Chapitre 10 – Manger ou être mangé

12 minutes de lecture

Dans les films, tout est toujours plus facile. On ne voit que le moment où le héros réussi à allumer un feu, les heures qu’il passe à essayer de faire quelque chose sont passées sous silence, et heureusement ! Sinon, on s’ennuierait vite. Mais dans la réalité, ce n’est pas si évident.

_ C’est pas vrai, maugrée Moïra en jetant la troisième allumette qui vient de s’éteindre malgré ses tentatives désespérées de maintenir la petite flammèche en vie.

Elle a pourtant fait comme dans ses souvenirs : Elle avait passé quelques soirées dehors avec son père, et ce dernier lui avait montré comment faire un feu en quelques actions. Des brindilles sèches sous un petit tas de branchettes mortes, et par-dessus tout ça, quelques morceaux plus gros. Bien qu’elle n’ait pas trouvé grand-chose dehors, elle pensait que ce serait suffisant pour que les flammes prennent. Sa première allumette a tout juste eu le temps de prendre feu avant de s’éteindre aussitôt. La seconde s’est cassée lorsqu’elle l’a grattée, alors qu’elle n’avait même pas appuyé très fort. Et voilà que celle-ci vient de brûler en un éclair la totalité des brindilles sans même réchauffer les branches ni créer la moindre braise.

La jeune femme pousse un gros soupir frustré avant de se retourner, et de sursauter vivement en remarquant quelques petits arachnides curieux l’observer du coin de la pièce. Ils n’ont pas l’air de lui en vouloir d’avoir tué l’un des leurs. En fait, ils n’ont même pas l’air de comprendre ce qu’ils font là ni ce qu’ils sont. Pendant une seconde, Moïra se dit qu’elle n’a qu’à en attraper un autre, le croquer et sucer son sang comme les autres. Mais l’idée la fait frissonner, alors elle ressort et va chercher de nouvelles brindilles à brûler. Elle refuse de se laisser abattre.

Cependant, ce n’est qu’à sa cinquième tentative que le feu prend enfin, et que quelques branches finissent par brûler. Moïra est tellement fière qu’elle entame une danse de la victoire, seule au milieu des bestioles velues qui l’observent en poussant de petits roucoulements.

Au bout de quelques minutes, des flammes s’élèvent dans l’âtre de la cheminée, donnant à la jeune femme la force de faire ce qu’elle redoute depuis le début. Moïra se lève et se tourne vers les créatures qui sont encore assez stupides pour rester là, se saisit de son arme et s’apprête à frapper… Quand elle entend un cri aigu venant du conduit de la cheminée. Les petites bêtes s’enfuient immédiatement en entendant ce cri prendre de l’ampleur pour se transformer en hurlement strident. Il est clair que quelque chose se trouve dans le conduit et soit en train de brûler à cause du feu qu’elle vient d’allumer ! Et si c’était quelqu’un ?! Bravant sa peur, Moïra s’approche à nouveau et malgré les cris déchirant, elle appelle :

_ V-vous avez besoin d’aide ?

Imbécile ! Se dit-elle. Evidemment qu’il ou elle a besoin d’aide !

_ Euh… Je.. Je vais vous aider !

Elle s’approche du feu qu’elle a mis tant d’efforts à préparer sans parvenir à se décider à l’éteindre. Mais sitôt qu’elle est trop près, la chaleur lui brûle le visage et elle recule précipitamment avant d’essayer une nouvelle approche. D’un coup de bâton, elle tape sur les buches, elle tente de les faire rouler, elle les repousse vers le fond de l’âtre. Mais rien n’y fait. Coincée dans le conduit, ça continue à crier, sans qu’elle sache de qui ou de quoi il s’agit, jusqu’à ce qu’une petite masse vienne tomber directement sur les branchages enflammés, arrosant les alentours de braises rougeoyantes. Moïra se recule vivement et s’époussète les jambes où se sont écrasés quelques morceaux incandescents. La jeune femme essaie à plusieurs reprises de sortir la chose du feu qui ne s’éteint pas, mais le temps qu’elle y parvienne, cette créature au milieu a cessé de bouger. Une odeur de chair brûlée et une épaisse fumée noire envahissent la pièce, attirant inéluctablement les énormes poux velus.

