Chapitre 12 – Back in black

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Il a fallu trois jours et trois nuits pour que Moïra s’en remette. Trois jours pendant lesquels elle n’a pas su se résoudre à quitter la maison, trois jours qui ont vu se succéder les allers-retours aux toilettes pour vomir, les crises de panique, les paroles lancées en l’air sans qu’elle-même ne sache si elle voulait atteindre une quelconque entité, les pleurs et les moments d’abattement où, assise par terre comme un enfant en intense réflexion au milieu de ses jouets, la jeune femme se contentait de regarder la vitre de la chambre. Dans ces moments-là, des pensées troubles lui venaient à l’esprit. Est-elle réellement capable de quitter cet endroit ? Y a-t-il le moindre espoir, même infime, de s’échapper de ce monde ? Non, dehors il n’y a rien pour elle, que de la souffrance et de la misère, que de la faim et de la douleur, que de la haine et de la torture. Elle n’est jamais arrivée à rien dans la réalité, qui dit qu’elle parviendra à quoi que ce soit dans ce monde macabre ?

Au matin du quatrième jour, Moïra ne ressent plus la même douleur vive qu’elle avait à l’épaule. Ses courbatures sont presque toutes effacées. C’est comme si, physiquement, les évènements des jours passés n’étaient jamais arrivés, comme si elle avait tout imaginer. Elle se souvient pourtant très bien des visites nocturnes du crieur, de la terreur indicible qu’elle avait ressenti, des bestioles effrayées qui s’étaient cachées avec elle. Si son corps commence à oublier peu à peu, son esprit a été marqué au fer rouge de ces moments d’horreur, d’angoisse et de dépression. Elle voudrait presque rester ici encore, ne plus jamais sortir de cet endroit où elle est en sécurité, quitte à mourir de faim. Mais il y a cette petite étincelle en elle qui lui supplie de rentrer, qui veut revoir ses parents, qui veut jouer de la musique, qui veut revoir, au moins une dernière fois, de vrais oiseaux s’envoler vers de jolis nuages pâles.

Mais quelques notes de musique lui reviennent. Le rêve où elle était une de ces bêtes reprend forme tandis qu’elle entend à nouveau les accords sur une guitare folk, son cœur bondissant de joie entre ses côtes. Quelque part dans ce monde désolé, se trouve une guitare. La même que celle qu’elle avait avant de se retrouver ici. Elle reconnaitrait les sons entre mille instruments. Quelque part, entre cette vallée et la ville maudite, SA guitare l’attend. Sa compagne de toujours, qui l’a soutenue quand elle allait mal, qui l’a encouragée quand elle était heureuse, qui l’a félicitée à chaque pas qu’elle faisait dans la bonne direction. Oui, Moïra sait qu’elle n’arrivera jamais à rien. On lui a suffisamment répété. Toujours est-il qu’elle est encore en vie et s’il y a une chance, la plus petite qui soit, de retrouver sa guitare, elle va tout faire pour la récupérer.

Moïra redescend au rez-de-chaussée pour découvrir, évidemment, le feu éteint. Ça fait trois jours qu’elle n’est pas revenue l’alimenter, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il brûle des buches invisibles. En se rapprochant, cependant, elle découvre ce qui ressemble à une barre en fer, dans le fond de l’âtre. Bien qu’elle galère un peu à le récupérer, c’est bien un tisonnier qu’elle ressort d’entre les cendres froides. Comment a-t-elle fait pour ne pas le voir ? Ça c’est une arme bien plus intéressante que son gros balustre.

Le sourire aux lèvres, sa nouvelle arme en main et ses deux sacs en toile en bandoulière, Moïra quitte la cabane, parcourt la forêt le plus discrètement possible et rejoint le tunnel, qu’elle traverse sans l’ombre d’une hésitation. Derrière elle, les respirations bulleuses et aqueuses d’arïoM qui prend forme au moment où elle passe la porte qui mène à la sortie.

Une fois la porte supplantée du faux panneau de sortie close, Moïra tend l’oreille. Cette fois-ci, avant de quitter le bâtiment, elle va fouiller dans tous les étages. Bien consciente qu’il risque d’y avoir des créatures, elle se fait aussi discrète que possible. Elle tâtonne dans cette demi-obscurité et s’appuie contre le mur sur sa gauche pour retrouver les escaliers qui mènent aux étages supérieurs. A chaque fois qu’elle voit quelque chose, par un reflet ou des contours faiblement dessinés, elle s’arrête net et attend quelques longues secondes avant de s’approcher, n’hésitant pas ensuite à empiler méticuleusement ce qu’elle trouve et qui ne lui servirait à rien. De temps à autres, elle aperçoit un fragment de la lumière diffusée par le monstre cyclopéen qui déambule parmi les immeubles. Mais pour le moment, aucun signe des grandes bêtes velues et noires.

