Chapitre 7
La route en terre durcissait, les façades des maisons chauffaient et les réverbérations sur l’eau du soleil généraient une chaleur sans commune mesure à l’intérieur des terres, ce qui se produisait souvent dans les premiers jours de l’automne. Le bétail essayait de trouver refuge en dessous des feuillages, et les habitants profitaient de ces moments de repos afin de récupérer de la veille. C’était le genre de journée tranquille que nul homme n’aurait pu troubler.
Cependant, le nom de Robert résonnait dans toutes les rues dans la plus grande incompréhension des insulaires, dont la majorité se vit troublé leur sommeil. Tous les commerçants avaient été interrogés par les compagnons du disparu, afin de pouvoir identifier les personnes l’ayant vu pour la dernière fois, et permettre ainsi de simplifier les recherches. Jack, lui, était retourné au bordel, car ce dernier représentait le dernier endroit où Robert avait été aperçus par son compagnon.
En rentrant à l’intérieur, l’endroit semblait s’être métamorphosé comparé à la dernière fois où il y avait mis les pieds. La luminosité provenant des lueurs solaires à travers les fenêtres, donnait un aspect plus éclairé dans la salle de réception, là où de nuit, l’ambiance tamisé procuré par les lanternes à huile et bougies, donnaient plus de mystères et de pénombre. Le barman, mari de Christine, s’occupait de nettoyer les tables et de remettre en ordre la salle pour le prochain service ce soir. Les filles de joies étaient habillées de manières moins aguicheuses et passaient chacune leur tour avec des draps dans les mains. Quelques clients retardataires semblaient avoir dormi sur place, et étaient ainsi mis à la porte par Christine, les pressant à coups de va et vient de balai, afin de pouvoir nettoyer les chambres. Tout ce petit monde semblait habituer à effectuer ces tâches matinales, leur permettant ainsi de se reposer pour l’après-midi. Jack attendait que Christine fasse sortir un client pour l’interpeller.
— C’est bien toi, Christine ? demanda Jack en s’avançant vers elle. Je suis à la recherche d’ami, j’aimerai savoir s’il se trouve ici, enchaina-t-il d’un ton inquiété qui alarma Christine.
— Oui c’est bien moi, répondit-elle en arrêtant d’utiliser le balai comme un sabre. Donne-moi plus d’informations sur lui, tu sais, il y a beaucoup de passages ici. J’espère juste que ton ami n’est pas encore ici, sinon il va tâter de mon balai, dit-elle en tapant son bâton contre sa paume ouverte. Il y a des horaires à respecter, pesta-t-elle.
— Il s’appelle Robert, dit Jack. Il n’est pas très grand, et il est bien portant, si tu vois ce que je veux dire. Il a le même âge que moi, une cinquantaine d’année, et il a les cheveux et la barbe blanche. Tu ne devrais pas avoir croisé beaucoup de pirates comme lui, la plupart sont jeunes, et ne font pas de vieux os dans la piraterie.
Jack s’inquiéta en regardant le changement d’expression faciale de Christine, cette dernière ne répondit pas et semblait absorbé dans ses pensées, essayant de rechercher un client ayant eu besoins des services proposés par son bordel. En vain. Aucun de ses clients ne ressemblaient à la description faite par Jack.
— Je suis navrée, mais je n’ai pas vu de client ressemblant au portrait que tu m’as décrit, répondit-elle en grimaçant.
— Tu es sur ? demanda-t-il en insistant. Prend le temps de réfléchir, au moindre détail s’il te plaît, c’est mon ami, dit Jack dont la voix s’atténuait et le nez se pinçait.
— Je vais replonger dans mes souvenirs, répondit Christine touchée par la tristesse que faisait preuve l’homme en face d’elle. Il y a eu pas mal de passages ces temps-ci, surtout avec le passage de l’équipage de Barbegrise. Ces enfoirés agissaient d’une manière qui embarrassaient mes filles et qui refusaient d’exercer leurs pratiques dégueulasses. Cela n’a pas plu à ces derniers, et j’ai dû passer la semaine à les bannir de mon bordel, et le gouverneur ne daigne même pas nous aider, enchaina-t-elle d’une traite, n’ayant repris son souffle qu’une seule fois. J’attends qu’une unique chose, c’est qu’il décampe de cette île, ainsi que ces chiens errants de pirates.
