Chevron 20

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- Tu as fait QUOI ? Mais à quoi pensais… PAR KIEL ! MAIS VOUS ALLEZ ARRÊTER VOUS DEUX ?

La colère d’Alyss tranchait avec l’hilarité de Heytham et Soreï, qui se tenaient les côtes depuis que Liam avait commencé à raconter sa rencontre avec la jeune Eryn.

- Oh ! Toi, arrête ! fit Heytham en essayant de reprendre son souffle. Il ne pouvait pas savoir ce qu’il faisait, laisse-le un peu tranquille ! Et c’est sans doute la chose la plus drôle que j’ai entendu depuis un moment. Voit le bon côté des choses : la Première Ange ne semble pas pressée d’informer qui que ce soit de sa présence, et maintenant nous ne sommes plus obligés de l’amener à un Lecteur, elle a fait en un Segment ce qui aurait pris des Ellipses avec des transferts classiques. Tu devrais lui expliquer tout ce qui vient de se passer au lieu de lui crier dessus sans arrêt.

Liam remercia Heytham du regard. Il comprenait qu’il avait fait une erreur, mais n’était pas sûr de comprendre pourquoi. Lorsqu’il avait dû expliquer la manière dont il avait tenté de retenir Eryn, il avait pu constater deux choses : le groupe n’avait pas été surpris de la façon dont il avait appris leur langue en l’espace de quelques instants, mais tous avaient été choqués de savoir qu’il avait touché la jeune fille. Il comprenait que ses nouveaux camarades ne pensaient pas comme lui, mais il avait quand même plusieurs questions qu’il aurait aimé poser. Or les brimades incessantes d’Alyss le laissait en incapacité de prendre la parole.
Il fut enfin rassuré lorsque, alors qu’Alyss allait repartir de plus belle contre son frère, elle fut stoppée par la main d’Arténiss qui vint se poser sur son épaule. Elles se regardèrent un instant, comme dans un échange silencieux, puis Alyss poussa un grand soupir.

- Très bien. Vous avez raison.

Elle se tourna de nouveau vers Liam.

- Je suis désolée. La journée a été éprouvante pour nous tous et l’intervention de cet idiot de Riven m’a agacée. J’en ai oublié que tu devais être complètement perdu. Je répondrais bien à tes questions tout de suite, mais nous avons plusieurs choses à régler avant ça. Pour le moment, tu vas accompagner Arténiss jusqu’à un endroit où tu pourras manger et te reposer. Nous vous rejoindrons peut-être plus tard dans la nuit, mais essaye tout de même de dormir un peu.

Pendant qu’Alyss parlait, Soreï avait sorti un vêtement épais de son sac, qu’il tendit à Liam en souriant.

- Tu devrais mettre ça, dit-il. Même si la Première Ange t’a vu, on va essayer de ne pas alerter toute la ville de ta présence. Et avec ta couleur de peau et tes vêtements actuels, tu risques de trop attirer l’attention.

Liam enfila le manteau, et Soreï rabattit sur sa tête l’épaisse capuche qui y était cousue. Alyss remercia son ami d’un signe de la tête, puis reprit une dernière fois la parole :

-Heytham et moi allons finir de décharger le Grouilleur et ramener tout ça à l’Atelier. Soreï, que veux-tu faire ?

- Je vais accompagner Arténiss et le nouveau au Ciel Brisé, et je vais rentrer chez moi juste après. La fatigue va avoir ma peau si je ne dors pas.

- Ok, à demain alors. (Elle se tourna de nouveau vers lui) Encore désolée de te demander d’attendre Liam, mais nous devons nous dépêcher de décharger tout ça avant que Riven ne soit pris de l’envie de nous envoyer quelqu’un d’autre, je ne suis pas sûre qu’il ait réellement lâché l’affaire. Si tu as le courage de rester éveillé, je te promets que l’on discutera ce soir.

