Qui es tu ?
Sandra
Derrière une cabine de plage, les pieds enfouis dans le sable, je pianote sur mon smartphone pour tuer le temps. Sam a attiré tous les regards sur moi en paradant sur la place des "m’as-tu vu?" avec son joli cabriolet et une foule d’inconnus désireux de connaître mes origines s’est agglutinée autour de moi.
Tout ce que je déteste.
Dès que je leur ai dit de ne pas porter de « petit de » et d'être juste tolérées ici, ils se sont désintéressés de moi. J’ai évité de mentionner la multinationale de mon père bien sûr, sinon je n’aurai jamais pu être un peu tranquille.
Ma demi-sœur est au bar avec ses amies, je ne suis même pas certaine qu’elle m’ait reconnue. J’ai moi-même eu des difficultés à accepter ma transformation lorsque ma marraine m’a permis de me regarder dans le miroir. Elle m’a même convaincue de porter des hauts talons pour me rendre encore plus élégante. Je me demande si j’ai bien fait d’accepter toutes ces propositions mais au moins je ne fais pas tâche parmi ces gens.
J’en ai marre de ces mondanités et j’ai mal aux pieds. Heureusement, ils viennent de rentrer pour le buffet et j’en ai profité pour m'asseoir sur le bord de la terrasse en bois. Je règle l’horloge de mon smartphone à minuit. Sam ne pouvant pas venir me récupérer, je rentre avec le dernier tram de minuit dix. Si je le rate, je suis condamné à rester jusqu’aux petites heures du matin pour rentrer avec Julie et la comtesse. Hors de question.
Entre chien et loup, les couleurs de la mer s'harmonisent à celles du sable. La lumière m'inspire et j’en profite pour essayer de capturer l’instant avec mon smartphone. Un peu plus loin, en direction de la mer, un jeune homme pointe son objectif en direction de la fête. Il a l’air étrangement sérieux dans son costume bleu marine. Probablement un des photographes officiels de la soirée. Il descend son objectif et m’offre un le plus doux des sourires. Mes jambes se liquéfient. Heureusement, je suis assise. Il se tourne ensuite vers la mer pour d’autres clichés, puis me regarde à nouveau, un peu surpris. Il semble hésiter avant de m’aborder.
- Vous ne semblez pas habituée à ce genre de manifestation ?
Un léger accent, rugueux et impossible à reconnaitre, pourtant il exerce un charme irrésistible sur moi. Les codes d’usage dans son pays d’origine semblent encourager le vouvoiement et contribuent au côté irréel de l’instant. Ses yeux hématites brillent reflètent la lumière déclinante.
Malgré mon étonnement, j’ai envie d’encourager la discussion entre nous.
- Non, et toi, tu es le photographe de la soirée ?
Cette réponse l’incite à s’approcher, tout en gardant une distance entre nous. Mon cœur grossit dans ma poitrine et mon souffle devient court. Quelle prestance !
- Je serais plutôt le photographe de fin de soirée, répond-il en m’invitant à le rejoindre. Tu veux regarder mes clichés ?
Je ne sais pas si mes jambes flageolantes pourront me porter jusqu’à lui.
Gabriel
Elle irradie une beauté presque surnaturelle. Elle ne semble pas m'avoir reconnu. J’ai un peu honte de la laisser dans l’erreur mais aurais je d'autres occasions d'être simplement Gabriel.
Elle hésite à me rejoindre alors, pour l’inciter à s’approcher, je lui propose de visionner mes clichés. Après quelques banalités, elle s'intéresse à mes origines.
- D’où viens tu, Gabriel ?
- De Boldavie, à l’Est. Je viens profiter de vos plages, incognito.
- Dans ce cas, tu seras Gabriel de Boldavie. Et moi, Sandra du bar de la plage. Avec nos noms à charnières, nous serons compatibles avec la faune locale.
Elle rit, s’illumine. Si elle savait. Pendant que les clichés défilent sous ces doigts, je m'approche d'elle.
- Je comprends pourquoi tu es le photographe de fin de soirée, il n’y a rien sur l’arrivée des invités.
- C’est un loisir. J’aurais aimé en faire mon métier, soupire-t-il.
- Qu’est-ce qui t’en empêche ? Les jeunes ne peuvent pas choisir leurs études dans ton pays ?
- Si, mais ce n’est pas toujours possible.
- Moi, plus tard je serais reporter, même si mon père préférerait me voir devenir comptable ou dentiste.
Elle me sourit et ses yeux azurés me transpercent. Je la laisse poursuivre la découverte de mes premières impressions en arrivant ici, des paysages de chez moi …
- Tiens, des scènes de vie dans un château. Les nobles t’intéressent donc tant que cela ? Moi, c’est un monde que je fuis. Je préfère rencontrer de vraies personnes, avec qui je peux être moi-même.
C’est agréable de pouvoir être soi-même, et pourquoi pas être aimé d’une inconnue croisée en bord de mer. Et même si je voudrais lui plaire, je ne peux m’empêcher d’essayer de défendre ce milieu qu’elle semble mépriser.
- Regarde cette jeune femme, c’est l’héritière du trône de Boldavie. Et pourtant, elle rêve d’amour et de voyage comme toutes les autres filles de son âge. Malheureusement, sa condition l’oblige à toujours être accompagnée d’un garde du corps et toutes ses apparitions sont commentées et analysées. Mais, à l'abri des regards, dans son château, c’est une personne gentille et un peu timide.
J’aimerais connaître ses pensées, mais je me contente de l’observer. Je ressens sa chaleur, elle m'enveloppe.
- Tu as sans doute raison. Ils ne sont probablement pas tous pareils.
- Tu penses à quelqu’un en particulier.
- Non, coupe-t-elle. C'est un sujet de reportage comme un autre. Je préfèrerai découvrir d'autres pays, pourquoi pas la Boldavie. Et tu pourrais être mon guide et photographe.
Il y a une heure, nous ne nous connaissions pas et pourtant, tout semble tellement naturel entre nous. Comme si nous nous connaissions depuis toujours.
Je l’emmène vers la plage observer le coucher du soleil, instant magique partagé par les amoureux de tout âge et de tous pays. Puis l’obscurité nous ramène vers les cabanons longeant la digue. Elle a froid, elle me laisse l’enlacer pour la réchauffer. Nos visages se rapprochent, son souffle chatouille mes narines. Il n’y a plus qu’elle et je me noie dans ses yeux, oubliant la prudence la plus élémentaire jusqu’à ce que j’entende un clic reconnaissable entre tous.
Elle va me détester.
Je lui prends la main et l’entraine dans une course folle. Elle rit et me fait confiance. Nous rejoignons ma Jeep et fuyons à travers les dunes. Le vent la décoiffe, libère ses boucles cuivrées. Elle est encore plus belle.
Nous nous arrêtons dans une plaine désertique. Elle se tourne vers moi. Sa bouche se fait gourmande, ses lèvres m'appellent. Un premier baiser nous transporte.
La soirée est à nous. Puis je la ramènerai discrètement chez elle.le sans revenir ici.
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