Chapitre 6 – La cabane

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Un bruit de déglutition près d’elle la fait frissonner. La jeune femme prend un petit instant pour étirer légèrement son dos et ses jambes fourbues, puis pousse un soupir en réinstallant sa tête contre le duvet doux et chaleureux de son oreiller improvisé. C’est bien la première fois que son chat lui sert de coussin.

Comprenant peu à peu que le jour est levé, son esprit met quelques secondes à s’éveiller complètement, et lui vient alors une question des plus importantes.

Depuis quand Moïra a-t-elle un chat ?

Elle essaie bien de trouver une réponse cohérente à la présence de cette chose sous sa tête, car ni son bras ni son blouson en cuir ne sont aussi velus. En l’absence de logique, elle se redresse d’un coup en poussant un cri de panique, mais elle ne s’attendait pas à ce que l’on y réponde par un autre crissement. Voyant des formes filer à travers la maison, elle n’y tient plus, se lève dans un bond et ouvre la porte pour sortir comme une furie.

Le corps encore maladroit malgré le fait qu’elle soit à présent parfaitement réveillée, les pieds de Moïra s’emmêlent et la voilà qui dévale l’escalier jusqu’au sol herbeux, un coup sur les genoux, un coup sur les fesses. Il lui faut bien quelques secondes pour se ressaisir complètement. D’ailleurs, elle a même du mal à croire qu’elle a réussi à dormir réellement malgré la peur et les évènements de la veille, sans compter sur cette… Chose qui était avec elle il y a encore quelques secondes.

Cette fois-ci, elle ne met pas longtemps à se redresser et à scruter avec attention autour d’elle. Il lui faut sentir la caresse de la brise matinale pour se rendre compte qu’elle a laissé tomber son blouson en haut des marches. Elle en profite pour regarder sa plaie à l’épaule, et constate avec un certain soulagement que les saignements ont arrêté, et que les plaies ont même commencé à cicatriser. Il en est de même de sa main meurtrie.

Cependant, les deux blessures lui font un mal atroce, elle a une sensation de brûlure de la clavicule jusqu’au coude, peut à peine bouger le bras et serrer le poing. Si elle doit se défendre dans un moment de faiblesse pareille, possible qu’elle ne s’en sorte pas.

Après avoir repris son souffle et son cœur ayant retrouvé un battement plus régulier, Moïra décide tout de même de reprendre là où elle s’est arrêtée la veille. Elle récupère donc un morceau de bois de la balustrade cassée, puis remonte doucement les marches, prenant tant bien que mal son blouson une fois arrivée en haut, devant la porte du cabanon.

Armée de son bâton, Moïra entre à nouveau, poussant doucement la porte pour laisser entrer autant de lumière que possible. Conformément à sa première impression, on dirait que le bâtiment n’est pas meublé. Elle s’avance dans le couloir jusqu’à tomber dans ce qui devrait être une cuisine et salle à manger, puisqu’il y a bien des placards et un lavabo. Mais lorsque Moïra essaie de tourner le robinet, rien n’en sort et tout ce qu’elle entend, c’est un bruit de gargouillis, très vite remplacé par celui d’une régurgitation. Au bout de quelques secondes, le tuyau crache finalement un liquide marron accompagné d’une odeur âpre. La jeune femme coupe immédiatement l’arrivée d’eau et le liquide marron-gris s’écoule alors lentement, laissant quelques traces derrière lui.

_ L’eau du lac, murmure-t-elle en se pinçant le nez pour valider l’idée qu’elle ne toucherait pas à celle-ci.

Le lavabo laisse entendre un gros rototo en réponse, et préférant faire comme si elle n’avait rien entendu, Moïra s’approche de l’autre pièce, un peu plus grande, qui aurait probablement dû être un salon. Evidemment, rien ici non plus, pas même la trace d’un seul meuble ayant été entreposé. Les fenêtres sont dans un sale état, mais tiennent malgré tout. C’est comme si cette baraque avait été construite pour des propriétaires jamais venu pour y vivre.

Moïra quitte le salon pour retourner dans le couloir et se dirige vers les escaliers qui partent à l’étage, où elle a bien entendu des bestioles, la veille et pendant la nuit. Sitôt qu’elle atteint le pied des escaliers, les boiseries du plafond se mettent à craquer. Moïra sursaute et tend le balustre devant elle.

_ Y’a quelqu’un ? Appelle-t-elle vers la pénombre face à elle.

Pas de réponse, bien entendu. Seulement une myriade de petits pas qui s’éloignent.

_ J’ai une arme ! Reprend-elle sur un ton qui se veut menaçant avant de se reprendre. M-mais je ne m’en servirai que si j’y suis forcée.

Son hésitation et sa gêne sont plus palpables que les murs qui l’entourent.

Devant le silence, elle monte prudemment, une à une, les marches d’escalier pour atteindre le premier étage. Si ce dernier est légèrement plus sombre que le rez-de-chaussée, c’est parce que les trois portes qui devraient mener à des chambres et une salle de bain sont closes. La seule fenêtre qui donne sur l’extérieur est recouverte d’un petit rideau noir.

