Chapitre 9
A l’écart des côtes, la vie maritime s’endurcissait au fur et à mesure des jours qui passent. Les tâches quotidiennes et répétitives des membres de l’équipage du Rose’s Revenge pouvaient leur faire perdre toutes notions du temps, rendant ainsi indispensable les haltes sur terre. Ils redécouvraient les plaisirs simples, tels que la nourriture fraîche, marcher librement sans tourner en rond dans un bateau, ressentir la chaleur d’une femme au creux de leurs bras.
Quelques jours après avoir quitté le port de Skullwater, une des nouvelles recrues peinait à trouver sa place au sein du navire. Hector, un jeune homme venant d’une île voisine, avait fait le périple jusqu’au repère des pirates en quête d’intégrer un équipage afin de vivre toutes les aventures qui ont bercé son enfance. Cela s’était révélé être une tâche très difficile, en raison du peu de campagne de recrutement ayant été réalisés depuis la domination maritime des Anglais. L’attente s’était faite longue, jusqu’à avoir raison de ses finances complétement épuisées, le forçant ainsi à trouver un travail dans une taverne.
Un jour, en descendant au port, il avait remarqué une agitation inhabituelle en ville, dont les murmures racontaient l’arrivée récente d’un équipage sur la trace d’un trésor. Ce n’était qu’en retournant travailler le soir qu’il avait fait la rencontre de ces aventuriers, prospectant activement de nouveaux compagnons d’armes. Il avait sauté sur l’occasion et avait réussi à se démarquer aisément des autres grâce à son physique affuté, reflétant des années de labeur en tant que fils de paysans.
Cependant, il n’avait aucune idée de l’endroit où il venait de mettre les pieds, il n’avait aucune réelle notion concernant la vie de pirates, si ce n’était les légendes romancées que lui racontaient sa mère avant de se coucher.
Tout le monde sur le navire avait leurs propres tâches leurs étant associées, sauf quelques nouveaux perdus sur le pont. Ils étaient cinq nouvelles recrues à avoir rejoint l’équipage, et seuls deux d’entre eux semblaient connaitre les bases d’un bon matelot et étaient déjà parti se rendre utile. Les deux autres étaient occupés à s’entrainer l’un contre l’autre à l’épée dans un coin tranquille du pont, à côté d’Hector.
— Eh vous deux ! Arrêtez vos conneries, pas de duel sur le pont sans ma permission ! Suivez-moi ! ordonna une voix autoritaire derrière leur dos. Et toi, dit-il en se tournant vers le troisième mousse. Brique-moi les escaliers !
— Oui, Monsieur ! dit-il en sursautant légèrement. Je m’en occupe !
Hector s’exécuta à la tâche, et commença à briquer le pont. Il avait conscience que les tâches les plus ingrates et contraignantes étaient destinés aux nouveaux venus, et c’était normal pour lui. Les anciens et les matelots ayant prouvé leur valeur s’appliquaient à d’autres tâches plus complexes comme manipuler les cordages pour naviguer, et cela lui convenait, car il n’avait aucune expérience dans la piraterie. Il se disait qu’il devait commencer par faire parfaitement tout ce qu’on lui dit, s’il voulait avoir une place au sein de ce navire.
C’est en montant les marches une à une à quatre pattes, qu’il put entendre les bribes d’une conversation tenue entre deux hommes à la barre. L’un était avec des cheveux longs attachés s’agitant au rythme du vent, la chemise légèrement ouverte sur le dessus, faisant ainsi ressortir un collier en argent emprisonnant un anneau en son sein. Le deuxième homme, plus bedonnant, semblait plus agité.
— C’étaient vraiment ces derniers mots, Charles ? interrogea le second.
— Oui, Marcus, tu as bien entendu. Nous devons redoubler de vigilance, et nous devons nous dépêcher d’arriver les premiers sur Massali, répondit-il calmement tout en tournant légèrement la barre à bâbord.
— Mais ils doivent avoir au moins une journée d’avance sur nous ! On ne les rattrapera jamais, ou pire, ils pourraient nous y attendre, on ne sait même pas qui on affronte ! murmura-il en commençant à s’agiter davantage.
Malgré les murmures de Marcus, le vent rapporta chacun de ses paroles aux oreilles d’Hector qui ne saisissait pas toute la discussion entre les deux hommes. Il essayait tant bien que mal d’effacer sa présence pour ne pas s’attirer d’ennuis, mais il en aurait d’autres si son officier le voyait déserter sa besogne. C’était donc dans une position délicate qu’il continua de frotter les planches de l’escalier.