— Pourquoi il ne vous aide pas ? questionna-t-il en relevant la tête, exposant ainsi ses yeux ternit.
— Pfff, soupira-t-elle. Barbegrise est l’un de ses favoris, il fait partie des cinq capitaines à lui rapporter le plus de butins, finançant ainsi la taxe de défense, et son patrimoine par la même occasion. Jamais de la vie il n’osera s’interposer contre lui pour prendre la défense de putains, soupira la gérante encore plus fort. Il doit y avoir aussi cette part de jalousie, si je pouvais disparaitre, ça l’arrangerait.
Jack ne savait pas quoi répondre face à autant d’informations qu’il n’avait demandé uniquement par politesse. Un silence s’installa entre eux, et se prolongea par un nouveau moment de réflexion de Christine, ayant fini par retrouver son calme.
— Je suis réellement navrée, pirate, reprit-elle. Je ne me souviens pas avoir vu ce Robert dans mon établissement. Il a peut-être pris la fuite comme la moitié de tous ces poltrons.
— Jamais, rétorqua Jack avec énervement. Cela fait des décennies que l’on parcourt les mers ensemble, je le vois mal abandonner, soi-disant parce qu’il craindrait de reprendre la mer, c’est totalement impensable. Encore désolé pour le dérangement, je vais retourner à mes recherches, enchaina-t-il en tournant les talons, énervé, et se dirigeant ainsi d’un pas lourd vers la sortie.
Jack ne savait plus où chercher Robert. Il préféra retourner en direction du port, dans l’espoir qu’un membre de l’équipage aurait recueilli des informations ou l’aurait retrouvé.
La journée poursuivait son cours, et personne n’avait pu obtenir le moindre indice concernant la disparition de Robert, autant du côté des commerçants que des autres équipages. Le mystère était total, personne ne savait les réelles motivations derrières cette disparition, les débats allaient dans tous les sens parmi les matelots restés au port en attendant de repartir. Est-elle volontaire car Robert souhaitait quitter l’équipage au lieu de mourir en mer ? Est-ce un nouveau coup des Anglais qui auraient infiltrés l’île pirate ? Tant de questions sans réponses, rendant ainsi nerveux les pirates du Rose’s Revenge, se demandant quoi faire. Ils attendaient les directives du Capitaine afin de savoir s’ils allaient reprendre la mer ou attendre d’en savoir plus sur le cas de Robert.
Alors que le crépuscule teintait le ciel et les nuages de rose, tous les matelots attendirent les consignes d’appareillage sur le navire. Les officiers et Jack qui venait de les rejoindre, continuaient d’attendre sur le ponton, qui permettait l’accès à la barque consacré aux navettes entre le port et le bateau.
— Toujours aucunes nouvelles ? demanda-t-il. Je n’ai pas revu le Capitaine depuis ce matin, dit Jack. Vous pensez qu’il est sur une piste pour retrouver Robert ?
— Je ne pense pas, répondit Marcus péniblement. Il a passé toute la journée à questionner les habitants, y compris le gouverneur qui connait le moindre recoin de cet île grâce à ses informateurs, et aux dernières nouvelles, il n’y avait toujours aucune trace de Robert.
— Je commence à craindre le pire, répondit Jack. Je n’aurai jamais pensé que nos derniers jours à voguer ensemble soit déjà derrière nous.
— Ne perds pas espoir, Jack, dit John en posant la main sur son épaule. On tient tous beaucoup à lui. Je suis convaincu qu’il n’y a pas une seule personne dans notre navire qui n’a pas reçu de bons conseils de sa part à leurs débuts. On lui est tous redevable de quelque chose. Il est d’une bienveillance sans égale, on le retrouvera. Et si ce n’est pas le cas, on pourchassera jusqu’aux confins les plus reculés ces enfoirés qui nous l’ont pris, je te le jure, enchaina-t-il la voix transformée par une émotion de rage montant en lui, ne serait-ce qu’à la simple énonciation de cette hypothèse.
