Chevron 22

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Ils discutèrent ainsi pendant presque deux Chevrons, traitant de divers sujets sur la vie à Oasis et son fonctionnement. Comme promis, Liam répondit lui aussi à de nombreuses questions qu’Alyss avait à lui poser, mais beaucoup avaient dû rester sans réponses à cause de son inexplicable amnésie. Tout ce que le petit groupe put apprendre sur la vie du nouveau venu se trouvait dans les différences souvent drastiques entre son mode de pensée et le leur, certains concepts et habitudes de la vie de tous les jours étant considérés normaux pour les uns et complétement incongrus pour l’autre, et inversement. Alyss avait très vite conseillé à Liam de toujours leur faire part de ce que son instinct lui disait, car identifier les choses dont il semblait avoir l’habitude et celle qui au contraire le surprenaient leur donnerait d’avantages d’indices sur ses origines.

Une chose était cependant certaine aux yeux d’Arténiss : la société dans laquelle avait vécu Liam était très différente de la leur, et elle ne put s’empêcher d’en être excitée. Il y avait quelque part là dehors autre chose qu’Oasis. De nombreux indices avaient été découverts au fil des ans quant à l’existence d’autres sociétés par-delà les murs, mais la plupart étaient des preuves trop minces pour que le Conseil et les Anges envisagent de véritables expéditions d’explorations. Et le peu qui, selon les rumeurs, auraient été plus convainquant étaient soit des canulars ou avaient mystérieusement disparus. Jusqu’à maintenant, seuls les Hamagus étaient considérés comme une véritable autre civilisation, et ils avaient disparus depuis des temps immémoriaux. Liam était donc la première preuve vivante jamais découverte qu’ils n’étaient pas seuls.

Les Anges et le Conseils ne pourront plus nier et seront forcés de monter une expédition.

Pour la première fois depuis des cycles, Arténiss sentit l’impatience monter en elle. Alyss et elle avaient toujours rêvées d’obtenir les ressources nécessaires à monter des recherches au-delà des frontières établies par les Anges autour d’Oasis, mais avaient toujours été confrontées à des obstacles plus ou moins directs placé sur leur chemin par les institutions. Le fait que les rares cas connus d’individus ayant quitté Oasis se soient tous soldés par des disparitions définitives n’avait pas aider leur situation. Mais aucun de ces derniers n’avaient disposés des moyens suffisants à un tel voyage, que seuls les Anges pouvaient accorder. Les risques étaient bien trop grands, et les potentiels bénéfices trop peu concrets.

Les rêveries d’Arténiss furent soudainement interrompues par un grondement régulier venant de l’escalier. Un grondement qui lui était bien trop familier. Les pas lourds se rapprochèrent jusqu’à ce qu’une ombre immense apparaisse en haut des marches. Une voix grave remplit la pièce, pourtant spacieuse :

- Aurore m’a dit que vous aviez l’artéfact avec vous, je viens…

Lorsque qu’il posa les yeux sur Liam, le vacarme qui avait accompagné l’arrivée de Kairn fut remplacé par un silence de marbre. Pour la première fois, Arténiss vit son protecteur perdre sa contenance. Elle eut du mal à lire les émotions qu’elle vit passer dans les yeux du géant : inquiétude, incompréhension, … tristesse ? Le voir ainsi l’ébranla, et son excitation fit volte-face, se transformant en appréhension.

Kairn passa une de ses énormes mains sur son visage, la laissant glisser jusqu’au bout de sa barbe. Il prit une profonde inspiration et attrapa l’un des tuyaux montés contre le tronc de l’arbre qui permettaient de joindre les cuisines.

- Beryn, dit à Aurore de se rendre dans mon bureau et de m’envoyer le reste de mon fût de bière et ma choppe préférée veux-tu ?

