Chapitre 54 : La bataille du temple
Après avoir courus dans les couloirs sinueux de la bâtisse souterraine, et descendu de plusieurs mètres à cause d’un niveau de dénivellation important, le groupe de guerriers voit apparaître devant eux les prémisses d’une grande salle au plafond élevé et convexe, qui est creusée à même la roche. Egon et Viktór qui devançaient tout le monde s’y arrêtent brusquement. Le Pannonien tourne la tête vers le côté en direction de ses acolytes qui dévalent la pente du couloir. Un doigt sur la bouche et la main gauche tendue vers eux, il les somme de ne plus faire aucun bruit. Le groupe se fige brutalement, les retardataires rentrant de plein fouet dans ceux qui se sont arrêtés, manquant de les faire tomber. Devant eux, une large ouverture à la forme oblongue donne sur une large pièce arrondie. Une vingtaine de têtes encapuchonnées de grandes capes chatoyantes à l’étoffe écarlate sont visibles en contre-bas depuis l’ouverture. Au fond de la salle, un grand autel, surélevé sur une estrade en marbre, est encadré par trois grandes silhouettes vêtues de longues robes de bure anthracite. Les grandes manches, dont sont pourvues les robes, laissent entrevoir le bout de leurs doigts osseux et décharnés. Les larges chaperons ne laissent pas voir leurs têtes. Sur l’autel marbré et froid est allongée une jeune femme à la robe longue et fluide dont le tisse opalin tombe délicatement jusqu’au sol. La belle captive est endormie sur son lit de pierre. Egon, dissimulé sur le côté de l’accès, a le cœur serré car il reconnait la prisonnière. C’est sa princesse grenouille, Lisa, qui est à la merci des diaboliques grands prêtres et de l’armada de démons. Viktór, contemplant aussi le spectacle, remarque deux autres issues. Ce sont deux grands couloirs sombres sur chaque côté de la grande porte oblongue. Il fait signe à Egon qu’il part en éclaireur et disparait dans la pénombre. Les autres derrières sont immobiles, attendant les directives. Une minute à peine plus tard, le policier magyar réapparait à côté d’Egon. La main sur son épaule, il l’invite à reculer et à rejoindre le groupe qui les attend à l’arrière. Lorsque tout le monde est à portée, Viktór chuchote :
- Il y a quatre autres issues qui donnent sur la salle de rituel. Deux de chaque côté. Ça fait cinq points d’accès sur la pièce. Je propose qu’on se répartisse les issues pour les encercler.
- On est neuf. » Remarque Egon. « Cela fait deux personnes par porte et je propose une suffisamment impressionnante sur la porte principale pour faire blocus. »
Tous se tournent vers Balázs. Ce dernier, apparemment flatté, acquiesce volontiers avec un grand sourire.
Viktór se permet de préciser :
- Les policiers, vous ne vous mettrez pas ensemble mais vous serez accompagné par un des guerriers. C’est pour votre sécurité. »
Ho-Jin et Mandrin se retrouvent tout naturellement en binôme, ravis de pouvoir partager une nouvelle aventure ensemble. Aiday s’approche du capitaine, minaudant à son oreille : « Eh bien mon cher ami, je me dévoue pour être votre garde du corps. » Ce dernier retourne son visage vers elle. « Eh bien, j’en suis flatté Madame. Ce sera bien la première fois que je serais couvert en si charmante compagnie ! » Mais son côté séducteur s’étiole très rapidement lorsque la jolie frimousse de la « jeune » femme kazakh est remplacée par la tronche renfrognée d’un grand Turc suspicieux, fixant de ses yeux furibonds le flic latino qui s’y croyait un peu trop. « En tout bien tout honneur, bien sûr, Monsieur Balázs ! Je suis un homme comblé en ménage ! » Rajoute Gracia en ravalant sa salive, pas très rassuré par l’antique guerrier Hun qui ne le lâche plus du regard.
Jareth et Octavius complètent les duos.
Voyant que tout le monde s’est organisé rapidement, Egon continue ses directives :
« Viktór et moi-même prendront la porte du fond dans le couloir à droite. Lieutenant Mandrin et Bleda, vous nous suivrez et prendrez celle à coté de nous.
Les autres, vous prendrez le couloir de gauche. Aiday et le Capitaine Garcia vous vous placerez à la porte qui est en face de la jeunesse. Jareth et Octavius, vous serez en face de nous pour nous couvrir. Nous aurons besoin de l’aide d’un magicien et d’un soigneur, la menace la plus forte étant proche de l’autel. »
Mandrin se permet de lever le doigt pour indiquer qu’il a une question à poser.
- Oui, Lieutenant ?
- On attaque quand ?
- A mon signal, Balázs fera diversion.
- Et le signal sera ?
