Chevron 15
Il fallut presque un Chevron entier à Heytham pour enfin trouver la commande d'ouverture du sarcophage. Un Chevron qui lui en avait paru dix. Alyss avait fait les cents pas autour de l'artefact pendant un moment avant que son frère ne lui demande de sortir pour qu'il puisse se concentrer. Elle avait donc quitté la pièce et avait entrepris une ronde dans le complexe souterrain. Habituellement, elle se serait arrêtée régulièrement pour étudier la forme d'une pièce ou l'une des nombreuses portes qu'elle n'avait jamais pu ouvrir. Mais aujourd'hui, ses pensées n'avaient pu se détacher de l'homme qu'ils avaient découvert à l'intérieur de la capsule. Des hypothèses toujours plus nombreuses s'étaient bousculées dans sa tête, au point que ses Yeux s’inquiétèrent à plusieurs reprises pour sa santé mentale.
Finalement, elle s'était arrêtée au centre du Dôme et, comme à son habitude, s'y était allongée pour se calmer. C'est là que la retrouva Arténiss lorsqu'elle vint la chercher, et elle sursauta presque lorsque le visage de cette dernière apparut soudainement au-dessus d'elle.
- Il a fini, dit-elle simplement, sans sembler se soucier de l'attaque cardiaque qu'elle venait de lui infliger.
- Il l'a ouvert ?
- Bien sûr que non. Il t'attend.
Elle se redressa et s'étira dans un tintement métallique, son armure se calibrant le long de ses bras.
- Très bien. Allons-y dans ce cas.
Elle se surprit à ne ressentir aucune excitation, mais plutôt un calme teinté d'une intense concentration. Quoi qu'il puisse se passer dans les prochains Segments, elle était prête à en graver chaque instant dans sa mémoire. Elle avait la certitude que ce moment allait être l'un des plus importants de sa vie. C'est donc avec détermination qu'elle entra dans la pièce où ils s'étaient installés.
Heytham s'était extirpé de sous la capsule, et se tenait désormais à côté d'elle, à gauche de la tête de l'homme qui y sommeillait. Il observait calmement la vitre de la capsule, où plutôt ce qui était apparu à sa surface. Elle n'en crut pas ses yeux.
- Incroyable ! s'exclama-t-elle en accourant auprès de son frère.
Soreï, qui s'était endormit devant son château de cartes, se réveilla subitement à cause de son cri et tomba de sa chaise, faisant par la même occasion s'écrouler sa construction. Alyss n'y prêta aucune attention. Elle était bien trop absorbée par la merveille technologique qui se mouvait sous ses yeux : à quelques centimètres au-dessus de la surface vitrée était apparue différentes formes et symboles aux allures fantomatiques, qui lui rappelait la manière dont ses Yeux se manifestaient sur le verre de ses lunettes. Mais si le support de ces écrits était incroyable en lui-même, il n'était pas à l'origine de son enthousiasme. Son frère, en prenant la parole, fit écho à ses pensées :
- Cette langue semble très proche de celle des Hamagus. Elle en est probablement issue. Je crois que c'est un panneau de commande.
- Je croyais que tu l'avais déjà trouvé ? demanda Arténiss en désignant le dessous de l'appareil, sur lequel Heytham avait travaillé jusqu'alors.
- C'est ce que je pensais aussi, mais au vu de cette apparition, je crois que j'utilisais une interface censée se connecter à un autre mécanisme, et il s'agit là d'une interface humaine.
Arténiss et Soreï hochèrent la tête, tandis qu'Alyss tendait une main vers les symboles. Alors qu'elle s'attendait à ce que sa main les traverse sans difficultés, à en juger par leur apparence éthérée, elle fut surprise de se heurter à une légère résistance. Chaque symbole, quand elle l'approchait du doigt, lui picotait légèrement la peau. Le seul autre exemple de ce genre de sensation qu'elle eut rencontré était le contact avec de l'Ather particulièrement dense, tel que celui utilisé par les Infestés. Plus étrange encore, à chaque fois qu'elle posait le doigt sur un symbole, une copie de celui-ci apparaissait au-dessus des autres, à côté de ceux sur lesquelles elle avait déjà appuyé.
- Les symboles du dessous permettent apparemment de construire le texte qui se trouve au-dessus, fit Heytham d'un ton neutre, mais je n'ai pas encore compris quel est la finalité de cette fonction.
- C'est une sorte de machine à écrire ? Comme celle utilisée par Miré ? demanda-t-elle.
Miré était l'une des membres du Conseil, la plus vielle d'entre eux et, accessoirement, celle qu'Alyss détestait le moins. Elle la trouvait moins bornée que les autres, et appréciait le fait que ses propos soient toujours nuancés et ouverts à la critique. Ou en tout cas c'était l'impression que donnaient ses rares prises de paroles : Miré ne parlait que de manière très anecdotique, et se contentait généralement d'utiliser une petite machine de son invention qu'elle utilisait pour écrire tout ce qu'elle entendait ou observait de son œil unique. Elle avait observé longuement cette machine lors de l'une de ses nombreuses convocations au Conseil. Son fonctionnement était assez simple, et Alyss s'était toujours étonnée que seule Miré se serve d'un objet si pratique alors qu'Oasis était rempli de machines plus superflues et complexes.
