Chapitre 3: Bug
— … intéressante tournure.... Pensez-vous… réussira ?
— Le test… bientôt fin, si quelqu’un… le faire, je pense… lui. C’est … meilleurs sujets.
Les voix résonnent dans ma tête en une explosion de sons étranges mais dont je parviens à capter quelques mots. Que se passe-t-il ? Qui sont ces personnes que j’entends dans mon esprit ? Où est mon chemin de pavés dorés ? Je tente d’ouvrir mes paupières. En vain, cela demande trop d’effort. Je parviens tout de même à cligner des yeux imperceptiblement. Une lumière intense les envahit alors, menaçant de brûler mon cerveau. Mes membres supérieurs et inférieurs ne me répondent pas. Je suis paralysé dans mon propre corps, la conscience en alerte. Le cauchemar ne s’arrêtera-t-il donc jamais ? Ma terreur face à cet état d’impuissance déclenche une montée d’adrénaline qui accélèrent les battements de mon cœur. Je repense à elle. Soudain, des images me submergent sous forme de flash. Je n’y comprends rien, elles me sont pourtant familières, comme une impression de déjà-vu. Une maison dans les bois. Une femme aux longs cheveux blonds qui me sourit. Elle. Une lumière bleue intense. Un cri. Et puis… le black-out. La migraine réapparait, plus forte que jamais. Je veux crier de toute mes forces mais ma bouche refuse de m’obéir. Seul un borborygme dérisoire s’en échappe.
— … n°156-ST se réveille ! Son cœur bat trop vite, il va succomber.
— Augmentez la dose de sérum et vérifiez les connexions de son activité neuronale.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis sur le point de comprendre le but du périple infernal que je vis depuis une éternité, me semble-t-il. Je sens qu’on me touche sans aucun ménagement. « Lâchez-moi », j’aimerai crier. Par ma seule volonté, je tente de me redresser mais, soudain, un goût amer se répand dans ma gorge et ma détermination faiblit. Mon esprit devient nébuleux. Je ne veux pas retourner dans le néant ! Je ne veux pas retourner là-bas ! Tous les voir mourir. Encore. Encore. Encore ! Les voix et la lumière s’évanouissent dans ce nouveau black-out en m’entraînant avec elles.
Je n’ose pas ouvrir les yeux. Dieu seul sait où je me trouve en ce moment. Mais, Dieu existe-t-il ? Peut-être est-ce d’ailleurs lui qui s’amuse ainsi à me torturer. Une illumination me frappe alors de plein fouet : j’ai compris ! L’enfer existe bel et bien. Le créateur se joue de moi armé de son humour noir, me condamnant à la souffrance éternelle. Ai-je mérité ma place dans cet endroit ? À part les visions fugaces, ma mémoire ne m’a pas été rendue. Je n’ai absolument aucune idée de mes actes commis par le passé. Étais-je un sérial killer ? Mon dieu ! L’aurai-je tuée, elle, dans mon autre vie ? Ma punition pour cet acte infâme exige-t-il de moi de revivre sa perte à l’infini ? Je secoue la tête, inutile d’émettre des suppositions qui ne m’apporteront rien de plus que d’autres suppositions. Je sens le vent caresser ma peau et des effluves salées me chatouiller les narines. Je me décide enfin à faire face à mon environnement et descelle mes paupières closes.
Du bleu à perte de vue. Je suis incapable de voir où s’arrête l’océan et où commence le ciel. Seuls les chemins semblent flotter, telles des passerelles, à quelques mètres au-dessus de l’eau dans une disposition circulaire autour d’un point lointain qui diffuse une lumière dorée chatoyante. Présage-t-elle la fin de cette douloureuse et longue pérégrination ? Je regarde mes camarades sur leur sentier, certains ont déjà commencé à avancer vers ce phare scintillant. Eux aussi ont compris son importance capitale. Quelque chose s’insinue en moi, pernicieusement. Une idée, une pensée, non…, une certitude qui m’envahit tout entier. Un seul d’entre nous accédera à la gloire. Seul le premier arrivé aura le privilège de fondre dans la lumière et de réchapper à cet enfer. Cette conviction, je comprends que je ne suis pas le seul à la ressentir. Je ne réfléchis plus, mon esprit est verrouillé dans un seul but : gagner mon salut. Nous nous mettons à courir, comme si notre vie en dépendait. Je ressens une frénésie impatiente dans nos mouvements, pourtant inexistante auparavant. Un parfum de peur panique embaume l’air.
Chacun s’observe tout en maintenant la cadence de course. Les saluts amicaux ont laissé la place à l’inimitié la plus totale envers l’autre. Seule la victoire personnelle compte. Je veux sortir d’ici. Je mérite de gagner après avoir tant souffert. Je les tuerai tous, mais je gagnerai. Ces pensées tournent en boucle dans mon cerveau. Au bout d’une centaine de mètre, j’observe du coin de l’oeil une silhouette féminine aux cheveux bruns bousculer un homme devant elle. Emportés dans leur élan, ils chutent et la femme roule sur le côté un peu trop vite. Seule une main s’accroche encore au chemin tandis que le reste de son corps pend dans le vide. Elle essaye de remonter sur le sentier quand, soudain, l’homme s’approche d’elle et écrase sa main. Je la vois basculer dans l’océan dans le plus grand des silences. L’homme continue sa course comme s’il venait d’écarter un simple caillou de sa route.
Le choc annihile ma détermination meurtrière et, du même coup, cette programmation inconsciente. Tuer pour survivre ? Ne serait-ce pas là un piège tentateur pour prouver au contraire que nous méritons l’enfer ? Effaré, je constate que mes camarades s’entretuent dans l’indifférence générale. Ils courent tous à leur perte.
Des papillons attirés par la lumière, voilà à quoi ils me font penser. Une lumière qui se révèle parfois mortelle.
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