Chapitre 2

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Une fois que la balade des six hommes sur la barque fut terminée, ils montèrent un à un à l’échelle qui était fixée sur le côté du bateau. C’était un gros navire par rapport aux normes habituelles des pirates qui cherchaient surtout en général la rapidité ainsi que la légèreté afin de pouvoir prendre plus facilement une proie en chasse, ou fuir en cas de coup dur.

— Alors Charles, tu as pu prendre du bon temps ? dit le second Marcus, en tendant la main à son Capitaine.

— Pas vraiment non, je n’ai pas pu trouver de quoi me divertir, ils n’avaient même pas l’ombre d’une bibliothèque dans cette île, rétorqua le capitaine avec déception en prenant appui avec la main du Second pour monter sur le bateau.

— Voyons Capitaine, je ne voulais pas parler de ce genre de plaisirs. As-tu pu avoir au moins les informations que tu souhaitais ?

— Oui, je t’en parlerai quand on se sera réunis avec les autres officiers. D’ailleurs où sont-ils ? dit-il en tournant la tête de chaque côté.

— Ils sont encore sur l’île, ils aident le charpentier à réunir les derniers matériaux pour finaliser la réparation du bateau. Cela nous a pris plus de temps que prévu, nous sommes désolés pour le retard d’ailleurs…

— Pas de problème, allons-y ! Cela m’a permis de me reposer.

Le capitaine profitait du temps de la mise en route du bateau pour faire l’état des lieux de son navire. Les dommages avaient été nombreux à la suite de la pluie interminable de boulets de canons que leur avait envoyé leur dernier adversaire. Les multiples fracas des boulets s’écrasant sur le navire qui avait fait tout voler en éclats sur leur passage, se faisaient encore entendre dans l’esprit du Capitaine. Néanmoins, en aucun cas on aurait pu se dire que ce bateau avait été la cible de tirs tant le travail de réparation avait été bien réalisé. Les parties du bateau endommagées avaient été remplacées par de nouvelles pièces de bois taillées à la hache qui trouvaient parfaitement leur place aux emplacements anciennement accidentés.

Plus loin, sur ordre du second, six matelots avaient été détachés pour pouvoir tourner le cabestan et ainsi permettre de relever l’ancre. Ils empoignèrent chacun leur barre d’anspect et commencèrent à pousser avec leurs bras et leurs corps penchés vers l’avant. Cela nécessitait beaucoup de force et de coordination à ces matelots afin de ne pas perdre le rythme et de ne pas se faire ramener en arrière par le cabestan par manque de force. C’était là une tâche dangereuse confiée aux plus costauds de l’équipage afin d’éviter tout accidents.

Ils étaient arrivés à mi-chemin, quand soudain le cabestan cessa de tourner sous les yeux du capitaine qui était arrivé à leur hauteur. Le mécanisme ne fonctionnait plus. Les matelots étant surpris et le capitaine qui observait la scène, leur ordonna de poursuivre leurs efforts, tout en les rejoignant afin de les aider à pousser sans retenue. L’objectif était d’éviter toutes blessures liées à l’abandon d’un matelot. Le cabestan étant un système rotatif, et le moindre effort manquant pouvait le ramener à l’arrière et propulser les matelots restants sous les coups des barres d’anspect, ils continuèrent donc de pousser encore plus fort, jusqu’à que celui-ci ait pu repartir sans incident.

— Comme tu peux le constater, il reste encore des choses à finaliser, s’excusa Marcus en se précipitant d’aller voir si le cabestan était sécurisé.

Le timonier effectua donc une manœuvre pour changer le cap du bateau avant que l’on ordonne aux gabiers de déployer toutes voiles dehors. Quand le bateau eut fini d’être manœuvré, le capitaine pu se retirer dans ses quartiers pour réfléchir sur les récentes découvertes apprises sur l’île de la part du joaillier.

La pluie battante durait depuis des heures alors que le bateau suivait son cours, chanceux d’avoir esquivé la tempête ayant été aperçue lorsqu’ils étaient allés chercher leur capitaine. Les vagues venaient se fracasser contre la coque du bateau, mais il en fallait plus pour impressionner le timonier qui tenait la barre. Il se rappelait la tempête qu’il avait essuyé quelques semaines auparavant, et ressentait encore les sueurs froides lui parcourir les membres de toutes parts. Mais c’est une main sur l’épaule qui vint le ramener à la réalité.