Jack comprit qu’il n’y avait pas que lui qui était attristé par la disparition de leur compagnon, et c’était la main sur son épaule qui le lui indiquait. John étant pris par ses émotions, ne s’était pas rendu compte qu’il rentrait ses doigts dans l’épaule de Jack, avec une ardeur s’accentuant au fil de sa promesse de pourchasser à mort les potentiels fautifs.
— Vous savez où je peux rejoindre le Capitaine ? demanda Jack en faisant signe à John d’arrêter de lui broyer l’épaule.
— Charles m’a confié la volonté de faire un dernier tour à l’église avant le départ, dit Marcus.
— D’accord, répondit-il en remerciant son second. Il doit bien être l’un des seuls à vouloir s’aventurer là-haut en dépit des cris nocturnes. J’aimerai lui demander de nous laisser quelques jours de recherche supplémentaires.
— Tu devrais le trouver là-haut alors. Néanmoins, je n’ai aucune idée quant à sa volonté de repousser le départ, ne t’attends pas à avoir une réponse positive de sa part, cela reste très important pour lui de partir au plus tôt pour notre expédition. Faut que tu comprennes que l’enjeu est de taille, et nous dépasse complétement, dit Marcus en faisant attention à ses mots, afin de ne pas heurter brutalement les espoirs de Jack.
— Je comprends l’enjeu, répondit Jack ne pouvant cacher sa déception. Mais j’essayerai de le convaincre que de repousser le départ de quelques jours ne changerait pas grand-chose, si ?
— Détrompes-toi, Jack, répondit Thomas. La disparition de Robert a rebattu toutes les cartes, car s’il a été capturé par des pirates ou par la Marine, ces mêmes agresseurs peuvent désormais avoir accès aux informations cruciales qu’il détient concernant notre objectif. On est peut-être même dans une situation précaire, où le moindre ralentissement peut nous coûter le butin, voire la vie, enchaina-t-il afin d’alarmer Jack sur la situation délicate qu’ils subissent.
Jack faisait face à un dilemme de taille, il souhaitait rester plus longtemps sur l’île pour chercher son compagnon, mais cela pouvait aller à l’encontre du bon déroulement de leur raid, et ainsi mettre tout son équipage en danger.
— Ecoutez, dit Jack avec une voix faiblarde. Je vais me diriger vers l’église, je réfléchirais en chemin. Le capitaine aura surement des solutions, conclut-il en se forçant à garder espoir.
Jack quitta ses compagnons afin de rejoindre la rue principale, la tête submergées de pensées se mélangeant les unes avec les autres. Ses pensées n’avaient plus aucune cohérence, rien n’allait dans le sens qu’il souhaitait, et son unique volonté était que le Capitaine mette fin à son supplice en lui annonçant une bonne nouvelle.
C’était en relevant la tête, que sans s’en rendre, Jack était déjà arrivé à hauteur de la résidence du gouverneur, au pied de la montagne. Un chemin situé sur la droite de cette dernière permettait d’accéder à la forêt, que Jack avait décidé d’emprunter. La nuit étant tombée depuis peu, il dégaina son épée pour se protéger des attaques furtives, mais c’était surtout son imagination qui prenait le dessus après tous les récits qu’on lui avait raconté autour de plusieurs pintes de bière. La disparition de la lune derrière les nuages ne permettait plus d’éclairer le chemin, Jack l’avait anticipé en récoltant un bâton en bois méticuleusement allumé grâce aux lanternes à huiles que l’on retrouvait tout le long de la route principale. Avec son arme dans la main droite, et sa torche improvisé dans l’autre main, il entama son périple au travers de cette faune et flore inconnues.
