Chapitre 35 : Aveux.
Mardi 11 décembre, midi.
- « Quoi ? Comment ça tu lui as sauvé la vie ? Qu'entends-tu par là ? »
Salomé reprend son souffle. Elle ose tourner le regard vers son pseudo-père et raconte :
- « Cassandra a toujours été une clairvoyante très douée. La plus talentueuse que j'ai jamais connue. Mais elle ne supportait pas ce pouvoir et ne l'a jamais accepté. Cela la rendait folle. C'est pour cela que, dès qu'elle a pu s'échapper de la maison, elle sortait, et s'est adonné à toute sorte d'excès : fêtes, alcool, drogues, histoires sans lendemain. Cela lui permettait, selon elle, de ne plus « voir ». Et bien sûr, à force de faire n'importe quoi, elle est tombée enceinte, à 17 ans. Lorsque Lisa est née, elle a rejeté l'enfant, disant que cette gamine allait être la source de beaucoup de malheurs. Je l'ai convaincue de la garder, lui promettant que j'allais l'aider. Et puis, ce n'était qu'un petit bout de chou qui n'avait rien demandé à personne. Un jour, alors qu'elle baignait la petite, je ne l'entendais plus gazouiller comme font tous les bébés. J'ai eu un très mauvais pressentiment. Je suis allée rejoindre Cassandra dans la salle de bain et je l'ai surprise : elle était en train de noyer sa fille. Je l'ai arrêté, à temps. Puis j'ai chassé Cassandra de la maison, en l'envoyant d'abord en hôpital psychiatrique, car elle était devenue complètement instable. Malheureusement, les médicaments qu'on lui administrait là-bas ne la faisaient qu'empirer. Je l'ai sortie de là et je l'ai confié alors à une de nos sororités. » Salomé ponctue son histoire dans un dernier sanglot. Les hommes dans la pièce l'écoutent sans piper un mot. Sauf Egon. Exaspéré, il rompt le silence :
- Et où est-elle maintenant ?
- Toujours là-bas.
- C'est où là-bas ?
- Au Royau. C'est un petit village en bord de mer. On l'a installé dans une vieille masure qui est à l'extérieur de la commune. Elle y vit avec d'autres sœurs qui prennent soin d'elle et la surveillent.
- Quoi ? Comment ça « la surveillent » ?
La vieille dame se tord les mains, hésitant à répondre. Elle balbutie quelques paroles inintelligibles puis, après une grande expiration, elle répond :
- Pour qu'elle ne s'échappe pas ou qu'elle ne se fasse pas de mal. Cassandra est... elle est devenue complètement folle après son séjour à l'hôpital. Elle ne s'est jamais remise. Et...
- Et ?
- On lui a fait croire que la petite était morte depuis sa tentative d'assassinat. » La grand-mère a la gorge bloquée par un nouveau sanglot. Elle ravale sa salive, inspire profondément et reprend : « Cassandra croit qu'elle a tué sa propre fille. Je crois... je crois que c'est ça qui l'a rendue malade mentalement. »
N'en pouvant plus d'assister à cet interrogatoire et craignant que la suite des révélations de Salomé fasse péter un plomb au guerrier qui est à deux doigts de commettre un meurtre, Garcia se lève soudainement et s'exclame :
« Ok. On arrête pour l'instant le massacre. Egon ? S'il vous plait. Calmez-vous. Allez prendre l'air, respirer un bon coup dans le jardin. L'orage est passé. Laissez-moi continuer. C'est mon métier après tout, n'est-ce pas ? »
Egon fulmine en son for intérieur. Ses yeux ont pris une teinte mordorée, ce qui devient inquiétant. Ho-Jin se rend compte que la situation peut clairement dégénérer, connaissant son vieil ami. Il se lève à son tour et s'approche d'Egon, lui prenant le bras.
- Viens avec moi. Le capitaine a raison. On va faire une promenade.
- NON ! »
Egon retire son bras brusquement, fusillant du regard l'assemblée, puis se tourne vers sa protégée :
- Mais qu'as-tu fait Salomé ? Pourquoi tu ne nous as pas prévenu dès le départ ? Tu pouvais me contacter, à tout moment ! On aurait pris l'enfant en Hongrie, on l'aurait protégée ! On aurait même pu soigner ta fille.
