PRÊTE À TOUT

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LÀ-BAS

Je te sais si fragile parfois

La vie ne m’a pas laissé le choix

PRÊTE À TOUT

J’ai reçu les cassettes du fameux guérisseur brésilien avec l’impatience et l’excitation que l’on devine. Après les avoir visionnées, j’ai, alors, véritablement repris espoir. Puis, je les ai montrées à des amis qui m’ont tous conseillé de lui rendre visite, faute de quoi je culpabiliserais et regretterais toute ma vie de ne pas avoir tout essayé.

J’ai alors présenté ces vidéos à mes parents. Comme moi, ils ont trouvé que c’était presque magique. Les témoignages étaient stupéfiants.

Lorsqu’on se trouve dans une situation gravissime, plongée au plus profond du désespoir, on a forcément envie d’y croire. Pour moi, c’était clair : pour sauver maman, il fallait tenter le tout pour le tout. Je me disais qu’à défaut de guérir, au moins, elle aurait fait un merveilleux voyage avant de quitter cette terre. Je n’y voyais aucun mal.

Cela dit, j’étais à nouveau embourbée dans l’urgence. Il n’y avait pas une seconde à perdre.

Par bonheur, il restait quelques places disponibles sur Air France pour un vol Paris-Brasília via Rio de Janeiro. Un vrai parcours du combattant pour nous qui n’avions jamais pris l’avion. En effet, on ne parle pas couramment le français au Brésil, il fallait changer d’avion à Rio et, pour corser le tout, mes parents ne connaissaient aucune langue étrangère ! Avec le recul, c’était de la folie… Mais quand faut y aller, faut y aller !

Je l’avoue, j’ai dû insister auprès de mes parents, mais ils ont fini par accepter. Je me suis alors demandé s’il était judicieux de les laisser voyager seuls ou si je devais les faire accompagner par ma sœur. En ce qui concerne mon frère, la question ne se posait pas : je savais qu’il refuserait. Comme je « baragouine » un peu en anglais et en espagnol, je me suis décidée à leur servir de guide et j’ai introduit nos demandes de passeports.

Je savais qu’un groupe de Français partait également à la rencontre du guérisseur, fin octobre, mais il était complet. Je me suis dit que nous pourrions le rejoindre sur place. Pour le trajet, eh ! bien nous nous débrouillerions.

Ce voyage accaparait nos pensées, mais il était tout aussi urgent de programmer l’intervention pour enlever la tumeur. Malheureusement, comme il s’agissait d’une tumeur rare, l’hôpital rencontrait d’immenses difficultés à trouver un chirurgien compétent. Pendant ce temps, maman souffrait toujours autant.

Finalement, ils ont déniché la « perle rare » qui nous confirma la nécessité d’opérer. Dans un premier temps, ce chirurgien planifia l’intervention pour fin octobre/début novembre, mais, compte tenu de notre voyage au Brésil, il postposa l’opération d’une dizaine de jours.

Je savais que les Hommes de Science ne pourraient rien faire. Je ne baissais pas les bras pour autant ; toutes les solutions, jusqu’à la dernière, devaient être envisagées. Voilà pourquoi je fondais autant d’espoirs dans ce voyage de la dernière chance. Éduquée dans la foi chrétienne, j’étais persuadée que Dieu – ou le hasard de la Vie – avait doté certains êtres de véritables dons. Grâce à leurs pouvoirs, ces personnes faisaient le bien, faisaient du mal… ou ne pouvaient parfois rien faire du tout. En tout cas, pour moi, il ne faisait aucun doute que le monde abritait des hommes pourvus d’un don de guérison.

Alors, pourquoi ne pas tenter l’inexplicable ? J’étais persuadée que le Seigneur ne laisserait pas maman partir dans des douleurs atroces à cause d’un cancer. Je savais également que certaines maladies étaient incurables. Ma sœur, mon frère et moi-même étions atteints d’une maladie génétique, sans espoir de guérison. Mon seul espoir consistait à m’en remettre à Dieu.

Le jour J, le TGV nous mena à l’aéroport, un complexe immense, un dédale d’escaliers et d’interminables couloirs ! L’angoisse… De plus, il s’agissait d’un vol de nuit. Fort heureusement, lors de l’enregistrement des bagages, l’embarquement de mon fauteuil eut lieu sans encombre.

Nous avons pris place dans la carlingue et, à l’occasion de leur premier vol, mes parents ont eu droit au champagne. Ils ont même eu le privilège de visiter le cockpit.