Durant les prochains Temp, durant lesquels Kairn pris place face à Liam et Soreï, passèrent sans un bruit. Kairn occupait à lui seul la dernière banquette encore libre autour de la table. L’arrivé du colosse avait posé une chape de plomb sur la tablée, et seul Soreï semblait encore relativement décontracté, continuant à grignoter par-ci par-là. Liam semblait plus surpris par le mutisme soudain des participants qu’apeuré par Kairn, mais semblait avoir décidé de suivre le courant et de se taire également. Enfin, Arténiss pu voir que Alyss arborait la même posture qu’elle, à savoir celle d’un enfant sur le point de se faire réprimander. Si aucun des trois habitués n’avaient encore pris la parole, c'est parce que tous savaient que lorsque Kairn affichait l’expression qui trônait sur son visage, la conversation ne commencerait que lorsqu’il le déciderait. Arténiss serra les poings, tentant de contenir la sensation écrasante qui lui comprimait la poitrine.

L’état de torpeur de la pièce fut soudainement interrompu lorsque la petite cloche annonçant l’arrivée du monte-charge à leur étage sonna. Par réflexe, Soreï s’était levé avant même que le court son ne retentisse et était déjà prêt à réceptionner l’arrivage. Il ne fallut pas longtemps avant qu’un fût de bière d’une taille plus que raisonnable ne rejoigne le reste des victuailles sur la table, et encore moins pour que Kairn ne se serve et finisse une pinte complète avant de finalement prendre la parole à l’intention d’Arténiss :

- Explique-toi.

Elle ne se fit pas prier. Elle lui résuma les deux dernières journées, de l’instant où elles avaient découvert l’artéfact à leur altercation avec Riven, essayant d’être la plus claire et transparente possible. Arténiss savait pertinemment que tenter de cacher des choses à Kairn était dangereux, et elle ne le voulait pas de toute manière. Alors qu’elle racontait les évènements, s’entendre décrire leur rencontre avec Liam tout en essayant de déchiffrer les expressions de son tuteur lui fit soudainement réaliser à quel point leur excitation et la vitesse à laquelle les choses s’étaient déroulées leur avait fait oublier l’importance et la gravité exceptionnelle de leur situation. Si bien qu’arrivée à la fin de son résumé, l’engouement qu’elle avait ressenti un peu plus tôt avait définitivement laissé place à une boule nouée au fond de sa gorge. Espérant ne pas être la seule prise de remord, elle se tourna vers Alyss, mais celle-ci semblait perdue dans ses propres pensées, l’air calculateur et concentré qu’elle arborait lorsqu’elle travaillait sur un de ses gadgets sur le visage. Ce n’était pas la réaction qu’elle avait espérée, mais voir son amie rester fidèle à elle-même la rassura légèrement.

Même une fois les explications et deux pintes supplémentaires terminées, la mine sérieuse de Kairn ne s’était pas du tout atténuée, ce qui l’inquiéta davantage. Même Soreï avait fini par montrer quelques signes d’inconfort.

Jamais le géant n’avait paru si grave. Son index n’avait cessé de tapoter contre le bord de sa chope, un signe d’anxiété dont même elle n’avait été que rarement témoin.

- Nous allons manquer de Temps… Si vous avez attirez l’attention de la Première Ange et du Conseil à votre arrivée, il est probablement déjà au courant.

La voix du colosse venait mettre fin au silence et à sa réflexion, concluant ce qui avait visiblement été un long débat interne. Arténiss, qui commençait à paniquer de le voir ainsi préoccuper, tenta de désamorcer la situation.

- Nous avons un peu attiré l’attention, mais nous avons suivis les consignes que tu avais donné à Aurore et n’avons croiser pratiquement personne, je doute que quiconque ai remarqué quoi que ce soit d’anormal…

- Les consignes que j’avais donné à Aurore partait du principe que ce que vous tentiez d’introduire dans Oasis était un artéfact, pas un être humain ! Et encore moins quelqu’un se démarquant autant ! Sans offense, jeune homme.

Liam, surpris que Kairn lui adresse la parole pour la première fois, fit un mouvement de tête indiquant qu’il n’avait pas été offusqué. Le géant continua.

