Je reçois ce matin une convocation du Bureau Intercommunautaire ! Mauvais pressentiment : Cette convocation suit de peu l'épisode libertarien. Les drones m'ont certainement identifiés et le bureau recherche des témoignages. Mais peut-être suis-je déjà suspect, on l'est à si peu de frais ! Je vis dans ce qui fut un joli quartier et qui excite assez régulièrement le courroux du Bureau. Les rues trop étroites ou bien trop larges, les petits jardinets où abondent les plantes jugées invasives, des rosiers rugueux, des mimosas, des figuiers de barbarie qui se déploient sous les corniches effritées des façades des vieilles maisons bourgeoises, les perrons, les terrasses, résistent aux programmes de remembrement urbain, les habitants y sont suspects et assez régulièrement inquiétés, quel que soit le prétexte. C’est ainsi que Baptistine, ma voisine, a disparu. C’était une vieille dame un peu fantaisiste. Je la revois sèche et nerveuse, trottinant tout le jour et toujours affairée, tendue vers on ne savait quel imprescriptible dessein. Elle portait toujours sur elle un sifflet, le sifflet des lapins qu’elle avait entrepris d’élever et qui se répandirent dans le quartier. Ils répondent, disait-elle, à mon sifflet, et je les range aussitôt ! Elle a répondu à plusieurs convocations du Bureau avant de disparaître tout à fait, peut-être a-t-elle été placée d’office en MIRIA , ces Maisons Intracommunautaire et Républicaine pour l’Inclusion des Ainés. Les lapins aussi ont fini par disparaître au terme de plusieurs campagnes. Quant à moi, je n’élève aucun lapin, ni aucun animal. Je vis très simplement, c’est à dire que je ne fais tout simplement pas grand-chose, que peut-on me reprocher ? Je faisais même partie d’une association de sauvegarde, mais elle a été dissoute. Il vaut toujours mieux satisfaire aux lieux communs de la souffrance ordinaire : appointer, se mettre en ménage, présenter ses devoirs aux imbéciles et puis, c’est toujours bien de faire partie d’une association de sauvegarde environnementale, cela facilite les démarches en tout genre. J’avais choisi la sauvegarde du hanneton, en hommage aux bouquins que j’avais eu la bonne fortune de découvrir plus jeune dans l’appartement de ma grand-mère. Elle adorait Romain Gary. Nous n’étions que deux dans cette association, Hervé, un ami plasticien, ou qui se présente comme tel, plutôt renfermé, très solitaire. Il aurait voulu que l’association lui soit un prétexte pour exposer librement. Mais tout cela ne relève que du potache, pourquoi le bureau me convoque-t-il ? L’association a certes été dissoute faute d’objectif environnemental clairement identifié mais cela ne relève d’aucun délit !