Durant ce vol interminable, nous avons tous été surpris de la qualité du repas et des prestations. Nous découvrions un univers incroyable, nous venions surtout d’entreprendre une sacrée excursion ! De mon côté, je surveillais le comportement de maman. Sa tumeur la faisait visiblement souffrir. Elle éprouvait de plus en plus de difficulté à rester assise. Cela me peinait beaucoup.

À un moment donné, voyant que je n’arrivais pas à fermer l’œil, une hôtesse de l’air m’a apporté un sandwich au saumon et une glace. Cet en-cas provenait sans doute de la zone « première classe ». Plus tard, avant d’atterrir, cette même hôtesse m’a également offert une trousse. J’ai accepté ce présent comme un geste empli de sollicitude, même s’il me rappelait avec une certaine amertume nos conditions de souffrance et notre différence aussi visible. Toutefois, ce geste de compassion m’a touchée.

Arrivés à Rio, nous avons à nouveau arpenté d’interminables couloirs. Maman était éreintée. Le personnel affecté aux personnes handicapées s’est empressé, mais, comme maman ne pouvait leur dire qu’elle était souffrante, ils ne se sont pour ainsi dire pas préoccupés de son état. Après tout, nous étions déjà tout heureux de franchir cette première étape, animés par cette espérance qui vous fait avancer envers et contre tout. 

Pas question de musarder pour autant : le second avion nous attendait. Nous avons à nouveau effectué les formalités de douane avec nos bagages et le fauteuil. Une fois encore, nous nous retrouvions dans l’urgence et le stress avant de reprendre l’air pendant une petite heure jusqu’à Brasilia.

L’atterrissage fut quelque peu brutal. Heureusement, maman a eu le réflexe de me retenir, sans quoi je me serais sûrement retrouvée au sol. Notre nouveau défi consistait désormais à trouver un taxi pour nous emmener à Abadiana. J’étais tiraillée entre mes incapacités et le désir d’aider maman, qui prenait soin de moi malgré un gros souci de santé.

À la sortie de l’aéroport, je me souviens avoir aperçu des autobus qui se rendaient dans ce village, mais ils étaient réservés à des groupes organisés. Qu’à cela ne tienne, un taxi s’est aussitôt proposé. À la simple vue du fauteuil, il a prédit notre destination. Pas besoin de lui répondre par un long discours en espaglais[1], un seul mot a suffi. Inutile de dire que cela m’arrangeait.

À peine sortis de la ville, je me suis rendu compte combien ce pays était pauvre : des bâtiments quasiment à l’abandon se dressaient le long de vulgaires chemins de terre… Nous nous enfoncions de plus en plus au cœur du pays et je vous assure que notre « piste » était loin de valoir nos routes nationales ! Malheureusement, je n’avais pas anticipé la durée du trajet vers ce village perdu et je voyais s’amplifier dangereusement l’impatience de mon père.

Après une bonne heure de route, nous sommes enfin arrivés dans un petit patelin sans richesse apparente. Il était temps, car je subissais douloureusement la fatigue du vol, conjuguée au décalage horaire et au stress.

Nous avons alors découvert notre logement. S’il nous avait été présenté comme une pension de famille, le confort y était réduit à son strict minimum : des chambres de deux ou trois personnes, un petit coin toilette et un accès à l’eau chaude. Ce coin toilette ne possédait pas de porte, n’était même pas carrelé et toutes les canalisations étaient apparentes. Ce confort spartiate ne m’a pourtant pas choquée : nous nous trouvions au Brésil, presque au bout du monde, et je me disais qu’on vit forcément autrement dans un autre pays que le sien.

Ma principale préoccupation à notre arrivée, c’est que maman était non seulement éreintée, mais qu’elle saignait abondamment du nez. Outre la fatigue du voyage, j’en ai attribué la cause à l’altitude, à la différence de pression et au changement de climat. C’était beaucoup demander à une personne en souffrance.

Je commençais à être dépassée par les événements. Visiblement, mon père l’était encore plus. Il a réclamé un médecin, mais, au Brésil, on ne trouve pas un médecin ni une pharmacie à chaque coin de rue ! Finalement, une personne s’est présentée avec un tensiomètre. Le nez de maman coulait toujours, bien qu’elle y exerce une pression et maintienne sa tête en arrière. Mon père continuait de s’énerver ; moi, je ne tenais plus debout... façon de parler ! Je voulais juste une chose : que ces saignements cessent pour que nous puissions nous installer et nous reposer !