Quand Moïra tire ce petit rideau, la lumière s’infiltre immédiatement, repoussant tout un tas de petites formes noires qui s’échappent en poussant des cris et dessinant sur le sol la forme arrondie et barrée d’une croix de la fenêtre. Il y a tant de poussière dans l’air que Moïra aurait presque l’impression de pouvoir attraper ce rayon de soleil. Elle en aurait eu bien besoin, pour continuer.

Sans surprise, toujours pas de meubles. Mais effectivement, trois portes en bois, toutes closes, dont une est surélevée de trois marches. Moïra tend l’oreille pour savoir où auraient pu se cacher les... Choses qui se trouvaient là il y a encore quelques secondes. Elle s’insuffle une bonne dose de Pink Floyd pour se donner du courage, et chantonne doucement :

_ Hey, bestioles ! Leave the girl alone !

Un léger bruit de course retentit depuis la toute première pièce, sur sa droite. Elle longe alors ce nouveau couloir, dos contre le mur, observant le léger rai de lumière filtrer sous la porte. Une fois qu’elle est assez proche, elle ouvre d’un coup la porte et donne quelques coups de balustre dans le vide, avant de remarquer que ça ressemble bien à une chambre. D’ailleurs, dans le fond de la pièce, incrusté dans le mur, elle repère immédiatement un placard dont l’un des battants est grand ouvert.

Moïra passe alors la tête dans la chambre vide, plaque la porte contre le mur pour s’assurer qu’il n’y a rien derrière, puis regarde brièvement d’un côté puis de l’autre avant de s’approcher du placard en quelques brèves enjambées. Il ne lui suffit que d’une seconde pour fermer le battant qui grince, provoquant dans son dos un véritable séisme d’angoisse, et d’une autre pour quitter précipitamment la pièce. Mais elle ne ferme pas la porte et se contente d’avancer vers la pièce qui se trouve en haut des trois marches. Celle-ci est bien moins éclairée, mais Moïra avait raison : il s’agit bien d’une chambre, tout aussi inoccupée que la première, si l’on oublie les dizaines de petites pattes qui jouent des claquettes sur le plancher, hors de sa vue.

Moïra retourne vers la dernière porte qu’elle n’a pas encore ouverte. La salle d’eau sans aucun doute. Pendant une seconde, elle s’imagine prendre une bonne douche chaude, l’eau transparente lui coulant sur les cheveux, la peau, lavant toutes les misères qu’elle a vécues jusqu’à présent.

« Oh oui, faites qu’il y ait une douche ! » Se dit-elle, et même si elle sait qu’il y a de forts risques pour que l’eau qui en coule soit la même que celle du rez-de-chaussée, elle garde un infime espoir et pousse enfin la poignée.

C’est alors qu’une nuée de petites choses velues avec beaucoup trop de pattes se met à courir vers elle dans un seul et même crissement. Le cri de terreur de Moïra reste coincé dans sa gorge, et son corps n’accepte que de faire un pas en arrière, se figeant alors que cette horde lui fonce dessus. Certains des myriapodes prennent alors ses jambes pour des rampes et y grimpent, la débloquant enfin. Moïra crie, se débat, saute comme un cabri et frappe dans tous les sens pour les chasser et les éloigner.

Quand, enfin, elle se calme à nouveau, et que ses jambes cessent de trembler, elle rouvre la porte de la petite pièce que ces créatures viennent de déserter pour regarder à l’intérieur… Puis referme aussitôt, une forte nausée lui prenant soudain la gorge. Sans réfléchir, elle file dans la première chambre, se jette vers la fenêtre, l’ouvre en catastrophe et se penche en avant, la tête dehors, vomissant le peu qu’il lui restait de la veille dans l’estomac.

Le tout va s’écraser comme une flaque au pied d’une des piliers qui tiennent la maison, et c’est avec le plus grand dégoût que Moïra découvre quelques-unes des petites choses velues se précipiter pour aller laper, lui arrachant un nouveau relent de dégout.

Lessivée, Moïra se décale pour ne plus avoir à observer un tel spectacle et s’assied par terre, sous la fenêtre, pour reprendre son souffle. Elle avait rarement vu autant de sang dans un seul endroit, même quand elle occupait son poste de gardienne des morts. Cependant, l’odeur n’était pas insoutenable, et elle n’a remarqué aucun corps. On dirait qu’on a juste ramené des poches de sang et qu’on les a percées pour que ces petites créatures arachnoïdes se régalent. C’est même étonnant que ce sang n’ait pas traversé le plancher pour s’écouler à l’étage en dessous.