S’efforçant de ne compter que sur les faibles lueurs du dehors pour s’orienter, de ne pas penser aux énormes molosses et de faire attention au moindre bruit suspect, Moïra continue son expédition. Ça lui permet notamment de trouver une bouteille d’eau, deux feutres noirs et un paquet de cigarettes à moitié vide. Moïra ne fume pas mais si elle devait envisager de troquer des renseignements ou de l’aide, ça lui serait bien utile.

Après avoir atteint ce qu’elle a compté comme étant le dixième étage, elle s’autorise une pause de quelques minutes. Elle en profite pour prendre une grande gorgée d’eau. Elle en avait besoin ! Appuyée contre un mur, elle se surprend même à imaginer ce qu’aurait dû ou aurait pu être cet endroit avant de se trouver à l’abandon et à la merci de toutes les bestioles du coin. Que s’est-il passé ici ? Qu’est-ce qui a plongé cette ville dans un tel chaos ?

Un bruit sourd dans la ville, à seulement quelques rues de là, la fait bondir sur ses pieds d’un seul coup. C’était quoi ? Un cru ? Un coup de feu ? Soudain concentrée sur les bruits alentours, Moïra entend des grognements et un bruit de course non loin de l’immeuble où elle se trouve. Puis des cris de panique et de terreur retentissent. Des appels à l’aide. Une vraie voix humaine !

Là, en contrebas dans la rue, un être vivant, de chair et dos, avec deux bras, deux jambes et une tête, poussé par la peur, hurle sans tricher sur sa nature. Moïra n’est pas seule !

Mais elle se reprend vite : dans le silence des environs, ses cris risquent d’attirer l’attention de pire que les molosses. Moïra voudrait répondre à son appel, lui dire de venir, mais elle a si peur qu’on la remarque aussi ! Elle se rue à la fenêtre de son étage et scrute la rue d’où elle se trouve. En bas, elle voit courir cinq ou six formes, mais parmi elles combien de créatures ? Il semble qu’une seule de ces ombres soit terrifiée. Moïra n’a aucune arme pour venir en aide à ce malheureux, comment faire pour qu’il se mette à l’abri sans avoir à se mettre en danger ?

Prenant son courage, Moïra essaie d’appeler, mais au moment où elle ouvre la bouche, un rugissement si terrible qu’il en fait trembler les bâtiments. Une lumière effroyable se tourne vers son bâtiment et l’illumine, laissant apparaître presque une dizaine de formes humanoïdes. Mais une seule reste dans le faisceau lumineux tandis que toutes les autres s’éparpillent dans les recoins sombres. L’homme se tourne vers la source de la lumière, se cachant le visage d’une main. Au bruit de grincement qu’émet la chose titanesque, il recule un peu mais n’a pas le réflexe de fuir.

_ Déjà les secours ? Demanda-t-il.

C’est plus fort que Moïra et elle finit par intervenir :

_ FUYEZ ! Crie-t-elle à son intention. Partez !

L’homme se retourne pour tenter d’observer dans sa direction mais dans un premier temps, ébloui par la lumière, il ne voit rien. Au grand dam de Moïra, cette dernière aussi se tourne vers elle pour l’inonder à son tour. Alors qu’elle se traite d’imbécile, l’homme reprend.

_ Vous avez dit quoi ?

Le titan se rapproche, sa lumière basculant de nouveau sur l’inconnu. La jeune femme recule d’un pas en voyant tous les molosses au sol faire un cercle parfait autour de lui dans la pénombre. Elle désespérait de trouver un être humain coincé ici comme elle, et le premier qu’elle trouve est à deux doigts d’y passer ! S’il ne fait rien, il va se faire bouffer à coup sûr !

_ COUREZ ! Crie-t-elle de nouveau.

La lumière oscille jusqu’à elle et la fige, avant qu’elle n’entende un grognement de contentement en direction du sol, que le colosse fixe à nouveau. Encore aveugle, Moïra n’a que le temps de discerner une forme au cœur du cercle blanc-jaunâtre du géant, avant d’entendre un bruit macabre qu’elle n’a pas envie de décrypter. La masse ainsi happée est ramenée vers la lumière dans un dernier gargouillis sous les yeux terrifiés de la jeune femme.

Moïra laisse échapper un gémissement mais soudain, la lumière revient sur elle. Son sang ne fait qu’un tour avant qu’elle ne détale vers l’escalier sous le projecteur géant qui gronde vers elle. Les fenêtres volent en éclat à l’unisson. Une onde de choc la bouscule vers sa destination alors que l’immense lance qui sert de griffe au monstre gigantesque se plante dans le sol juste derrière sa cheville. L’immeuble est secoué de part en part, alors qu’elle descend les marches quatre par quatre. Jamais elle n’a été aussi rapide. Mais elle déchante bien vite en entendant quelques glapissements en bas : au moins un des monstres se trouve en bas. Si ce n’est pas cette chose colossale, c’est un de ces molosses qui l’aura !