Nous avons effectivement pu gagner notre chambre, mais, connaissant le caractère soupe au lait de mon père, je sentais que notre séjour allait très mal se passer. Je détectais de façon très fine les émotions de mon père ; je le connaissais sur le bout des doigts. Quelque chose se ternissait peu à peu en lui, et je le redoutais.

Nous avons néanmoins accueilli avec soulagement le repas du soir, un dîner très simple à dominante végétarienne. Il se composait de plusieurs petits plats garnis de quelques tranches de poulet et de différents légumes. Je le reconnais, ce menu m’a quelque peu surprise. Puis, enfin, nous sommes allés nous coucher.

Le lendemain, j’ai fait la connaissance de la personne qui avait organisé la rencontre avec le guérisseur et je lui ai expliqué la raison de notre visite. Cette personne m’a plu dès le premier abord, elle semblait ouverte aux discussions, et sans tabous. Elle nous a fait découvrir aussitôt l’endroit où opérait Joao de Deus, c’est-à-dire Jean de Dieu.

J’ai ressenti en ce lieu mystique une impression bizarre, indéfinissable. Notre guide nous a d’abord fait entrer dans une salle immense. Les murs étaient garnis d’images diverses. Elles ne représentaient pas les personnages ou les symboles d’une religion particulière ; au contraire, elles avaient un lien avec différentes sortes de religions. Gandhi et la Sainte Vierge s’y côtoyaient. Un animateur – certains diront un chef de foule – récitait des Pater Nosters et des Ave Maria au milieu des fidèles qui priaient de concert. Ces personnes accompagnaient docilement l’animateur dans leur propre langue.

En ce qui me concerne, le premier jour, j’ai eu du mal à m’investir dans la prière. Mon corps et mon esprit se dispersaient, ils cherchaient avant tout à voir, à comprendre, à retenir, à observer.

Les personnes présentes étaient, pour la plupart, vêtues de blanc, couleur de la lumière et de la pureté. Le lieu de prière était, pour sa part, à la fois peint en blanc – toujours pour la pureté – et en bleu pour favoriser la guérison. Cet endroit respirait le calme. Les personnes s’y recueillaient dans le silence, le respect et la dévotion, un peu comme à Lourdes. Elles étaient venues en ce lieu pour prier, pour donner corps à leur espérance.

J’avoue ne pas me remémorer exactement la chronologie de nos deux semaines passées là-bas. Combien de fois me suis-je rendue dans la salle ? Combien de fois suis-je passée devant Joao de Deus ? Mystère…

Quoi qu’il en soit, le rituel consistait à nous rendre d’abord dans la première salle. On y priait en groupe, chacun dans sa langue. Je crois me souvenir qu’un jour spécifique était destiné aux visiteurs de langue française.

Nous passions alors dans une autre salle, où nous accueillait le grand monsieur, le célèbre Joao de Deus. Il nous laissait le choix de rester auprès de lui ou de sortir. Je suis toujours restée.

Je n’y suis pas arrivée du premier coup, mais je me souviens parfaitement qu’un jour, j’ai réussi à méditer. Je n’avais jamais ressenti quelque chose de pareil. Je ne sentais plus rien… J’avais l’impression de m’élever lentement, je n’avais plus la notion de temps. C’est comme si j’avais la tête vide, une très grande légèreté m’avait envahie. Je ressentais simplement une liaison intense entre Dieu et moi. Je transcendais.

Cette expérience a été sublime, réjouissante, surnaturelle, étonnante. C’est même la chose la plus merveilleuse que j’ai vécue ; un ressenti inouï, un immense bien-être ; comme si je baignais dans une lumière douce et magique, dans un écrin cotonneux au corps céleste. Il faut avoir vécu ce moment sublime pour être à même de le décrire.

Les jours étaient rythmés par les temps de prières, les repas et les discussions avec les autres. Il nous arrivait aussi de nous promener dans le village. En effet, connu comme il l’était à travers le monde, Jean de Dieu attirait des milliers de fidèles, ce qui avait permis au village de créer des magasins. Il s’y trouvait même un cybercafé, d’où j’ai pu contacter mon frère et ma sœur. Je leur ai confié que papa n’allait pas au mieux. Ils savaient ce qui risquait de se produire. Nous le connaissions. Nous n’étions plus des enfants.

L’anecdote suivante vous donnera une idée de l’ambiance « familiale ». Un vendeur de succulentes glaces officiait devant notre hébergement et nous avions maintes fois succombé à cette tentation. Or, un jour où je me rendais au centre de prières, poussée par l’un des participants, j’y ai découvert mes parents en train de manger leur glace. Maman arborait un franc sourire ; mon père, quant à lui, arborait cet air contrit que portent les personnes tendues à l’extrême, prêtes à exploser.