Se couvrant la bouche et le nez du mieux qu’elle peut, Moïra va immédiatement ouvrir la fenêtre pour laisser s’échapper la fumée, très vite remplacée par un peu d’air frais. Après avoir pris quelques inspirations, la jeune femme revient observer avec horreur ce qui finit de griller dans le feu qu’elle a mis tant d’efforts à allumer. Dans le même temps, elle essaie d’éloigner les bestioles impatientes en donnant des coups de bâton dans le vide, mais ces dernières restent. Certaines bondissent même en avant, la faisant reculer contre le mur où se trouve la cheminée.

_ Allez-vous-en ! Crie Moïra en donnant des coups de son balustre dans les airs, le faisant chuinter.

Mais à l’odeur de la viande grillée, les créatures sont hargneuses et quelques-unes répondent à ses cris et à ses attaques par des claquements et des crissements. Pourtant, aucune n’est assez courageuse pour s’approcher assez du feu. Comprenant peut-être qu’elles ne peuvent atteindre ce met, les petites bêtes finissent par rejoindre les coins de murs qu’elles avaient quitté pour l’observer en cliquetant.

Quant à Moïra, malgré la peur, la honte et le dégout d’avoir vu cuire un être vivant sans pouvoir le sortir de là, son estomac se met à gronder furieusement. L’eau lui monte à la bouche quand elle sent l’effluve de viande qui se dégage de la bête grillée. Elle se décide enfin à utiliser son balustre pour soulever et sortir cette chose du feu. Après quelques longues secondes de galère, elle parvient enfin à le sortir, et l’animal tombe sur le sol devant l’âtre, figé comme une statue. C’est petit, sa queue jadis fournie n’a plus de poil, et toute sa peau cramoisie lui donne des airs de rat, ou d’écureuil.

_ Alors il y a des animaux ici ?

Celui-ci s’était sans doute réfugié là parce que c’était le dernier endroit où iraient les arachnides… Et à cause de Moïra, il est mort. La jeune femme se penche sur le rongeur carbonisé et même s’il risque de ne pas être particulièrement bon notamment à cause des poils collés à la chair, elle lui dit doucement :

_ Désolé petit. J’espère que tu n’as pas trop souffert et que tu es au paradis des rats, ou des écureuils. Ou que tu t’es réincarné en un animal beaucoup plus fort pour pouvoir te battre et survivre. Mais merci pour ce repas…

Même si elle doute que ce soit un plat digne d’un restaurant cinq étoiles, elle a si faim que ce sera officiellement le plat cinq étoiles du Moïra Center ! Elle frotte les poils grillés pour tenter de les faire tomber, mais comme ça n’a pas beaucoup d’effet, elle abandonne et se contente d’attraper l’animal encore brûlant et de croquer dans sa chair à pleines dents !

Malgré ses morceaux carbonisés, les quelques cendres qui sont restées collées à sa chair et au pelage parfois encore intact, Moïra n’avait encore jamais rien mangé d’aussi délicieux. Elle se doute que c’est la faim qui lui fait autant apprécier ce qu’elle mange, mais elle ne se laisse pas prier.

Il ya bien une ou deux créatures qui s’approchent d’elle plus que les autres pour quémander, et l’une d’elles a même le culot de poser une de ses pattes velues sur le genou de Moïra pour essayer de lui chiper un morceau, mais la jeune femme a si faim qu’elle défend sa prise bec et ongles, n’en laissant que les os qu’elle tend aux poux. Ces derniers ne se font pas prier, et c’est toute une horde qui se rue sur les restes pour les manger avidement tandis que Moïra retourne près du feu pendant quelques instants. Maintenant, elle doit tout faire pour qu’il ne s’éteigne pas.

Tandis qu’elle se réchauffe doucement les mains, la jeune femme se rend compte qu’elle a fini par se faire une place dans ce monde. Par chance elle a trouvé de quoi faire du feu, et elle a réussi ! Si elle était croyante, elle estimerait sans doute que c’est un dieu qui la récompense de ses nombreux efforts. Mais qu’importe au final, puisqu’elle les a quand même fait, ces efforts, et que ce soit par un dieu, le destin ou juste l’univers, elle a été récompensée ! Alors c’est elle-même qu’elle doit remercier et féliciter pour avoir réussi à surmonter ce que ce monde a mis en travers de son chemin. Maintenant, elle n’a plus qu’à rentrer chez elle.

