Chapitre 31 : Pauline. 1944.

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Lundi après-midi et 18h

Egon regarde l'inconnu repartir sur son vélo. Il sentait la prune frelatée à plein nez. Si jamais il se met à parler un peu trop, on pourra mettre les illogismes de son témoignage sur le compte de l'alcool. Viktór est au téléphone, a une discussion animée avec quelqu'un puis raccroche.

- « C'est bon. » Dit-il. « Un de mes contacts va venir nettoyer la scène. On fera passer ça pour un règlement de compte entre mafieux roumains. »

Egon et Viktór montent dans la voiture. Ce dernier prend le volant et enclenche la clef du SUV qui, malgré le nombre astronomique de balles qu'il a encaissé, démarre miraculeusement. Il se dirige vers les traces laissées par le véhicule qui a emporté Lisa. Ils arrivent finalement à une route goudronnée où la neige y est complètement fondue ainsi que les traces. Egon expire un profond soupir de dépit. Le visage enfoui dans ses mains, il ne dit rien. Après quelques secondes, il relève la tête, puis le regard vide vers l'horizon, il déclare :

- « Emmène-moi à l'aéroport. Ça ne servira à rien de les suivre. Trouve sa trace ici avec Aiday, Balázs et Octavius. Moi, je vais rejoindre Ho-Jin.

- Je suis d'accord. J'espère juste qu'ils ne vont pas éliminer la jeune Française. Elle est peut-être une bombe humaine qui s'ignore, mais je commençais à bien l'aimer, cette fille...

- Ils ne lui feront rien. »

Viktór le regarde en coin.

- « Pourquoi tu dis ça ?

- Je ne sais pas. Une intuition. Mais quoi qu'il en soit, on doit la retrouver. Je pense qu'ils ne lui feront rien pour l'instant, mais je ne connais pas leur plan. Pour ça, la réponse est en France. Quelque-chose à voir avec ses origines. Juste, amène-moi à l'aéroport immédiatement. Je prends le premier vol pour Paris.

- Oui Monsieur. »

Viktór se permet de faire des excès de vitesse sur la route. Une demi-heure plus tard, les voici à l'aéroport de Budapest. Pour cette fois, Egon voyage en utilisant les lignes publics. Depuis son dernier déplacement, il vaut mieux qu'il soit dans un endroit fréquenté.

18h. Paris, Charles de Gaulle. Egon a le rassurant sentiment d'être de retour à la maison. À la sortie de l'aéroport, il retrouve son coupé sport qu'il avait laissé dans le parking le temps du séjour en Hongrie. Devant son volant, avant de démarrer, il sort son smartphone et pianote un message. Quelques minutes plus tard, une musique générique retentit alors qu'il est déjà sur la route.

C'est Ho-Jin, aka Bleda, qui apparait sur l'écran du smartphone. Egon appuie sur l'icône verte d'une représentation d'un téléphone et répond :

« Bleda ? Je suis de retour à Paris.

- Ah ! Super !

- Prépare tes valises. Je t'emmène vers une contrée féérique en bordure de mer.

- Ben... je n'ai pas besoin d'une valise pour ça. Je n'ai qu'à me connecter à un de mes jeux en ligne et c'est bon ! Je suis dans un monde de fantaisie comme tu n'en as jamais vu.

- Bleda ! Je ne parle pas de tes Morpeugs à la con. (nda : MMORPG... Jeu vidéo en réseau dans des univers de fantaisie ou autre). On part en Bretagne.

- Ah... » Répond Ho-jin, avec un soupçon de déception dans la voix. « Et on va où en Bretagne ?

- Côte d'Armor, Perros-Guirec. C'est bien l'adresse que tu m'as donnée non ? et c'est bien ce qu'on avait convenu, n'est-ce-pas ?

- Oui, Egon. Excuse-moi. Je suis un peu à l'ouest. On y va comment ?

- J'aurais besoin de mon véhicule et de toi, en pleine forme. Je rentre chez moi, ce soir. Je passe te prendre demain matin. Repose-toi et récupère de ta blessure. Et à demain Petit-Prince.