— Qu’est-ce qu’il y a ? dit-il en sursautant sur place tout en se retournant. Oh ! Capitaine ! vous m’avez surpris.

— Désolé Billy, j’ai vu que tu avais l’esprit ailleurs. Tu repenses encore à cette nuit ? dit le capitaine avec une voix rassurante.

— Oui ça m’arrive encore parfois. Je n’avais jamais vu des conditions météorologiques aussi catastrophiques. Je ne m’en serais jamais sorti sans vous cette nuit-là.

Billy sortit ces mots en resserrant son emprise sur la barre, désemparé.

— C’est mon rôle Billy, tout membre de mon équipage doit pouvoir se sentir en sécurité en sachant que je serai là pour l’épauler. Et tu ne dois pas te dénigrer, tu t’en es très bien sorti, c’est grâce à tes talents qu’on a pu s’échapper, répondit-il en tapant sur l’épaule de Bill, le forçant à se tenir droit.

— Et grâce à votre stratégie Capitaine. Merci, je suis encore novice dans la navigation, mais je vous jure que je ne faillirais plus !

C’était un homme fier et bombant le torse qui tenait désormais la barre avec un regard déterminé. Les mots de son Capitaine l’avaient rempli de fierté et de confiance, et peut-être était-ce dû à un hasard ou à la providence, mais face à un tel comportement, la pluie avait cessé de battre pour laisser place à un ciel ensoleillé.

— C’est normal, tu as beaucoup étudié, la pratique ne fait pas toujours appel à des notions que tu aurais pu voir dans des livres. Il y a des choses dans la vie qui ne peuvent être que vécues afin que l’on puisse les apprendre. Maintenant, le plus important, c’est de les assimiler et de progresser grâce à ce que l’on vit et ce que l’on apprend. Tu as bien progressé depuis tes débuts, sois fier du chemin que tu as parcouru.

— Oui Capitaine, hurla Billy en faisant sursauter les matelots aux alentours, avant qu’ils ne se mettent à rire.

Le trajet poursuivait tranquillement son cours depuis des jours sous un soleil étouffant s’étant bien installé à la suite de la pluie. Les réverbérations du soleil dans l’eau n’aidaient pas les matelots à aller mieux. C’était un comble se disaient-ils entre eux, d’avoir aussi chaud sans pouvoir facilement se rafraichir la tête alors qu’ils étaient en plein milieu de l’océan. Le vent était donc leur allié le plus précieux dans ces moments-là, permettant de mieux supporter ces conditions météorologiques pouvant changer rapidement. Et c’est également grâce à ce vent qu’ils pouvaient atteindre leur destination plus vite.

— Terre en vue, hurla l’homme situé dans la vigie.

Le capitaine prit sa longue-vue et constata en effet une île dans leur direction. Vu d’extérieur, on ne voyait de l’île qu’une immense silhouette de montagne, ce qui ne pouvait en rien laisser deviner l’intérieur. C’est une fois que le navire fut suffisamment proche, que l’on pouvait observer que l’île, à la forme d’un croissant, n’était pas aussi grande qu’elle ne le laissait paraitre. En effet, elle avait pour accès principal une crique en son centre, où les bateaux pouvaient facilement pénétrer sans risquer de haut-fond, et qui était bordés de massifs montagneux abrupts tels des remparts, ce qui était parfait pour réparer un navire pendant quelques semaines à l’abri des regards. Seule une immense forêt dense prolongeait la magnifique plage bordant la crique.

Une fois les voiles rentrées, le bateau pouvait entrer doucement à l’intérieur de la crique, où des dizaines de personnes faisaient des signes depuis la plage. Ils étaient le reste de l’équipage, étant restés pour rassembler les derniers composants permettant de finaliser la réparation du bateau. L’équipage en avait profité pour installer des campements sur la plage, et fabriquer des tables pour manger tous ensemble. Les quelques rafales de vents faisaient parvenir sur le pont une forte odeur au loin, dont le fumet, permettait de savoir qu’un cochon sauvage était en train de rôtir sur une broche. Cela leur paraissait impensable de trouver du gibier sur cette île, étant donné sa taille.