Liam hocha la tête sans répondre : il venait de se rendre compte de son immense fatigue, et l’idée d’aller se reposer ne lui déplaisait pas. De plus, parler ce nouveau langage n’était pas des plus agréable, alors même si ses questions étaient nombreuses, il se surprit à être soulagé de ne pas avoir à discuter sur le champ. C’est Arténiss qui prit donc la parole :

- Dans ce cas allons-y. Kairn doit avoir envoyé quelqu’un pour nous aider, et je ne sais pas comment je vais lui expliquer tout ça.

Sur ces mots, elle dit au revoir à Alyss et Heytham, et fit signe à Liam de la suivre. Soreï ramassa son sac et les rejoints, et ils sortirent ensemble du bâtiment.

Liam était épuisé, mais cela ne l’empêcha pas de s’extasier devant le spectacle que lui offrit Oasis. Depuis le haut du mur, la vue était absolument magique, mais il était encore plus incroyable de voir les ruelles défiler sous lui alors qu’il se tenait dans la cabine de verre qui les transportait. Ils avaient été rejoints par une magnifique jeune femme aux cheveux roux du nom d’Aurore, habillée de noir, qui semblait être proche d’Arténiss. Elle avait paru surprise lorsque cette dernière lui avait expliqué la situation, mais elle s’était reprise très vite et les avait accompagnés à travers la foule. Sa présence seule fut d’une aide assez inattendue : les passants étaient trop occupés à la regarder pour porter la moindre attention à Liam. Cela lui permis d’observer les habitants de la cité. Et il dut se rendre à l’évidence : tout ce qui lui avait paru étrange dans l’apparence de ces camarades était monnaie courante. Lorsqu’ils avaient dû patienter pour monter dans l’une des cabines qui faisaient la navette avec le centre de la ville, il avait pu observer diverses personnes avec des couleurs de cheveux et des tenues improbables, et alors qu’un petit groupe de jeunes de leur âge les avaient dépassés bruyamment, il crut même voir une fille qui avait la peau bleue.

Mais il n’avait pas eu le temps de réfléchir à ce qu’il avait vu. Ils étaient montés dans une cabine et la ville était apparue. Soreï, Arténiss et la nouvelle venue le laissèrent découvrir le paysage en silence, discutant entre eux à voix basses tandis qu’ils l’observaient en s’amusant de son excitation. Finalement, ils descendirent de l’engin que Soreï avait appelé le Pont et alors qu‘il suivait les deux jeunes femmes qui discutaient quelques mètres devant eux, ce dernier prit de nouveau la parole.

- Désolé si la question t’embête, mais je suis assez curieux : tu as vraiment perdu la mémoire ? Tu n’as aucune idée d’où tu peux venir ? Tu m’as l’air étrangement calme pour quelqu’un qui ne pouvait pas parler la même langue que nous il y a un Chevron de ça, et tu ne sembles pas paniqué à l’idée d’être guidé par des étrangers dans une ville inconnue.

Liam réfléchit un instant.

- Je ne me souviens de rien. Enfin, rien n’est pas tout à fait le mot. Je me souviens de quelques images, mais impossible de remettre des mots dessus. A vrai dire, même si mon passé ne me revient pas, je n’ai pas tout perdu non plus : il semble que j’ai conservé certain instincts et connaissances de base, et je-

Il se stoppa soudainement. Ce qui sembla inquiéter Arténiss, qui stoppa sa discussion avec son amie.

- Quelque-chose ne vas pas ?

Il secoua la tête pour se remettre les idées en place.

- Non, non, ce n’est rien. C’est juste que je n’arrive toujours pas à réaliser que je parle une langue que je n’ai jamais apprise. C’est exactement ce dont je parlais : je ne me souviens pas d’où je viens, mais je sens que je fais quelque-chose que je ne suis pas capable de faire en temps normal. Et cela vaut pour tout ce que j’ai fait aujourd’hui. C’est à la fois inquiétant et excitant. Une sensation très étrange. Quant à pourquoi je vous fais confiance, je dirais que c’est parce que je ne vois pas de raisons de me méfier de vous. Et de toute manière, après m’être réveillé dans un endroit complètement inconnu, je n’ai pas eu trop le choix que de me fier à vous. Je n’aurais pas fait long feu seul face à ces monstres mécaniques. Que sont-ils d’ailleurs ?