A quelques lieux d’ici, le Capitaine arrivait à sa destination. L’église n’avait nullement à rougir comparer aux autres églises du continent, elle détenait les mêmes dimensions, ce qui permettait au plus grand nombre de français de pouvoir se recueillir et de prier du temps de Port-Espérance. Le parvis était le premier endroit accessible en quittant le chemin de terre, donnant ainsi accès à la porte menant au narthex, pièce faisant la transition entre l’extérieur et l’intérieur d’une église médiévale.
Quelques cierges, occasionnellement allumés par un ecclésiastique reclus en solitaire dans la montagne, éclairaient l’arche taillée en pierre encadrant les imposantes portes en bois donnant accès à l’intérieur de l’église. L’intérieur de l’arche représentait à elle seule une œuvre d’art, grâce aux sculptures dans la pierre décrivant un passage de la Bible, la naissance de Jésus accompagné des siens. Des inscriptions en dialecte ancien, inconnu par le Capitaine, ornaient la bordure extérieure de l’arche. D’autres personnages et créatures inspirées de la Bible avaient été sculptés dans la partie supérieur des colonnes cylindriques juxtaposant les deux portes. L’héritage religieux de l’occupation française était toujours intact, malgré la présence de pirates sur l’île, surement par désintérêts et ignorances de ce lieu à leurs yeux.
La force nécessaire afin d’ouvrir ces portes étaient irrationnelle, Charles devait apposer son corps et ses mains contre cette dernière, pour pouvoir exploiter tous ses muscles, afin d’espérer la pousser légèrement. Le jour entre la porte et le mur lui permettait d’immiscer ses doigts dedans et d’écarter des deux côtés. L’effort en valait la peine, cela permettait d’éviter aux bêtes de rentrer, et pouvait également dissuader quelques pirates ivres souhaitant profaner cet endroit pour le plaisir.
La luminosité ambiante provenant des vitraux situés tout le long de la nef et dans la partie extérieure du chœur, représentaient majoritairement des prophètes catholiques, et ne permettaient pas de voir correctement à l’intérieur. Seuls quelques cierges allumés à l’entrée à proximité du bénitier et sur l’autel, accordait au Capitaine le droit de ne pas être totalement plongé dans la pénombre.
Il plongea ses doigts dans le bénitier pour faire le signe de croix, quand de légers bruits résonnèrent dans le lieu saint. Intrigué, il approcha de l’allée centrale de la nef, en apposant par précaution la main sur son arme. Plusieurs personnes semblaient chuchoter dans l’allée centrale, à la plus grande surprise de Charles pensant être le seul pirate croyant sur cette île. Il se pressa de dégainer son épée, à la recherche de la source sonore, mais l’obscurité ne lui permettait pas d’observer correctement ce qu’il se passait dans la nef. Soudainement, les murmures s’accentuaient, et semblaient se rapprocher, jusqu’à venir très proche, au point de faire face au Capitaine qui se retrouva pousser en arrière par une personne l’ayant projeté après avoir foncé sur lui. Pendant sa chute, il put observer les ombres de trois personnes, toutes vêtues de capes jusqu’à la tête, qui s’étaient mis à courir à vive allure après l’avoir repéré, avant de l’encercler.
Charles, accoudé au sol, son arme projetée plus loin derrière lui, étant dans la situation délicate où trois personnes avaient dégainé leurs armes contre lui. Il ne bougea pas d’un pouce, analysa la situation calmement, en essayant de repérer la position de son arme en premier lieu. Seul, désarmé, contre trois inconnus armés, la moindre erreur pouvait lui être fatal, et il refusait de mourir ainsi, lâchement refroidi dans une église par des profanateurs.
— T’es qui toi ? demanda férocement l’un des agresseurs. Tu es habillé comme un Capitaine de navire, vous ne trouvez pas les gars ? dit-il en se retournant vers ses associés qui acquiesçaient.