La diminution drastique de lumière sort Moïra de ses pensées, et la rousse se rend compte que le soleil est déjà caché derrière les arbres. Elle se redresse donc et va vérifier que toutes les fenêtres sont bien fermées. Elle quitte un instant la maison pour aller prendre quelques branchages supplémentaires, dans l’espoir de ne pas avoir à s’en servir. Puis elle bloque la porte d’entrée avec son balustre, avant de se raviser et d’aller en chercher un autre sur le perron de la maisonnette en bois : elle ne voudrait pas bloquer la porte avec la seule arme qu’elle pourrait avoir en sa possession. En cherchant quel autre balustre serait brisé, la surprise de Moïra est grande quand elle se rend compte que plus aucun n’est cassé ou même désaxé. Elle aurait pourtant juré que le perron était en très mauvais état la première fois qu’elle est venue. C’est peut-être parce qu’elle-même était assez fatiguée, lorsqu’elle est arrivée pour la première fois ici.

Après avoir entièrement vérifié le perron, la voilà bête, les bras ballants et dans l’une de ses mains son balustre. Aussi fou que ça paraisse, elle ne sait même plus où il se trouvait puisqu’aucun ne manque.

Un grondement lointain tranche net ses réflexions et ses interrogations. Moïra secoue la tête avant de quitter la maisonnette et va récupérer en vitesse quelques branches qui pourrissent çà et là. Son épaule lui fait encore mal, et elle grimace à chaque fois qu’elle doit étirer le bras. Mais elle s’efforce de ne pas faire trop de bruit pour éviter d’attirer l’attention et sitôt les bras chargés de bois, elle se rue vers la maison et pousse la porte pour s’y engouffrer. Une fois à l’intérieur, elle ferme d’un coup de fesse avant d’aller rapidement à la salle de la cheminée pour y déposer son bois.

Comme elle n’est plus éclairée que par son feu, les ténèbres de la pièce donne avantage aux créatures que Moïra ne discerne plus très bien tandis qu’elle les entend cliqueter entre elles. La jeune femme se saisit de son arme improvisée pour la tendre devant elle et tente de les chasser en frappant le vide. Elle donne aussi quelques coups au sol mais aux cris qu’elles poussent, les bestioles n’ont pas l’air très effrayées. Les mains de Moïra se mettent à trembler à l’idée qu’elle va passer la nuit cernée par ces bestioles. Si seulement elle se trouvait une cachette tranquille pour passer une vraie bonne nuit à défaut d’avoir eu un vrai bon repas…

Le grincement du bois au-dessus de sa tête lui rappelle qu’il y a une chambre à l’étage, dont le placard est encastré dans le mur et les portes coulissantes. Elle pourrait s’y glisser. Aucune créature ne viendrait troubler son repos ! Si un monstre a la mauvaise idée de venir, il devra bien la chercher s’il veut la manger.

Plutôt fière de son idée, la jeune femme prend une grande inspiration et récupère une petite branche au bout incandescent pour s’éclairer à travers le couloir, sans pour autant lâcher son balustre – il faudra qu’elle lui trouve un nom s’il l’accompagne partout où elle va !

Sur son chemin, les énormes poux s’écartent mollement avec leurs propres bruissements, dont chacun lui arrache un frisson d’angoisse. Arrivée aux dernières marches, sa progression prudente se transforme en petite course pour arriver au plus vite à la chambre, qu’elle observe finement avant d’y entrer. Malgré le nouveau rugissement de la forêt qu’elle perçoit dans la nuit, bien plus proche que le précédent, elle parvient à s’approcher de la fenêtre pour l’ouvrir avant de se rapprocher du placard mural. Plaquée contre le mur, elle tend son arme et cogne contre la porte coulissante. Un petit grincement répond à ce geste, la faisant tressaillir, mais rien de plus.

Alors elle pousse d’un coup la porte coulissante pour la fermer, avant de se mettre à frapper plusieurs fois de toutes ses forces. Au rez-de-chaussée, elle entend les créatures qui réagissent mais ce n’est rien comparé à l’intérieur de ce placard qui se met à vibrer si fort qu’il semble sur le point d’exploser. Elle ouvre le placard avant de se reculer vivement, prête à frapper si l’une des araignées géantes vient à elle.