C’est Arténiss qui lui répondit, tout en continuant de le guider à travers des ruelles mal éclairées.

- Des Infestés. On t’expliquera tout ce que tu veux avec Alyss, mais plus tard. Pour le moment nous devons rejoindre rapidement le Ciel Brisé.

La rousse répondit à la prochaine question de Liam sans qu’il ait besoin de la poser.

- C’est l’endroit où je travaille, et aussi celui où Arténiss et moi vivons. Tu pourras t’y reposer le temps qu’Alyss décide comment elle va se sortir du pétrin dans lequel elle s’est mise en décidant de te cacher.

- Je ne comprends pas, en quoi ma présence ici est-elle si dramatique ?

- Je ne saurais par où commencer. Disons que nous n’avons pas l’habitude de rencontrer des gens qui viennent de l’extérieur.

Liam n’était pas plus avancé, mais il comprit qu’il devait se faire à l’idée qu’il n’aurait pas de réponses à ses questions dans l’immédiat. Il se tut donc et observa les ruelles qu’ils traversaient. Bien qu’elles semblaient pour le moment abandonnées, l’architecture qui les composait restait assez impressionnante. Lorsqu’il avait observé la ville depuis le Pont, il avait pu constater que les deux tiers du mur qui entourait la ville servaient de soutien à des habitations qui en grimpaient le flan. Maintenant qu’il pouvait observer les strates inférieures de la cité, il était évident que toutes les constructions étaient pensées pour pouvoir soutenir un étage supérieur, au cas où la nécessité de créer plus d’espace habitable se présentait dans le futur. Chaque coin de mur des couloirs qu'ils arpentaient prenait ainsi la forme d’une épaisse colonne de divers matériaux, parfois sculptés, qui supportaient le plafond composé de poutres métalliques servant de support à de large plaque faite dans un matériaux qu’il ne sut pas identifier : il ressemblait à du bois, mais d’un autre côté, Liam pouvait difficilement imaginer des arbres assez grands pour y découper des morceaux de telle taille, et il ne voyait aucun signe que les plaques soient composées de plusieurs pièces qui auraient été collées ensemble. Il se trouvait donc dans un sous-sol qui avait dû être autrefois à ciel ouvert. Maintenant, l’éclairage n’était plus naturel mais diffusé par divers globes lumineux attachés aux murs ou qui pendaient du plafond. Quant à leur fonctionnement, Liam ne put en déterminer la nature. Une autre question à ajouter à sa liste.
À en juger par l’espacement entre les portes et par les rares fenêtres, qui témoignaient de leurs petites tailles, les habitats n’étaient probablement pas des lieux de vies. Ce qui expliquerait en partie le silence qui régnait tout autour d’eux : la plupart devaient être vides ou occupés par des gens déjà endormis.
Après un certain temps à zigzaguer entre les bâtiments, Liam commença à entendre de l’agitation. Ils devaient se rapprocher d’une rue plus active. Cependant, Arténiss évitait les endroits trop peuplés. A en juger par la facilité avec laquelle elle les guidait, elle avait sans doute l’habitude de prendre ces passages dérobés. Depuis qu’ils étaient sortis du Pont, ils avaient dû croiser moins d’une dizaine de personnes.

Finalement, ils se stoppèrent dans une ruelle parallèle à une grande avenue que Soreï lui expliqua être l’une des plus actives de la ville. Cependant, dû à l’architecture de celle-ci, ils devaient se trouver encore trois ou quatre étages au-dessus de la grande place que Liam avait aperçue depuis la cabine. La prénommée Aurore s’avança vers le mur qui se trouvait sur leur droite, complètement couvert de tuyau de toutes tailles : certains vibraient, et Liam en vit même quelques-uns émettre de petits filets de vapeur. Le chaos de tuyauteries était tel qu’il n’avait même pas remarqué le petit espace dans lequel se glissa la rousse. Il était si étroit qu’il ne pouvait pas observer ce qu’elle faisait, mais le bruit de verrou et le grincement d’une porte suffirent à l’expliquer. La fille se retourna et lui fit signe de la suivre. Un à un, ils se faufilèrent entre la tuyauterie, laissant derrière eux une rue vide.