Le capitaine préféra s’abstenir de répondre, la moindre réponse hâtive pourrait accélérer les évènements, et les rendre plus compliqué à gérer. Ayant repéré son arme derrière lui, il préféra relâcher ses bras afin de s’allonger de tout son corps contre le sol. Son attitude interpella ses assaillants, se méfiant d’autant plus d’un comportement autant irrationnel face à des armes pointés dans sa direction.
— Je pense que si on ramène ta tête à notre Capitaine, il devrait bien nous récompenser. On va pouvoir récupérer votre navire et l’ajouter à notre flotte, ricana-t-il. En guise de remerciement, je serai surement commandant de notre nouveau bâtiment.
L’homme ricanant de la situation éleva son épée au-dessus de sa tête, afin de fendre rapidement l’air pour atteindre le Capitaine, montrant ainsi ses mains ensanglantées. En moins de temps qu’il n’avait fallu à son agresseur pour réaliser son mouvement, Charles, lui, avait plié ses jambes afin de se donner une impulsion vers l’arrière avec ces dernières, lui permettant de reculer en glissant sur le sol et d’atteindre son épée avec sa main droite. Il se releva immédiatement, et tint en joue ses assaillants, surpris de la manœuvre exécutée par leur cible. Ils reculèrent d’un pas, afin de lui faire front plus facilement.
— Je vois également que nous avons affaire à un malin en face de nous, mes amis.
— Tu parles trop, interpella le Capitaine dont la voix était d’une froideur à glacer le sang.
L’homme encapuchonné n’aima guère sa condescendance et fonça sur Charles, brandissant son arme avec ses deux mains par-dessus son épaule, effectuant une lourde taillade sur son opposant avec la lame son épée. Cette dernière fut encaissée de front par son rival, étant dans une position défensive et ayant adopté une garde médiane, ne cherchant nullement à esquiver le coup. L’assaillant fut légèrement projeté en arrière par le choc des deux fers. Faisant suite à cet assaut, Charles opta pour une garde plus offensive, tout en restant en dehors de la portée d’attaque de l’inconnu. Cela était une manière de dire que s’il chargeait de nouveau de manière inconsidérée, il y laisserait la vie. Il n’en fallait pas plus pour énerver ses deux autres compagnons, qui commencèrent à se ruer sur le Capitaine.
— Arrêtez-vous, hurla l’homme ayant engagé le combat. J’en fais mon affaire. Cet enfoiré à bafouer mon honneur, il est hors de question que vous vous interposiez entre nous deux.
L’homme encapuchonné devenait furieux d’avoir vu sa charge offensive être contrer aussi facilement par son adversaire. Il en était encore plus énervé par la présence de témoins ayant pu voir une telle humiliation à ses yeux. Il se devait de restaurer son honneur, et c’était avec cette conviction qu’il s’avança à nouveau vers son opposant. Sa garde était devenue raisonnable, rationnelle. Il approcha pas à pas, le dos légèrement recroquevillé, se balançant comme une pendule, ses deux mains tenant l’arme légèrement vers le bas, ce qui lui permettait d’effectuer aussi bien un mouvement défensif, qu’offensif. Arrivé à courte distance, il brandit son épée pour effectuer une nouvelle attaque éclair en visant l’arme de son adversaire, afin de briser sa garde et lui donner le coup fatal. Le capitaine réagit très vite et replaça son arme suffisamment rapidement pour parer à temps la deuxième attaque de l’assaillant.
— C’est tout ce que tu sais faire ? se moqua Charles en éclatant de rire à gorge déployée.
L’adversaire augmenta sa vitesse d’exécution, frappa le flanc de l’adversaire en se déplaçant furtivement sur la droite grâce à un allongement de son jeu de jambes dans cette direction. Le bruit du fer résonna de nouveau, et les coups s’enchainèrent à un rythme déchainé, devant les yeux impuissants des spectateurs, interdit de venir en renfort.
Chaque coup porté par l’assaillant était paré avec une facilité déconcertante par Charles, ce qui avait le don d’énerver de plus en plus son adversaire frappant de plus en plus fort, quitte à en délaisser sa garde. Ce dernier continuait de frapper intensément, tout en faisant le tour du Capitaine, en essayant de mettre à profit son jeu de jambe qui lui avait permis de remporter maints combats jusqu’à maintenant, et il était hors de question que ses jambes lui fassent défaut aujourd’hui.
