Samantha, la marraine
D’habitude je ne réponds pas lorsque je vois un numéro inconnu s’afficher. Mais cette fois, je ne sais pas pourquoi, j’ai pris l’appel. Et j’ai bien fait.
Dans un premier temps, je n’ai pas reconnu la voix d’Albert. Nous ne nous étions plus parlé depuis plusieurs années.
- Tiens, tu vis toujours Albert ?
- Tu ne t’es pas manifesté non plus, Samantha. Et Charlotte n’aime pas que je garde des liens avec les personnes qui me relient à mon passé.
- Oui, la comtesse a créé un nouveau cercle d'amis autour de toi. Et moi, je n’ai plus pu voir ma filleule à cause d’elle !
Cette remarque me touche et je ne peux m’empêcher d’être mordante. Je n’ai pas insisté pour garder le lien car je ne me sentais pas la bienvenue dans cette nouvelle famille.
- J’aime ma tranquillité, Samantha. J'ai laissé la distance s’installer.
- Et il ne t’est pas venu à l’esprit que Sandra aurait besoin de sa marraine après la mort de sa mère. C’était ma meilleure amie !
Après cinq ans de silence, sa mollesse me saute à l'esprit. Je connais ma part de responsabilité dans cet éloignement et ses propos m’agacent. Cela prend du temps pour lancer une carrière d’influenceuse et Sandra n’avait que douze ans lorsqu’elle a perdu sa mère. Et je n'ai jamais eu une âme maternelle. Sentant la colère bouillonner en moi, je préfère me taire et attendre l'explication de cette irruption dans ma vie.
- Je te contacte justement au sujet de Sandra. J’espérais lui avoir trouvé une mère de substitution, mais elle s’oppose en permanence à ma femme. C’est invivable pour toutes les deux et, je pense que Sandra aurait besoin d’un autre modèle féminin dans son entourage.
Et cela doit être aussi particulièrement dérangeant pour monsieur tranquillité. Pourtant, le connaissant, cette requête a dû lui demander un gros effort pour lui. Et ma filleule a besoin de moi.
- Je n’ai plus que quelques contacts avec Sandra via mon blog. Je ne la connais pas vraiment mais je veux bien essayer. Je t’écoute, Albert.
Il me raconte les tensions entre Charlotte et sa fille, les concessions acceptées par son épouse pour l’inviter au bal des vacances de printemps organisé au bar de la plage. L’importance pour lui de permettre à sa Sandra de côtoyer des personnes bien nées, et son envie de la voir mûrir en reconnaissant les efforts de sa belle-mère. C’est un endroit décontracté et privatisé pour l’occasion par une famille princière et il aimerait que sa fille fasse quelques efforts de présentation sinon Charlotte ne lui offrira pas d’autres occasions. Cette concession doit rester en travers de la gorge de cette orgueilleuse endimanchée. Et il est temps pour moi de jouer mon rôle de marraine. La soirée à lieu demain soir, Albert ne me laisse pas beaucoup de temps. Je vais lui proposer de passer l’après-midi ensemble. Au pire, elle dira non.
***
- Je suis heureuse de ton invitation, marraine. Maintenant que je suis majeure, cette sorcière de Charlotte ne pourra plus nous séparer.
Sandra est assise dans mon studio, radieuse à l’idée de me revoir enfin. Je constate le laisser aller de sa tenue et le potentiel caché derrière ses haillons.
- Ta belle-mère à de nombreux défauts, et ton père m’a dit que tu rejetais systématiquement ses suggestions. Mais, en agissant de la sorte, tu n’es plus libre de tes choix.
- Je ne veux pas lui ressembler, son orgueil, ses préjugés sur le monde. L’importance qu’elle accorde aux apparences. Tout ce qui vient d’elle est mauvais pour moi.
- Et elle peut diriger ta vie en te demandant l’inverse de ce qu’elle attend.
Je pense avoir trouvé une faille dans cette carapace et je laisse l’idée suivre son chemin. Ce rejet de la société est symptomatique. Cela doit cacher un problème plus profond.
- Je me souviens de maman courant sur la plage avec moi, reprend Sarah. Elle était gentille avec tout le monde.
- C’est vrai, mais elle savait aussi se mettre en valeur lorsqu’elle sortait avec ton père. Et elle serait triste de voir que tu refuses de te mettre en valeur.
- Tu crois ? Papa ne me parle plus jamais d’elle. J’aimerai tellement pouvoir profiter de ses conseils.
- Moi, je peux te dire ce qu’elle aurait aimé : que je t'aide à trouver un style vestimentaire qui te flattentet dans lequel tu te sentiras bien.
Sentant sa volonté vaciller, je lui raconte nos délires lorsque nous avions dix-huit ans comme elle. Ces anecdotes la ressource après des années de silence. Je m’en veux un peu pour l’avoir abandonnée. Si je pouvais l’aider à faire confiance en elle et à tenir tête à cette belle-mère clinquante, sans s’opposer tout le temps à elle, j’aurais l’impression de me racheter un peu.
- D’accord, finit-elle par accepter. Mais des vêtements confortables. Et hors de question de m'abîmer les pieds avec des hauts talons.
Je me dirige vers mon dressing et lui ouvre la caverne d’Alibaba d’un geste triomphal.
- Et voici les vêtements offerts par mes annonceurs. Certains devrait-aller à merveille, nous avons pratiquement la même taille. Tu me laisses carte blanche pour une séance de relooking ?
- Je te fais confiance, marraine.
- Appelle-moi plutôt Sam, sinon j’ai l’impression de prendre dix ans.
- Si tu veux.
Face à sa mine déconfite, je m’active et lui propose une tenue casual chic lui permettant de se sentir à l’aise dans ses vêtements, tout en les choisissant pour mettre sa silhouette en valeur. Cette tenue devrait être compatible avec les robes de cocktails de mise pour ce genre d'événement.
- J’ai pris rendez-vous chez mon coiffeur dans une demi-heure, puis j’aimerai te maquiller un peu.
- Merci pour le coiffeur, ma… Sam. Mais je ne me maquille jamais.
- Peut-être, mais ce sera l’occasion d’essayer avec l’aide d’une professionnelle. Et si tu n’aimes pas, tu pourras toujours l’effacer.
- Mais cela ne sera plus moi.
- Mise en valeur par mes pinceaux, tu te sentiras bien plus à l’aise pour participer à cette soirée.
Cette gamine à vraiment besoin d’un autre modèle féminin. Je ne sais pas si je pourrais remplir ce rôle au quotidien mais, pour ce soir, je vais booster son estime personnelle et faire d’elle la reine de la soirée. Et j’ai une autre surprise pour elle, je vais la déposer devant le bar avec ma nouvelle Porsche décapotable.
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