Chapitre 7 – Courage

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A peine Moïra vient-elle de fixer ses objectifs et ses limites que son estomac se met à gargouiller assez fort pour que les prédateurs des environs l’entendent. Son entrain et sa détermination s’évaporent alors en un claquement de doigts et la jeune femme se recroqueville aussitôt pour l’empêcher de faire autant de bruit.

« Manquait plus que ça ! » Rage-t-elle intérieurement.

Est-elle réellement prête à faire l’infaisable ? Elle a deux choix : soit aller en ville pour chercher de la nourriture, soit rester dans ce monde et manger une de ces créatures, ou bien une des plantes sans savoir si elles sont comestibles ou non…

Après une nouvelle réflexion, Moïra se tape le front du plat de la main : bien sûr qu’elle peut savoir si c’est comestible. Il lui suffit de les proposer aux bestioles qui vivent ici. Si l’une de ces créatures mange une fleur et ne meurt pas, c’est que cette fleur est potentiellement mangeable. Ça lui éviterait d’avoir à retourner dans cet endroit terrifiant, de se frotter à tout ce qui l’a pourchassée jusqu’à présent et ça lui permettrait de prendre un peu de temps pour se ressaisir avant de prendre enfin la décision de chercher quelqu’un qui puisse l’aider à sortir de là.

Finalement, manger les fleurs, c’est la meilleure idée qu’elle a pour le moment. Pourquoi ne pas essayer ? Après tout, au pays des Merveilles, Alice n’est pas morte d’avoir mangé n’importe quoi.

« Oui enfin c’est pas comme si ce monde-là était merveilleux… » Songe-t-elle en frissonnant.

Convaincue du bienfondé de son idée, Moïra se relève et décide de retourner chercher les fleurs sauvages qu’elle a pu apercevoir jusqu’ici. Il lui faut de longues minutes pour retrouver le petit chemin qu’elle s’est tracé entre certains champs d’herbes hautes d’où dépassaient des fleurs étranges, aucunement semblables à tout ce qu’elle a pu voir chez elle ou sur internet. Malheureusement, la jeune femme ne connaît rien aux plantes : elle n’a jamais eu la main verte et ne s’est jamais réellement intéressée aux fleurs. Il n’y a qu’à voir l’état de ses cactus misérables et tout jaunis qui font aller dans sa chambre de bonne. Même dans ses souvenirs d’enfance, les fleurs ressemblent presque toutes à des marguerites pour elle. Ya un cœur, des pétales et une tige. Jusqu’à aujourd’hui, ça lui suffisait. Jamais elle n’aurait cru que reconnaître une rose d’une tulipe lui sauverait la vie.

Une image lui revient en tête. Son père essayait de lui montrer de grosses fleurs jaunes-orangées. Que disait-il déjà ? Moïra lève la tête pour regarder le soleil poursuivre sa route au-dessus d’elle.

C’était une journée chaude et ensoleillée ; elle entendait les oiseaux chanter ; des abeilles, de gros bourdons et quelques coléoptères aventureux venaient se poser sur sa robe à froufrous arborant des motifs simplistes roses et rouges. C’était si rare quand sa mère acceptait qu’elle sorte pour voir la nature. Elle ne cessait de regarder autour d’elle, les yeux écarquillés. Alors qu’une coccinelle s’installait sur un motif de goutte rosée, la petite fille qu’elle était à l’époque posa le doigt non loin pour que l’insecte grimpe dessus tandis que son père essayait d’attirer son attention sur les plantes en racontant des faits insolites. L’éclat de la passion brillait dans son regard : Clovis adorait les fleurs. Pour lui, une fleur était un message, l’exposition du for intérieur d’une personne, le symbole d’un sentiment ou d’une valeur personnelle. On n’offrait pas une fleur à la légère, parler aux plantes était signe de douceur et de sensibilité, et à l’instar des hommes et des animaux, les plantes avaient leur propre caractère bien qu’il ne fut pas visible.

Et tandis que l’homme contait les bienfaits des plantes et leurs extraordinaires pouvoirs sur le corps et la psyché, la petite fille s’amusait à tendre la main vers le ciel pour laisser s’envoler la coccinelle, en faisant un vœu : « Je veux que ma musique soit encore plus belle que celle de papa, et du chant des oiseaux » se disait-elle sans écouter les paroles de Clovis.