Moïra cherche alors une porte, un placard, n’importe quel meuble qui pourrait la cacher et où elle n’aurait rien à craindre. Pendant quelques secondes, elle se déteste d’avoir eu l’audace de quitter sa petite cabane qui comportait au moins un verrou ! De toute façon, entre les secousses et les tremblements, il est impossible de chercher quoi que ce soit.

Moïra s’efforce de traverser le bâtiment pour aller à l’opposé du monstre gargantuesque, elle entend des grincements douloureux. Une fois de l’autre côté, elle aperçoit une passerelle en fer reliant son bâtiment à celui d’à côté et qui se tord dans tous les sens. Alors elle s’élance, aussi agile qu’une gymnaste, traverse le pont en fer qui achève de se tordre dans une avalanche de poussière et de débris. Elle s’en extirpe in extremis et rejoint le bâtiment suivant tandis que le précédent est réduit en miettes et s’effondre derrière elle dans un rugissement de douleur.

Le bruit assourdissant est bientôt supplanté par un nouveau hurlement que Moïra commence à connaître et qui l’aurait figée sur place si elle n’avait pas eu un instinct de survie.

Dans le nouveau bâtiment, la jeune femme court à en perdre haleine jusqu’au rez-de-chaussée, saute les marches d’escalier trois par trois – plus, ce serait suicidaire, moins ce serait stupide – mais sa descente lui paraît une éternité.

Se dirigeant maladroitement à cause des nouvelles secousses, elle parvient à atteindre le sous-sol et son faux panneau de sortie, ouvre la porte en trombe et se réfugie derrière en la faisant claquer.

Lorsqu’elle se retrouve dans le noir, la jeune femme reprend son souffle un instant avant de s’interroger. Ça ne ressemble pas du tout au tunnel qui l’emmène à la forêt.

Sol et mur sont recouverts de carrelage clair et sur sa droite, il y a un cours d’eau. Il est clair qu’elle n’est pas dans le tunnel où elle a failli y laisser la vie pour la première fois. L’endroit ressemble à un égout mais l’odeur de chlore qui la prend à la gorge lui fait penser à un genre de piscine souterraine. Moïra ne peut pas retenir une quinte de toux mais s’arrête par réflexe en entendant l’écho intense qui se répercute sur les parois de ce couloir sans fin. Sur le qui-vive, elle reste sans rien faire, avant de comprendre qu’elle n’a rien à craindre. Alors elle entame sa marche.

Le bruit de ses rangers qui claquent sur le sol se répercute ça et là en vibrations sonores. Si elle voulait se faire discrète, c’est pas ici qu’elle le pourra. D’ailleurs, même si le tunnel est long et si, pour le moment, elle n’entend que ses propres pas, la jeune femme a l’impression d’avoir été suivie et que d’autre pas se superposent aux siens. Alors, de temps en temps, elle s’arrête pour regarder derrière puis devant, ou marche plus vite pour tenter de déstabiliser ce qui la pourchasse. Mais au final, elle semble toujours être seule.

Peu à peu, la tension s’accumule en même temps que la fatigue et Moïra finit par avoir soif. Une fois de plus, elle regarde autour d’elle puis se penche sur l’eau pendant quelques secondes. Si l’odeur est déjà insupportable, elle se demande combien de litres de chlore on a bien pu verser là-dedans pour que l’odeur lui irrite autant les yeux et la gorge, et que l’eau soit si claire et d’un bleu électrique troublant. L’onde en paraît presque irréelle, artificielle. A force de la regarder, il semblerait que quelque chose vive là dedans, qui provoque quelques remous sans pour autant être discernable. La jeune femme discerne également à sa surface une légère pellicule de microbulles. Moïra ne voulait pas gaspiller l’eau de ses bouteilles, mais est-ce réellement une bonne idée de boire celle-là ? Tout tend à prouver que c’est littéralement du poison qui se trouve là dedans, mais Moïra veut quand même essayer de plonger la main.

Mais à peine la manche de son blouson en cuir effleure-t-elle la surface qu’une épaisse fumée accompagnée d’un chuintement typique d’une brûlure par l’acide. Moïra se recule vivement et le tissu entre en contact avec la peau de son poignet, qui commence à lui brûler aussi. Sans réfléchir, Moïra retire vivement sa veste pour la jeter par terre et se tenir le poignet. La douleur est vive et l’eau lui ronge le poignet, lui arrachant un gémissement de douleur et gravant une marque rose vif là où l’acide s’est déposé.

_ Tu m’étonnes que personne vive ici ! Grince-t-elle.

Les carreaux de ce tunnel, cependant, ne semblent pas réagir à ce liquide. Au bout d’un moment, la jeune femme enroule le sac en toile vide autour de son poignet, remet son blouson et reprend sa route, n’hésitant plus à prendre sa bouteille pour y boire.

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