La boucle: Reloaded 

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J’ouvre les yeux sur un paysage forestier baignant dans une lumière couleur vert réséda, celle de l’étoile qui flotte dans le ciel ocre. Je reste ébahi quelques instants. Voilà qui est inédit. Jusqu’à présent, je n’ai jamais marché que dans ce désert rouge. La sortie est-elle bientôt à ma portée ? Sous mes pieds, le sentier doré s’enfonce vers le cœur de la forêt. Les autres chemins sont également présents. Cela m'intrigue et gonfle mon cœur d’espoir. D’un pas plus affirmé, me voilà prêt à poursuivre mon périple dans un univers inconnu et peut-être que, cette fois, je parviendrais à la sauver. Nous sauver.

Je chemine depuis à peine quelques minutes entre des arbres sans âge que le jour laisse place à la nuit de façon instantanée. Je fronce les sourcils. Les chemins s’illuminent de leur couleur respective, seules lumières dans les ténèbres sinistres. Qui tire donc les ficelles de ce monde absurde ? Je n’ai pas le temps de m’interroger plus longtemps. Une silhouette se découpe en face de moi. Sur Mon chemin. Je ralentis mes pas en voyant cet inconnu se rapprocher de moi. Nous nous jaugeons du regard. Il est grand, sec, la peau sombre et le crâne rasé. C’est la première fois que je croise une personne sur mon propre sentier. Il s’immobilise.

— Continue de marcher, camarade.

— Sinon quoi ? me rétorque-t-il d’un ton agressif.

Je n’en reviens pas, sa voix m’est parvenue ! Je peux donc communiquer avec ceux qui partagent mon chemin. Cette nouvelle m’emplie de joie, mais ma réaction gâche de précieuses secondes. Déjà, le tourbillon de la mort s’est ouvert au-dessus de lui. Je lève ma main vers le ciel.

— Sinon, c’est la mort assurée pour toi. Marche !

L’homme esquisse un pas vers l’avant et vient à ma rencontre. La tornade disparaît sans laisser de traces.

— Comment le savais-tu ? m’interroge-t-il avec une curiosité mêlée à un fond de suspicion.

Je hausse mes épaules.

— Je parcours ce chemin depuis un temps qui me paraît infini. J’ai l’impression d’être le seul qui n’ait pas la mémoire effacée à chaque fois que tout recommence.

— Qu’est-ce qui recommence ?

Rassuré par la présence d’une personne capable de m’entendre, je lui confie tout de ce voyage de survie qui m’emprisonne dans ses filets, de cette femme dont je dois subir la mort inlassablement, puis du vide qui m’envahit avant l’éternel recommencement. Encore et encore. Je suis incapable de lui expliquer depuis combien de temps j’erre dans cette boucle.

— Mais cette fois, quelque chose a changé ! Le décor n’est plus le même qu’avant, et toi… toi, tu es sur Mon sentier. Et je peux te parler.

— Tu ne peux pas avec ceux des autres chemins ?

Je secoue la tête.

— Le silence est notre lot quotidien. J’ai cru devenir fou. Il faut trouver une sortie ! Si tu sors du sentier, tu te désagrèges et je n’ai aucune idée où nous emporte la tornade mais je ne pense pas que ce soit la sortie. Cela ne peut être aussi simple.

Nous marchons à présent côte à côte en prenant garde à ne pas sortir du tracé. Les autres chemins semblent se rapprocher inexorablement de nous. Sur le chemin carmin, nous distinguons également deux personnes. L’une d’elle est une femme : ses longs cheveux cascadent le long de ses reins. Elle cache ses attributs féminins dans un geste familier. L’homme qui lui fait face l’attrape par les poignets et l’embrasse à pleine bouche avant de poser sa main sauvagement sur son sein. La pauvre femme tente de le repousser mais il est trop fort pour elle. J’étouffe un cri, outré par la tournure des évènements. Je suis encore une fois impuissant. Dans sa détresse, la jeune femme tourne son regard dans notre direction, à la recherche d’aide. Mon sang se glace d'effroi quand je la reconnais. Elle.

— Non !

La rage s’empare de moi. Je ne peux laisser cet homme lui faire du mal. Oubliant la mort qui m’attend si je franchis la limite de mon chemin, je me prépare à accourir pour la sauver. La main puissante de mon compagnon de route me retient.

— Que fais-tu l’ami ? Cherches-tu donc à mourir ?

— Mais je dois faire quelque chose ! Elle va mourir !

— Que pouvons-nous faire à part détourner le regard d’une réalité trop cruelle pour toi ?

Détourner le regard et faire comme si rien ne se passait ? Impossible. Je fais les cent pas en fixant avec colère et détresse cette scène insupportable. L’homme a immobilisé cette femme, celle qui m’est devenue si chère. Allongée sur elle, il tente de la violer mais elle se débat avec toute la fougue dont elle est capable. Je ne peux que la soutenir avec toute la compassion qu’il m’est possible de montrer sur mon visage. Pour la première fois, je prie la tornade mortelle d’achever rapidement son calvaire. Ma prière est exaucée. Tandis que le tourbillon souffle au-dessus de leur tête, la jeune femme profite de la confusion de l’homme pour lui assener un coup de pied bien placé, ce qui l’envoie directement dans la bouche du monstre. Elle se relève alors et se met à courir. La tornade disparaît.

— Elle n’est pas morte… je murmure, hébété. Elle n’est pas morte !

Cette fois, je crie de joie en sautant partout devant les yeux perplexes de mon compagnon.

— Tu ne comprends donc pas ce que ça veut dire ? Quelque chose a changé dans le scénario ! Tout espoir n’est pas perdu, on peut s’en sortir !

À sa mine confuse, je réalise qu’il ne peut saisir ce que je ressens. Après tout, il découvre à peine ce monde. Je me tourne vers mon aimée, celle dont je connais chaque mimique, chaque parcelle de son corps mais qui, elle, ne connaît rien de moi. Parce que sa mémoire est constamment réinitialisée. Je la vois plus loin me saluer de la main. Salut que je lui rends aussitôt avec un grand sourire.

Je suis le plus heureux des hommes.

Mais que fait-elle donc ? Non ! Pourquoi abandonne-t-elle son chemin ? Je la vois courir vers nous, ignorant mes gestes de panique. Elle est à peine à un mètre de mon sentier doré, sa lumière illumine ses cheveux de l’or le plus pur. Nos doigts se touchent presque, quand la mort me l’arrache à nouveau en dispersant son corps dans les airs. À cet instant, je sens quelque chose en moi se craqueler et mon âme se dissocier. J’ai atteint mes limites à la souffrance que je pouvais endurer. Je ne sais plus qui je suis. Je suis mort, moi aussi, tandis que le néant m’absorbe tout entier pour la énième fois.

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