En y repensant, elle secoue la tête. Comment a-t-elle pu être bête au point de ne jamais profiter des moments qu’elle passait avec lui ? Quand elle rentrera, elle lui proposera une balade, et il pourra lui raconter tout ce qu’il voudra sur les fleurs, les arbres, les buissons et même sur l’herbe. Pour l’instant elle se souvient seulement qu’elle avait gouté une de ces fleurs jaune-orangé et que même si elle n’en avait pas aimé le goût, son père avait assuré qu’elles étaient mangeables. Alors il ne lui reste plus qu’à trouver quelque chose qui y ressemble, non ?

Tout en surveillant la progression de l’astre diurne dans le ciel, la jeune femme s’évertue alors à arpenter la forêt et la colline où se trouve la maison, à la recherche des fleurs qui ressembleraient un tant soit peu à celles de son souvenir ; autant dire qu’elle doit trouver quelque chose avec une tige, des pétales et un cœur, dans les tons jaunes-orangés. Mais étonnamment, elle ne trouve aucune de ces fleurs. Il y en a des bleues, des blanches, des vertes, et certaines dont elle n’arrive pas vraiment à définir la couleur. Ces dernières sont énormes en comparaison des autres et dégagent une étrange odeur que Moïra ne saurait dire si elle l’attire ou la dégoute. La jeune femme évite de passer trop près de ces fleurs aux pétales éclatés dont l’assemblage ressemble à une femme aux mains jointes devant sa grosse robe de princesse.

Finalement, après un long moment d’errances et de recherches, Moïra jette un œil à la lumière déclinante et fait demi-tour les mains vides. Peut-être que des feuilles et de l’herbe suffiront à apaiser sa faim pour le moment. Après tout, pas mal de ruminants et d’herbivores en mangent, ça ne doit pas être bien compliqué. Même les chats et les chiens en mangent de temps en temps… alors tandis qu’elle retourne à la cabane, la jeune femme cherche parmi les arbres sur son chemin ceux qui lui offrent les plus belles feuilles, et les plus mangeables. Elle va même jusqu’à récupérer de l’écorce qui se décroche facilement de certains troncs.

« Si je m’en sors, j’achèterai un de ces livres qui expliquent comment survivre dans la nature… Et je promets de ne plus me moquer des survivalistes ! »

Une fois qu’elle a enfin franchi le seuil, elle écoute attentivement tout en laissant distraitement son regard se balader sur les planches de bois qui composent sol, murs et plafond. Pendant une seconde, elle réalise que la bâtisse est en meilleur état qu’elle le croyait. Le bois n’est pas si pourri, les murs pas si décrépits et le plafond pas si détérioré. Mais son observation est vite coupée par les bruits. Tout autour, dans les murs de la maison en bois, elle entend les petits pas feutrés des créatures qui hantent le bâtiment. Moïra frissonne.

_ Petits petits, entonne-t-elle doucement. Montrez-vous ! Tata Moïra ne vous veut pas de mal…

Un petit caquètement se fait entendre, la faisant sursauter. Une de ces choses velues apparaît soudain dans la jonction entre deux murs et Moïra sent son regard sur elle. Réprimant un frisson et le petit gémissement de dégoût qui remonte le long de sa gorge, elle tend une grosse feuille et la jette vers la bestiole.

_ Tiens, mange !

La feuille échoue plus loin dans le couloir avec un bruit creux, et si la créature a un vif mouvement de recul, elle revient assez rapidement pour s’y intéresser. Une petite série de claquements suit son observation mais au lieu de se jeter sur le morceau, elle se redresse vers Moïra qui tressaille.

_ Quoi, c’est du bon miam-miam ! Allez bouffe !

Pour toute réponse, la créature se recule avant de retourner se fondre dans les ombres, totalement désintéressée du morceau de bois mort qui traîne au milieu du couloir. A la voir partir, la jeune femme éprouve un sentiment d’apaisement à l’idée que cette araignée ne se soit pas jetée sur elle.