- C'est... C'est le Grand Druide qui m'a assuré qu'ils pouvaient s'occuper d'elle. Et non, je ne voulais pas envoyer mes enfants dans un pays sous la coupelle du communisme. » Répond la femme, tétanisée. Il la regarde, surpris :
- Quoi ? C'est qui celui-là encore ? C'est quoi cette histoire ?
Le capitaine, qui n'en peut plus, se place entre le guerrier et la vieille femme.
- Bon, je vous propose un truc : on se pose, là, autour de la table calmement, on mange et après on va tous au Royau. Je suis sûr que votre fille sera ravie d'avoir de la visite. Je pense que tout le monde crève la dalle. Personnellement, je suis au stade de l'auto-digestion ! L'estomac plein, on est moins enclin à réagir et sortir des mots que l'on regrette ensuite.
- Oui ! Allons manger ! » C'est le cri du cœur de Mandrin. Ho-Jin ne tarde pas à le suivre.
Egon regarde le policier, ne répond pas, prenant sur lui et se lève. Il tourne sa chaise vers la grande table en bois et place ses couverts et son assiette vers lui. Les autres convives font de même. Salomé est toujours prostrée dans son fauteuil, ravalant ses larmes. Ho-Jin et Mandrin la regardent et se dirigent vers elle, le plus respectueusement possible, l'aident à se relever et s'installer avec les autres invités. Tout le monde se met à manger, en silence. Soit parce que le plat est délicieux, ou pour certains, parce que toutes ces révélations sont difficiles à digérer. Au bout d'un moment, Salomé brise le silence :
« Egon, je dois t'expliquer quelque-chose, ainsi qu'à vous tous. »
Le pannonien lève les yeux vers sa protégée. Il l'écoute, sans rien dire, mâchant consciencieusement son morceau de rôti. Les autres sont tout ouïe pour de nouvelles révélations, tout en gardant un œil sur Egon.
« Lorsque Lisa est partie de la maison pour poursuivre ses études à Paris, et que mon mari nous a quittées vers un monde meilleur, j'ai emménagé ici, pour pouvoir revoir ma fille et m'occuper d'elle. Elle n'a plus le sens des réalités et vit dans un autre monde. Au moins, son pouvoir a l'air de s'être complètement endormi. Elle ne voit plus rien. Ensuite, personne ici ne connait Lisa. Ils ne l'ont jamais vu et la croient morte. Pour eux, elle est le pauvre bébé qui a été noyé par sa mère. Je suis la seule personne avec qui Cassandra arrive à parler, à peu près logiquement, même si elle débite des absurdités à longueur de temps. »
Elle se sert un verre de vin pour se réhydrater puis reprend en regardant chacun des hommes autour d'elle :
« S'il vous plait, Messieurs, je vous demande de ne surtout pas prononcer le nom de Lisa devant Cassandra. Vous pouvez être présent, mais ne dites rien. Egon, tu me le promets ? » Supplie-t-elle.
Tous se tournent vers lui. Egon continue à manger tranquillement son plat, bois son verre de vin, le pose et tourne son regard vers Salomé. Il lui répond alors d'un ton neutre : « D'accord, Salomé. Je te le promets. »
La vieille femme parait légèrement soulagée.
Le repas se termine un peu plus sereinement pour tout le monde. Après le dessert et le café, chacun se prépare à partir vers Le Royau, petite bourgade balnéaire et découvrir la fameuse sororité où se cache Cassandra.
Garcia, Mandrin et Ho-Jin montent dans le véhicule du capitaine. Garcia est tout content de reprendre enfin le volant, même si ce n'est pas son véhicule. Mandrin a tellement de questions à poser à Ho-Jin, qui en plus d'être un authentique guerrier de l'antiquité, connaît parfaitement le jeu de stratégie sur lequel le jeune flic est bloqué. Salomé monte dans le coupé sport, accompagné d'Egon qui prend le volant. Mais avant de monter dans le véhicule, elle lui confie :
« Je suis désolée. Vraiment. J'aurais dû te prévenir sur la situation. Peut-être que si je n'en avais pas fait qu'à ma tête, on n'en serait pas là. »
Egon s'approche d'elle et la sert dans ses bras, lui effleurant le crâne d'un baiser. « Non ma puce, c'est moi qui m'excuse. Je te comprends et je sais très bien à quelles extrémités on peut se rendre pour protéger ses enfants, crois-moi ! » La vieille femme laisse échapper un sanglot.
- Merci, Egon.
- De rien ma fille. Je t'aime ! »
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