Jeudi 2 février 2064
J'ai peur. À présent, j'ai peur. Pourquoi dire à présent, je crois que j'ai toujours eu peur. Je crois même que c'est la peur qui règle ma vie, une peur tue, camouflée, comme une maladie honteuse. J'ai rêvé d'imiter les héros de mon enfance, ceux des livres d'histoire ou des romans, ceux des anciennes revues que je découvrais chez ma grand-mère. Ils appartenaient à d'autres époques, d'autres circonstances, ils étaient jeunes ou vieux ou riches ou pauvres, mais tous avaient cette commune volonté de dominer leurs existences malgré toute adversité. Ils étaient héros non pas d'être vainqueurs mais de n'être pas soumis, de n'être pas dominés par la peur. Et moi j'ai peur, j'ai très peur, je n'ai rien retenu de mes lectures, mes fanfaronnades sont toutes cérébrales, mes héros ne sont que des personnages de figurines.
Il y a d'abord cette peur primale, instinctive, qui nous habite comme elle habite les bêtes : le froid, le feu, la faim, l'inconnu, la blessure ou la soif, quelques pas dans la nuit, une branche qui gémit, des brindilles qui craquent ou quel est encore ce chuintement, ce souffle un peu rauque que j'entends, et maintenant ce silence ?
Il existe une autre peur, bien humaine. Il s'agit encore d'une peur animale mais c'est ici l'animal social qui rentre dans le cercle de glace. C'est la peur d'être exposé à la solitude de son propre jugement contre le jugement de tous, c'est l'effroi du paria privé de confort et de subsistance s'il oppose la dissidence au conformisme, le doute aux certitudes, la légèreté aux pesanteurs. J'ai peur d'être affranchi et j'ai peur d'avoir froid.
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