Chapitre 25 : Le prisonnier.
Dimanche 9 décembre, vers 13h.
Egon, Ho-Jin et Viktór parcourent le long et large couloir qui mène vers la grande salle circulaire où se trouvent Lisa et Octavius. Alors qu'Ho-Jin continue tout droit pour se rendre compte, dans son plus grand « bonheur » ce qu'il doit faire avec un mystérieux tapis, Egon et Viktòr se faufilent vers une porte dérobée sur leur droite qui s'ouvre sur des escaliers en pierre. Ils descendent les marches dans le couloir étroit et en colimaçon qui est éclairé par d'antiques torches enflammées. L'odeur de la suie brûlée donne une atmosphère particulière à cet endroit. Après avoir parcourus une bonne vingtaine de marches, les deux hommes arrivent devant une grille en fer noircie par le temps. De l'autre côté, on distingue une salle exigüe aux murs assombris par la suie des torches. D'énormes chaînes avec de larges entraves au bout sont fixées au mur. Même un œil non averti pourrait deviner qu'il se trouve à la porte d'une antique prison. Viktòr sort de sa poche une grosse clef en fer et ouvre la grille. Les deux guerriers pénètrent dans la cellule. A leur droite, se trouve un homme inconscient avachi au sol. Il a les poignets et les chevilles attachés par les lourdes chaînes qui ornent le mur. Viktòr et Egon se tiennent debout devant lui. Egon lui donne un léger coup de pied dans les jambes pour s'assurer qu'il est toujours en vie, mais l'homme ne bouge pas. Il lui donne un coup de pied un peu plus fort sous les genoux mais aucun mouvement ne peut être décelé du prisonnier.
- Tu crois qu'il est mort ? Demande circonspect Egon.
- Non. Je perçois des activités mentales. Il est conscient. Affaibli mais conscient.
- Et peux-tu voir à quoi il pense, Viktór ?
- Je pense qu'il dort.
- Vraiment ?
- Oui. Je vois des images qui n'ont aucun rapport les unes avec les autres, typiques de celles d'un rêve. Ou alors il joue la comédie et tente de m'embrouiller avec des pensées aléatoires.
- Eh bien, allons vérifier tout cela ! »
Egon se baisse au niveau du visage avachi du démon sur sa poitrine. Le guerrier lui soulève la tête d'une main et de l'autre lui soulève une de ses paupières. Ses yeux sont blancs car retournés. Cependant, Egon y décèle de légers tremblements qui trahissent une activité cérébrale. Il lui donne alors une claque qui lui retourne la tête, mais le prisonnier ne bronche pas. Egon lui donne une seconde claque qui projette le visage de l'autre côté mais le démon ne bouge toujours pas. Le guerrier lui tient alors le menton face à lui et lui soulève de l'autre main les paupières afin de dégager ses globes oculaires. Les yeux d'Egon s'illuminent alors d'une couleur mordorée et il chuchote au prisonnier, telle une litanie hypnotique, les mots suivants : « Réveille-toi ! »
Le démon se met soudain à respirer plus fort, bouger sa tête dans tous les sens et dans un grognement sourd, ouvre brusquement les yeux, fixant ceux d'Egon.
« Que veux-tu de moi, Le Loup ? "
Les yeux d'Egon reprennent petit à petit leur couleur naturelle, un vert doré, puis avec un petit sourire lui répond :
- Devine. Que faisais-tu chez Lisa Mauragnier ?
- Qui ?
- La fille que tu as tenté d'assassiner chez elle avant de te retrouver enchaîné ici.
- L'enchanteresse qui n'a aucun pouvoir ?
- Oui. Elle.
- Mais la tuer et l'éviscérer, évidemment ! » Puis il éclate d'un rire sinistre sans quitter du regard les yeux d'Egon. Viktòr se précipite alors devant le démon, le prend au col et le fixe dans les yeux. Son regard s'illumine alors d'une couleur ambrée et lui crache au visage :
« Tu mens ! Qu'est-ce que tu foutais chez elle ? »
Le visage du démon se déforme dans une étrange grimace et il pousse des gémissements de douleurs. D'étranges sons métalliques s'échappent de sa gorge qui forment vaguement des mots ou des phrases à peine intelligibles :
- Aargh... l... la... Sor... la Sorcière est... re...ve...nue. Aaaahh... n...elle...elle...a pris... un... corps... d'enchanteresses... n...no...NOOON !!!
