BIEN PLUS QUE DES FAIBLESSES

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PEUR DE RIEN BLUES

Oui, mais ne pas les vivre
C’est encore pire que tout

ON IRA

Tu sais y’a que les routes qui sont belles

BIEN PLUS QUE DES FAIBLESSES

Si je fais le bilan de ma vie, je crois sincèrement que Laurent B. a agi comme un révélateur. J’en suis même persuadée. En effet, grâce à lui, l’image peu valorisante que j’avais de moi a changé. Lui, me considérait comme une petite fille attachante, il me trouvait même intéressante. Non seulement il a considéré que la charge émotionnelle de ma vie était trop lourde pour mes épaules d’enfant, mais il a osé me sortir du carcan dans lequel j’étouffais.

Plus tard, mes amis de Lourdes ont pris le relais. Pour eux non plus, mes déficiences n’étaient pas des barrières, elles ne bloquaient pas nos relations. Jusque-là, on me jugeait uniquement en termes d’incapacité, comme une personne limitée, irrémédiablement tributaire d’autrui. Avec eux, le discours était tout autre :

— Tu ne peux pas te laver ou t’habiller seule ? Bah ! ce n’est pas grave, nous, on va t’aider !

Et, ils le faisaient naturellement, sans contrepartie.

Comme si mes déficiences n’existaient pas. Ils ne les niaient pas, bien sûr, pas question de faire l’autruche, mais ils ne s’en formalisaient pas. Grâce à leur regard bienveillant, je ne me sentais plus dévalorisée par le handicap : je le portais comme d’autres portent des lunettes. Ils m’appréciaient comme tout autre personne. À la limite, à leur contact, j’avais la sensation d’être normale. Grâce à eux, j’ai pu vivre des expériences comme tous les jeunes de mon âge.

Bref, l’attitude de ces personnes m’a permis de me lancer dans la vie. Sans eux, je serais probablement restée amorphe et sans travail ; je me serais complu dans ma condition, avec un écran de télévision pour seul horizon. Quelle aurait été ma vie ? Comment aurais-je évolué ? Aurais-je eu des projets ? Ils m’ont ouvert l’esprit, m’ont démontré ma normalité malgré mes incapacités.

À force d’être stigmatisée comme un petit être fragile, sans force et à protéger, on peut se contraindre à rester dans son cocon, à ne surtout pas se surpasser et à attendre sans bouger pendant que la vie défile. Combien de personnes, même sans handicap, vivent ce scénario ?

Alors un handicap nécessite encore plus de force, plus de convictions, plus d’énergie que quiconque pour juste essayer de faire « comme tout le monde ».

C’est une évidence : il a toujours suffi de mettre en exergue mes capacités, pour que je trouve les ressources nécessaires pour avancer. Je retrouvais alors une force inouïe. Par contre, si l’on me considérait comme une personne amoindrie, j’avais pour réflexe de m’effacer, voire de me faire oublier. Réflexes d’enfance ? Inhibition inconsciente ?

Je m’étonne d’avoir cette capacité à me retirer, à me freiner, alors que mon désir de savourer, de connaître, de sentir, de voir, d’entendre est si aiguisé, si essentiel pour mon existence. Ma soif d’expériences est primordiale, voire capitale à ma joie de vivre.

Il est regrettable qu’aujourd’hui encore, les personnes handicapées soient « jaugées » en fonction de leur incapacité, et non de leurs potentiels. Pourtant, dans une certaine mesure, ne sommes-nous pas tous un peu handicapés ? Ne sommes-nous pas tous moins performants que d’autres dans certains domaines, que ce soit sportivement, culturellement, intellectuellement, physiquement ou socialement ?

Nul n’est parfait en tout. Pourquoi toujours mettre en avant nos faiblesses, au lieu de nos atouts et nos richesses ?

Nous avons tous à apprendre de l’autre. C’est pourquoi, il est nécessaire de nous mélanger et de ne pas « ghettoriser » les individus. Sinon l’intégration, la véritable inclusion sera un échec, car il sera impossible de se réaliser pleinement. Vous comprendrez donc que je suis favorable à la vie de tous au sein de notre société.

Les pays nordiques se sont engagés à fermer toutes les institutions dans les années soixante-dix ; ils permettent à une personne même polyhandicapée d’avoir son propre logement, son véhicule et les assistants personnels nécessaires à ses besoins. De même, il existe une compensation pour les surcoûts liés au handicap (lorsqu’on ne bouge pas, la température des pièces doit être plus élevée ; la dépense supplémentaire d’électricité pour recharger le fauteuil, le lève-personne, le matelas avec un compresseur, etc. est donc pris en compte). Les besoins en matériels ou en technologie sont accordés et prêtés en fonction des inaptitudes.

L’emploi pour tous est une priorité de la politique de ces gouvernements. Ils incitent financièrement l’accès à l’emploi en milieu ordinaire. Si une entreprise embauche une personne avec un handicap sévère, elle peut donc se voir octroyer une subvention couvrant la totalité des coûts salariaux.

En France, malheureusement, nous sommes encore très loin de la désinstitutionalisation. Tous ces sigles comme EHPAD[1] ou MAPAD[2], MAS[3], IEM[4] ou IME[5], ESAT[6] – la liste est longue – le démontre.

Pour un réel changement, ne faudrait-il pas instaurer des cours d’empathie pour que l’on puisse imaginer ce que l’autre ressent, pour se préoccuper du bien-être des autres ? Ne faut-il pas privilégier la coopération à la compétitivité ?

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Pourquoi les personnes en fauteuil sont-elles toujours stigmatisées ? Pour bien des personnes, je porte des protections, je n'ai aucune sensibilité de mes membres, je vis dans une structure, je ne sais pas lire et suis stupide. Même si la société a évolué, ces idées naviguent encore trop souvent. Lorsque l'on grandit avec de telles idées autour de soi, il est vrai que son ego en prend un coup.
Mais combiende de décennieva-t-il encore falloir pour que nous soyons enfin reconnus en tant que citoyen à part entière, comme Monsieur et Madame tout le monde. Nous avons tous nos propres particularités.
On nous tire trop souvent vers le bas, très rarement vers le haut. On préfère nous assister, nous reléguer comme des incapables, comme des inutiles. Je peux vous assurer que c'est fatiguant et parfois décourageant d'être constamment inconsidérée(.

Se retrouver constamment dans la situation de devoir prouver ses capacités est énergivore. Nous devons déployer deux fois plus de ténacité, de courage, et de volonté afin de démontrer nos compétences.
Toutes les personnes en situation de handicap ne sont, hélas, pas toutes capables de le faire.
En novembre a lieu la semaine de l'emploi pour les personnes en situation de handicap. Le DuoDay, à l'occasion d’une journée nationale, permet à une personne en situation de handicap de passer un jour avec un professionnel dans une entreprise.

Peut-on imaginer la même chose avec une personne différente de couleur, obèse, grande, avec des lunettes ou que sais-je ? Je suis convaincue que ce serait un scandale, que ce serait fait comme de la discrimination. Mais avec une personne de situation de handicap, c'est normal ! Pourquoi ?

Je m'aperçois qu'il y a encore beaucoup à faire pour notre intégration réelle et totale.

[1] EHPAD : Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes

[2] MAPAD : Maison d’Accueil pour Personnes Âgées Dépendantes

[3] MAS : Maison d’Accueil Spécialisé

[4] IEM : Institut d’Éducation Motrice

[5] IME : Institut Médico-Éducatif

[6] ESAT : Établissement et Service d’Aide par le Travail

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