Le réveil fut difficile. Liam n’avait pas entendu les petits coups à la porte de l’étroite chambre dans laquelle Arténiss l’avait laissé la veille. Lorsqu’il s’était laissé tomber sur le lit qui occupait un tiers de l’espace, la fatigue qu’il avait repoussé toute la soirée s’était abattue sur lui sans qu’il ait le temps de s’en rendre compte, et il avait plongé dans le sommeil. Lorsqu’Aurore, inquiète après avoir frappé sans réponse, était finalement rentrée dans la pièce, elle l’avait trouvé enroulé dans la cape que Soreï lui avait donné, dormant complètement habiller sur un lit encore fait.

Une fois qu’elle l’eut réveillé, elle lui expliqua qu’elle avait dû retenir Alyss de venir le sortir du lit en plein milieux de la nuit pour le soumettre à un interrogatoire, et il lui en fut reconnaissant. Elle avait souri à ses remerciements et l’avait guidé jusqu’à une grande salle dans laquelle trônait un énorme bassin et lui proposa de s’y laver. Après qu’il eut accepté, elle s’était retirée et avait verrouillé la porte derrière elle. Mais il ne s’en était pas inquiété. Sa présence était quelque chose qui ne devait pas se savoir, et il s’agissait sans doute moins de l’enfermer que d’empêcher quelqu’un de rentrer pendant qu’il occupait les lieux.
Il trouva d’abord étrange d’utiliser tant d’eau pour se laver, mais ne put cependant pas s’empêcher de pousser un soupir de satisfaction en se glissant dans le bassin chaud. Il commença ensuite à réfléchir à sa condition. Il essayait de mettre de l’ordre dans toutes les nouvelles choses qui n’avaient cessé de lui tomber dessus depuis son réveil dans la forêt, lorsqu’il fut surpris d’entendre le claquement du verrou et de voir la porte s’ouvrir. Alors qu’Aurore entrait de nouveau dans la pièce, il eut à peine le temps de crier un avertissement et de lui tourner le dos dans un élan de pudeur. Surprise par son attitude, la rousse se mit à rire.

- Et bien, c’est la première fois que je vois quelqu’un paniquer ainsi à mon arrivée ! Qu’est-ce qu’il te prend ?

Liam ne sut pas quoi répondre. Il sentait que cette situation était anormale, mais ne pouvait pas dire pourquoi. Cette histoire de perte de mémoire était définitivement un problème. Comme Aurore semblait plus préoccupée par sa réaction que par sa nudité, il prit la décision de se calmer.

- Excuse-moi. J’ai agi par habitude. Je crois. Il semble qu’être vu nu n’est pas normal pour la personne que j’étais avant.

- La personne que tu étais avant ? Oh ! Maintenant que tu le dis, Arténiss m’a parlé de ton amnésie. Est-ce que ça va ? Désolé si je t’ai fait peur.

- Tout vas bien. C’est juste étrange de ne pas pouvoir expliquer ses propres actes. Il semble que mon esprit et mon corps aient gardés certaines habitudes, mais je suis bien incapable de me souvenir d’où je les tiens. Je n’ai pratiquement aucun souvenir de qui j’étais avant d’être réveillé par tes amis hier. Mon comportement est-il si étrange ? Cela ne te dérangerait pas d’être nue devant un inconnu ? Surtout du sexe opposé ?

- Et bien, nous sommes dans un bain, donc il semble aller de soi que cela risque d’arriver. Il y a bien quelques enfants qui ont du mal au début, mais ils finissent par s’y habituer. Après tout, il est rare d’avoir un bain pour soi seul, tu te trouves d’ailleurs dans l’un des seuls bains de la ville que l’on peut considérer comme privé, puisqu’il est réservé au personnel de l’auberge. Et s'il n’y a personne d’autre que toi et moi ici, c’est parce que les autres sont en plein service. Dans quelques segments, quelques-unes de mes amies et collègues vont sans doute venir ici pour se détendre.