- Ok patron ! À demain ! »

Après un trajet ponctué par les habituels embouteillages parisiens, Egon arrive dans son loft sophistiqué, jette son sac de voyage dans un coin de l'entrée, se dirige vers un petit meuble cubique au design contemporain qui se trouve à côté du meuble de télévision, l'ouvre, prend un verre en cristal taillé, une bouteille d'une liqueur dorée et se sert un doigt du liquide sirupeux qu'il boit d'un coup sec. Il remplit le verre à nouveau, mais ne le boit pas. Il se dirige vers la baie vitrée qui orne son salon, toujours le verre à la main qu'il fait tourner machinalement, le regard plongé vers l'extérieur. La nuit est tombée depuis un moment déjà. Le ciel est noir, mais libre de tout nuage, laissant entrevoir quelques étoiles qui parsèment la voute céleste, malgré la pollution lumineuse de la capitale. Mais Egon ne les regarde pas. Il est plongé dans un passé pas si lointain, repensant à l'étrange message. Les souvenirs lui sont revenus brutalement lorsque le vieux poivrot magyar lui a transmis la communication. Il se revoit à la fin de cette guerre absurde et cruelle, témoignant de la folie des hommes.

1944. C'était le printemps. Les forces alliées préparaient le débarquement dont le lieu était encore tenu secret. Lui, il était parti en chasse. Il avait pour cela infiltré les forces SS, profitant de sa maitrise quasi parfaite de la langue de Molière et avait proposé ses services comme interprète, ce qui pouvait être très utile lors d'interrogatoires et lui avait permis d'éviter de se retrouver sur le front russe, comme la plupart de ses concitoyens austro-hongrois. Les SS occupaient un petit village, au nom improbable, dans le Jura français. Lui et ses frères d'armes étaient à la recherche d'un roi démon qui se trouvait en France, dans cette zone. Vu la cruauté des actes des envahisseurs, il lui avait paru logique que ce roi fut parmi eux. Cependant, ce n'était pas le cas : les humains étaient bien plus monstrueux. Le roi démon protégeait les victimes et les faibles et faisait preuve encore de quelques bons sens. Jamais Egon n'avait douté de sa quête. Jusqu'en 1944. Et il l'avait retrouvée. Elle.

Dans cette vie, elle s'appelait Pauline. Pauline Fournier, une enchanteresse protégée par un roi démon, qui se faisait nommer François et avait pris la tête d'un réseau de résistants dans la région. Elle était veuve et avait pour seule famille, une sœur, un peu plus jeune qu'elle, qui s'était réfugiée en zone libre, proche de Bordeaux, et un bébé qui ne connaitrait jamais son père, balayé par une balle perdue lors de la débâcle française à Dunkerque. Une mort brutale et stupide. Pauline, malgré les responsabilités maternelles qui l'incombaient, avait rejoint la Résistance. Leurs chemins s'étaient croisés dans des circonstances incongrues. Il devint alors une espèce d'agent double, trop heureux d'éliminer les tortionnaires qui terrorisaient la région. Puis, ils s'étaient aimés, encore. À la fin de la guerre, alors que les Américains abreuvaient de tablettes de chocolat et coca cola les normands fraîchement libérés du joug nazi, il la perdait, à nouveau. Pendant qu'elle agonisait dans ses bras, souffrant d'horribles blessures à l'abdomen causées par une explosion d'obus, elle lui fit promettre, d'amener sa petite Salomé chez sa tante, à Bordeaux. Ce qu'il fit, dès que la guerre fut officiellement terminée. Il s'était attaché au bébé et ne l'avait jamais perdue de vue, la regardant grandir par procuration. Pour la petite fille, il était le gentil tonton qui la couvrait de cadeaux lorsqu'il revenait de voyages, ou le papa qu'elle rêvait d'avoir. Jusqu'à ce que, devenue jeune adulte, elle réalisait que son mystérieux protecteur ne vieillissait pas. C'est ainsi que Salomé fut introduite à l'univers occulte des Enchanteresses, protectrices et alliées de la Confrérie de la Lumière.

Egon sort brutalement de ses pensées lorsqu'il réalise que son verre est vide. Il a dû le boire machinalement alors qu'il ressassait ses souvenirs. Il est temps d'aller au lit maintenant. Il se déshabille, s'affale sur son grand lit aux draps de soie et s'endort presque immédiatement pour une nuit hantée de rêves incohérents.

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