Vous l’aurez compris, notre séjour s’est déroulé sur un mode monotone et répétitif. Chaque jour était identique au précédent. Il en était de même pour la nourriture. D’ailleurs, nous commencions à nous lasser d’avoir toujours les mêmes ingrédients dans notre assiette ! Nous avons eu droit une seule fois à un repas différent, un genre de gratin dont je n’ai jamais connu la composition, mais que j’ai trouvé délicieux. Maman l’avait beaucoup apprécié, elle aussi. Par contre, nous avons mangé du beurre rance durant tout le séjour.

Ces deux semaines auraient pu se dérouler du début à la fin sur le même ton. Nous serions rentrés en France en ayant simplement vécu une belle expérience. Maman serait rentrée pour se faire soigner. Notre vie d’avant aurait repris son cours. Nous nous serions remémoré des souvenirs de ce pays lointain, nous en aurions parfois souri, même si rien n’avait été exceptionnel. Oui, nous aurions pu vivre tant d’autres choses. Malheureusement, il y a un « mais »...

Mon papa, catholique rigide et profondément ancré dans ses traditions, n’a pas du tout accepté l’ambiance de la première salle. Son côté paranoïa revenait à une vitesse et à une puissance que je connaissais trop bien. Il devenait de jour en jour de plus en plus furieux. Hélas ! arriva ce qui devait arriver : un soir, il a, comme qui dirait, « pété les plombs ».

Il a toujours eu de gros accès de colère. Honnêtement, lorsqu’il est dans cet état, je suis pétrifiée, terrorisée. Jusqu’où irait-il, cette fois-ci ?

Plusieurs personnes de l’établissement ont essayé de le raisonner, mais sa colère enflait de plus belle. Il commençait même à devenir violent. Comme je savais ce dont il était capable, je les ai mis en garde. Par chance, ils étaient en nombre et ils ont réussi à le contenir jusqu’à ce qu’il finisse par se calmer.

Ce jour-là, maman et moi avons eu très peur, à tel point que nous avons préféré dormir dans une chambre dont mon père ne connaîtrait pas le numéro. Si bien que nous nous sommes enfermées à clé. Pour couronner le tout, suite à ce vent de panique, j’ai déclenché une terrible diarrhée. L’expression « avoir la peur au ventre » exprime bien la réalité. Maman était démunie, car elle ne savait pas me porter. Par chance, il y avait un seau dans cette chambre et nous avons trouvé le moyen de me soulager. Cette nuit fut épuisante pour tout le monde. J’ignore comment mon père l’a passée. Contrairement à nous, a-t-il réussi à dormir ?

Après cette ultime péripétie, nous avons entamé le chemin du retour. Avant d’embarquer dans notre taxi, je voyais déjà que mon père avait à nouveau du mal à se contenir. Durant le retour, dans la voiture, dans l’avion, puis dans le train, quinze mille questions et une myriade de situations houleuses me trottaient en tête. J’étais ancrée dans un certain mutisme. Je savais que la situation allait prendre une tournure très désagréable. La seule chose que je pouvais faire, c’était me taire et prendre mon mal en patience. Je devais m’attendre à une gigantesque explosion.

Comble de malchance, notre second avion est arrivé à Paris avec énormément de retard, le TGV vers Lille était parti depuis plusieurs heures et nous avons dû acheter de nouveaux billets. Quelle galère pour rentrer chez nous !

Au Brésil, je ne m’étais jamais sentie en danger ni prise au piège. Je savais que, d’une façon ou d’une autre, je rentrerais en France. Ce voyage m’avait surtout appris que je devais travailler ma foi. En particulier, je voulais revivre mon expérience de méditation. Ce court séjour a provoqué un véritable déclic : il a encore amplifié la ferveur de ma croyance.

J’avais ressenti tant de choses impressionnantes. Il m’était impossible de renier ces moments, de les oublier, de les enfouir comme si je ne les avais jamais vécus. Comment aurais-je pu nier ce qui m’avait bouleversée au plus profond de moi-même ?

Malheureusement, comme je le pressentais, à peine rentrés à la maison, mon père a libéré toute sa colère, nous avons même vécu une véritable furie. Ce fut l’une des soirées les plus horribles de ma vie. Je n’aurais jamais imaginé un tel cauchemar au moment du départ. Je croyais bien faire, pour maman, pour nous tous. Or, les mots que mon père a prononcés ont été d’une violence inouïe.