Maintenant qu’il y réfléchissait, il était évident que cette installation était prévue pour plusieurs personnes. Les trois autres coins du bassin étaient des alcôves similaires à celle où il se trouvait, et chaque-une d’entre elles permettaient à plusieurs personnes de s’asseoir dans l’eau à auteur de buste. Plusieurs personnes pouvaient s’y disposer sans problème comme autour d’une table... À la différence qu’elles seraient complètement nues. Il avait beau essayer de ne pas trop y penser, il ne pouvait pas s’empêcher d’imaginer que cela risquait de causer des problèmes intersexes. Cette réflexion le fit alors réagir à un détail dans les propos que venait de lui tenir la jeune femme.

- Quelques-unes ? Aucun homme ne travaille ici ?

- Bien sûr que si ! Mais c’est le bain des femmes après-tout, je n’ai pas la clé de celui des hommes.

Oubliant son embarras, Liam se retourna vers la rousse, agacé :

- Il y a donc bien une séparation hommes/femmes, ma réaction était tout à fait justi-

Il stoppa ses protestations en voyant les yeux hilares et le grand sourire faussement innocent de la rousse. Il se laissa retomber dans le bain, posa sa tête sur le bord du bassin et soupira :

- Est-ce que toutes les personnes que je rencontre se sont passé le mot et ont décidé de se moquer de moi ? J’espère au moins que tu t’es bien rincé l’œil !

- Rhooo ne le prends pas comme ça ! Je ne viens pas me rincer l’œil ! Au contraire, je t’ai apporté des vêtements.

Du coin de l’œil, il la vit en effet déposée une pile de tissus non loin du bassin. Elle récupéra ensuite la combinaison qu’il avait porté la veille et l’examina.

- Je n’ai jamais vu un tissu comme celui-là, fit-elle en palpant le vêtement, il semble à la fois très souple et extrêmement résistant. Je pensais le laver, ça te dérange si je le prends ?

Liam haussa les épaules.

- Comme tu veux, mais c’est l’un des seuls indices qui me reste sur mon passé, donc j’y tiens tout particulièrement.

Le silence lui répondit, mais il eut le sentiment qu’elle avait compris. Il n’insista donc pas plus. Il ferma les yeux et essaya de se détendre à nouveau. Tentative qui fut complètement mis à mal par un bruit et un mouvement à la surface de l’eau qui lui indiquèrent que quelqu’un venait d’entrer dans le bain avec lui. Il n’osa pas ouvrir les yeux. Qu’est-ce que cette fille était en train de faire ? Il avait été explicite quant à son inconfort, et maintenant…

- En parlant de ton passé, tu sembles extrêmement calme quant à ton amnésie, c’est assez étrange.

Au grand soulagement de Liam, la voix était moins proche que ce qu’il avait pensé. Après une vérification prudente, il put constater que la situation n’était pas aussi grave que ce qu’il avait escompté : La jeune femme s’était juste déchaussé et assise au bord du bassin, les pieds dans l’eau. Liam retint un soupir de soulagement. Son imagination s’était juste un peu emportée.

- A vrai dire, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour y penser. La journée d’hier a été plutôt mouvementée. Je pense cependant pouvoir dire avec certitude que je découvre énormément de choses. Où que soit l’endroit où je me trouvais avant d’être sorti de cette boîte par tes amis, il ne devait ressembler en rien à ce que j’ai pu voir depuis mon réveil.

- Et ça ne te fait pas peur ?

- Dans d’autres circonstances, cela aurait pu. Mais étrangement, j’ai l’impression d’être là où je devrais être. Je sais que ma mémoire n’a pas été complètement effacée, donc je préfère ne pas trop y penser pour le moment et me concentrer sur le présent. Si ma mémoire revient, tant mieux, si jamais elle reste dans son état actuel eh bien… Je devrais apprendre à vivre avec de toute manière.

