Chevron 23
A l’instant où les mots avaient quittés les lèvres de l’arrivante, tout s’accéléra subitement. Le gérant sauta sur ses pieds, manquant de peu de retourner la table dans son mouvement. Le poing serré, il s’approcha de la balustrade pour observer en contrebas.
- Nous n’avons plus de Temps. Il a été plus rapide que prévu.
Soreï s’était levé lui aussi, imitant les mouvements de Kairn avec la précaution qui était sienne. Alors que Alyss s’apprêtait à les rejoindre, le jeune Lecteur lui fit signe de s’arrêter et s’écarta du rebord.
- Ils pourraient nous voir. Kairn, que fait-on ?
Si elle n’avait pas été au bord de la panique, présentant ce que le géant allait répondre, l’attitude proactive de son ami aurait potentiellement pu rompre l’immobilisme d’Arténiss. Mais tout allait trop vite. La situation lui échappait. Elle voulait écouter, mais n’arrivait pas à entendre. Elle voulait parler, mais ne savait pas quoi dire. Elle voulait agir, mais ne savait pas quoi faire. Tout allait beaucoup trop vite. Et pourtant, la jeune Modeleuse avait l’impression de se mouvoir dans un miasme épais, comme enterrée dans le sable.
Ralentissez, je vous en supplie…
Le sable la maintenait en place, prisonnière.
J’ai besoin qu’ils ralentissent.
Le sable la démangeait terriblement.
Je dois les ralentir.
Le sable était brûlant.
Ralentissez.
Le sable vibre.
STOP.
Le sab-
* Arteniss ! Du calme. Je suis là. *
Une vague balaya le corps d’Arténiss, la sortant de sa torpeur. Son regard soudainement plongé dans deux yeux dorés. Elle prit une soudaine inspiration. Des mèches blanches se balançait devant elle, semblables à de l’écume. Le rythme régulier des vagues la balançait lentement, et une sensation de calme l’envahit peu à peu.
- Arténiss, ma belle, pendant combien de temps je vais devoir te secouer ? On doit bouger.
La jeune Modeleuse repris partiellement ses esprits. Alyss était penchée sur elle, mains sur ses épaules, l’air inquiet. Autour d’elle, tout le monde était déjà en mouvement. Soreï était en train de jeter son manteau sur les épaules de Liam, qui la regardait en l’enfilant. Elle ne réussit pas à déchiffrer son expression, choqué ou perplexe. Kimi, la serveuse, était en train de débarrasser maladroitement les restes de leur déjeuner, faisant des aller-retours rapides entre le tronc-monte-charge et leur table. Kairn n’était plus visible nulle part, mais Arténiss pouvait entendre ses pas lourds descendre rapidement les marches en direction du rez-de-chaussée. Son cœur se serrât de nouveau.
- Kairn ! Je dois …
Les mains posées sur ses épaules glissèrent sur ses joues, tournant son visage et recentrant son regard sur celui de l’Inventrice.
- Pas le temps. Nous devons partir.
La voix de son amie était douce, mais appelait à l’action. L’angoisse faillit s’emparer de nouveau d’Arténiss, mais les paumes glaciales d’Alyss contre sa peau la repoussère sans mal. Cependant, son esprit était toujours embrumé, et elle fut reconnaissante lorsque la jeune femme l’aida à se relever, la tirant par les bras. L’une de ses mains ne la lâchère pas, et elle l’entraina sur les talons de Soreï, qui avait fait signe à tout le monde de le suivre.
- Nous allons ressortir par la même porte qu’hier, seuls les gens de l’auberge la connaisse, expliqua-t-il à Liam.
Quelques Temps plus tard, ils étaient dehors.
- Par Kiel, c’est un véritable déluge. D’un autre côté, ça nous arrange, on ne voit pas à deux mètres.
Soreï, privé de son manteau, tenta de se protéger des éléments, mais abandonna vite devant la force de l’averse. Ils avaient maintenant deux raisons de courir.
