l'éveil

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Au-dessus des récifs, Elsa fixe l’horizon.

Le calme de la mer tranche avec sa tempête intérieure. Le soleil à son zénith n’éclaire rien, il produit seulement des ombres qu’elle ne peut repousser. Se laisser glisser ? Tomber tel un ange déchu ? Après tout, c’est bien une chute qui des années plus tôt l’avait forgée.

Une main posée sur son épaule la fit revenir à elle. C’était Gabrielle, sa collègue et meilleure amie.

- Elsa, que fais-tu ? On te cherche partout !

Elsa reste le regard figé sur les flots.

- Réponds-moi ! Qu’est-ce qui se passe ? ça ne va pas ? renchérit Gabrielle.

Non, ça ne va pas ! Et tout ça, c’est ta faute ! pensa Elsa.

- Laisse-moi tranquille, je n’ai pas envie de te parler.

Ses poings se crispent et une furieuse envie de précipiter Gabrielle dans le vide lui fait frissonner le dos. Si tout n’est que cendre autour d’elle, Gabrielle en est l’allumette.

*

C’était au cours d’une conversation entre collègues à la salle de sport que Gabrielle avait indiquée à Elsa, l’arrivée d’un nouvel hypnotiseur en ville.

- Ma cousine est allée le voir. Paraît qu’il est super ! En trois séances, elle a arrêté de cloper ! Tu devrais y aller ! P’têtre qu’il pourra t’aider ?

- Merci Gab, mais je n’ai pas besoin d’aide. Je vais très bien comme ça. Et puis j’y crois pas trop à ces trucs-là, moi.

Un collègue fixa les deux jeunes femmes d’un air interrogateur.

- Ben oui, Elsa est agnostique ! lançât Gabrielle.

- Anosmique ! corrigea Elsa. Pas agnostique ! Je n’ai plus d’odorat…

- C’est pareil, répondit Gabrielle, même sous ton nez, tu ne sens rien… Tu passes à côté de tellement de choses !

Gabrielle avait toujours le chic d’employer un mot pour un autre et de trouver une logique à son erreur par une analogie fumeuse.

Après un silence, la conversation reprit bon train et Gabrielle concentra son attention sur un autre sujet.

Quelques jours plus tard, une fuite de gaz empêcha l’ouverture du club. Elsa, en charge de la fermeture la veille, n'avait rien senti, évidemment… On eut dû évacuer l’immeuble et le personnel d’entretien fut conduit à l’hôpital. Ce nouvel incident percuta sa raison. Jusqu’à présent, ce handicap n’avait de conséquence que sur elle, pas sur les autres. L’idée de consulter cet hypnotiseur fit son chemin dans son esprit.

Ce soir, au dîner, elle en parlerait à Mathieu, son mari.

- Pff, c’est des foutaises ces trucs-là ! Elsa, tu ne vas pas m’dire que t’y crois !

- J’en sais rien… Je pourrais essayer, ça n’coûte rien après tout.

- Ça coûte rien, tu parles ! Tu vas perdre ton fric et ton temps. Laisse tomber, va, t’es très bien comme ça.

- Oui, mais l’autre jour, quand je suis rentrée en ayant marché dans une merde, ça t’a saoulé, que je ne m’en rende pas compte, nan ?

- C’est pas faux, mais de là à aller voir un charlatan…

- J’sais pas. T’as peut-être raison…

Elsa se leva, débarrassa la table et alla se coucher.

Jusqu’à présent, elle avait vécu cette anosmie comme une chance, une force. De nature combative et d’un physique athlétique, Elsa pratiquait un hygiénisme totalitaire pour parer cette infirmité : sport, déodorant et diététique étaient ses alliés. Mais aujourd’hui cela lui semblait être une tare à laquelle il fallait remédier. Elle ne supportait pas ce sentiment d’imperfection. En s’endormant, elle se promit que dès lundi, elle appellerait le praticien.

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