- C'est l'idée oui, même si la technologie utilisée n'est pas comparable.
- Hum... Vous êtes conscients qu'il y a une question plus importante que de savoir à quoi sert cette « machine à écrire » comme vous dîtes ? fit Soreï d'un ton exaspéré.
Les deux jumeaux le regardèrent avec perplexité, et il se tourna vers Arténiss pour trouver un peu de soutien. Celle-ci haussa les épaules d'un air indifférent et pris la parole à son tour.
- Vous ne vous demandez pas comment une machine peut se servir de l'Ather sans avoir d'opérateur ?
Elle mit un petit moment à comprendre le problème. Comme avec les hypothèses qu'Heytham avaient faîtes plutôt, elle avait trouvé naturel que la machine puisse se servir d'une énergie semblable à l 'Ather. Pourtant, Arténiss et Soreï avaient raison : il était impossible pour des objets non-vivants de manipuler l'Ather ou d’interagir avec lui, de quelques manières que ce soit. Que ce soit les Grouilleurs ou d'autres engins du même genre, il était nécessaire qu'un Modeleur comme Arténiss ou Soreï fasse office de relais entre l'Ather et la machine.
La seule exception connue à cette Rotation étant les armures d'Alyss et Heytham, qui permettaient aux Inventeurs d'utiliser la faible quantité d'Ather que leur corps contenait naturellement pour alimenter l'exosquelette. Or, jamais les jumeaux n'avaient vu technologie similaire à celle de leurs armures.
Alyss guetta la réaction de son frère, mais ce dernier n'afficha que son habituel air de réflexion, qu'il ne perdit que lorsqu'il se décida enfin à prendre la parole.
- C'est étrange en effet, peut-être que c'est l'homme qui sert d'opérateur via ce câble relié à sa nuque ? Il pourrait s'agir d'une sorte de synchroniseur comme celui que nous utilisons pour nos armures.
Elle y avait pensé, mais son intuition lui disait que ce n'était pas le cas. Et à en juger par l'expression de son frère, il n'y croyait pas vraiment non plus. Elle repassa une nouvelle fois ses lunettes et passa ses Yeux sur le mode d'observation des flux d'Athers. Alors que le monde autour d'elle devenait gris, elle vit les bras de son frère se teindre d’une couleur bleutée. Arténiss, quant à elle, était éblouissante de son habituelle lumière violette. A gauche de sa poitrine brillait tout particulièrement la poche dans laquelle s'était réfugié Mu. Enfin, une volute de vapeur vert émeraude émanait de Soreï. Si l'Ather des quatre amis prenait la forme d'une légère fumée lumineuse, celui que semblait utiliser la machine n'avait rien à voir avec ce qu'elle avait pu voir jusqu'à présent.
- C'est incroyable, fit-elle dans un souffle.
- Tu l'as déjà dit, fit remarquer Arténiss, tu peux nous expliquer pourquoi maintenant ?
- Là où notre Ather prend une forme chaotique qui ressemble à de la vapeur, celui de la machine se déplace selon un schéma bien définis, répondit-elle avant de tendre le doigt vers les symboles. C'est d’ailleurs sans doute ça qui lui permet de prendre des formes si précises. Si nous étions capables de contrôler l'Ather aussi bien que le fait cette machine, nous pourrions lui donner n'importe quelle forme ! Sans compter que si nous pouvions reproduire le système qui permet à un objet non-organique de contrôler l'Ather, les possibilités qui s'ouvriraient à nous seraient infinies !
Arténiss haussa un sourcil perplexe devant l’excitation de son amie, mais retira tout de même son bandeau pour observer la machine de plus près. Soreï, quant à lui, affichait un air sceptique.
- Ce serait fabuleux si on en arrivait là, dit-il avec nonchalance, mais je tiens à te rappeler que l'Ather qu'utilise cette machine est différent de celui que l'on connaît. Et je crois qu'il est en train de perdre en puissance.
- Comment ?!
Soudain prise d'une légère panique, Alyss examina le phénomène de plus près. Les déplacements si ordonnés qui l'avaient émerveillée commençaient effectivement à se brouiller légèrement. La différence était presque imperceptible, mais bien réelle. Le temps leur était compté.
- Heytham, tu m’as envoyé Arténiss parce que tu avais réussi à trouver comment ouvrir ce truc, non ? Alors fais-le ! fit Alyss sans réussir à masquer son inquiétude.
Son frère se passa la main dans les cheveux, comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il était dans l’embarras.
- Et bien... Disons plutôt que je pensais avoir trouvé comment l'ouvrir. Je n'avais pas imaginé que je n'utilisais peut-être pas l'interface humaine de la machine. Je suis aussi incapable que toi de décrypter ces symboles.
Elle prit une grande inspiration, à la fois pour s'empêcher de mettre son frère au tapis, mais aussi parce qu'elle s’apprêtait à faire quelque-chose qu'elle n'aimait pas du tout. Après avoir rassemblé toute sa détermination, elle laissa échapper tout l'air de ses poumons et plaça ses mains au-dessus des étranges lettres d'Ather.
Dans de grands gestes peut être un peu trop dramatiques, elle commença à appuyer dessus au hasard.
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