- PARLE DEMON ! » Viktór continue de lui serrer la tête entre ses mains, tel un étau, et plonge son regard ambré dans le noir abyssale des yeux du prisonnier.
- Aaaahhh... no...non !! LYNX !! ARRÊTE TON POUVOIR ! IL ME BRÛLE !!
- NON ! CONTINUE DEMON ! » Puis l'ambre de ses yeux s'illuminent d'autant plus que les cris du prisonnier se font de plus en plus fort tant la douleur lui triture le cerveau. Le policier ne lâche pas sa prise mais semble se radoucir. Il ne veut pas achever sa victime avant qu'il n'ait tout dit.
« Parle, démon. Maintenant. » C'est la voix d'Egon qui lui suggère ce qu'il doit faire. Ses yeux ont repris une lumière dorée. « Dis-nous tout et tu partiras en paix. »
Le démon se calme, les douleurs infligées par le pouvoir du Lynx semblent se radoucir sous les mots du loup.
« Que veux-tu dire sur la sorcière ? » Rajoute Viktòr .
- La... Sorcière... est de retour. Elle est... revenue il y a 70 ans, au royaume des Francs. Nous avions réussi à la... neutraliser. Mais nous n'avions pas réussi à la détruire, à cause de toi, le Loup ! » Il regarde Egon d'un regard haineux et continue son histoire de plus en plus facilement. « Elle est revenue à nouveau il y a trente ans dans une enveloppe des enchanteresses. Nous ne savions pas laquelle... »
Le démon affaisse son visage, reprend son souffle et sa confession :
- Nous la croyions d'abord dans l'ancien royaume des Huns. Puis il y a trois ans nous la repérions dans la ville des Lumières au royaume des Capets. Nous devions la détruire... ou la rallier à notre cause grâce à d'anciens rituels si nous ne pouvions pas la faire disparaitre pour toujours. »
- Pourquoi ? Pourquoi la détruire ? » Demande inquiet Egon.
- Parce qu'avec le temps et ses différentes incarnations, elle a gagné en puissance. Elle va nous détruire tous. »
- Alors nous allons la protéger pour nous assurer que plus aucun d'entre vous ne foulent le sol de cette planète. » Rétorque ironiquement le policier hongrois.
- Non. Tu ne comprends pas, le Lynx ! Elle va TOUS nous annihiler. Vous, les guerriers, vous faites partie du lot. C... C'est... une bombe... à retardement. Elle va faire exploser... ce monde ! »
Viktor, sous le choc, relâche son emprise. Egon, s'est déjà redressé et scrute le prisonnier. Il est livide. Le prisonnier regarde les guerriers tour à tour, et se met à rire, découvrant ses dents acérées.
- Vous n'êtes pas dans le bon camps, guerriers de la Lumière. Vous pensiez protéger les habitants de la Terre ? NOUS sommes leurs véritables protecteurs. Nous leur avons apporter la civilisation. La sorcière est le virus qui fera disparaître ce monde et vous êtes, avec vos enchanteresses et à vos dépends, son catalyseur. Vos Dieux et vos anges vous ont bernés. » Puis il part dans un rire terrifiant qu'il n'arrive pas à arrêter.
« Il ment ! » S'écrit Viktór, affolé.
« Tu es sur ? » Lui répond inquiet Egon. «
- Regarde mieux, Lynx. Assure-toi que ce ne soit pas encore une de leur vulgaire manipulation. Je t'en prie...
- Qu'est-ce qui t'arrive le Loup ? » Rétorque le démon d'un sourire cynique. « Tu te rends comptes que tu t'es fait avoir ? Que ton grand amour soit en fait l'ennemi qu'il fallait arrêter coute que coute ? » Il s'esclaffe dans un rire métallique. « Quelle tragédie ! Quel drame incroyable ! Roméo doit massacrer sa Juliette ! C'est magnifique.