— C’est bon, Capitaine, intervint la même voix autoritaire passant juste à côté d’Hector. J’ai donné les consignes aux nouveaux !
— Merci John, répondit Charles. Marcus, on reprendra cette discussion plus tard tu veux bien ? enchaina-t-il en se retournant vers l’homme dégarni en attente de réponses.
Ce dernier hocha de la tête et retourna sur le pont.
— Alors, Capitaine, c’est quoi le plan ? On trouve le journal de bord et on file droit au trésor ? enchaina John en se frottant les mains.
— Oui c’est à peu près ça, ricana Charles devant autant de simplicité. On devrait arriver dans quelques jours. Vois avec Thomas si notre puissance de feu est opérationnelle. Je veux qu’on soit paré à toutes éventualités !
— Oui, Capitaine !
Alors que John redescendit, il fit signe à Hector de continuer jusqu’à la révèle de l’équipe nocturne. Ce dernier s’exécuta.
A la nuit tombée, notre jeune recrue, complétement fatigué, avait fini par être remplacer. On lui avait annoncé que les horaires de repas était strict, et que s’il venait à les manquer, il n’y aurait pas de deuxième service. Hector, ayant le ventre complétement vide, se dirigea vers les couchettes pour récupérer le biscuit de mer qu’on leur donnait chaque matin et qu’il avait laissé à l’abri des regards. C’était en arrivant vers les geôles, qu’il croisa pour la première fois le regard du prisonnier, étant resté inconscient jusqu’à maintenant.
— Eh, toi là, dit-il avec la voix complétement asséchée. Tu veux bien ouvrir le sabord ? C’est irrespirable ici, enchaina-t-il en montrant du doigt les porcs dans la geôle annexe.
— Bien sûr, s’exécuta Hector. Tu as fait quoi pour finir ici ? Tu as enfreint le règlement à bord ? questionna-t-il.
— Haha, pouffa-t-il en manquant de s’étouffer par manque de salive. Je ne suis pas un pirate, le mousse. Je suis un aventurier qui a fait une mauvaise rencontre. Tu ne ressembles pas à un marin, qu’est-ce que tu fais ici ?
— J’aimerai vivre les mêmes aventures que l’on me racontait étant plus jeune, répondit-il avec nostalgie. J’aimerai pouvoir naviguer au large de toutes les côtes du monde, explorer de nouvelles terres inconnues, trouver des trésors perdues.
— Aaah, je vois, soupira-t-il. S’il n’y avait pas ces barreaux en fer, je poursuivrai le même rêve que toi. Mais la vie en a voulu autrement.
Hector pris conscience qu’ils partageaient tous deux la même vision du monde, mais que les décisions qu’ils avaient individuellement prises les tenaient séparé par les barreaux d’une cellule. Le moindre faux pas conduisait à l’anéantissement de leurs rêves, et pour lui, il en était hors de question. Hors de question de finir comme l’homme agonisant en face de lui, aux portes de la mort, pour avoir emprunter un chemin plus respectable mais futile.
— Au diable les bonnes manières, et les louables valeurs des gens honnêtes, marmonna Hector en se relevant. Ça ne fait que les mener à leurs pertes, comme toi. Qu’est-ce qu’il y a de respectable dans le fait de sacrifier ses rêves pour garder bonne conscience ? A quoi bon vivre si c’est pour satisfaire l’estime que nous porte les autres ? pesta-t-il.
Le prisonnier sentit un sentiment de malaise monté en lui. La personne en face de lui s’était transformé, le regard assombrit, il semblait être entré dans une fureur noire et profonde.
— Tu parles de quoi, petit présomptueux ? rétorqua le marchand en se redressant. Tu ne sais pas tout ce que j’ai dû traverser pour en arriver là, pesta-t-il en sentant une bouffé de chaleur montée en lui. Je préfère être derrière ces barreaux pour avoir suivi une vie honnête plutôt que de semer la mort et la terreur partout où je passe. Ce n’est pas ma vision de l’exploration, p’tite merde.
Le commerçant s’indigna fortement de s’être fait juger sur sa vie par un pirate, et encore plus par un jeune mousse sans expérience. La vie n’était pas un long fleuve tranquille et Hector ne savait encore rien de tout ça. Le jugement sur les choix du prisonniers rendit ce dernier furieux, alors qu’il avait tout misé pour son rêve, jusqu’à pactiser avec le diable pour rendre justice à son aïeul.
— Eh le bleu, interrompu un matelot. Interdiction de parler aux prisonniers, dégages de là ! dit-il en le prenant par la manche.
Ce dernier donna un coup d’épaule pour se libérer de son emprise. Ses nerfs étaient toujours à vifs et il peinait à retrouver son calme.
