyss, pourquoi Maître Riven a-t-il querelle avec tes amis et toi ?

Alyss, qui semblait également surprise de la tournure des évènements, mit un petit temps pour se rendre compte que c’était à elle de parler. Elle se leva d’une traite et répondit :

- Ah ! Pardon. Je … Enfin, nous (elle se retourna vers Arténiss et les deux garçons) étions à l’extérieur pour la journée. Je voulais montrer à mon frère une de mes découvertes, que je ne pouvais pas ramener ici par moi-même. Nous avons donc utilisé son Grouilleur pour aller chercher l’objet en question, mais nous avons été attaqués par un groupe d’Infestés sur le chemin du retour. J’étais en train d’expliquer à Riv… Maître Riven que c’était là l’origine de notre retard. Comme mon frère et Soreï ici présents étaient avec nous, Arténiss et moi-même avons pris la décision d’utiliser un signal de détresse pour qu’on nous permette de remonter plutôt que de passer la nuit au pieds du mur. Nous sommes conscients du dérangement que nous avons pu occasionner, mais les circonstances étaient exceptionnelles.

Même de là où il était, et bien qu’elle fût de dos, Liam put ressentir l’amusement d’Eryn. Bien qu’arrivée à la hauteur des autres, elle continuait de se balancer d’un pied sur l’autre. Il était clair qu’elle n’était pas du genre à tenir facilement en place.

- Vous étiez quatre donc ? Juste vous tous ? demanda-t-elle tout en s’approchant d’Arténiss qui était toujours agenouillée près des sacs et de la Cellule. Est-ce la chose que vous êtes allés chercher ? C’est gros ! Qu’est-ce que c’est ?

Alyss hésita un instant. Il était étrange de la voir ainsi, Liam avait commencé à s’imaginer que rien ne pouvait ébranler la confiance de la jeune femme. Finalement, elle décida d’ignorer la première partie de la question.

- Nous ne savons pas trop. Il semble que ce soit une sorte de moyen de stockage. Une boîte, si vous préférez. Nous l’avons justement apportée pour l’étudier plus efficacement.

Maître Riven, à ces mots, sembla retrouver de son zèle.

- Vous n’avez aucun droit de conserver cette découverte pour vous ! Il est très clairement spécifié dans les Principes qu’il est interdit de conserver pour soi toute trouvaille faîte à l’extérieur, à moins qu’on ne reçoive l’autorisation du Conseil. Vous devez nous remettre cet objet !

- Maître Riven. Nous n’apprécions pas que vous omettiez certains points des Principes pour obtenir ce que vous voulez.

La remarque d’Eryn, qui avait soudain pris un ton impérieux, fit l’effet d’un vent glacial. L’homme devint livide et rapprocha encore un peu plus sa tête du sol.

- Première Ange, je vous assure que ce n’était en aucun cas-

- Ce n’est pas bien de mentir, fit Eryn en reprenant son air guilleret. Vous savez qu’il n’y a pas que le Conseil qui puisse donner ce genre d’autorisation.

- Je-

- Eryn autorise Mirr Alyss et son frère à garder la grosse boîte. Et leur accorde notre pardon pour les problèmes que sa récupération a pu entraîner.

Riven eu un rictus, ouvrit la bouche dans un dernière tentative de protestation, mais se ravisa pour prendre une expression neutre.

- Si c’est ce que vous désirez. Je me dois cependant de faire un rapport au Conseil quant à ces événements. Sachez que le Onzième sera mis au courant de cet écart.

Il appuya ses mots tout en regardant Alyss, mais celle-ci était bien trop occupée à se réjouir de l’intervention d’Eryn en sa faveur.

- Ne vous inquiétez pas, nous ne manquerons pas d’en discuter avec notre grand-frère Théosion nous aussi. Merci de votre intérêt pour le bien-être d’Oasis, Maître Riven.

Le concerné s’inclina longuement une dernière fois, puis tourna les talons et repartit dans la direction par laquelle il était arrivé. Après quelque pas, il s’arrêta pour se racler la gorge. Les deux titans qui l’accompagnaient sursautèrent, puis après un coup d’œil à Eryn, se levèrent à leur tour et l’accompagnèrent. Un sourire satisfait sur le visage, Eryn se retourna de nouveau vers Alyss. Elle se rendit alors compte que Heytham, Arténiss et Soreï étaient toujours à genoux, et que cela ne semblait pas leur être des plus agréables. Elle prit aussitôt un air mal à l’aise.

- Ho ! Pardon ! Nous avons oublié de… vous pouvez vous relevez, Eryn n’a pas besoin que vous restiez comme ça aussi longtemps !

Les trois comparses se redressèrent en frottant leurs genoux engourdis, et Heytham prit la parole :

- Merci pour votre aide, Première Ange. Nous aurions eu des difficultés à calmer ces deux-là sans vous. Ils sont aussi têtus l’un que l’autre. (Il se pencha un peu plus près de la jeune fille, comme pour lui dire un secret) Au fond, je trouve qu’ils se ressemblent beaucoup. Peut-être même qu’ils se plaisent un peu.

Il eut à peine le temps d’esquiver le coup que sa sœur tenta de lui porter, qui passa juste au-dessus de sa tête. La scène sembla amuser Eryn qui ria doucement.

- Vous avez de la chance, nous vous aimons bien. Mais Eryn ne va pas vous aider à chaque fois que vous faites entorse aux Principes. Surtout quand vous ne dites pas tout sur les raisons de votre retard.

Les chamailleries des jumeaux se stoppèrent nets.

- Que voulez-vous dire ? demanda Alyss en tentant en vain de cacher son inquiétude.

La Première Ange (Liam ne savait pas quoi penser de ce titre, mais il était maintenant évident que la fille avait une position importante, et ce malgré son très jeune âge) eut un autre sourire amusé.

- Rien de spécial. Nous devons y aller maintenant, Mirr Alyss, Hir Heytham, nous vous souhaitons une bonne soirée.

Sur ces mots, elle fit demi-tour et commença à s’éloigner en sautillant. Après quelques bonds, elle se stoppa et se tourna de nouveau vers Liam. Même de loin, il put voir son grand sourire alors qu’elle lui adressait un signe de main exagéré pour lui dire au revoir. Puis elle disparut derrière l’une des grosses machines qui les entouraient. Liam resta figé un instant sur le vide que la jeune fille avait laissé, mais il fut vite ramené à la réalité par une manifestation de son instinct de survie, qui lui criait soudain de fuir les lieux. Et pour cause : lorsqu’il se retourna, il constata qu’Alyss n’avait pas manqué le petit signe qu’Eryn lui avait adressé, et se dirigeait maintenant vers lui en lui jetant un regard noir.

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