Une question ou une réponse ?

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Le rendez-vous fut fixé dix jours plus tard. Elsa décida de ne pas en parler à son mari, si la thérapie fonctionne, il serait toujours temps de lui dire. Seule Gabrielle était dans la confidence. Celle-ci en tira une certaine fierté d’avoir convaincu son amie.

Les jours précédant la visite furent faits de valses hésitations. Qu’avait-elle vraiment à y gagner ? Elle s’imagina mille fois décommander. C’était sans compter sur Gabrielle qui insista pour l’accompagner.

Le jour J, arrivée devant la porte, Elsa prit une profonde inspiration. Ses jambes flanchaient. Gabrielle la devança par un léger coup d’épaule et ouvrit la porte avec enthousiasme. Un carillon de nacre tintinnabula à leur entrée dans la salle d’attente. Gabrielle s’installa dans un fauteuil d’osier et tapota l’assise voisine pour inviter Elsa à la rejoindre. La pièce aux murs vert sauge baignait dans une lumière chaleureuse qui invitait à la détente.

La porte du praticien s’ouvrit. Un homme d’une quarantaine d'années, à la pomme d’Adam proéminente et à la chevelure bouclée fit son apparition.

- Mme Dolomie ? Bonjour ! C’est à nous !

Ils entrèrent dans la salle de consultation, où deux fauteuils trônaient parmi plantes et tableaux colorés. Sur une table en bois clair, cinq flacons étaient disposés.

- Je vous en prie, installez-vous. Je suis Erwan, et ensemble, nous allons échanger sur ce qui vous amène ici. Est-ce que je peux me permettre de vous appeler par votre prénom ?

Timidement, un coussin sur les genoux, Elsa acquiesça par un mouvement de tête.

- Très bien, je vous en remercie. Lors de la prise de rendez-vous, vous m’avez indiqué souffrir d’une anosmie survenue à la suite d’une chute lors de votre adolescence. Est-ce exact ?

Elsa réitéra son hochement.

- Vous m’avez également indiqué qu’aucune altération du nerf olfactif ou de la muqueuse n’avait été constatée. Malgré une rééducation, aucune amélioration n’est survenue ? Puis-je vous demander ce qui a déclenché votre envie de venir me voir ?

- Il y a eu un incident à mon travail. Ça aurait pu être tragique…

- Bien, je dois vous indiquer que le protocole que nous allons entamer aujourd’hui, est expérimental. Je suis convaincu de pouvoir vous aider à comprendre pourquoi votre mécanisme de défense s’est développé autour de la suppression de ce sens. Progressivement, nous pourrons vous réapprendre à concevoir votre environnement dans son ensemble, que votre corps, dans toutes ses dimensions, peut vous apporter sécurité et épanouissement.

Si les blocages ne sont pas physiques mais bien psychologiques, en quelques séances, nous pourrions avoir de bons résultats. Maintenant, Elsa, racontez-moi votre histoire, ce qu’il s’est produit avant, pendant et après la chute, avec le plus de détails possibles. Puis, nous reconstruirons ce récit. Avant cela, j’ai disposé sur la table 5 fioles d’essence numérotées que je vous demanderais de humer avant et après chaque séance pour mesurer notre progression. Je vous invite à noter les correspondances sur ce papier.

Elsa, calmement, saisit chaque fiole et après la dernière, écrivit : « ? ».

Face à cette énième évidence, les yeux fermés et les mains posées sur les accoudoirs, elle commença son récit ; les paysages, les amis, l’ambiance, l’odeur de lavande, sa main qui ripe contre la paroi, le déséquilibre, la chute, le crâne qui percute la falaise, le noir : néant.

- Revenez au moment où vous sentez la lavande, que s’est-il produit ?

- Magalie… notre monitrice s'approche de moi. Sa crème pour les mains sent la lavande. Le tube s’est écrasé dans sa poche. J’ai… des papillons dans le ventre quand elle s’approche. Sa main touche la mienne. Ça m’émeut et je… Je lâche.

- Je crois que nous touchons quelque chose. Votre inconscient, a enregistré cette odeur comme un signal qui vous a dérangé. Nous en reparlerons. Mais d’abord, nous allons tenter de reprogrammer votre inconscient.

- De nouveau, vous allez me raconter cette scène, mais cette fois-ci, imaginez que vous vous rattrapez. Imaginez que vous maitrisez votre corps. Dans cette nouvelle version, vous ne chutez pas et finissez votre ascension.

Les paroles d’Erwan étaient douces et posées. En guidance, Elsa réinventa cette expérience avec une issue heureuse. A la fin de ce nouveau discours, Erwan l’invita à revenir progressivement à elle et à se saisir des fioles.

La première : rien ; la deuxième : rien ; la troisième : non plus. Le découragement commençait à l’envahir quant à la quatrième un fumet trop légèrement perceptible pour être identifié lui fit gonfler les narines. Ses yeux s’étincelèrent d’une lueur nouvelle.

A cette réaction, Erwan comprit qu’un premier verrou venait d’être débloqué.

- Elsa ? Avant la chute, vous m’avez conté être perturbée par l’approche de votre monitrice.

- Oui, je crois…

- Hum… Avez-vous déjà éprouvé un désir saphique ?

- Pardon, vous voulez dire… gouine ? Si je suis gouine ?

- Si vous préférez ce terme, oui.

- Non ! Bien sûr que non ! ça ne va pas ou quoi !

- Bien, nous aurons l’occasion d’en reparler mais à mon sens, votre corps a écarté votre nez, pour écarter une partie de vous-même. Réfléchissez-y.

- C’est tout réfléchi. C’est non ! Bonne journée monsieur !

Perturbée par ce dernier échange, Elsa quitta le cabinet sans dire un mot à Gabrielle qui attendait pourtant un débriefing exhaustif. Gabrielle conclut que la séance était un échec et tenta de distraire son amie, sans succès.

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