Aurore hocha la tête en observant ses pieds battre dans l’eau. Elle avait un petit sourire aux lèvres, mais Liam crut voir un ombre passer dans ses yeux. Ce fut cependant si bref qu’il se demanda si son imagination ne lui jouait pas encore des tours.

- Je crois que je comprends, fit-elle finalement, et ne t’inquiète pas, si être étrange est l’une de tes caractéristiques, tu n’auras aucun mal à te fondre dans le groupe d’Alyss.

- Tu la connais bien ?

- Je connais bien Arténiss, et Arténiss et Alyss sont quasi-inséparables. Je dirais que c’est une manière plutôt fidèle de décrire ma relation avec elle.

Pas amies donc. Liam nota cette information dans un coin de sa tête. Il tenta d’en savoir plus en observant le visage de son interlocutrice, mais celle-ci ne laissa rien paraître. Soit il n’y avait rien de plus à dire, soit Aurore était le genre à bien savoir cacher ses émotions. Dans les deux cas, il n’y avait pas de raison de chercher à en apprendre plus pour le moment.

- Et Arténiss ?

Aurore sourit.

- Si tu te considères comme étrange, attends un peu de mieux la connaître. Elle comme moi, nous ne sommes pas sorties du même moule que les autres. Ce que je veux dire, expliqua-t-elle en voyant son expression interrogative, c’est que nous n’avons jamais vécu au Sanctuaire, là où les Anges assurent l’éducation des enfants. Nous avons toutes deux étés trouvées par le propriétaire de cet endroit, même si Arténiss était là bien avant moi. Kairn – le propriétaire - l’a trouvée alors qu’elle était encore un bébé. Il aurait pu la confier aux Anges, mais pour une raison quelconque, il a décidé de la garder et de l’éduquer lui-même : d’après ce que j’en ai entendu, ça n’a pas plu du tout. Cependant, pour des raisons que tu découvriras en le rencontrant et d’autres que je ne connais pas moi-même, on le laissa faire et il commença à construire cette auberge tout en s’occupant d’Arténiss. À la voir aujourd’hui, je dirais qu’il a fait un plutôt bon travail, mais il faut avouer que ne pas avoir été élevée aux Sanctuaires ne rend pas l’intégration dans la société très simple.

- Que veux-tu-dire ?

- Tu n’as pas dû le remarquer, étant donné que tu n’as vu Arténiss que lorsqu’elle était avec Alyss et les autres. Mais à part quelques gens qui travaillent ici, Heytham, Soreï, Alyss, et moi-même, Arténiss ne parle à personne. Elle dit que c’est parce qu’elle n’a rien à leur dire, mais je pense surtout qu’elle est trop fière pour admettre que ça l’effraie. Un effet secondaire de l’éducation de Kairn j’imagine, il est aussi un solitaire de nature.

- Elle n’a pas eu l’air d’avoir de mal à me parler. Nous n’avons pas discuté beaucoup, mais elle ne m’a pas semblé particulièrement réticente à faire la conversation.

- Pour toi, c’est différent. Déjà, tu n’es pas d’ici. Aussi bête que cela puisse paraître, Arténiss doit être curieuse d’en savoir plus sur toi. Et par la même occasion, elle espère sans doute en apprendre un peu plus sur elle.

Face à l’air interrogatif de Liam, elle développa :

- Comme je te l’ai dit, Kairn a trouvé Arténiss quand elle était enfant. Et par trouvé, j’entends qu’il l’a remmenée d’en dehors des murs. Comme toi, elle n’est pas née ici. A vrai dire, vous êtes les deux seules personnes qui, à ma connaissance, sont étrangers à Oasis. Et comme par hasard, vous avez la même couleur de peau.

- Euh… Qu’est-ce que ma couleur de peau vient faire là-dedans ?

