Chapitre 56 : Le big boss

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Samir Harshad ne sait pas trop ce qu'il fait là, au milieu de ses geôliers. Ce sont des créatures terrifiantes venant d'un autre monde et qui ressemblent à s'y méprendre aux mauvais djinns décrits dans les méandres de la littérature musulmane ou d'autres cultes monothéistes. Ils pourraient aussi être pris pour les faunes du mythique dieu Pan de l'Antiquité, si seulement ils n'étaient pas aussi cruels. Heureusement, ils ne sont pas affublés des caractéristiques pieds de bouc.
Samir est un scientifique brillant, sorti dans le top cinq de sa promotion à l'université des sciences de Marrakech. Si on lui avait dit, trois ans plus tôt, dès l'obtention de son doctorat en génie génétique, que le poste plutôt alléchant que lui avait proposé un grand laboratoire de recherche du Moyen-Orient, allait le conduire littéralement en enfer, il aurait préféré se casser une jambe et se porter pâle. Ou mieux, envoyer Mohammad Ben Kasser à la place. Ce jeune bourgeois prétentieux de la noblesse marocaine lui avait bien pourri l'existence lors de sa jeunesse estudiantine. Le résultat étant, bien qu'il ait fait ses études avec brio, qu'il n'a pu que contempler la lente dégénérescence de sa jeunesse, pour se rendre compte qu'il ne connaitrait jamais l'insouciance des gens de son âge. Il avait espéré, en vain, rattraper le temps perdu dans un nouveau pays et une nouvelle mégalopole au nom évocateur : la sublime et romantique Budapest. Mais au lieu de cela, le voici catapulter dans une prison aseptisée comme pour unique distraction les expériences génétiques et autres jeux d'éprouvettes, dont les sbires du Diable en personne sont ses arbitres. Puis, il les a vu : les vrais démons, les véritables monstres, que même le plus féroce des envahisseurs craint et se prosterne à leurs pieds, en espérant toujours être en vie les cinq minutes suivantes. De gigantesques créatures terrifiantes dont la seule partie visible de leurs corps sont les extrémités de leurs membres supérieurs. La chair absente de leurs mains laisse découvrir des doigts tout aussi décharnés que ceux des cadavres en putréfaction. D'un battement de cils, ils peuvent vous envoyer de vie à trépas. Depuis ce jour-là, la terreur a trouvé domicile dans le fond de son estomac et, est devenu, à la longue, une compagne bien possessive. Elle n'a jamais eu la bonté d'âme de le quitter pour qu'il puisse enfin savourer la sérénité d'une vie triviale et simple. Son existence est devenue depuis un véritable cauchemar. Il est prêt à tout pour en sortir, voire accepter la mission la plus improbable qu'impossible : capturer l'incarnation d'une puissante enchanteresse et l'emmener dans les laboratoires pour de futures expérimentations. La récompense ? Sa putain de liberté et un retour à la vie normale. Même les redoutables Syldraïnes ont échoué lamentablement. En outre, il doit, à présent, faire face à une bande de guerriers immortels, des espèces de super héros aux pouvoirs démesurés qui ont le mauvais gout d'être d'antiques soldats barbares aguerris. Cette quête n'est pas juste impossible, elle est suicidaire.

Alors que les troupes Syldraïnes se rassemblent dans l'antichambre de la grande salle consacrée, Samir est toujours à l'arrière, accompagné d'un autre pauvre bougre, qui, comme lui, se retrouve là, sans trop savoir pourquoi. Il ne se souvient plus de son nom. Un petit nouveau qui est arrivé deux semaines auparavant. Cependant, l'avantage est qu'il parle la langue du pays, étant donné qu'il est du coin, un Hongrois. Ils sont tous les deux affublés de leur déguisement d'adorateurs des Dieux étranges : des robes écarlates démesurées en tissus épais et agrémentées de larges capuches.Le jeune homme, dont Samir ne se souvient plus du nom, lui fait signe de le suivre, ce qu'il fait, sans demander son reste.

