Chevron 25
Arténiss ne savait plus depuis combien de temps elle marchait. Elle avait laissé Alyss en quête de nourriture pour la soirée. Les rues s’enchainaient sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte. Elle avait une vague idée d’où elle se rendait, mais n’avait pas l’esprit à se concentrer pleinement à la route qu’elle empruntait. Capuche sur la tête, elle croisait les gens sans les voir, et bien que quelques visages lui semblent familiers, elle ne s’arrêta pas pour leur prêter plus d’attention. Elle pensait à Kairn, à Soreï, à Mune. À de vieux souvenirs dont elle ne conservait que quelques bribes. Elle se revoyait courir le long des avenues d’Oasis, discuter avec Aurore à au Ciel Brisé, s’entraîner avec Mune dans la cour, rire avec Soreï à l’Atelier, observer Alyss bricoler sur son établi.
Alors qu’elle était encore à moitié plongé dans ses pensées, ses pas s’arrêtèrent brusquement sur les pavés, son attention soudainement attiré par son propre visage. À ses pieds, dans une fine pellicule d’eau éclairée d’une douce lumière argentée, ses propres yeux se reflétaient. Ils soutenaient son regard. Voir cette image miroir, sous cet angle précis, fit soudain remonter un autre souvenir : un combat dans un jardin, contre un homme.
Elle ne se souvenait plus vraiment du visage de l’inconnu.
Mais elle se souvient de ses yeux. De la peur. Elle se souvient de la main gantée qu'elle serre autour du cou de son adversaire. Ferme. Puissante. Indifférente. La même indifférence qui plane dans les yeux vairons qui se reflètent au fond des pupilles de l’homme.
Une lumière argentée éclaire le visage de l’inconnu. Elle n’arrive toujours pas à discerner ses traits. Elle les a oubliés.
Mais elle se souvient de ses yeux. Du vide qui s’y crée. Elle se souvient de la main de métal, serrée autour de son poignet. Ferme. Puissante. Inquiète. La même inquiétude qui danse dans les yeux de Mune, qui tente de lui faire lâcher prise.
Son regard passe plusieurs fois de Mune à son propre reflet, dans les pupilles de l’inconnu. Elle ne voit même plus les contours de son visage.
Mais elle se souvient de ses yeux.
Elle se souvient de ses yeux, mais elle ne se souvient pas de l’orbe argenté qui s’y reflète tout à coup. Elle se retourne, lâchant le cou de l’homme. Son corps chute sans un bruit sur le sol, avant d’être englouti par le sable. Elle ne le remarque même pas. Toute son attention est désormais tournée vers la sphère argentée, loin au-dessus d’elle.
Arténiss à reprit sa marche, les yeux levés vers le ciel. Elle sait où elle veut se rendre. Sous ses pieds nues, elle ne saurait dire si le sable est chaud. Elle avance, seule au milieu des dunes. L’orbe avance, seul au milieu des cieux. Bien plus grand qu’une étoile, et bien plus brillant, il éclaire le désert d’une lueur miroitante, donnant au sable une couleur blanche si pure qu’il semble briller lui aussi.
Un orbe blanc dans le ciel noir. Une silhouette noire sur le sable blanc.
Arténiss continue sa marche. L’orbe descend lentement dans le ciel, devenant de plus en plus grand. Soudain, ou après une éternité, l’astre rencontre l’horizon. Fusionne avec lui. La silhouette s’y détache. Entourée de lumière, elle reste ombre absolue.
Arténiss ne marche plus. Elle a compris. Elle n’a jamais foulé ce désert, jamais poursuivi cet astre. La silhouette n’est pas la sienne. Elle n’a fait que l’observer.
La silhouette tend la main, l’orbe plus proche que jamais.
Arténiss tombe.
Arténiss ouvrit les yeux. Malgré la pénombre, elle pouvait voir le visage d’Alyss, qui dormait à quelques centimètres d’elle. Toujours à moitié endormie, elle se redressa avec prudence. Elle savait pourtant qu’elle avait peu de chance de réveiller son amie, même en la poussant hors du lit. Maintenant assise sur le matelas qu’elles partageaient, elle pouvait voir à travers la porte entrebâillée les dernières lueurs des braises encore présentes dans le poêle de la pièce principale. Elle put même discerner les pieds de Liam, qui dormait toujours sur la couche sur laquelle Alyss était encore allongée quelques Chevrons plus tôt. Ou du moins ce qu’elle pensait être quelques Chevrons.
Elle avait pensé ne pas pouvoir fermer l’œil, ressassant les évènements du jour encore et encore. Seule, elle n’aurait probablement jamais trouvé le sommeil, mais la présence d’Alyss l’avait visiblement asse rassurée pour qu’elle arrive à s’endormir.
Bien que la raison de son assoupissement lui soit évidente, celle de son réveil lui échappait. Elle était certaine d’avoir fait un rêve, mais comme souvent, elle ne parvenait pas à se souvenir de son contenu. Bien qu’oublier un rêve n’est en soi rien d’anormal, elle fut surprise de la frustration qu’elle ressentait. Elle avait le sentiment de passer à côté de quelque chose d’important. Une sensation de manque lui serrait la poitrine. Alors que la gêne s’intensifiait, Arténiss entendit Alyss lui murmurer des paroles inintelligibles. Surprise, elle se tourna de nouveau vers son amie, mais celle-ci était toujours profondément endormie, sa bouche mimant des paroles incohérentes dont seulement certains mots lui parvenaient. La jeune Inventrice parlait souvent dans son sommeil, ce qui ne manquait pas d’amuser Arténiss lorsqu’elle lui faisait remarquer à chaque occasion qu’elles avaient eu de dormir ensemble. La somnambule se défendait en affirmant que ce genre de choses étaient communes chez les Inventeurs, mais Arténiss avait toujours fait mine de ne pas la croire.
Arténiss continua d’observer le visage de son amie pendant de longs Temps, ressassant de vieux souvenirs de leurs nuits en dehors des murs, avant de se souvenir qu’elle avait elle aussi besoin de repos. Elle ne savait même plus ce qu’elle faisait assise sur le lit, et tout son corps lui implorait de se recoucher. Une fois sa tête de nouveau sur l’oreiller, il ne fallut pas longtemps pour que la respiration régulière d’Alyss la berce de nouveau dans le sommeil.
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