— Les couchettes sont pour les anciens, remonte sur le pont. J’espère que tu aimes dormir à la belle étoile, dit-il en se moquant de lui.
— Je commence à avoir l’habitude, rétorqua-t-il en finissant sa collation plus dure qu’un os.
Il prit le tapis qui lui servait de couverture depuis quelques nuits et referma le sabord en toisant du regard le marchand. Les couchettes avaient commencé à bien se remplir, rendant difficile l’expédition de retourner sur le pont. Ne voulant déranger personne, il se contorsionna dans tous les sens pour éviter de réveiller les matelots dormants dans leurs hamacs, ayant pour la plupart leurs membres ballotant de partout. Il pouvait assister à un spectacle unique grâce au roulis, où chaque matelot se faisait bercer au rythme de la houle.
Tandis que la majorité de l’équipe dormait à poings fermés, Hector aperçu du coin de l’œil un faible halo lumineux au fond du navire, derrière le sellier, où quelques matelots jouaient à un jeu de cartes. De ce qu’il comprenait après quelques manches, il fallait se débarrasser de sa main le plus rapidement possible en jouant par-dessus les cartes des autres. Il se disait qu’il fallait une bonne gestion des cartes à faible valeur, afin de ne pas se retrouver bloquer avec ces dernières en fin de partie. Quelques regards insistants lui firent comprendre son intrusion avant de décider de remonter sur le pont.
Après avoir trouvé un endroit calme pour s’asseoir vers la proue du navire, il s’enveloppa chaleureusement dans son tapis, son unique rempart pour affronter les brises automnales. La fatigue liée aux corvées de la journée s’étant rajouter à celle des précédentes, il ne lui avait fallu que peu de temps pour tomber dans les bras de Morphée, sous les yeux bienveillants de la Petite Ours.
Au petit matin, l’agitation ambiante vint le réveiller. En ouvrant les yeux, il constata l’équipage courant de toutes parts sur le pont. Des ordres se faisaient entendre depuis la barre, et Hector se leva par réflexe. Il manqua de trébucher en se relevant, pour cause, le sol était mouillé, la pluie battait effectivement son plein. Il s’empressa de ranger son tapis et se mit à courir sans raison vers le grand mât.
— Navire à tribord ! hurla un homme au-dessus de lui, à la vigie.
Instinctivement, il regarda à tribord, aperçut un navire, difficilement reconnaissable s’il devait se référer au pavillon arboré à la poupe. Il ne connaissait pas les couleurs des nations continentales, mais il était sûr que ces marins n’étaient pas des pirates.
— Ils ne sont qu’à quelques milles marins, hurla l’homme à la barre. Capitaine, je les prends en chasse ! John, incline les voiles à bâbord, on aura le vent de face.
— D’accord, Billy. Gabiers ! Incliner les voiles à bâbord ! hurla-t-il à son tour en se penchant par-dessus la rambarde en bois.
Hector ne servait à rien dans cette manœuvre offensive, il se mit alors en quête de trouver une arme avant que l’assaut ne soit lancé. Il courra jusqu’à l’entrepont, au moment même où retentirent plusieurs coup de canons simultanés. Des artilleurs étaient en train de recharger leurs canons devant ses yeux, trop préoccupé par leur tâche pour le remarquer. C’est au moment où une deuxième rafale se fit entendre, qu’il aperçut un sabre abandonné dans une couchette, en se disant qu’il n’aura pas de problèmes s’il remettait l’arme à sa place avant le retour de son propriétaire. Il se précipita de remonter, prêt à en découdre.
— Prêts ? Lancez ! hurla un autre officier à côté de lui.
— Une dizaine de matelots alignés sur le pont jetèrent leur grappin en direction du navire ennemi, dont la distance s’était considérablement réduite grâce aux manœuvres minutieuses du timonier. La majorité des lancers atteignant le bastingage ennemi, ils purent commencer à tirer fortement sur leurs cordages à l’annonce de leur commandant. La force de ces hommes avait surpris Hector, lui faisant ainsi perdre l’équilibre dû au rapprochement forcé des deux navires.
— Attention ! cria l’un des matelots. Il y a encore un canon chargé, baissez-vous !
Dans un mouvement fougueux, les matelots s’allongèrent au sol, gardant péniblement l’emprise sur leurs cordages. Le boulet souffla de justesse au-dessus du navire, grâce à l’intervention d’un tireur allié posté en retrait, ayant abattu sa cible avant qu’il ne puisse ajuster la hauteur du canon. L’impact contre le grand mât propulsa en arrière le jeune mousse, heurtant le bastingage avec l’arrière de son crâne, avant de perdre connaissance.