Néanmoins, Moïra doit se rendre à l’évidence : Elle n’a pas beaucoup de choix. Manger de l’écorce ou des feuilles peut être une solution, mais pas sur le long terme. Si elle part pour la ville maudite, elle devra passer par ce tunnel infernal alors que ses blessures ne sont pas guéries, d’autant qu’elle n’est pas sûre de trouver de la nourriture. Il lui a déjà été difficile de trouver de l’eau dans le laps de temps où elle y était, sans compter les monstres qui rôdent et qui risquent de la dévorer avant même qu’elle ait eu une chance. Vu l’état dans lequel elle est actuellement, elle ferait une excellente proie. Si elle ne trouve pas le chemin pour revenir ici pendant plusieurs jours, elle pourrait s’affaiblir et mourir de faim à moins qu’un de ces monstres ne la dévore avant… Si elle reste ici sans trouver la moindre nourriture, elle va devoir tuer une de ces créatures. Bien que ça ne soit pas le genre de choses qu’elle craigne vraiment, quand ce sont les autres qui le font dans les films ou les livres. Elle peut se dire que ça n’existe pas, que ce n’est pas réel.

Pour cette fois, il semble que tout soit réel. Et c’est elle qui ôtera la vie, portera le coup fatal, sera responsable d’une mort. Et même si ce n’est pas humain, même si ce n’est pas vraiment animal, même si ces choses boivent du sang, ce sont des êtres vivants. Est-elle réellement capable de faire la même chose que ce qu’elle a fait dans le tunnel contre arïoM ? D’autant que ça n’était pas voulu. Cette fois-ci, elle va devoir le faire en connaissance de cause et dans un but précis. Elle ne devra faire preuve d’aucune pitié.

Moïra tressaille à l’idée seule de toucher l’une de ces créatures velues ! Non, elle ne pourra rien faire aujourd’hui. Savoir qu’elle devra faire du mal à une créature lui donne la nausée.

Elle secoue la tête pour se reprendre : Pour l’instant elle n’est pas à l’article de la mort. Elle mangera des feuilles ce soir, et demain elle verra bien ce qu’elle fera. Dans ce monde de tranquillité se trouve, à portée de main, ce qui se rapproche le plus de ce qu’on appelle la viande. Elle devrait en profiter et prendre des forces avant d’affronter de nouveau la chose qui rôde dans le tunnel et avoir ne serait-ce qu’une infime chance de défier ensuite le Mordor et ses habitants.

[CF elle décide de dormir mais comme elle a peur des bestioles, elle va se réveiller à chaque fois qu’elle entendra du bruit…. BCP de bruit dehors, et on va même gratter à la porte. ]

Finalement, si elle opte pour la survie, le choix est simple. Elle ne le fait pas pour rire, elle ne le fait pas pour jouer. Elle le fait pour avoir une chance de rentrer chez elle. D’un seul coup, elle ouvre la porte de la maisonnette et se rue dehors.

_ Vous en voulez, de l’expérience sociale ? Demande-t-elle tout haut en regardant vers le ciel comme si elle s’adressait à une caméra pointée sur elle. J’vais vous en donner !

Puis, son balustre en main, elle retourne d’un pas décidé vers l’obscurité de la maisonnette en bois. Sur le chemin, elle découvre un énorme rocher allongé. Elle l’avait bien vu la veille, mais elle pensait qu’il était bien plus loin vers l’entrée du tunnel. Elle avait même hésité à s’y asseoir pour se reposer quelques minutes, mais à ce moment-là, elle était encore en pleine forme. Se rendant compte qu’elle manque encore de repaires, la jeune femme reprend sa marche du bon côté pour retrouver la demeure qu’elle a quitté quelques instants auparavant.

Il lui faut quelques minutes pour apercevoir enfin les murs décrépits du cabanon, et elle pousse un soupir soulagé. Tout en rejoignant les escaliers, puis en les gravissant, elle se repasse mentalement son plan. Tout d’abord, elle va fouiller dans tous les placards de cette cabane, même ceux des chambres, en priant très fort pour trouver quelque chose à manger.

Dans le cas où elle ne trouverait rien de comestible, et si elle tombe sur la grosse araignée, elle lui donnera un gros coup sur la tête, sans lui laisser le temps de lui cracher dessus, de la piquer ou de la mordre. Si jamais une des petites lui saute dessus, elle tape encore et encore jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une grosse pile de cadavres à ses pieds ! Après tout, si les bestioles ont un minimum d’instinct de survie, aucune n’essaiera de la manger en la voyant frapper l’une d’entre elles… Elle espère !