Quand le timonier installa le bateau minutieusement dos à la crique afin d’assurer un départ rapide en cas de problèmes et que l’ancre fut enfin mise à l’eau au plus proche de la plage, les allers et retours avec la barque purent commencer avec le capitaine en premier.

— Merci William d’avoir gardé précieusement mon tricorne jusqu’à maintenant, dit le capitaine en secouant sa main dans les cheveux du mousse qui lui faisait face dans la barque.

— De rien Capitaine, c’était un honneur pour moi d’en assurer la sécurité. J’ai également fait de mon mieux pour les réparations, mais je manque encore de muscles pour vraiment aider, dit le garçon en baissant la tête.

— Ne te fais pas de soucis pour ça, tu as encore le temps de grandir, tu n’as que quinze ans.

— Il a raison, dit le second, tu as déjà suffisamment contribué aux réparations, cela ne sert à rien de sauter les étapes, à part à se brûler les ailes.

L’embarcation finit par arriver à la plage en ne laissant que le rameur dedans afin qu’il puisse aller chercher un autre groupe. Leur arrivée était attendue par quelques personnes, dont les deux autres officiers et le charpentier. Les trois hommes emmenèrent Charles et Marcus un peu plus loin sur la plage, à l’entrée de la forêt, dans une tente.

— Alors Capitaine, votre escale était bien ? demanda le premier officier en charge des armes, en même temps qu’il rentra dans la tente tout en tenant en l’air le morceau de tissu qui servait d’entrée.

— Cette escale était très fructueuse Thomas, tu as eu le temps de faire l’inventaire de ton côté ? répondit le Capitaine en baissant la tête pour rentrer à son tour dans la tente.

— Oui, il va falloir qu’on fasse un arrêt à Skullwater, Capitaine, on manque de boulets de canon, de munitions, et même de matelots. On déplore quelques blessés, et c’est sans compter certains couards qui ont déserté depuis l’attaque de l’autre jour, ils ont profité du moment où on vous a déposé sur l’île pour s’enfuir à la nage. Ils disaient qu’on sera leur proie tant qu’ils ne nous auront pas coulés.

— D’accord, soupira-t-il. D’autres signes de désertion ?

— Non, pas encore pour le moment, mais je crains que le moral de certains flanchent une fois qu’on aura repris la mer, répondit Thomas avec un air agacé.

— Te fais pas de soucis, j’apporte de bonnes nouvelles qui devraient ragaillardir les plus frileux, et tant pis pour ceux qui sont déjà partis, ça nous évite qu’ils nous fassent faux bond à un moment plus fatidique, je leur souhaite bon vent, dit le capitaine en faisant un signe de la main. Charpentier, où en sont les réparations du bateau ?

— La ligne de flottaison est bonne, on a réussi à réparer l’essentiel des dommages qu’on a subi, il ne nous manque plus que quelques petites réparations mineures à effectuer telles que le cabestan qui bloque quelquefois, et quelques endroits à consolider au niveau de la coque, répondit-il.

— Parfait, quand pouvons-nous reprendre la mer ? interrogea le Capitaine.

— D’ici trois jours maximum Capitaine, si le bon temps continue à être de notre côté, on pourra travailler avec du bois sec que l’on pourra traiter ensuite, répondit ce dernier avec optimisme.

— Tiens moi au courant si cela avance plus vite que prévu. Je vais profiter de ce temps là pour aller parler à notre cher invité. En attendant, poursuivez les réparations.

— Bien Capitaine, répondit le charpentier avant de partir aussitôt de la tente.

— John, ton rapport ? dit le capitaine en se retournant vers le dernier officier présent dans la tente.

— Comme Thomas l’a dit, nous accusons actuellement plusieurs abandons de poste, mais rien d’irremplaçable, répondit John. Cela serait également mentir de dire que le moral des hommes est au plus haut, vous devriez faire quelque chose pour cela avant qu’il soit trop tard. Et le prisonnier que l’on garde intrigue beaucoup de matelots, ils se posent beaucoup de questions à son sujet, enchaina le maitre d’équipage.

— Je comprends leurs réactions et je comprends également tes inquiétudes à propos de tout ça. Ce soir, réunit tout le monde sur la plage, j’aurai à leur parler, dit-il en posant la main sur l’épaule de John.

— J’espère que vous saisissez bien l’importance de votre futur laïus Capitaine. Le moral de l’équipage est en jeu, et j’espère surtout personnellement que vous avez une raison valable de nous remettre en danger, sinon je ne pourrai pas raisonner l’équipage éternellement.