- Viktór ! Est-ce qu'il dit la vérité ? REGARDE LE BIEN, JE T'EN PRIE ! » Egon est bouleversé. Toutes ses certitudes sont en train de s'ébranler. Mais dans son intime conviction, il ne peut pas s'empêcher de penser que le démon ne leur dit pas tout, ou bien qu'il ne sache pas tous les tenants et aboutissants de cette tragédie comme il se plait à dire. Viktòr, se concentre à nouveau sur les yeux du démon et continue son interrogatoire :
« Est-ce que tu dis la vérité, Démon ? »
Le prisonnier se tord alors de douleur et est pris de spasmes violents. Il gémit de plus en plus fort. Il redresse alors son visage et fixe le regard du policier avec toute la haine qu'il est capable de transmettre et lui crache presque au visage :
« Oui, Lynx. Je te dis ce que je sais. Elle est l'instrument finale de destruction de vos pitoyables et hypocrites Dieux, tout comme vous êtes leurs vulgaires pions. » Puis il rajoute dans un sourire cruel « Et tout porte à croire que je l'ai trouvée. Après que l'on ait éliminé une à une celles que l'on pensait être le vaisseau de la Sorcière, la dernière est la seule qui a pu résister à nos pouvoirs. Cette... Lisa. Vous voulez survivre ? Tuez-la ! Sinon, nous essayerons à nouveau, c'est le seul salut pour que ce monde persiste. Et si vous êtes ici, c'est qu'elle ne doit pas être loin. ».
Le prisonnier baisse la tête et ne répond plus. Il marmonne quelque-chose d'inintelligible dans une espèce de mélodie lancinante. Il relève le menton. Ses yeux sont révulsés. Il continue sa litanie sans prêter attention à ses geôliers. Soudain, un violent coup de poing asséné par Egon, qui lui explose le nez, interrompt cet étrange manège. Une manipulation brusque de la nuque lui brise la colonne vertébrale et le fait se taire définitivement. C'est alors que le Loup déclare :
« Désolé. Je ne sais pas ce qu'il était en train de faire, mais on ne peut pas prendre plus de risques. On doit prévenir l'Aigle, tout de suite ! »
Sur ces paroles, Egon tourne les talons et se précipite vers les escaliers en colimaçon, les montant quatre à quatre. Viktòr le suit à son tour, sans se retourner.
Les deux hommes arrivent dans la salle du dôme, croisant dans le couloir, à la porte d'entrée un Ho-Jin au teint verdâtre, mais ils n'ont pas l'air de s'en préoccuper. Octavius est assis en face de Lisa, lui tenant la main alors que cette dernière est prise dans une violente crise de larmes. Egon s'arrête brusquement, inquiet. Il a toujours eu du mal à voir une femme pleurer, particulièrement lorsqu'il a tissé un lien spécial avec l'une d'elles et d'autant plus si cette dernière vient d'avoir un entretien avec le sage Octavius. Cela ne présage rien de bon. Il s'approche doucement vers les deux personnes assises mais l'Ancien lève des yeux interrogateurs vers lui :
« Qui a-t-il, Egon ?"
Lisa, entendant le nom de son amant, se retourne vers lui, se lève et d'un bond, telle une furie se jette sur lui le martelant de coups de poing sur la poitrine :
- « TU CONNAISSAIS MA MERE ET TU NE M'AS RIEN DIT ! »
Puis submergée par cette blessure qu'elle avait enfouie au plus profond d'elle depuis sa plus tendre enfance, elle s'effondre, pouvant à peine respirer et enfouie son visage contre le torse du guerrier, sanglotant à s'en étouffer. Egon ne peut que la serrer contre lui, et tout en lui baisant le front et la consolant comme il peut, il regarde Octavius d'un air réprobateur. Ce dernier lui répond d'un haussement d'épaule avec un faux air innocent le déchargeant de toute responsabilité d'avoir mis la jeune femme dans un tel état. Il déclare tout de même au guerrier : "Je crois que Mademoiselle Lisa mérite quelques éclaircissements de ta part mon cher Egon. ». Viktòr, qui pénètre dans la salle à ce moment-là, accompagné de Ho-Jin, se rapproche d'Octavius, pour être sûr de ne pas être entendu par Lisa, et chuchote au vieil homme :
- Et nous aussi il faut qu'on parle. La femme française doit soit partir d'ici au plus vite, soit on l'enferme dans un bunker sous haute surveillance.
- Tu as pu faire parler le prisonnier ?
- Oui, et Egon m'a aidé. Mais là... » Viktòr a l'air lui aussi bouleversé, ce qui intrigue encore plus Octavius. Le policier rajoute : « On doit se voir seuls. Laisse Egon surveiller la fille, et la consoler, si possible dans un endroit sécurisé. Je dois voir tout le monde. Maintenant. On doit partir au plus vite... et à se préparer à une possible attaque. »
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