Les créatures qui sortent du placard sont trois fois plus grosses que les poux qu’elle vient de nourrir, mais en suivant leur instinct linéaire, plusieurs s’enfuient par la fenêtre que Moïra a ouverte. D’autres s’échappent vers le couloir mais, sur le moment, Moïra s’en moque. Elle se concentre sur l’idée de rester prête à se défendre et de ne surtout pas s’enfuir. Pas maintenant qu’elle a eu le courage de chasser les indésirables. Dehors, un nouveau barrissement non loin de la maison répond à son geste et elle comprend alors son erreur d’avoir fait autant de bruit. Elle referme rapidement la fenêtre et retourne près du placard, sa branche roussie tendue devant elle pour essayer d’y voir. Lorsqu’elle souffle doucement dessus, le bout de sa branche s’illumine un peu, éclairant l’intérieur du placard d’une lumière rosée. Pas la moindre araignée géante, pas le moindre pou.

A présent qu’elle s’est assuré que l’endroit est vide, Moïra s’y installe en poussant un soupir de soulagement. Elle s’assied en tailleur, son arme contre elle et l’autre morceau de bois encore dans la main, éclairant faiblement l’intérieur de son nouveau nid. Mais à peine a-t-elle fermé derrière elle que le grincement de la porte d’entrée au rez-de-chaussée lui arrache un nouveau frisson d’angoisse et la fige, les yeux écarquillés. Quelqu’un est entré dans la maison.

Quelqu’un ou quelque chose.

Moïra n’ose plus bouger un cil. La main encore sur la porte de son placard, elle retient son souffle tandis qu’en bas, des pas lourds font craquer le bois, accompagnés d’un long grondement saccadé. Pendant une seconde, ce bruit est accompagné de l’image du spinosaure de Jurassic Parc 3, un des films qu’elle aime regarder une ou deux fois tous les ans.

Oui, mais là, ça n’a rien de plaisant. Ce n’est pas un film et elle n’est pas derrière un écran. Que ferait un portant aussi fragile face à un véritable DINOSAURE ? Elle qui était si sûre de son idée il y a seulement quelques minutes, commence à douter que sa cachette soit réellement efficace. Quelle imbécile ! Elle est coincée ici, dans un espace aussi réduit, sans la moindre possibilité de fuite et sa seule arme se résume à un balustre !

Les pas et le grondement progressent dans la maison, dans le couloir. Moïra sait que, si elle fait le moindre mouvement, le plancher trahira sa position. Elle ne peut pas fuir. Si le monstre est aussi énorme et féroce que le suggère son roucoulement et ses pas, elle n’a aucune chance en cas d’attaque. Tout ce qu’elle peut faire, c’est rester immobile en espérant qu’il n’ait pas un odorat de limier ni une ouïe de chauve-souris. Alors elle s’efforce de ne pas trembler, contraint sa respiration à être aussi calme et lente que possible et ne retire même pas sa main du battant de son placard au cas où ça ferait grincer le bois. Le bout incandescent du bâton qu’elle tient de sa main libre grésille légèrement et la jeune femme ferme les yeux dans l’espoir que le bruit s’arrête rapidement ou soit trop faible pour être entendu depuis l’extérieur de son abri.

La chose énorme arrive au premier étage où elle se trouve, et elle entend le concert de claquettes des poux qui fuient un potentiel agresseur.

« Bouffe-les plutôt que moi ! » pense Moïra comme une prière adressée à ce monstre. « Ils sont vachement plus appétissants ! »

Mais sitôt qu’elle entend le bois craquer dans la chambre où elle se trouvait seulement quelques instants auparavant, même ses pensées se taisent. Le grondement saccadé du monstre se fait moins fort au profit de sa respiration. Il renifle à la recherche de traces olfactives ! Moïra laisse le battant de son placard pour poser sa main sur ses lèvres et retenir ainsi tout bruit incongru qui s’extirperait de sa gorge. Le souffle de cette chose est si puissant que Moïra se demande un instant comment il a fait pour tenir dans la pièce. Le battant est pris de tremblements tandis que le monstre semble coller son énorme museau dessus. La main de Moïra se plaque plus fort contre ses lèvres pour s’empêcher de gémir de peur alors que, derrière, ça cherche, ça remue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rena Circa Squale ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0