— Vous perdez vos motivations qui vous ont fait rentrer dans la piraterie, officier ? Sachez que je ne retiens personne sur ce navire, si quiconque souhaite partir, qu’il le fasse. Vous avez tous pour la plupart perdu confiance à cause de l’Imperator. Je pensais qu’avec la nuit que l’on a vécue il y a deçà quelques semaines, vous seriez à même de comprendre qu’ils ne détiennent pas un navire parfait, aussi infaillible qu’ils le prétendent. La preuve, on est encore là pour en parler. Je vous conseillerais de raisonner les plus réticents, je veux des matelots qui ont soif de trésors et de gloires, et non qui veulent se cacher par peur, répondit avec agacement le Capitaine au maitre d’équipage. Faites votre boulot, et je ferai le mien, c’est ainsi que ça fonctionne sous mon commandement.

Sur ces mots, John quitta la tente, énervé par le discours qui avait été tenu par son Capitaine. Il se raisonna en se disant que ce soir, les craintes de certains matelots seront peut-être effacées grâce au discours prévu. Le butin actuel et le futur passage à Skullwater devraient également aider à changer les états d’esprits, y compris celui du maitre d’équipage.

— Ne fais pas attention Charles, dit Marcus en essayant de le calmer. John est un maitre d’équipage très dévoué à ses matelots, ce n’est pas pour rien que tu l’as choisi.

— Tu as raison, mais c’est bien de lui rappeler aussi les limites de ses fonctions, répondit Charles. Je ne lui en veux pas, il nous a sauvé la mise une multitude de fois quand on rencontrait des difficultés à amasser des butins et que l’équipage était proche de la mutinerie.

— Et on fait quoi du prisonnier, Capitaine ?

— On va aller lui rendre une petite visite, j’ai des questions à lui poser.

— Suis-moi. On vient de le réinstaller dans les geôles maintenant que la réparation du bateau est quasiment finie.

Les deux hommes quittèrent la tente en laissant Thomas à l’intérieur. Hormis les tracas de chacun, c’était une ambiance festive qui était présente sur la crique de l’île. Le soleil qui commençait à décliner dans le ciel laissait place aux danses et chants des matelots qui avaient fini leur journée de labeur. Les feux de camps étaient en nombre sur leur passage jusqu’au navire et ressemblait presque à un chemin tout tracé. Ce passage partiellement éclairé concédait au Capitaine le moyen de côtoyer anonymement certains matelots qui avait trop bu pour la plupart, afin de lui permettre de se renseigner plus facilement sur leur motivation actuelle et leur état d’esprit. Il releva un fractionnement idéologique dans son équipage entre l’attente de grandes aventures pour certains, et la remise en question des directives pour d’autres. Le Capitaine se disait qu’il se devait d’unifier son équipage sous un seul et même objectif, une aventure qui les conduiraient à la richesse, et c’est avec cette idée en tête qu’il se hâta d’atteindre le navire pour atteindre les geôles.

La cale du bateau était principalement constituée de couchettes entassées les unes à côté des autres pour permettre à tous les matelots de dormir la nuit lorsqu’ils n’étaient pas de garde. Les vivres et marchandises volées étaient entreposées dans le sellier fermé à clé, utilisé comme espace de stockage de nourriture et qui était principalement géré par le coq de l’équipage afin de rationaliser la nourriture et éviter les vols ponctuels de matelots affamés. Le cuistot racontait s’être porté volontaire pour devenir cuisinier afin d’éviter de manger les mets infames préparés par ses prédécesseurs.

Au fond de cette cale se situait quelques geôles qui servaient à garder prisonnières des personnes d’intérêts capturées lors d’un abordage. Cela pouvait aller du commandant d’un navire militaire à un commerçant d’apparence riche qui pouvait être ramené chez lui en échange d’une rançon. Ce jour-là, ce n’était ni l’un ni l’autre auquel les fers avaient été passés, c’était un commerçant sans richesse. Quand les deux hommes s’approchèrent de lui, il essaya de se redresser avec difficulté.

— Euh…Capitaine Storm, c’est ça ? Je ne pensais pas vous revoir un jour, tous vos matelots voulaient ma peau en votre absence, dit le prisonnier avec la voix légèrement chancelante.