- Nous allons devoir le cacher quelques Rotations, et espérer que les choses se calme. Il est encore possible que la nature de ce que vous avez introduit en ville soit toujours secrète, je vais faire le nécessaire pour tenter de justifier les irrégularités que vous avez commises au Pont hier soir. Ça ne les convaincra pas longtemps, mais ça devrait nous faire gagner du Temps.

Arténiss était dépassée par les évènements, elle ne comprenait pas ce qui inquiétait tant son tuteur. Alyss, qui semblait aussi confuse qu’elle, eu cependant le courage de le couper au milieu de son monologue.

- Pourquoi chercher absolument à le cacher ? Nous pourrions utiliser cette situation pour forcer la main du Conseil et des Anges pour nous laisser monter une expédition au-delà de la Tempête.

La mine du colosse s’assombrit un peu plus après que l’Inventrice ai prononcé ces mots. Il prit une grande inspiration, posa lentement sa chope sur la table, et laissa courir un long regard sur chaque personne assise autour de lui. Arténiss connaissait bien ce regard. Celui que Kairn posait sur chaque nouvelle recrue, sur chaque nouveau client, sur chaque vétéran de sa cuisine auquel il n’aurait bientôt plus rien à apprendre. Il était en train de réévaluer la confiance qu’il plaçait en chacun d’entre eux. Arténiss sentit un frisson la parcourir. Il n’avait plus posé ce regard sur elle depuis des années, et sa dernière expérience sous cet intense examen avait failli lui couter bien plus qu’elle ne se le serait jamais pardonné. Après une éternité, il reprit enfin la parole.

- Je comprends votre position, jeunes gens, mais il y a beaucoup de choses que vous ne savez pas, et les implications de votre découverte sont plus vaste encore. Il y a beaucoup à vous raconter, et ce que je m’apprête à vous dire est un secret que seul une poignée de personnes partagent. Et certaines d’entre elles souhaitent qu’il en reste ainsi. Une fois que j’aurais parlé, il n’y aura plus de retour possible. Votre vie changera en conséquence, et même moi ne peut prédire comment. Cependant, personne ne mérite de savoir plus que ceux qui sont assis autour de cette table. Après tout, cela vous concerne directement.

Il avait regardé Soreï et Arténiss en prononçant ces mots, mais se tourna ensuite vers Alyss.

- La seule à qui je tiens à laisser le choix est toi, jeune Alyss. Je crois connaître ta réponse, mais je dois te prévenir que si tu écoutes cette conversation, aucun retour en arrière ne sera possible, et je ne pourrais pas garantir de quoi l’avenir sera fait.

Arténiss tremblait désormais. Elle pressentait que les choses se précipitaient hors de son contrôle, et ses pensées s’éparpillaient déjà en conjectures sur ce que Kairn s’apprêtait à leur révéler. Il était clair pour elle que cela concernait son passé, mais elle ne comprenait pas pourquoi Kairn semblait insinuer que Soreï était également concerné. Bien sûr, elle savait d’avance quelle serait la réponse d’Alyss, et ne fut donc pas surprise de la voir hocher la tête d’un air décider. Le géant ferma les yeux un instant, et Arténiss crut voir un léger sourire se dessiner sous sa barbe, si bref qu’elle ne put en être certaine.

- Très bien.

Il prit une longue inspiration, but une autre gorgée de bière, et commença.

