Chapitre 57 : Celui qui ne voulait pas être là.
Sylvain Garcia a réussi à se planquer en trainant son acolyte français dans un des couloirs attenant à la grande salle. Ils ont rampé tant bien que mal vers une des issues, lorsque Lisa Mauragnier a commencé à user de capacités incompréhensibles et à canarder tout le monde avec des éclairs luminescents pour annihiler les démons alentours. À ce moment-là, tout ce bordel n'est plus de son ressort en tant que flic, ni d'humain lambda tout court. Il aurait dû écouter Oktavius qui leur suggérait de rester à l'écart de ce conflit. Mais la curiosité l'a emporté, ainsi que l'inconscience, visiblement. Malgré les soins magiques prodigués pour tout le monde par l'illuminée qui est en train de traverser la pièce en lévitation, le bras gauche de Mandrin présente toujours un angle étrange, préoccupant. Et il souffre énormément. La super enchanteresse devait être à court de fluides guérisseurs à ce moment-là. Ou alors, ressusciter un mort lui en demandait beaucoup trop.
Alors que les deux hommes sont à couvert derrière un recoin des corridors qui leur permet de voir une partie de l'horrible spectacle son et lumière, Garcia remarque un mouvement étrange près d'une des entrées. Une ombre en mouvement dans la pénombre. Soudain, alors que cette forme mystérieuse tournoie proche d'un angle protégé, apparait un être dans sa robe écarlate de Syldraïnes. Il est gauche et, visiblement désorienté, manque de tomber au sol. Garcia arme son revolver et s'apprête à tirer sur l'intrus. Celui-ci lève la tête, et révèle un visage qui n'est pas courant chez les démons : il a la peau olivâtre, les cheveux crépus, et le regard sombre et exorbité de terreur. Il n'est pas une entité surnaturelle. C'est un humain, et visiblement appartenant au groupe ethnique arabe.
Le capitaine se lève, son arme pointée vers le pauvre bougre qui essaie encore de comprendre ce qui vient de lui arriver.
« Qui êtes-vous ? Si vous bougez un cil, je vous fais un deuxième trou de balle au milieu du front. Et croyez-moi, c'est moche ! »
Lui dit-il dans un franglais approximatif.
L'homme lève les yeux vers lui, surpris et étrangement rassuré
« Vous... Vous parlez français ? »
Lui répond l'étranger avec une parfaite maîtrise de la langue de Molière.
Garcia lève son arme, circonspect.
- Nom de Dieu. Vous n'êtes pas un de ces démons, n'est-ce pas ?
- Non Monsieur, je vous assure ! Je n'ai rien à voir avec ces... personnes.
- Vous êtes qui alors ? Et vous êtes d'où ? Paris ? Marseille ?
- Marrakech. Je suis Marocain.
- Et qu'est-ce que vous foutez ici, déguisé en Syldraïne ? Vous êtes un agent du gouvernement ?
- Non, c'est... Ce sont mes patrons. » Lui répond Samir en ravalant sa salive.
Garcia réarme son flingue en direction de la tête du jeune homme, déterminer à occire l'ennemi au plus vite. Mais, comme ce dernier détient certainement de précieuses informations, il s'abstient de tirer tout en pointant l'arme sur sa cible. Cela le rendra plus prolixe. En effet, Samir commence à paniquer. Il gigote dans tous les sens, se protégeant de ses mains et tente de convaincre son adversaire qu'il n'est pas bien méchant :
- Ne tirez pas, s'il vous plait. Je ne suis pas armé ! Je ne suis pas leur allier, mais plutôt leur prisonnier.
- Vous ne répondez toujours pas à ma question : qu'est-ce que vous foutez là ?
- Je pourrais vous demander la même chose ! Pour ma part, comme je vous l'ai dit, je suis à leurs bottes, je ne peux pas partir comme ça, sinon, ils me tueront sans aucune vergogne. Mais vous ? Vu votre gilet par-balle, vous êtes de la police ou alors vous vous êtes déguisé en flic !
- Capitaine Garcia de la Criminelle à Paris."
Lui répond-il froidement. Puis il s'approche de lui, toujours le canon en joue, pratiquement coller à la poitrine du jeune magrébin.
"Pourquoi êtes-vous ici ?"
Voyant que ses tentatives diplomatiques sont vouées à l'échec, Samir se doit de trouver une explication, quelque-chose, n'importe quoi ! Mais surtout pas la vraie raison de sa présence.
– “Je… je suis un prisonnier ! Un otage ! De la vulgaire chaire à canon.” Se lamente-t-il. “Vous… vous devez m’aider à m’échapper, s’il vous plait.
– Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai du mal à vous croire. Et vous êtes le seul clampin humain ici ? Ou il y en a d’autres comme vous ?
– Oui ! Il y en a un autre. Féret... Féresse... Un hongrois. Mais… Il a mystérieusement disparu.
– Vous m’en direz tant... ” Répond Garcia, toujours sur la défensive.