La jeune femme reste ainsi quelques secondes, à se poser des questions sur la présence d’autant de sang quand une image accapare toute son attention : dans le coin de la pièce, le battant du placard, celui-là même qu’elle a fermé quelques minutes auparavant, s’ouvre dans un grincement subtil mais terrifiant. La jeune femme tourne le regard vers l’objet de ses craintes pour voir apparaître lentement une très longue patte fine et dépourvue de poils. Ça n’a rien à voir avec les bestioles qui lui ont filé entre les pieds et qui grouillent à présent en bas.

Oubliant soudain ses douleurs à l’épaule et à la main, Moïra ne réfléchit plus et se relève d’un bond, prend appui sur la fenêtre et l’enjambe sans le moindre effort avant de se laisser tomber à l’endroit exact où elle a vomi, environs deux mètres plus bas. Bien sûr, à son arrivée, les petites créatures s’enfuient pour aller se cacher dans l’ombre où elle ne peut pas les discerner.

Pendant un instant, Moïra croit que sa chute a été amortie par l’herbe douce et duveteuse. Mais en sentant la douleur qui frappe son tibia, elle se rend compte que son saut était très mal calculé. De peur d’alerter la moindre bête, elle étouffe un cri en ressentant toutes les blessures qu’elle commence à accumuler depuis la veille. Elle reste donc allongée dans l’herbe en attendant de reprendre. Quand elle se rend compte que ça ne fait pas aussi mal que la fois où elle s’est brisé l’os du coude, quand elle avait huit ans, elle pousse un soupir et se relève.

Courir va être assez difficile, mais elle se sent assez forte pour aller se rafraichir au lac. Ça lui remettra les idées en place, et lui donnera sans doute la force et le courage nécessaire pour affronter cette armée d’insectes qui habitent dans la cabane. Elle se souvient vaguement avoir vu l’eau du lac par une des fenêtres, alors elle file dans cette direction, claudiquant comme une petite mémé parmi les arbres et les buissons, entre l’herbe haute et le ciel. Malgré son handicap, elle ne met pas longtemps à rejoindre la berge. Pendant quelques secondes, elle observe la surface, puis de la même manière que la veille, elle récupère une pierre qu’elle va jeter aussi loin qu’elle peut de son bras valide. Un « Plouf » massif suit son geste, mais rien n’y réagit.

Alors Moïra s’agenouille au bord de l’eau et en prend dans ses mains en coupe, pour en boire. Elle le fait de façon assez propre d’abord, mais se rend compte qu’elle avait finalement vraiment très soif, alors au bout de quelques secondes, elle n’y tient plus et plonge directement la tête sous l’eau pour l’avaler à grandes lampées.

Repue, elle sort finalement la tête de l’eau et prend encore un petit instant pour lancer des regards aux alentours, elle finit par se déshabiller et se faire une petite toilette. N’ayant pas de serviette, elle est contrainte d’attendre de sécher à l’air pour se rhabiller, et le temps passe alors avec une infinie lenteur. C’est à partir de ce moment que Moïra se sent épiée, de tous les côtés, et elle profite allègrement des herbes qui la camouflent au moins en partie. Cependant, elle ne lâche pas son balustre des mains, prête à frapper le premier imprudent qui cherchera à lui faire peur ou la mater.

Dès qu’elle se sent sèche, elle s’habille à la vitesse de la lumière, prête à retourner dans la maison… Mais elle s’arrête au moment d’y aller.

Doit-elle vraiment y retourner, et affronter ces bestioles dégoutantes ? N’y a-t-il pas un abri plus sûr ? Elle pourrait retourner à la ville maudite : Elle y a laissé ses affaires, et peut-être y trouvera-t-elle aussi de la nourriture. Depuis hier, elle n’a rien trouvé d’intéressant. Quant aux fleurs, bien qu’elles aient été assez jolies, aucune d’entre elles ne lui a donné l’impression d’être comestible. Quant à ces choses, elles sont peut-être faites de chair, mais lui serait-il possible d’affronter toute une armée de bestioles arachnoïdes pour manger ? L’idée seule de devoir toucher l’une de ces choses lui donne des frissons de dégout. Tant pis, elle attendra. Moïra n’est pas assez affamée et ne se sent pas l’esprit assez aventureux pour faire son Alice et manger n’importe quoi.

C’est à cet instant précis qu’elle pense à l’eau qu’elle a bu sans réfléchir. Peut-être est-elle empoisonnée ! Maintenant qu’elle en a bu trois fois son poids, c’est sûr, si c’est le cas, elle va y passer ! Non, elle n’a pas le droit. Elle ne peut pas faire ça à son père, il serait anéanti. Et elle ne peut clairement pas mourir sans avoir accompli son rêve.

Alors si cette eau est empoisonnée, elle luttera pour survivre. Si elle doit attraper une de ces petites créatures pour manger, elle le fera ! Et si elle doit franchir ce tunnel maléfique et affronter encore une fois la goule-sirène-reflet pour retourner à la ville maudite et trouver un moyen de quitter ce monde, alors elle le fera !

En ce qui concerne les fleurs, elle n’en mangera que si elle n’a vraiment rien trouvé d’autre.

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