Alors qu’elle ouvre à nouveau la porte, elle entend les petits pas qui se précipitent ici et là, dans les zones d’ombre où elle ne peut rien voir. Elle tressaille. En réalité, elle n’a peut-être pas aussi faim que ça, elle peut sans doute se permettre de rater un jour ou deux. Un petit jeûne n’a jamais fait de mal à personne…

Son estomac montre sa désapprobation en grondant avec plus de ferveur encore, et elle ressent un léger vertige pendant un instant. Qui sait si elle est ici depuis un jour ou plusieurs ? Elle pensait avoir calculé correctement, mais peut-être que ce monde qui renferme plusieurs mondes lui ment depuis le début. Moïra sourit doucement en repensant aux mots de Fort Escort : le temps est une illusion, l’heure du déjeuner une double illusion.

Moïra secoue la tête et serre son arme improvisée entre ses mains, avançant un pas après l’autre dans la maisonnette en bois. Il lui semble que quelque chose a vaguement changé, mais elle ne saurait pas dire quoi. Peu importe. Elle entonne doucement, d’une voix aussi gentille que possible.

_ Salut les p’tites bêtes, c’est re-moi.

Evidemment, pas de réponse mis à part une nouvelle course vers l’autre côté du couloir, étouffée par les lattes du plafond. C’est au moins une réaction plus logique que celle qu’elle avait reçu dans le tunnel. Elle frissonne mais continue d’avancer, le balustre au-dessus de sa tête. Lentement mais sûrement, elle farfouille les pièces du rez-de-chaussée. Rien dans les placards, rien sous la parodie d’évier. Seulement de la poussière et des crottes. Prudemment, elle s’avance donc vers l’escalier.

_ Allez, venez voir tata Moïra… vous avez faim, pas vrai ? Ben moi aussi ! Alors me faites rien et priez pour qu’il y ait quelque chose à grignoter.

Après avoir grimpé jusqu’au premier, elle reprend sa fouille, redoutant de tomber à nouveau sur l’énorme chose arachnoïde qu’elle avait surprise en train de quitter l’armoire de la grande chambre. Mais elle ne la trouve pas, même après avoir fouillé les deux pièces vides. La chose a dû aller se dégourdir les pattes ? Peu importe, Moïra ne cache pas son soulagement, avant d’aller vers la salle d’eau, la seule qu’il lui reste à vérifier.

_ D-dites, bégaie-t-elle. Ça vous dirait... De sacrifier l’une des vôtres ? Si.. S-si vous le faites, je vous laisserai tranquilles…

« Mais qu’est-ce que je suis en train de faire ?! » Se demande-t-elle, le souffle court, avant de tendre la main vers la poignée. En se sentant hésitante, elle tente de se reprendre mentalement. « Allez, c’est juste des petites bêtes ! Rien à voir avec les molosses ou Sauron, et puis t’as besoin de manger ! Tu peux le faire… Et de toute façon, c’est elles ou toi ! »

Elle se repositionne correctement pour ne pas faiblir devant la marée qui pourrait la recouvrir, l’arme toujours en l’air, et prend une grande inspiration.

« C’est elles ou toi ! »

Ça y’est, elle ouvre vivement la porte et se met à frapper sans réfléchir, alors que la nuée d’insectes géants s’éparpille de tous les côtés, ne laissant plus que quelques retardataires ou blessés. L’un d’eux semble particulièrement mal en point, avec une patte arrachée. Moïra ne réfléchit pas et essaie de l’atteindre, mais la bête crisse et s’échappe en se traînant entre ses pieds. La jeune femme essaie de la frapper encore une fois avant de se mettre à la poursuivre dans tout l’étage, donnant des coups de sa massue improvisée qui rate l’insecte à chaque fois. Lorsqu’elle le voit se faufiler dans le placard de la chambre, elle l’ouvre en grand, exposant la petite créature à la lumière. La bête velue crie et se ratatine dans son coin. Moïra lève la masse au-dessus de sa tête, le regard rivé sur sa cible, mais l’idée même de toucher son petit corps mou lui provoque un haut-le-cœur et elle n’a pas le courage de la toucher. Non, elle ne peut pas. Elle n’arrive pas à se faire à l’idée de tuer une créature pour la manger.

Alors Moïra se rue vers les escaliers où grouillent toutes les autres bestioles, les enjambe comme elle peut, trébuche sur l’une d’elles et d’un bond maladroit et involontaire, dévale l’escalier en moins de temps que si elle l’avait fait en courant. Elle se réceptionne avec force au mur face à elle, contre son épaule blessée, lui arrachant un cri de douleur alors que l’une de ces choses s’accroche à sa jambe et la jeune femme utilise le mur pour se propulser comme un boulet de canon vers l’extérieur de la cabane, bien décidée à ne pas y rester une seconde de plus.

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