Derrière lui, les gémissements de Mandrin se font de plus en plus insistants. Le capitaine doit se rendre à l'évidence : ils doivent quitter les lieux d'une manière ou d'une autre et ceci le plus vite possible. Il se précipite vers son acolyte et le soulève difficilement, bien qu'il puisse tout de même tenir sur ses jambes et marcher. Il a le front perlé de sueur tant la douleur de son bras devient intenable. Garcia tient toujours en joue le jeune Samir qui a les mains en l'air et les yeux prêts à sortir de leurs orbites tant il est terrorisé. D'un mouvement de la main qui tient l'arme, le policier français lui fait signe de se relever, ce qu'il fait sans rechigner.
Les trois hommes avancent, accroupis, pour ne pas se retrouver sur la trajectoire de projectiles magiques ou non, jusqu’à se confiner derrière un mur et attendre que la situation se calme, afin de s’enfuir de ce lieu maudit.
Egon contemple la scène incompréhensible. Il sait qu’il doit partir, d’une manière ou d’une autre. Peut-être a-t-il été stupide de briser la chaine de téléportation, mais son intuition lui sommait de rester avec Jareth. Après tout, ce dernier est le père, il est le conjoint. Probablement que les deux hommes les plus importants de la vie de la belle furieuse vont aider à lui faire recouvrer la raison. D’un coin de l’œil, il voit le capitaine français ramper avec son collègue en piteux état, et le mettre en sécurité vers les galeries parallèles à la grande salle. Au moins, le guerrier aura ça en moins à gérer.
Jareth se tient prostré derrière sa fille qui continue à canarder et massacrer les Syldraïnes qui ne se sont pas encore enfuis. Il la regarde faire et ne pense pas à faire demi-tour. Une main sur son épaule le ramène vers ses sens. Il se retourne. C’est son ami improbable qui le conjure du regard de reculer lentement et de se mettre à l'abri.
Le Roi Démon, guidé par le Guerrier de la Lumière, avance progressivement en marche arrière, pour se diriger le plus discrètement possible vers le refuge des policiers français.
Pendant ce temps, Ahona avance inexorablement vers ses proies qu’elle élimine un par un, alors qu’ils tentent, eux aussi, de trouver un moyen de s’échapper de ce cauchemar. Bientôt, les derniers qui ne courent pas assez vite, se retrouvent réduits en cendre. Plus aucun Syldraïne n’est présent dans la grande salle ou les couloirs latéraux. Mais, une ombre mouvante en sort et se dirige vers la pièce principale. Elle s’avance vers Ahona pour lover son corps tel un manteau vaporeux. Les éclairs de lumière s’arrêtent. La sorcière s’immobilise, le bras toujours levé et, telle une poupée de chiffon, elle s'effondre au sol. Egon, n’ayant pas quitté la scène des yeux, se précipite vers elle.
Dans un simple murmure, enveloppée dans ses bras, elle susurre son nom.
“Egon?”
Le Pannonien contemple sa belle, lui caresse tendrement le visage. Des larmes glissent lentement sur les joues de l’homme à bout de force.
Lisa, déconcertée, fronce les sourcils. Elle passe à son tour sa main sur la figure du guerrier, essuyant les gouttes salées qui perlent sa peau.
“Pourquoi pleures-tu ? Que se passe-t-il ?
Egon plisse les yeux, ravale sa salive afin de reprendre une certaine contenance. Il pose ses lèvres vers le front diaphane de la jeune fille, lui offrant un long baiser. Puis il relève la tête, sans la quitter des yeux et lui répond avec une voix érayée par le trop-plein d’émotion ou d’épuisement, tout en lui caressant doucement les cheveux :
– “Tout va bien ma chérie. Tout est fini. Tu es sauvée.
– Non… Ce n’est pas terminé. Ce n’est que le début de la fin.”
Lui dit-elle dans un soupir.
– “Que veux-tu dire par là ?”
La crainte d’une nouvelle crise incontrôlable de la reine des fées effleure Egon, qui ne sait pas comment Lisa, ou Ahona, va encore réagir. Il a l’impression de jouer avec de la nitroglycérine. Un léger sourire rassurant éclaire pourtant le joli minois de la jeune femme :
– “ne t’inquiète pas, mon amour. Tout va bien se passer. J’ai encore quelque-chose à accomplir. Mais, s’il te plait, quoi qu’il se passe, ne faites rien, ne me cherchez pas. Ce serait trop dangereux pour vous.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’est-ce que tu dois faire ?
– Retrouver une personne qui a des informations précieuses.
Egon fronce les sourcils. Les larmes qui coulaient sur sa peau ont fini par sécher complètement.
“Qui ?”
“T’inquiète, on va aller voir un simple humain. Mais ce dernier est sacrément mouillé dans toute cette histoire !”
C’est une voix masculine derrière lui, mais pas celle de Jareth, ni celle des policiers français qui apparemment ont réussi à prendre la poudre d’escampette. Pourtant, elle lui est étrangement familière.
Egon dépose Lisa avec soin sur le sol, puis se redresse, se retournant avec précaution, le cœur enserré, cherchant son souffle, main sur le glaive pour affronter un nouvel ennemi potentiel. Mais, à sa grande stupéfaction, se dresse devant lui un ancien ami, qu’il pensait mort et enterré depuis plus d’un siècle. Il murmure, sidéré :
“Ferenc ?! Tu... tu es... ici et... vivant?!”
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