Chapitre 3 - 28 septembre 1918 - Marcoing
La section se met en mouvement, nous sommes en rangs serrés, nerveux, tendus. Notre destin va se jouer aujourd’hui.
Evidemment, je suis aux côtés d’Henry, que je ne vais pas lâcher d’une semelle jusqu’au moment fatidique où il croisera la route du caporal Hitler.
Quand le sergent nous donne l’ordre d’attaquer, nous nous mettons à courir en beuglant comme des veaux, histoire de nous donner du courage. L’alcool que nous avons ingurgité au petit-déjeuner nous galvanise aussi.
Nous arrivons très vite en vue d’un petit pont qui surplombe le canal de Saint Quentin et essuyons un tir ennemi nourri. Les boches sont de l’autre côté et nous canardent à coup de MG, soutenus par l’artillerie lourde qui balance ses obus de l’arrière.
Derrière les abris de fortune que nous avons pu trouver, nous essayons de localiser d’où vient le tir ennemi. A mon grand étonnement, mon voisin Tandey se lève sans prévenir, pousse un hurlement, et bondit hors de sa cachette, seul et à découvert, en direction d’une maison décrépie située de l’autre côté du pont. Je suis bien forcé de le suivre, évitant les balles qui sifflent autour de ma tête. Comme à l’entraînement, j’esquive, je cours en faisant des bonds légers à gauche et à droite tout en suivant la trajectoire de Tandey. Nous arrivons à la maison, indemnes. Tandey me fait signe de le couvrir, et pénètre dans le bâtiment. Pendant deux minutes j’entends des tirs, puis une explosion. Aussitôt après, Tandey ressort par la porte d’entrée le visage noirci par la fumée et le casque cabossé. “Done !”, me dit-il sobrement. Puis il ajoute un tonitruant “Let’s go !” tout en retournant vers le pont que nous avons franchi auparavant. Une pile électrique, le héros Tandey, il faut s’accrocher pour le suivre !
Les Schrapnels continuent à nous pleuvoir dessus, et je constate que le pont a été détruit en partie. Déjà, Tandey s’est jeté dans le canal, a saisi des planches et a commencé à réparer le pont, tout ça sous le feu allemand ! Je l’imite, et à nous deux, nous avons tôt fait de permettre au reste de la troupe de traverser et de se déplacer vers le centre du village.
Pas le temps de souffler, Tandey est déjà à la tête de la troupe lorsque nous nous retrouvons face à face avec une cinquantaine de boches, dans la rue de l’église. Certaines façades de maisons sont totalement détruites, laissant apparaître l’agencement intérieur. D’autres bâtiments sont en train de brûler. Des gros moellons jonchent les rues recouvertes de gravats. L’air est saturé de poussière. L’ennemi est en position, nous nous regardons, jaugeons les forces de chacun. Il règne un silence de mort, nous sommes tous figés. Cette immobilité ne semble pas plaire à Tandey, qui démarre en hurlant, baïonnette au canon, en direction de l’ennemi, suivi de votre serviteur et du reste de la troupe. La boucherie commence, le sang gicle, les balles fusent et transpercent les corps avec une facilité déconcertante. Des hommes tombent de part et d’autre, Tandey embroche à tour de bras, moi aussi. Dans la mêlée, c’est le chaos le plus total. La cuisse de Tandey pisse le sang, mais sa blessure ne semble pas l’affecter le moins du monde. De mon côté, je me régale au corps à corps, c’est ma spécialité. Je pratique même quelques prises de Krav Maga, pour le plaisir. Une formalité, ce combat.
Au bout d’une bonne trentaine de minutes, nous avons fait le ménage. Une moitié de la troupe ennemie est à terre, l’autre est faite prisonnière. Tandey me lance une oeillade et repart de l’avant, au mépris d’une nouvelle blessure, au nez cette fois. Nous sortons du village, laissant le reste de la section derrière nous. Je comprends pourquoi Tandey n’est jamais monté en grade, il aime se la jouer solo. On se ressemble un peu, tous les deux.
La pression est descendue, et je me mets à gamberger. Nous n’avons toujours pas croisé Hitler et il ne fait pas partie des prisonniers. Et si mes collègues avaient réussi ? Dans ce cas, Hitler est déjà mort et je me bats pour des prunes. Et si mon temps imparti était écoulé avant même que je remplisse ma mission ?...
Heureusement, une vision vient mettre fin à ce vilain doute : un homme rampe devant nous en traînant une jambe salement amochée, pas de doute possible, c’est lui. Ils ont échoué, les autres tocards, je l’avais bien dit qu’il fallait pas essayer de tuer un bébé. Si ça se trouve, ils se sont entretués. Ou alors un autre voyage temporel était là pour protéger le bébé ? Fumeux, mais possible.
Hitler est comme sur les rares photos que l’on peut trouver dans les archives de la Grande Guerre : petit, brun, les yeux gris acier et cette fameuse longue moustache noire qu’il coupera sur les côtés après la guerre. Le futur ex dictateur est là, à quelques mètres de moi, vulnérable, minable, une vraie loque. Tandey le met en joue, l’autre lui lance un regard implorant puis laisse tomber sa tête dans la gadoue, simulant l’évanouissement. Le héros baisse son arme, comme je m’y attendais. Je lève la mienne. Sans état d’âme, je crible de trous le monstre à terre en poussant un cri de soulagement. Je m’approche ensuite de la passoire et rajoute une balle dans sa tête, propre et nette. Je récupère sa plaque militaire, elle est formelle : “Korporal Adolf Hitler 10298337-Regiments”. Elle me servira de preuve quand je rentrerai.
Justement, c’est le moment de rentrer. Un petit bip retentit, et en un clin d’oeil, je me retrouve propulsé dans un vortex identique à celui qui m’avait amené en 1918. Ma mission est un succès. A moi la prime de 10 millions de Shekalim !
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