Apprendre à vivre

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Elsa retourna voir le thérapeute plusieurs fois. La progression n’était pas aussi rapide qu’espérée, mais constante.

Malheureusement, celle-ci s’accompagna d’une parosmie, soit une distorsion de la perception des saveurs et des odeurs, lui faisant sentir l’essence ou la pourriture à l’approche de quelconque nourriture.

Cet épisode fut un véritable enfer mais en combattante déterminée, Elsa ne baissa pas les bras et poursuivit les séances. Son hypnothérapeute lui conseilla de travailler son odorat en se rendant dans des parcs, des jardins, ou encore des fermes pour que progressivement son cerveau réapprenne à aligner l’ensemble de ses sens. Disciplinée, Elsa parcourut les différents espaces de senteurs, des plus agréables aux plus nauséabonds.

Du marché aux fleurs au marché aux poissons, passant par les parfumeries, où des vendeurs désespéraient de ne pouvoir lui vendre la dernière fragrance à la mode.

Mise dans la confidence, Gabrielle, en amie fidèle, accompagnait sa progression par l’offrande régulière de savoureux plaisirs.

Ce traitement produisait ses effets. À mesure que les odeurs se révélaient, s’associaient, Elsa améliorerait sa compréhension du monde.

Mais un matin, lorsque son mari s’approcha d’elle pour l’enlacer en vue d’une étreinte matinale, son effluve buccal lui provoqua un haut-le-cœur. Elle se précipita dans la salle de bain pour fuir. Là, les odeurs d’onguents, conjuguées aux chaussettes de sport de la veille dégueulant de la panière de linge, narguèrent ses narines. Son mari s’approcha d’elle et l’odeur âcre de la transpiration nocturne finit de l’achever. Elle déversa une bile verte qui recouvrit les parois de la vasque transparente.

Depuis cet épisode, Elsa cherchait la moindre occasion pour s’éloigner de son époux : son odeur lui était insupportable. En réalité, tout son environnement l’écœurait. Ce qu’elle avait érigé en rempart pour corriger son infirmité lui était aujourd’hui étranger. Une tour de cristal aseptisée qui d’un souffle se brisait.

Comment surmonter cela ? Comment ne pas signifier son dégoût à son époux ? Il comprendrait alors qu’elle ne lui avait rien dit sur sa thérapie ! Qu’elle ne l’avait pas écoutée. Elle qui voulait se libérer, se retrouvait aujourd’hui dans un piège qu’elle n’avait pas senti venir.

Alors quoi faire ?

Inverser le processus ?

Cela lui sembla être la meilleure solution. Vivre sans nez, c’est possible, mais vivre avec dégoût non !

Ce jour-là, Elsa ne se rendit pas à son travail. Sans prévenir, sans rien dire.

Elle alla chez son thérapeute pour l’implorer d’inverser le processus. Il l'accueillit aimablement malgré l’absence de rendez-vous, tant il voyait sa détresse.

- Allons, reprenez-vous ! Vous êtes venue me voir pour retrouver tous vos sens. Réjouissez-vous ! Vous y êtes arrivés ! Je comprends que le changement puisse déstabiliser, mais vous êtes une femme forte, courageuse. Vous allez surmonter cette nouvelle épreuve.

- Ce n’est pas une épreuve, c’est une bombe ! Je veux que ça cesse. Mon mari avait raison, j’étais très bien avant. Quelle idiote ! Si vous ne m’aidez pas, je suis prête à me refracasser le crâne, vous m’entendez ! Je ne supporte plus toutes ces sensations qui me dégoûtent… Même à mon travail, toutes ces odeurs de transpiration, de plastiques chauds, de boissons énergisantes qui empestent le chimique. Même les serviettes humides dans le vestiaire, les gels douche à la fleur de cerisier, à la guarana ou que sais-je ! Rien n’est naturel ! Ce monde en réalité, je ne peux pas le pifer !

- Elsa, j’entends ce que vous me dîtes, mais je ne peux pas revenir en arrière. Vous devez apprendre à vivre avec vos 5 sens, à apprivoiser le monde. Je peux cependant vous accompagner dans cette nouvelle acceptation.

Elsa plongea son visage dans ses mains, et l’on put entendre « je n’ai plus rien à perdre ».

- Attendez-moi ici, j’ai un appel à passer et je reviens. Ne partez pas. J’ai un cadeau pour vous.

A cet instant, Elsa sentit son téléphone vibrer. C’était Gabrielle qui devait s’inquiéter de son absence. N’ayant envie de parler à personne, elle éteignit son téléphone.

Le praticien revint avec une bourse en cuir rouge qu’il lui tendit. A l’intérieur, les cinq fioles, correctement étiquetées, témoignaient du chemin parcouru. Cette ultime séance l’amena à une certaine quiétude.

En sortant, Elsa empoigna la bourse pour se donner de l’ardeur.

Pour la première fois depuis longtemps, l'air qui s’engouffrait à l’intérieur de ses narines était agréable. Elle pouvait percevoir l’odeur de la chaleur qui l’entourait. La phrase de son hypnotiseur résonnait dans ses oreilles « Vous devez apprendre à vivre avec vos 5 sens ».

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