"C'est quoi ton nom déjà?" Lui chuchote timidement Samir.
-" Ferenc. Mais, on s'en fout. Je ne pense pas qu'on va se revoir après, de toute façon. Vu la tournure des évènements, ça risque de virer au massacre.
- Qu... Quoi?! Pourquoi tu dis ça?
- Regarde." Lui répond-il en faisant un signe de la tête devant lui.
Samir se retourne vers la grande salle, et sous ses yeux ébahis, contemple la grande enchanteresse, dominant toute l'assistance, survolant le sol.
"Et merde..." Soupire Samire en pensant très fort au futur échec de sa mission suicide.
Il s'adresse, dépité, à son compagnon.
"Qu'est-ce qu'on fait alors? Tu penses quoi si on se barrait, en douce? Tout le monde a l'air omnubilé par la magicienne...
- Non. On se planque, et on attend."
Samir commence sérieusement à paniquer.
"Mais t'es malade? On va tous y passé! Et si ce n'est pas par elle, qui a expédié en un claquement de doigt les grands prêtres, on se fera massacré soit par les Syldraïnes ou par les guerriers immortels! Nous n'avons pas de super pouvoirs je te rappelle. Je suis un simple gars qui s'est retrouvé au milieu d'une bande d'extra-terrestres aux capacités bien superieures aux notres! Je n'est pas eu de modifications génétiques, moi. Et toi non plus, d'ailleurs!"
Ferenc se tourne vers son compagnon, un petit sourire en coin et visiblement amusé par la situation.
" Qu'est-ce que t'en sais? "
Ferenc lui prend subrepticement le poignet et le sert. Puis, le décors autour de lui devient complètement vaporeux. Samir est sur qu'il vient de passer de l'autre côté du rideau.

***

Ahona observe l'assemblée, qui se relève et la contemple, telle la déesse qu'elle paraît être. Elle redescend lentement jusqu'à ce que la plante de ses pieds touche le sol. Le regard froid, sans quitter des yeux sa cible, elle avance, traverse la grande salle pour se diriger vers l'attroupement de démons qui restent prostrés devant elle. Egon a quitté son abri de fortune et la suit discrètement. Bientôt, il commence à accélérer le pas, pour rejoindre Jareth qui, lui, se précipite vers sa fille. Les autres guerriers suivent cet étrange manège, circonspects et inquiets. Quelque chose est en train de se tramer dans la tête de la sorcière incarnée. La jeune femme n'a d'yeux que pour l'attroupement de Syldraïnes tremblants devant elle. Elle tend la paume de ses deux mains et, le regard furibond, murmure d'étranges mantras que personne ne comprend, à part, peut-être Jareth qui se jette sur elle dans un cri :
« AHONA ! NON ! »
Le temps que son paternel réussisse à interférer avec le sort qu'elle est en train de lancer, une partie de celui-ci a déjà fait son effet sur trois individus qui se tenaient témérairement dans le chambranle de la grande porte : leurs corps explosent dans un bruit sourd aspergeant toute l'assistance de la grande salle de liquides sirupeux et autres parties d'organes noirâtres. Le choc est tel que les ennemis ont repris tout leur courage, malgré l'horreur de la situation, effaçant tout signe de terreur. Le combat peut reprendre. D'un simple mouvement du bras, Ahona se dégage de l'emprise de son père qui, dans un dernier élan désespéré, se place entre sa progéniture et son peuple, espérant calmer les ardeurs belliqueuses de chacun.
« ARRÊTEZ, S'IL VOUS PLAIT ! »
Les yeux suppliants, il se tourne vers sa fille :
« Ma chérie, je t'en prie, ce n'est pas pour cela que je t'ai fait venir ici. Ils sont aussi ton peuple, tout comme le sont nos ennemis jurés, les Ethériens, ou les habitants de cette planète. Tu es celle qui doit nous rassembler tous. Pas nous entretuer ! »
Elle regarde intensément son père. Egon s'est rapproché silencieusement derrière elle, afin d'intervenir au cas où. Il fait signe à ses acolytes de se tenir prêts à son signal. Aiday commence déjà à entonner une douce mélodie, le visage dirigé entre le groupe de Syldraïnes enragés et Jareth qui se trouve le plus près des adversaires, à la grande porte. Mais Ahona continue son avancée vers ses ennemis, ignorant totalement les intentions d'apaisement du conflit de son père.
Les guerriers syldraïnes, en face d'elle, armes au poing, s'apprêtent à charger dans la salle. Quelque soit son camp, chaque combattant observe la scène, inquiet et prêt à en découdre. Soudain, Ahona s’arrête et se tourne vers Jareth, la fureur se lisant dans son regard.