La pluie était torrentielle. Des milliers de gouttes venaient s’écraser partout autour d’eux, déferlant sur les toits et dessinant des mosaïques sous leur pieds. Le vacarme qui en découlait était assourdissant, mais étrangement, le rythme des gouttes harmoniser à celui de leurs talons foulants les pavées à toute allure aida Arténiss à faire le clair dans son esprit. Elle arrivait de nouveau à percevoir son environnement, et ne mis pas longtemps à identifier la rue dans laquelle ils venaient de débouler. Ses habituels instincts se réveillèrent à leur tour, juste à temps pour percevoir une activité inhabituelle. Dans l’avenue inférieure qu’elle pouvait distinguer et vers laquelle leur course et l’eau de pluie les emportaient, la foule ne se déplaçait pas comme d’accoutumé. Même en tenant compte de l’orage.
La main trempée d’Alyss l’entraînait toujours à la suite du groupe, ne la lâchant pas malgré les difficultés de l’Inventrice à tenir debout sur le sol en pierre devenu lit d’un petit torrent. Arténiss en profita, se stoppant brutalement. Elle rattrapa son amie qui, soudainement tirée en arrière, avait perdue l’équilibre. Après avoir réceptionné sans mal une Alyss qui semblait avoir vu sa vie défilée devant ses yeux, elle pinça ses lèvres et émis un son strident.
Soreï, qui menait toujours le groupe, se stoppa net à la première note du sifflement, manquant de peu d’être renversé par Liam qui, capuche sur la tête, le suivait de très près. Après un coup d’œil et quelques signes de têtes échangés entre les deux amis, les garçons firent demi-tour et le cortège s’engagea dans une petite ruelle parallèle à l’avenue principale.
Maintenant à l’arrière, Soreï monta la voix pour être compris par-dessus la pluie, sans pour autant pouvoir être entendu par-delà les murs qui les entouraient.
- Qu’est-ce que tu as vu ?! Cria-t-il à son intention.
- Quelques groupes évitaient le centre de la chaussée et ne semblait pas pressé de se mettre à l’abris de la pluie. Ils évitaient de se faire remarquer. Il y a probablement des Gardes qui patrouillent l’avenue, et ils ne sont pas du quartier.
- L’Envoyé était en effet accompagné, et ça faisait longtemps que je n’avais pas des armures brillées autant.
- Qu’est-ce qu’ils viennent faire là ?
La question d’Alyss n’avait pas besoin de réponse, et tous le savait. Les propos de Kairn et sa réaction à l’arrivée de l’Envoyé étaient des indices suffisants. Ils étaient venus pour eux. Ils étaient en fuite.
- Où allons-nous ? On ne va pas pouvoir continuer à courir dans les rues éternellement, et l’auberge n’est clairement plus une option. Je ne pense pas non plus que l’Atelier soit une bonne i… Heytham !
Alors qu’ils venaient d’entrer dans un petit croisement, Les bruits d’éclaboussure des pas de Soreï se désynchronisèrent de ceux du reste du groupe, avant de se taire complétement. Les trois autres se stoppèrent à leur tour, se retournant pour la première fois depuis cinq bon Segments. Le jeune homme affichait un air grave.
- S’ils en ont après nous, ils vont forcément aller à l’Atelier à un moment ou un autre. Quelqu’un doit aller prévenir Heytham.
- J’avais complétement oublié mon idiot de frère. Tu as raison, nous devons y allez tout de suite !
- Non ! Mieux vous nous séparez, on attirera moins l’attention et cela réduira les risques qu’on se fasse tous prendre. Je vais chercher Heytham, vous trois, vous trouvez un endroit où vous cacher. Des idées ?
- Une. fit Alyss, Mais je n’ai pas le temps de t’expliquer comment t’y rendre. Nous devrons trouver un autre moyen de nous retrouver.
- Le festival est demain. Il y aura asse de monde sur la Grande Place pour que nous passions inaperçu, nous pourrons nous retrouvez aux alentours du stand de Chaqui de l’auberge, si la voie semble être libre.
Les deux amis s’étaient mis d’accord. Un hochement de tête plus tard, Soreï rebroussait chemin. Juste avant qu’il ne s’engage de nouveau dans les ruelles qu’ils venaient d’emprunter, Alyss rappela son nom. Alors qu’il se tournait vers elle, elle lui jeta ce qu’Arténiss identifia comme une sorte de clé, qu’il attrapa à la volé.
- Donne ça Heytham, il saura quoi en faire. Bonne chance.
Le Lecteur leur fit un dernier salut de la main, et tous reprirent leur course. Pour le groupe maintenant amoindrie, Alyss prit cette fois la tête.
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