- Il y a un peu plus de 20 Cycles, un groupe de six personnes a quitté Oasis pour explorer par-delà la Tempête. Parmi eux se trouvait un jeune homme très particulier, à l’origine de l’expédition. Non pas parce qu’il l’a organisé, mais parce qu’il l’a déclenché. Le jeune homme, voyez-vous, était un étranger qui avait été retrouvé sur une plage. Bien qu’il prétendît ne pas se souvenir de là où il venait ou de qui il était, il était résolu à partir à la découverte de son passé. Après quelques Ellipses passer à Oasis à apprendre notre langue et notre culture, lui et les deux collecteurs qui l’avait découvert prirent la décision de demander aux Anges et au Conseil de leur accorder l’autorisation et les ressources nécessaires à une expédition. Les négociations furent rudes, mais leur demande fut acceptée, et l’expédition montée. C’est ainsi que l’étranger et les deux Collecteurs furent la rencontre de leurs compagnons, sélectionnés par la Dualité en tant que représentants. Un Inventeur et son frère Garde, tous les deux très prometteurs, ainsi qu’un Lecteur particulièrement doué. Ambitieux, curieux et impatients, ils purent faire connaissance et se préparer au voyage pendant les deux Ellipses supplémentaires qui furent nécessaires aux Conseils pour faire construire leur moyen de transport. Ils prirent la mer en partant de la plage ou l’étranger avait été retrouvé, droit vers l’horizon. Ils ne savaient pas que leurs voyages dureraient plus de trois Cycles, et qu’ils n’en reviendraient pas tous. Des six personnes qui quittèrent Oasis, seulement quatre firent leur retour. Et pourtant, lorsque les ponts extérieurs descendirent les accueillirent cette nuit-là, ce n’est pas quatre personnes qu’ils remontèrent… Mais huit. Un homme et trois enfants les accompagnaient.

Arténiss, qui avait écoutée jusque-là dans un immobilisme et un silence religieux, se tourna subitement vers Soreï, qui en avait fait de même. Ils avaient tous deux compris là où le géant voulait en venir. Kairn avait sous-entendu que son histoire les concernait directement, et la chronologie était trop parfaite pour être un hasard. La sensation de malaise qui s’était installé dans la poitrine d’Arténiss était désormais étouffante, et ses tremblements s’intensifiaient au point d’en être visible.

- Comme vous devez maintenant vous en doutez, j’ai fait partit de cette expédition, et deux des trois enfants sont actuellement assis à cette table.

Kairn se tourna vers Arténiss, et posa une de ses gigantesques mains sur les siennes, qu’elle tenait serrées sur la table pour s’empêcher de trembler davantage.

- Je sais que les révélations que j’ai à vous faire arrivent bien trop tard, et que j’ai prétendu par le passé ne pas savoir grand-chose sur vos origines à tous les deux. J’en suis désolé. J’avais des engagements à garder et, je dois l’avouer, des peurs qui m’ont retenu plus qu’elles n’auraient dû. Mais les circonstances me forcent à reconnaître qu’en cherchant à trop vous protéger, j’ai manqué de nous préparer à toutes les éventualités.

Bien que la chaleur de la paume de son tuteur aurait normalement réussi à calmer la jeune femme, le contenu de ses paroles continuait à lui donner des frissons. Elle n’avait pas ressenti d’angoisse depuis bien longtemps, et encore moins de peur, mais les propos du colosse avaient ébranlé ses habitudes et l’avait renvoyé à des inquiétudes dont elle se pensait débarrasser depuis longtemps. Elle savait qu’elle pouvait encore faire confiance au vieil homme, mais elle n’arrivait plus à rationaliser la situation dans laquelle elle se trouvait. Elle savait qu’elle avait été trouvée hors de la ville, mais Kairn avait toujours prétendu l’avoir trouvé dans d’anciennes ruines, sans jamais donner de détails. Pourquoi ces révélations ? Pourquoi maintenant ? Qu’est ce qui effrayait Kairn ? Pourquoi les évènements des deux derniers jours semblaient retracer ceux qu’ils venaient de leur décrire ? Les questions qu’elle avait à lui poser ne cessait de se multiplier. Mais avant même qu’elle puisse prononcer un mot, des pas se précipitant dans l’escalier se firent entendre. Quelques Temps plus tard, la nouvelle serveuse apparaissait tout essoufflée en haut des marches, un air paniqué sur le visage.

- Hir Kairn, on vous demande à l’entrée de l’auberge.

- Pas maintenant. J’ai demandé à ne pas être dérangé.

La jeune fille se fit encore plus petite qu’elle ne l’était déjà en comparaison de son interlocuteur. Elle baissa la tête en signe d’excuse, mais reprit toutefois la parole, la voix tremblante :

- Mais Hir, il s’agit d’un Envoyé.

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