— Ce n’est pas étonnant, à leurs yeux tu n’as aucune valeur, c’est même pire que ça, tu nous coûtes en vivres et en eau, et il n’y a pas plus sacré pour nous que ces deux denrées quand nous ne pouvons pas poser un pied à terre pendant des semaines, dit le Capitaine en approchant la geôle du commerçant. Nous allons donc pouvoir reprendre notre conversation où elle s’était arrêtée. Tiens-tu à la vie, au fait de pouvoir revoir tes proches ? interrogea Charles d’un ton sérieux.

— Oui, bien sûr que je tiens à la vie, je n’ai pas encore pu réaliser tout ce que je voulais accomplir, répondit l’homme enchainé, en serrant les barreaux avec ses mains. J’ai soif d’explorations et de découvertes Monsieur, je ne veux pas mourir maintenant, enchaina-t-il.

— Tu ferais un bon pirate, pourquoi avoir choisi d’être un marchand alors ?

— J’ai choisi d’être commerçant car c’est le meilleur moyen de pouvoir apprendre la navigation tout en gagnant de l’argent, et je serai bien incapable d’être pirate, je ne détiens ni l’âme d’un pilleur, ni d’un violeur, ni d’un brigand, répondit-il avec le retour de légers sanglots au fond de la gorge. Sans vous offensez, bien sûr.

— Tu accables beaucoup les pirates. Saches que c’est comme dans n’importe quel environnement social, il y a des bonnes et des mauvaises personnes. On retrouve la même approche dans la marine de chaque nation, chez leurs aristocrates, leurs commerçants et leurs habitants. C’est juste qu’aux yeux de certaines personnes qui régissent les lois de ce monde, nous sommes du mauvais côté de la loi. Toutes les personnes hors-la-loi ne sont pas naturellement malveillantes, comme toutes les personnes respectueuses des lois ne sont pas toutes bienveillantes, argumenta le Capitaine.

— Vous êtes bien érudit, s’étonna le prisonnier. C’est contraire à ce que l’on imagine des pirates, réfléchit l’homme dans sa geôle en reprenant ses esprits.

— Ton esprit est comme ton corps actuellement, il est lui aussi enfermé, mais dans ses idées préconçues. Bon ! reprit-il en pensant avoir assez divergé. Revenons-en à notre sujet principal. Après avoir abordé ton navire marchand, tu as eu la volonté de sauver ta propre vie en me racontant une légende concernant un trésor perdu qui aurait appartenu à ton ancêtre. Deux magnifiques émeraudes uniques. Donnes moi plus d’informations là-dessus, répondit le Capitaine en s’installant sur un tabouret devant la geôle occupée.

— Je vous ai déjà dit tout ce que je savais, un jour, lorsque je suis tombé par hasard sur son journal de bord, j’ai appris l’existence de ces bijoux. Mon arrière-arrière-grand-père y raconte avoir détenu deux émeraudes flamboyantes qu’il aurait obtenu lors d’un expédition d’exploration sur une île inconnue. Après sa mort, la trace des bijoux devient plus abstraite. J’ai donc décidé de collecter de l’argent et des connaissances en navigation pour pouvoir financer mon propre bateau et mon équipage pour devenir comme lui et retrouver son butin. C’est ce à quoi j’aspirais jusqu’à ce que vous réduisiez mes efforts à néant, répondit l’homme en reposant sa tête contre les barreaux, recroquevillé sur lui-même, comme s’il venait juste de réaliser que sa quête était finie avant même d’avoir commencée.

L’échange entre les deux hommes avait pris un nouveau tournant, l’homme qui était très bavard, pris conscience que s’il donnait plus d’informations, il serait dans l’incapacité de pouvoir réaliser son souhait de retrouver le trésor perdu de son ancêtre. Il se demandait si cela avait un sens d’épargner sa vie en échange d’un trésor familial.

— Je suis allé voir un joaillier réputé pour ses connaissances dans les légendes de trésors, et il m’a avoué avoir déjà entendu parler de cette histoire, enchaina le Capitaine. Autrefois, il y aurait eu une légende concernant l’un de ses confrères qui les aurait expertisés pour vérifier leur authenticité. On raconte qu’elles avaient une valeur inestimable dû à leurs puretés car il n’y avait aucune présence d’inclusions, même à la loupe. Le joaillier ne croit toujours pas à cette légende car il était impensable pour lui que deux émeraudes puissent être dépourvues d’inclusions, et m’a conseillé de ne pas perdre mon temps à les rechercher. Il soupçonnait son pair de chercher de la renommée pour accroître sa clientèle. Moi, je crois en cette histoire, surtout après que le joaillier corrobore ta version des faits. Où pouvons-nous trouver ce fameux journal de bord ?

