Soirée pénible, horrible journée ! Je grelotte depuis trois jours. Impossible de renouveler mes provisions de granulés. Les fêtes communautaires de fin d'année paralysent les services d'approvisionnement. Je suis allé tôt ce matin jusqu'aux ateliers du district. En vain : c'est aujourd'hui le nouvel an gay, trans et lesbien et j'ai trouvé porte close. Ursuline, ma voisine de pallier a bien voulu me dépanner. Elle m'a donné un seau de Fuegomar, ce combustible espagnol à base de déchets de poisson mais j'ai toujours aussi froid. Le Fuegomar est de mauvaise qualité et il sent mauvais : des relents de poiscaille envahissent mon appartement. J'ai résolu de passer le plus clair de la journée dans ma chambre, tapi sous les couvertures, mais quel ennui ! Il faudrait que je rejoigne une association ou l'une quelconque de ces comités d'entraide auquel on est tenu d'adhérer si l'on veut être bien vu des Conseillers du Soin Mutuel. Ce serait aussi peut-être la perspective d'améliorer l'ordinaire et d'adjoindre à mon revenu de base un revenu complémentaire. Ce serait surtout l'obligation d'absorber chaque jour le catéchisme du régime. Je n'ai aucune idée ni de Dieu ni du diable mais cette eau de vaisselle, ce langage d'où les mots sont bannis en raison de leur signification insultante ou péjorative obscurcit en moi tout besoin, tout désir et toute possibilité d'entretenir avec autrui un semblant de communication. Je ne sais plus rien dire, je suis comme un chien, je fonctionne à l'instinct : les mots n'ont pas d'odeur, seulement le réel.