Il a d’abord débrayé mon fauteuil pour qu’il soit en mode manuel, de façon à ce que je ne puisse plus me déplacer. Puis, il a commencé à m’insulter : j’étais un démon juste bon à brûler ! De rage, il m’a même lancé un verre d’eau de Lourdes à la figure. J’étais anéantie, effondrée : physiquement, car je ne pouvais plus bouger ; mais psychologiquement aussi, car je devais à la fois me taire et l’entendre vociférer des mots plus blessants les uns que les autres.

Mon corps tremblait, tout mon être pleurait. J’étais perdue, complètement brisée avec, en plus, la trouille au ventre. Je me sentais humiliée, réduite à ma plus petite expression face à cette domination paternelle.

Essayez d’imaginer comment j’ai vécu une telle situation. Être réduite à néant comme je l’étais, équivaut à être ligoté ou enfermé dans un placard en sachant que c’est peine perdue de hurler, car vous ne serez entendu de personne.

Il n’arrêtait pas d’ordonner et d’interdire : interdiction d’utiliser mon ordinateur ou mon portable, obligation de lui soumettre tout mon courrier. Il devait tout savoir sur moi, à tout moment. Dans son esprit, j’étais engluée dans une secte et, que je le veuille ou non, il ferait tout pour m’en libérer.

Quel abominable constat ! Je n’étais plus rien à ses yeux. J’étais juste encore bonne à faire acte de présence dans « sa » maison, juste bonne à dormir, manger, respirer et, accessoirement, à faire rentrer un peu d’argent. Pour lui, ma vie devait se réduire à cela et à rien d’autre.

Pourtant, je n’étais pas – mais, alors, absolument pas – sous la coupe d’une secte. J’étais lucide et mon libre arbitre n’était en rien altéré par l’expérience vécue lors de ma rencontre avec Joao de Deus. Ce que j’avais ressenti dans cette grande salle, je savais que je devais l’approfondir. C’est cette voie-là et aucune autre qu’il fallait suivre et rien ne m’en empêcherait. Je le savais au plus profond de mon cœur. Une voix m’appelait, c’était certain !

J’ai repris le travail dès le lendemain… avec un certain soulagement, je le conçois. Enfin un peu de calme, un peu de vie ; je n’allais plus entendre mon père s’époumoner contre moi ; pendant quelques heures, il ne me rabaisserait plus comme une malpropre. Il n’en reste pas moins que j’appréhendais mon retour à la maison, le soir après mon travail. La hantise de retourner chez moi me dévorait l’esprit.

Effectivement, à peine avais-je rangé ma voiture dans le garage et franchi le seuil de la maison en compagnie de Shanon, que les insultes et les hurlements ont repris. La guerre recommençait. Aucun répit.

Je suis montée « chez moi » en attendant mon aide de vie. Mon père, toujours aussi démonté, est monté à son tour, je ne sais plus pourquoi. Il est redescendu, toujours aussi virulent. Ses braillements n’en finissaient pas, je ne voyais pas d’issue à son comportement.

La colère, la colère… toujours cette colère ! Je n’en pouvais plus, je ne la supportais plus. La terreur prenait possession de tout mon être, elle avait atteint son paroxysme, j’avais une trouille immense. J’avais dépassé les limites de ce que je pouvais entendre et endurer. J’avais largement dépassé mon quota. À un point où l’on agit sans réfléchir.

Pourtant, à la base, mon désir n’était autre que de vouloir aider maman. Je ne voulais pas qu’elle souffre, qu’elle parte injustement. Je me devais d’agir, d’essayer. Je ne pouvais pas rester inactive. J’espérais, tout simplement. Ce désir partait d’un bon sentiment, le sentiment qu’une fille éprouve pour sa mère, un amour profond. Paradoxalement, c’était à cause de ce sentiment d’amour qu’on me haïssait !

Je n’y comprenais plus rien. Je subissais une injustice évidente, palpable, cruelle. Je ne représentais plus rien. À cause de ma bienveillance envers maman, j’étais devenue un démon, une horreur, une honte, une « mauvaise ». Ma souffrance était arrivée au plus haut degré d’intensité possible. J’étais dans une totale noirceur. J’avais fait tout l’inverse escompté.

Aux yeux de mon père, je m’étais rendue coupable d’un crime : le crime de vouloir aider…

[1] Mélange d’espagnol et d’anglais.

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