« Non, Père »
Murmure-t-elle.
« C'est toi qui ne comprend pas, c'est toi le dindon de la farce. J'ai été conçue pour tous les détruire une bonne fois pour toute. Penses-tu que ma mère, la grande Nimué, Princesse des étheriens t'aimait réellement? Elle s'est servie de toi, pauvre imbécile. Et elle avait besoin de tes gênes pour me créer moi, la puissante Enchanteresse, la Grande Druidesse, mère de toutes les sorcières, magiciens et occultistes de cette terre. »

Un grand silence s'installe, une chape de plomb virtuelle vient de tomber sur les épaules de tout le monde. Les guerriers tentent d'assimiler l'information, les démons se préparent lentement à riposter. Jareth n'a pas pas encore fermé la bouche tant la claque est gigantesque. Son coeur se met à saigner, et, subrepticement, la rage s'immisce doucement dans chaque recoin des cellules de son corps, pendant que sa raison tente de trouver un sens logique à cette absurdité.
« Que... Qu'est-ce que tu racontes Ahona? Tu perds la raison! Tu mens! »
La jeune femme penche sa tête en arrière pour laisser échapper un grand éclat de rire glaçant.
Egon, les yeux hagards, a du mal à réagir. Seul Ho-Jin qui n'a pas pu résister à se téléporter derrière son ami, lui souffle à l'oreille :
- Elle a complètement disjoncté ! A moins que ce soit du bluffe ? Il y a-il une partie du plan que tu ne nous aurais pas communiquer, Egon?
- Non, Bleda. Je vous ai tout dis. »
Murmure-t-il d'une voix chevrotante.
« Et qu'est-ce que j'aimerais que ce soit un putain de coup de poker sorti de je ne sais où! Là, j'ai l'impression d'être en plein cauchemar. » Rajoute-t-il, du bout des lèvres.
L'Enchanteresse se tourne vers l'assistance Syldraïne, qui est sur les dents, armes aux poings, prêts à massacrer toute âme qui vive et, surtout, la sublime femme qui se tient fièrement et dangereusement devant eux. D'un doigt accusateur, elle les désigne, le visage déformé par la fureur, les yeux injectés de sang et leur crache toute sa haine:
« Vous, bande de mécréants, vous êtes la lie de cet univers, vous n'avez plus rien à y faire. Nous avons exterminé votre race, nous avons détruit votre monde, vous êtes les derniers survivants, jusqu'à ce jour bénit sur cette petite planète minable qui assistera maintenant à votre extinction définitive ! »

Jareth, qui reprend lentement ses esprits, bien qu'encore sonner par le non sens de la réaction lunaire de sa fille, recule lentement vers les guerriers, ses nouveaux protecteurs. Ces derniers, par réflexe, se sont rassemblés derrière Egon. Tous se lient en touchant d'un doigt ou d'une main les uns aux autres, formant une chaine initiée par Ho-Jin qui a sa main sur l'épaule du Pannonien, resté derrière Ahona. Jareth prend le poignet d'Egon, serrant très fort son dernier rempart face au chaos.

Ahona tend ses mains vers le ciel qu'elle tournoie dans une danse hypnotique, et, dans un son guttural et sourd, elle entonne une étrange mélodie aux paroles obscures. Les clameurs de guerre des démons résonnent dans la grande salle oblongue. Les voici prêts à se jeter sur leur cible, bien visible et à la découper en charpie, magie ou pas. Puis, d'un seul élan, la meute démoniaque se rue vers la magicienne qui, accompagnée d'un long son rauque, tend brusquement ses paumes ouvertes vers les assaillants.
A ce moment précis, Ho Jin ne peut que crier le départ d'un « MOST ! (nda: Maintenant!)». Mais, Egon, les yeux écarquillés et rivés vers les démons, ne fait qu'un seul geste en réponse au mot d'ordre de l'éternel adolescent : écarter la main du jeune prince de son épaule et briser la chaîne. Ho-Jin n'a pas le temps de réaliser ce qui vient de se passer. Ils tous été envoyé vers un endroit plus sûr. Le Loup est maintenant le seul guerrier, au milieu du conflit et de la horde Syldraïne, tenant toujours par la main le Prince Démon. Egon a le regard fixé en direction de l'antichambre, là-bas, vers une ombre suspecte. Il est sûr de l'avoir vu bouger vers Ahona alors que les Syldraïnes, qui se trouvent en première ligne de la mêlée, se font décimer par les flammes aveuglantes et létales qui sortent des paumes de la puissante sorcière gauloise.

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