Le réveil fut d’une brutalité extrême, un foudroiement parcourut son crâne de toutes parts, tambourinant nerveusement sans relâche au rythme de son cœur. Crispant ses deux mains sur le front pour canaliser la douleur, il fut interpellé par des cris sourds retentissants au loin. Sa vision étant très affectée, il arrivait à peine à ouvrir les yeux, laissant entrevoir quelques images complétement floues. En écartant davantage les doigts devant ses pupilles, il vit de multiples formes se déplacer devant lui, ainsi qu’un amas de fumée en arrière-plan.
— Oh le nouveau, tout va bien ? On a loupé son premier spectacle ? ricana l’homme qui semblait se tenir devant lui.
— Je… je…, balbutia-t-il. Ça fait … combien de temps … que je me suis évanoui ? peina-t-il à répondre.
— Suffisamment longtemps pour ne pas avoir ta part, enchaina un autre plus sèchement.
L’éclat des rires autour de lui était une double peine. Un éclair violent traversa de nouveau toute sa tête sous le tonnerre d’applaudissement qu’il subissait, et sa réputation avait été faite en un instant. Pour son premier combat, il n’avait pas été capable de réaliser la moindre action pouvant être utile à l’équipage. Il a juste manqué de se faire tuer en un claquement de doigt.
— Allez relève toi le mousse, on va te déposer au prochain port, enchaina un autre matelot dans l’amusement général. Il n’y a pas de place pour des gars comme toi.
— Oh ! Vous faites quoi ? cria une voix derrière eux. Dépêchez-vous d’aller chercher le reste de la marchandise. Bande de crétins.
Interpellé par les mots de John, le silence régnait parmi les différents matelots. Ils partirent tous dans la hâte en direction du navire marchand, laissant Hector dans l’incompréhension la plus totale. Ce n’est qu’en voyant s’approcher l’officier qu’il put saisir la situation. Il songea que son temps au sein de l’équipage allait toucher à sa fin.
— Toi, là ! enchaina John en se retournant vers le dernier matelot. Hector, c’est ça ?
Ce dernier acquiesça timidement de la tête.
La seule réponse qu’il fut capable d’émettre à ce moment-là fut une rapide secousse de la tête avant de détourner à nouveau le regard.mais il y a quelque chose qui les relie tous, comme un lien très fin imperceptible à l’œil nu. Sans lui, ils n’auraient pas eu la même volonté d’aborder ce navire. Un équipage, ce ne sont pas uniquement des gens qui se côtoient au sein d’un même navire. Jour après jour, bataille après bataille, on risque nos vies à chaque moment, et la force de croire en l’autre est primordiale, que ce soit entre matelots ou à travers les ordres de nos supérieurs. Laisse-moi te poser une question. Tu pourrais avancer tout droit dans un combat si tu n’as pas confiance en la personne qui se bat à tes côtés ? questionna-t-il en le défiant d’un mouvement de tête.
La seule réponse qu’il fut capable d’émettre à ce moment-là fut une rapide secousse de la tête avant de détourner à nouveau le regard.
— Regarde-moi dans les yeux, moussaillon ! enchaina-t-il en haussant le ton. Tu te rappelles comment tu t’es évanoui ?
— Non, pas vraiment, répondit-il en frottant sa blessure au crâne. Je ne m’en souviens pas. Je me rappelle juste avoir pris une …, enchaina-t-il en posant sa main instinctivement sur ta taille.
Pétrifié, il jeta un coup d’œil aux alentours, il n’apercevait plus le sabre. Il redoutait d’avoir encore plus d’ennuis après la perte d’une arme empruntée. Commençant à ne plus avoir de vertiges et ayant retrouvé ses esprits, il poursuivit :
— Je me vois juste me relever, entouré par quelques hommes…
— T’as perdu connaissance par manque d’inattention, interrompu John. Tu étais submergée par la pression du combat et cela t’as amené à ne plus réfléchir aux agissements de tes ennemis. Comment peux-tu couvrir tes alliés si tu n’es même pas capable d’analyser la position de l’équipage adverse ?
— Je les ai vu, mais tout s’est passé tellement vite. Je n’ai pas eu le temps de réagir, conclut Hector. Cela ne se reproduira plus, Monsieur.
— Tu n’as plus le choix, Hector, c’est ta dernière chance. Les autres matelots ne mentaient pas concernant les boulets dans l’équipage. Une seule mauvaise herbe peut mettre en péril les autres. C’est mon rôle de maintenir l’équilibre au sein du navire.
