COMBIEN TU COÛTES ?
JE MARCHE SEUL
Quand ma vie déraisonne
Quand l’envie m’abandonne
Je marche seul
COMBIEN TU COÛTES ?
Avant d’emménager dans cet appartement en construction, j’ai forcément dû vivre encore pendant quelques mois dans ma maison exiguë, avec le souci supplémentaire que mon bras droit devenait de moins en moins mobile.
Je redoutais qu’il en soit bientôt de même pour le gauche. Néanmoins, je refusais l’éventualité de perdre encore davantage d’autonomie. Le terme « autonomie » était d’ailleurs l’un de mes vocables fétiches. Loin d’être une utopie, il représentait un concept de vie incontournable. Quelle satisfaction et quelle fierté de faire moi-même toutes ces choses qu’il m’était pourtant plus facile de demander à d’autres !
De ce fait, j’étais constamment en quête d’idées, à la recherche d’innovations ou de dispositifs qui me permettraient de conserver un peu plus longtemps la liberté du corps ; liberté qui manquait par ailleurs à mon esprit.
Le hasard a voulu que je visionne un jour une vidéo illustrant un nouveau modèle de lève-bras assez stupéfiant, beaucoup plus performant – mais plus coûteux aussi – que celui dont j’avais bénéficié quelques années plus tôt. Cet appareil ne porterait pas mon bras à proprement parler, mais ce dernier s’en trouverait fortement allégé.
Le principe était simple : grâce à un petit écran, ce lève-bras me permettrait d’ajuster moi-même la compensation nécessaire, soit sur mon avant-bras, sur mon bras ou sur mon épaule. Il permettrait aussi de maintenir séparément chaque segment de ce membre dans la position voulue. Qui plus est, ce matériel tiendrait compte du poids et de la position de mon bras pour ajuster cette compensation.
Sans trop y croire, j’ai déposé un dossier en vue d’obtenir une aide en vue de cet achat. J’avoue ne pas m’être décarcassée outre mesure pour obtenir des subventions. Ce bras coûtait 17.000 euros et je me le suis quasiment payé moi-même. Tant pis !
C’était extrêmement agaçant d’être obligée de prouver l’intérêt de cette technique et le besoin impérieux d’en bénéficier, alors que je ne pouvais presque plus bouger mon bras ! Je n’en pouvais plus de devoir toujours quémander. Je ne supportais plus de constituer sans cesse d’interminables dossiers, puis d’attendre le bon vouloir des institutions, de supplier leur aval pour avoir simplement le droit de bouger. Tout ceci est extrêmement agaçant et fastidieux. Bref, je saturais devant un système qui rechignait sans cesse à reconnaître mon droit à vivre comme tout être humain !
Combien de dossiers ai-je ainsi constitués, introduits et réintroduits pour justifier l’acquisition de matériels qui m’étaient plus que nécessaires ? J’ai même dû argumenter pour obtenir un fauteuil verticalisateur. Eh ! oui… il faut même défendre son droit d’être debout.
Cette fois, pour avoir la capacité légitime de simplement lever le bras, j’aurais dû motiver ma démarche et justifier ce besoin élémentaire ? Ne trouvez-vous pas cela hallucinant ? Si encore il s’était agi de satisfaire une lubie, ou d’une banale question de confort… Non ! Dans mon cas, ce dispositif était essentiel pour exécuter les actes les plus élémentaires de ma vie quotidienne.
Par contre, j’ignorais qu’une fois ce bras installé sur mon fauteuil, une autre embûche se trouverait sur mon chemin. En effet, étant donné l’exiguïté des lieux, je ne pouvais plus pénétrer dans ma salle de bains.
Par chance, en octobre 2012, j’allais quitter ma petite maison pour un logement plus spacieux, aux pièces parfaitement accessibles. Je me suis alors retrouvée dans un appartement situé au rez-de-chaussée, avec un jardinet. Cerise sur le gâteau, j’étais à proximité d’un parc, même si, dans un premier temps, je n’ai pu y accéder avec le fauteuil.
Au chapitre des inconvénients, les abords n’étaient pas terminés, nous pataugions dans la boue et l’interphone n’était pas connecté. Autant dire qu’au début, j’ai vécu une véritable galère. De plus, de mon appartement, j’entendais la voisine tourner la clé dans sa serrure. L’isolation phonique, n’en parlons pas !
Pour faciliter l’accès à ma demeure, je disposais d’un portillon privé qui donnait accès à mon jardin clôturé. Ce portillon franchi, j’entrais chez moi par la salle à manger, ce qui était plus commode que d’utiliser la porte d’entrée, puis celle du hall et enfin celle de mon appartement. Cependant, avant d’entrer « dans mes meubles » en toute autonomie, j’ai dû faire motoriser à mes frais le portillon et la porte-fenêtre. Le bailleur estimait « avoir déjà suffisamment dépensé pour moi ». C’est du moins ce qu’il a eu le culot d’affirmer lors d’une conversation téléphonique.
J’avoue avoir très mal encaissé la chose ! Cette personne m’a subitement semblé inhumaine. Ceci explique sans doute pourquoi tous les locataires s’en prenaient à elle et dénonçaient son antipathie. Lors d’un autre appel, n’a-t-elle pas « enfoncé le clou » en affirmant qu’étant donné mon handicap, je ferais mieux d’aller vivre dans une structure adaptée ? Cette femme avait mis dans le mille, elle avait réussi en quelques mots à me détruire moralement.
Ceci démontre, s’il le fallait, que lorsqu’on est différent, il faut être particulièrement costaud mentalement, et ce, quasiment tout le temps. Les gens vous rappellent régulièrement que vous coûtez cher, que vous êtes « hors normes », que vous êtes handicapé, que vous n’êtes pas comme eux. Je ne supportais plus ces remarques !
Effectivement, je me déplace en fauteuil ; bien sûr, je suis dépendante pour tous les actes quotidiens, mais que diable… Je suis un être humain, j’ai un cœur et un cerveau, je pense, je réfléchis, j’éprouve des sentiments et des émotions, je ris, je pleure et je veux profiter de la vie, autant que mes facultés me le permettent. Si cette personne peu amène était dans mon cas, ne voudrait-elle pas tout faire, elle aussi, pour accéder à ce souhait universel qui consiste simplement à être heureux ?
Mon seul réconfort, dans ce nouveau logis, c’était finalement mon petit jardin. Je le reconnais, cet endroit sympathique, avec sa belle pelouse, avait pris corps grâce aux mains vertes et au dévouement d’une assistante de vie. Ce petit coin paisible m’aidait à tenir bon. Nous y avons même fait pousser des courgettes. Cependant, comme j’habitais près du parc, trop de gens passaient devant chez moi. Décidément, rien n’est vraiment parfait…
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