— Je..je n’en sais rien ! répondit l’homme inquiété. Je l’ai perdu lors de l’attaque. A bien y penser, je ne crois plus trop en ces histoires non plus, c’est impensable, si même un professionnel du milieu de la joaillerie le dit…

— Ne me prends pas pour un con ! s’insurgea le Capitaine en se relevant, tu nous mens pour qu’on arrête de pourchasser les émeraudes de ton ancêtre. C’est trop tard, il ne fallait pas nous en parler pour sauver ta peau ! Si le journal de bord est toujours à bord de ton navire, cela signifie qu’on peut encore le retrouver, et dans le pire des cas, tu dois encore avoir les informations dans ta tête. Je ne voulais pas en arriver à de telles extrémités, mais si tu ne nous le dis pas de toi-même, on va t’y forcer, dit-il en faisant un signe de la main pour indiquer à son second d’aller chercher le nécessaire pour le faire parler.

L’ambiance avait franchi encore une nouvelle étape, c’était une atmosphère tendue qui régnait au fond de la cale du bateau. Le Capitaine fulminait à l’idée de se voir privé d’un trésor qui lui avait été annoncé récemment et il lui fallait des réponses avant que le prisonnier ne se referme sur lui-même. Au-delà du fait de partir à l’aventure et chercher des trésors, c’était aussi le moral de l’équipage qui était en jeu, et il se rappela ainsi les mots de John. Il se devait d’annoncer une bonne nouvelle aux matelots.

A la vue du second qui revenait avec un fouet à la main, le prisonnier ne savait plus quoi penser, ni quoi protéger. Sa vie ou son héritage perdu ?

— On est obligé d’en arriver là ? rétorqua le prisonnier, la gorge nouée, le corps commençant à trembler. Pourquoi vous les voulez absolument ? Vous n’avez pas de meilleurs butins à trouver ? Ils me reviennent de droit, ils appartiennent à ma famille, c’est mon rôle de les retrouver ! répondit le marchand avec le peu de panache qu’il lui restait pour essayer de raisonner le Capitaine. Il en va de la réputation de ma famille de prouver que mon ancêtre ne tombe pas dans l’oubli, c’était le meilleur explorateur de son temps ! Tout le monde raconte que sa meilleure découverte concernant les émeraudes parfaites n’est qu’une de ces fameuses légendes que l’on raconte aux enfants pour les endormir le soir, et que tout n’est que purs mensonges.

— Si ce n’est qu’une question de réputation, il n’y a aucun problème, si on les trouve, le monde entier sera au courant. Cependant, si tu as d’autres motivations en tête, il va falloir faire une croix dessus, car je n’en démordrai pas tant que je n’aurai pas ce carnet de bord dans les mains, dit-il en tendant la main pour attraper le fouet. Marcus, ouvre la cellule, il est temps de passer aux aveux.

Marcus donna le fouet au capitaine, puis ouvrit la cellule. Il sortit par le poignet le prisonnier avant de le coller contre sa geôle. Ses deux mains étaient accrochées contre le haut des barreaux de sa cellule, dont le dos était dénudé et recroquevillé de fatigue. Lorsque le Capitaine fit frapper le fouet contre le sol, le prisonnier eut un sursaut avant qu’un nouveau coup survienne instantanément en lui détachant la peau à l’endroit où le fouet apposa son courroux. Les prochains coups sanglants et déchirants s’enchainèrent dans un rythme qui devenait de plus en plus hâtif, jusqu’à arriver à l’effondrement corporel et animique du prisonnier à la cinquième sentence.

Il décida de tout leur avouer en se disant qu’il était vain de perdre la vie si son objectif allait se réaliser malgré tout, même si cela ne serait pas de son fait. Il faisait partie de ces malheureux matelots assoiffés d’aventures dont les ailes avaient été coupées avant même d’avoir pu voler car la piraterie n’avait jamais été une option pour eux.

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