- Vous le saurez lorsque cela arrivera. Juste, suivez le groupe. Et ne vous mettez pas en danger. Restez en retrait, s’il-vous-plait. Vous n’êtes pas immunisé au feu des démons. Nous oui. »
Après toutes ces directives, tous se rendent furtivement à leur position désignée.
Alors que chacun est à sa place, planqués derrière les murs et surveillant les faits et gestes de chacun, la cérémonie sordide bat son plein. Et soudain… le signal.
Un silence glaçant envahit la pièce. Les têtes, encapuchonnées dans leur étoffe de velours grenat, se relèvent et se mettent à se tourner dans tous les sens, à la recherche de la source du trouble. Poignards et autres armes tranchantes levées devant eux, les démons sont prêts à sauter sur le ou les mystérieux intrus et se lèvent prêts à attaquer. Soudain, un cri rauque envahit l’espace. Cela vient de derrière eux. Tous se retournent vers la grande porte. Son chambranle encadre une espèce d’armoire à glace, le torse nu et bardé de muscles épais et saillants. Il écarte les bras et brandit deux haches censées être à deux mains, mais pas pour lui. Il sert dans chacun de ses poings les armes comme s’il s’agissait de couteau à beurre. Il rugit à nouveau tel un lion prêt au combat, devant la foule démoniaque médusée, en bombant son torse nu. Il prend appuie sur ses jambes, puis se jette de toutes ses forces sur la foule en délire. D’un bond, hurlant comme un dératé, il mouline ses bras vers ses adversaires, coupant quelques mains et têtes au passage. A ce même moment, une pluie de flèche assombrie la pièce et s’abat sur les pauvres bougres encore debout qui ont pu encore protéger leur tête de la dance frénétique des haches. Des coups de feu se font entendre et achèvent les derniers survivants. Seuls, trois grands humanoïdes à la robe de bure anthracite se tiennent droits, sans aucun mouvement perceptible, contemplant le spectacle surréaliste. Tous leurs sujets ont été anéantis en quelques secondes. Mais bientôt, des bruits de pas frénétiques, et nombreux se font entendre. Les quatre guerriers qui surveillaient les issues les plus proches de la grande porte, sont obligés de se réfugier dans la grande salle, piétinant les cadavres démoniaques qui tapissent le sol. Les quatre autres, postés aux entrées qui font face de part et d’autre de l’autel et des grands prêtres, se retrouvent acculés et ne peuvent plus bouger. Quelque-soit la voie de sortie empruntée, ils sont vulnérables. En effet, une cinquantaine de syldraïnes armés, déboulent dans le large couloir qui encercle la grande salle. Une nouvelle escouade les rejoint prestement. Le loup doit se rendre à l’évidence. Sa stratégie a échoué. Ils sont pris au piège. Alors, qu’il vient certainement de sacrifier tous ses hommes, la seule défense qu’il ne connait que trop bien lui apparait comme une évidence : attaquer et trucider tous ceux qui se rapprocheront trop prêts du fil de son glaive. Viktór a le même réflexe. Les deux hommes, fers au poing, balayent, coupent, pourfendent et décapitent tous ceux qui se jettent sur eux dans l’étroit couloir dans lequel ils sont coincés. Le sang noir de leurs adversaires recouvre leurs mains et leurs visages. Mais le nombre des ennemis est submergeant et ils sont forcés de traverser l’issue sur leur droite. Ils se retrouvent dans la grande salle consacrée, sur la dalle marbrée qui soutient l’autel, Lisa, inconsciente et son agresseur toujours étalé sur elle, mort. Les grands prêtres sont derrière eux, mais étrangement, ne portent pas leur attention sur cette nouvelle menace. Ces derniers sont trop occupés à éviter un grand aigle qui cherche visiblement à leur crever les yeux, pendant que deux fous furieux les canardent de balles. Jareth est toujours à son poste, bloqué contre la porte. Des faisceaux rougeâtres sortent de ses yeux et brulent les démons qui s’approchent trop prêts de lui. Balázs est revenu sur la grande porte. Il en assure la défense avec ses lourdes haches, soutenue par les ondes protectrices envoyées sur lui grâce au chant si particulier de sa femme et qui rendent sa peau plus dure qu’une armure de plaque. Parmi la foule démoniaque qui tente de pénétrer la grande issue, on peut voir apparaître ici et là, un jeune homme asiatique, affublé d’une longue lame. Il se transporte et se téléporte à une vitesse folle dans le dos de ses ennemis pour mieux les neutraliser. La horde syldraïne semble se réduire au fur et à mesure des combats. Mais comme dit le dicton : « Quand il n’y en a plus, il y en a encore. ». D’autres soldats renflouent les troupes syldraïnes tombées. Le combat n’a apparemment pas de fin. L’aigle a repris sa forme humaine, sous les traits d’Octavius, complètement vêtu pour une raison obscure, et est à genoux, paralysé, sur le sol en contre-bas des trois êtres qui le menacent de quelque magie étrange. Bientôt, cinq guerriers huns, deux policiers français et un magicien d’outre-monde sont encerclés au centre de la grande salle, par les démons et les trois grands prêtres à qui ils font face. Seul le loup est accroupi sur l’autel, ayant jeté au sol le corps du cadavre démoniaque, et tient la princesse endormie dans ses bras. Il tente de la descendre de son piédestal, mais il ne peut plus bouger. Ni ses jambes, ni ses bras ne semblent lui répondre, à l’instar de son ami Octavius, toujours cloué au sol. Il lève la tête pour évaluer la situation : les démons, qui s’entassent dans le couloir, étrangement, ne pénètrent pas dans la grande salle. Ils sont juste là, menaçant, bloquant chaque issue, couinant des cris stridents, leurs visages transformés en leur forme la plus terrifiante : leur peau rougeâtre a virée au noir ébène, leurs yeux flamboient d’une lueur aveuglante et leur bouche s’est considérablement agrandie pour ne laisser place qu’à une large fente perlée de longues dents pointues et acérées.