L’obscurité présente dans l’église ne permettait pas un combat idéal pour les deux adversaires, et l’état des lieux non plus. Les chaises se faisaient renverser à chaque nouveau mouvement des duellistes, rendant la bataille encore plus difficile à cause des déplacements restreints dans l’église. Les coups devaient être de plus en plus précis, le moindre pas en arrière pouvait les faire trébucher, ou les faire se heurter à une des colonnes en pierre masquées par l’ombre, provenant des vitraux et des bougies. Tout cela était sans compter les attaques devenant difficile à distinguer pour les deux bretteurs, et les acolytes de l’assaillant, eux, ne parvenaient même plus à voir le combat à cause de la distance, sans pour autant entreprendre la moindre approche, par peur de subir une attaque ne leur étant pas destinée. Ils ne leur parvenaient que les bruits d’entrechoquement des deux armes, résonnant brutalement et inlassablement dans l’église.
L’adversaire du Capitaine sentit un malaise monté en lui durant son duel, il trouvait que quelque chose clochait dans leur combat, comme si son opposant ne faisait que répondre à ses coups sans l’attaquer. Cela avait le don de l’énerver encore plus, jusqu’à atteindre une rage sulfureuse envahissant tout son corps.
— Pourquoi tu n’attaques pas ? pesta-t-il en essayant de provoquer Charles.
— Tu ne mérites pas que je t’attaque sérieusement, répondit le Capitaine. Tu n’arrives même pas à la cheville de Simon.
— Je ne sais pas qui est ce Simon, mais crois moi sur parole qu’après t’avoir tué, je n’en ferai qu’un tas de cendre.
— Si j’étais toi, j’éviterai de croiser le fer avec lui. Crois-en mon expérience.
Sur ces quelques mots, le capitaine décida de passer à l’action, et d’attaquer son adversaire. Il n’était nullement envisageable de perdre cette joute, ni de laisser quiconque impuni après avoir menacer l’un de ses matelots devant lui. Il se dégagea un instant du combat, afin de mieux s’imprégner de l’environnement avoisinant, et d’avoir le temps de jauger son adversaire. Ce dernier montrant des signes de nervosité, légèrement fatigué, et surtout prêt à tout pour en finir le plus vite.
A peine le Capitaine se perdit dans ses réflexions, qu’un nouvel assaut de son adversaire lui parvint, il l’évita facilement grâce aux mouvements volubiles de ce celui-ci. Charles profita du manque de garde procuré par un déplacement large, pour le toucher à l’épaule avec le bout de sa lame. L’homme lâcha une légère plainte, l’attaque n’étant pas mortel, il fut juste surpris d’être blessé.
Il reprit ses esprits, et prit une posture médiane après avoir reconsidéré la passivité de son adversaire qui ne l’était plus. Le duel en était maintenant devenu un vrai, pour le plus grand plaisir du profanateur. Il effectua un grand pas en avant, tout en combinant avec sa grande allonge pour essayer d’assener un coup d’estoc avec la pointe de son épée. Le capitaine dévia l’attaque avec son arme, et remonta d’un pas le long de cette dernière jusqu’à atteindre le quillon, propulsant ainsi au loin l’arme de son adversaire, dans un énorme fracas, tout en tailladant sa main. Il était désormais désarmé, et Charles exécuta de rapides combinaisons de mouvements minutieux afin d’entailler plusieurs fois la jambe de son opposant, jusqu’à l’immobiliser totalement de douleur. Les cris tranchants et cinglants de l’homme blessé, procurèrent des frissons à ses deux acolytes, qui se précipitèrent de voir ce qu’il s’était passé. Leur compagnon était au sol, se tenant la jambe couverte de plaies profondes et hurlant de douleur, avec la lame de son duelliste recouverte et dégoulinant complétement de son sang. Ils dégainèrent leurs épées, et tinrent en joue l’homme qui leur faisait face avec un regard dont la noirceur aurait immobilisé de peur quiconque le regarderait, si la lumière le permettait.