- Eh bien … Tu n’as pas pu t’en rendre compte, mais avoir une peau sombre comme la vôtre n’est pas chose courante à Oasis. En fait, les seules personnes que tu croiseras avec une couleur de peau significativement différente de la mienne l’auront faite teinter. Or, Arténiss avait une couleur différente bien avant d’avoir l’âge minimum pour se faire teinter, et ça n’a pas échappé à qui que ce soit.

Liam tendit sa main devant lui pour observer son épiderme. Il n’arrivait pas à croire que sa couleur était si exceptionnellement étrange. Cependant, cette histoire de peau teintée le rassura : il n’avait pas rêvé lorsqu’il avait cru voir une fille bleue en entrant dans le Pont la veille.

- Et comment êtes-vous sures que nous n’avons pas simplement été teinté à la naissance ?

Aurore ne répondit pas tout de suite, en fait, elle mit un moment à comprendre que sa question était sérieuse. Elle faillit tomber dans le bain en éclatant de rire, poussa un petit cri, mais retrouva son équilibre de justesse.

- Haha haa… S’il te plaît, ne retrouve pas tout de suite la mémoire, la façon que tu as de poser des questions comme celle-ci risquerait de disparaître et ça me rendrait très triste... Il n’y a aucune chance que vous soyez teintés : il faudrait que vous alliez vous refaire la couleur au moins 1 fois tous les Cycles, et quand bien même, il serait impossible qu’elle soit si parfaite. Même tes paupières et tes lèvres sont marrons. Et même si tu ne me laisse pas vérifier, je parie que ce que tu ne me laisses pas voir l’est aussi...

Cette fois, Liam prit sur lui pour ne pas répondre à la provocation évidente de la jeune femme. Cette dernière continua :

- Tout ça pour dire, Arténiss a toujours eu beaucoup de mal à se fondre dans la masse, et le fait qu’elle soit aussi différente des autres et qu’elle ait certains talents particuliers ne l’ont pas aidé. Comme je te le disais, elle est un peu bizarre. Mais au fond c’est l’une des plus belle personne que je connaisse.

Sur ces derniers mots, son expression s’éclaircit. Elle devait vraiment apprécier son amie. Liam sourit à son tour. Ils restèrent silencieux un moment. Finalement, Aurore finit par sortir ses pieds du bassin. Après s’être séché avec une serviette pendue non loin de là et rechaussée, elle récupéra les vêtements que Liam avait portés la veille et se dirigea vers la porte.

- C’est bientôt la fin du service. Il faudrait qu’on sorte avant que les autres n’arrivent et nous surprennent seuls ici. Habille-toi, je t’attends dehors.

Elle avait déjà ouvert la porte pour sortir lorsque Liam la stoppa :

- Pourquoi m’avoir raconté tout ça ? On se connaît à peine, et pourtant tu n’as pas hésité à me parler de ton amie. J’en suis heureux, bien entendu, mais je trouve tout de même ça un peu étrange.

La fille prit un moment pour réfléchir, toujours la main sur la poignée.

- J’ai eu le sentiment que tu étais digne de confiance, j’imagine ? Mais je mentirais si je disais que je ne cherche pas quelque-chose en retour… J’espère juste que ta présence pourra aider Arténiss à répondre à certaines questions qui la taraudent depuis longtemps. Après tout, peut-être que vous avez plus en commun que votre couleur. Si c’est le cas, je voudrais que vous vous aidiez mutuellement à le découvrir. Et comme Arténiss n’est pas très douée pour exprimer ce qu’elle veut, je me suis dit que t’expliquer pourrait être une bonne idée.

- Et bien… Je ne sais pas trop quoi répondre à ça. Mais si je peux aider d’une manière ou d’une autre, je ferai ce que je peux.

La rousse sourit, l’air soulagé.

- Merci.

Liam haussa les épaules.

- Ce n’est rien. Pour prendre le risque de te confier ainsi à un inconnu, tu dois vraiment aimer Arténiss.

La jeune fille ria en fermant la porte derrière elle.

- Oui, sans doute... Peut-être même un peu trop.

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