Les trois grands prêtres, satisfaits de la mise en scène, lèvent les bras au ciel, dévoilant leurs longues mains cadavériques serties de doigts aux griffes affutées. Un son sourd sort de leur gorge. Ils pointent leurs ongles crochus vers les guerriers au centre de la pièce. Soudain, le bruit d’une explosion et, sous le regard terrifié d’Egon, tous ses amis se retrouvent projeter contre les murs adjacents pour s’écrouler au sol, immobiles. Il voit la forme étrange que prennent les membres brisés de certains d’entre eux. La terreur envahit les tripes du Pannonien, qui manquent de se retourner et de le faire vomir. Il sert toujours sa belle contre lui. C’est le seul espoir qui lui reste. Il dirige son attention vers l’issue où se trouve Jareth. Ce dernier est aux prises d’un des grands prêtres qui le maintien suspendu en l’air, rendant tout mouvement impossible et le laissant suffoquer jusqu’à ce que l’oxygène ne puisse plus du tout atteindre son cerveau. De l’autre côté de l’estrade, derrière lui, Viktór est en train de subir le même sort. Egon tourne alors son regard vers la figure de Lisa, la belle endormie. Les larmes embuent ses yeux, sa gorge se noue. Il a échoué, et pour de bon cette fois. Tous ses amis se font massacrer devant lui. Et le prix de sa défaite sera trop lourd à payer. Il le sait. La planète est perdue. La confrérie de la lumière ne sera plus. Tel un condamné à mort qui exauce ses derniers souhaits avant l’exécution finale, il caresse du regard les formes délicates de la jeune femme, à peine cachées par la finesse et la transparence du tissu opalin qui la recouvre. Puis il la voit, cette fichue marque, sur le haut de sa cuisse droite. Étrangement, elle n’a plus cette couleur noire mortifère. Elle brille à présent d’une vive lueur dorée. Elle transperce presque le tissu par sa luminescence. Il soulève vivement le fin bout d’organza qui la recouvre. Oui, c’est bien ce qu’il voit : la marque a transformé sa couleur d’albâtre en un platine éblouissant. Il sent la tête de Lisa qui est appuyée contre son torse bouger. Puis une douce caresse lui essuie les larmes qui coulaient sur ses joues. Les doigts fins passent sur ses lèvres, délicatement. La pression sur son poitrail disparait. La jeune femme redresse son torse doucement et se tourne vers lui. Sa peau reflète la nacre des perles les plus précieuses. Un sourire délicat illumine ses traits fins et un regard rempli d’amour termine ce portrait d’une beauté transcendante. Elle pose alors un doigt sur les lèvres du guerrier déchu, tel un tendre baiser, pour l’inviter au silence et à la paix. Alors, elle lui murmure d’une voix éthérée :
« Le sort de protection est levé. Je me souviens maintenant… de tout. »
Le guerrier suffoque presque, sous le choc. Elle est vivante. Elle est à nouveau là, près de lui. Finalement, il n’a pas complètement perdu cette bataille. Il y a peut-être un espoir.
- « Li… Lisa ? »
Bégaie-t-il, tant la stupeur le submerge. Il n’est pas sûr de savoir qui il tient réellement dans ses bras. En réponse, un sourire. Elle se penche vers lui et lui vole un tendre baiser sur ses lèvres. Elle lève doucement le menton d’Egon d’une main, lui caresse délicatement les cheveux de l’autre, puis lui répond d’une voix douce.
- « Lisa n’est plus, mon amour. Je suis moi. Je suis Ahonna. Et je te retrouve, enfin ! »
Puis elle passe une main sur ses paupières pour l’inciter à les baisser comme on le ferait à un enfant pour l’aider à s’endormir, ou à un mort.
- Egon ?
- Que veux-tu que je fasse, ma chérie ?
- Ferme les yeux. »
Annotations