— Prenez votre enfoiré de camarade, et foutez-moi le camp d’ici. La prochaine fois que je vous recroise ici, je ne serai pas aussi clément, répondit Charles froidement.
— Tu crois qu’on va partir après ce que tu lui as fait ? demanda l’un des deux acolytes en criant de rage, comme pour essayer de se donner du courage.
— Oui, sinon aucun de vous deux ne pourra le ramener à temps pour l’amputer de sa jambe.
Charles esclaffa un énorme rire dans l’église, des plus diaboliques. Au lieu de tuer son adversaire, il avait préféré lui infliger des blessures suffisamment profondes pour empêcher de faire durer le combat avec les deux autres bretteurs, si ces derniers souhaitaient le sauver. La connotation religieuse de cet endroit lui empêchait de tuer un homme, et cela n’avait jamais été un plaisir pour lui que de retirer la vie d’un homme. Les persuader de fuir était la meilleure solution pour Charles.
Après un moment de réflexion, les deux hommes encapuchonnés prirent par les épaules leur compagnon, et partirent bruyamment dans la direction opposée, vers la sortie de l’église.
Le combat avait mis un sacré désordre dans l’église, sans compter la quantité de sang reposant sur le sol. Le Capitaine rangea l’épée dans son fourreau, et s’attela à remettre les chaises en place, en veillant à ne pas glisser. Les trois profanateurs venaient de passer la porte, et prirent la fuite en direction de la forêt. Il ne restait plus que le silence, pour le plus grand plaisir du capitaine.
Soudainement, un léger son l’interpella au loin, et il arrêta brutalement tout mouvement pour mieux localiser le bruit. Était-ce le retour des autres mécréants venu se venger en feintant d’être parti ? Beaucoup de questions parvenaient au capitaine à ce moment-là, quand un deuxième bruit se refaisait entendre dans la nef. Comme si quelqu’un avait du mal à respirer. Le capitaine prit une bougie dans la main et commença à s’avancer le long de l’allée centrale. Il n’y avait rien de suspect dans le périmètre perceptible grâce à la lumière produite par la légère flamme, et il continua son chemin en agitant la bougie de droite à gauche pour comprendre la source de ces bruits.
Arrivé à mi-chemin de l’autel, Charles sentit sa chausse glisser. Il abaissa sa bougie, et aperçu du sang sur le sol. En éclairant vers le bas, il vit un corps recroquevillé, allongé sur le sol, à moitié nu. Il s’empressa d’aller voir la personne, de le tirer vers lui afin de prendre conscience de son état de santé, et lâcha un son d’étonnement après avoir reconnu son ami, Robert, le visage complètement lacéré de toute part, ayant perdu la moitié de ses doigts, et étant marquées d’une dizaine de plaies profondes et de mutilations suintant de sang sur tout son corps, montrant ainsi des signes de tortures interminables. Cela expliquait certainement le sang visible sur les mains de son précédent adversaire au début de son combat.
— Robert ! ROBERT ! hurla Charles en tapotant légèrement le visage de son compagnon, essayant ainsi de lui faire reprendre ses esprits. Réveille-toi, bon sang !
Robert ouvrit péniblement de moitié ses yeux, et reconnu difficilement l’homme qui se tenait au-dessus de lui. Après quelques secondes d’adaptation, il finit par reconnaitre son Capitaine, le tenant dans ses bras. Son regard apitoyé sur lui, procura un pincement au cœur à Robert, ayant toujours chercher à ne jamais blesser les gens autour de lui.
— Ils…sa…vent…tout, murmura-il péniblement dans un dernier soupir.
Il était soulagé d’avoir été retrouvé par l’un des siens, et savait qu’il pouvait partir paisiblement maintenant. Son visage affichait un dernier sourire qui fit fondre en larmes Charles.
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