John repartit en direction du navire enflammé, laissant Hector dans ses pensées les plus profondes. Les marchandises continuaient à être transporté à l’intérieur du Rose’s Revenge sous le regard avisé d’un officier occupé à griffonner son carnet à chaque passage, à l’aide d’un monocle.
Les voiles disparaissaient peu à peu au gré des mouvements des flammes, consumées jusqu’à la dernière fibre. Le navire devenait méconnaissable, tant les mâts noircissaient sous les projections amenées par le vent, et les combats avaient marqué toute la structure. Derrière un épais amas de fumée, se trouvaient les membres de l’équipage ayant été réunis à la proue, bâillonnés et ligotés. Malgré tout cela, le bâtiment était toujours à flot.
Une fois la dernière caisse de marchandises ramenée à bord, l’homme au monocle referma son carnet et s’approcha de John.
— Tu as bien pensé à en laisser un avec les mains libres ? questionna-t-il sur un ton sérieux.
— Bien sûr Thomas, pour qui tu me prends ? s’offusqua-t-il.
— Pour qui je te prends ? Toi ? songea Thomas en levant le regard au ciel. Pour un officier de l’équipage du Rose’s Revenge, bien évidemment, enchaina-t-il en esquissant un sourire avant de s’en aller.
La tension était palpable entre les deux hommes, à tel point qu’inconsciemment, les autres matelots s’étaient éloignés pour ne pas être pris entre deux feux.
— Cependant, s’exclama-t-il puissamment en se retournant après avoir fait quelques pas. J’aurai bien aimé connaitre l’avis de l’équipage que l’on a défait l’hiver dernier. Le Santa Claudia si je me souviens bien ? ajouta-t-il en feuilletant son carnet.
— Arrête ! ordonna John en le fusillant du regard. Un mot de plus, et je ne réponds plus de rien, menaça-t-il en apposant sa main sur son arme.
— Toujours le même à ce que je vois, rétorqua-t-il froidement. Les actes ont des conséquences, John.
A l’écoute de ses paroles, le sang de John ne fit qu’un tour. Son souffle se coupa, ses membres se raidirent et inconsciemment, il venait de dégainer son épée.
— Vous deux ! Ça suffit ! Dans ma cabine !
Un vent froid souffla sur le pont, arrêtant nette la course haletante de John. Le Capitaine venait d’intervenir.
Stupéfait par la scène qui venait de se dérouler devant ses yeux, Hector ne comprenait pas la tournure qu’avait pu prendre cette banale discussion. Il jeta quelques coups d’œil à côté de lui en quête de réactions, en vain. La vie sur le pont avait déjà retrouvé son cours, comme s’il ne s’était rien passé, à sa plus grande surprise. Bien décidé à ne plus subir de nouveaux reproches, il se dépêcha donc de retourner au travail.
La rougeur du ciel s’estompait progressivement à l’horizon, alors qu’Hector finissait de nettoyer les contours des différents canons. La poudre et la poussière avaient envahi l’espace, provoquant bons nombres d’éternuements auprès des matelots en quête de sommeil.
Cela représentait beaucoup d’émotions dans une même journée, et aucune n’avait été positive pour lui. Il manqua de se faire tuer, fut menacé de quitter l’équipage, mais malgré tout, il ne fut pas surpris. Il ne s’attendait pas à ce que sa nouvelle vie soit facile ou tendre. Loin de là. Dans son village natal, on lui répétait souvent que l’expérience forgeait le caractère d’un homme, et il ironisa en se remémorant ces quelques mots, lui paraissant à la fois chaleureux et lointains. Il venait d’en comprendre la signification.
Après avoir fini de nettoyer le dernier de la rangée, il se dirigea vers sa récompense dûment mérité, sa cachette à biscuit de mer. Sur le chemin, quelques murmures troublèrent ses réflexions. Elles semblaient provenir de l’intérieur du sellier.
— Arrête de te voiler la face, tu vois bien qu’il perd le contrôle ! grogna silencieusement une voix rauque et sourde. Il ne réfléchit plus de manière logique.
— Je vais arrêter de t’écouter, murmura une deuxième voix. Tu as toujours envié sa place de Capitaine. Je n’aurai jamais dû venir ici.
— Tu vas me dire que tu lui fais toujours confiance après ce qu’il s’est passé sur Skullwater ? Tu as perdu ton meilleur ami, bordel ! Et pourquoi ? s’étrangla-t-il d’énervement tout en essayant de canaliser sa voix. Pour courir après des chimères ! Il faut que ça s’arrête, on fonce tout droit vers la mort !
— Tais-toi, répondit furieusement l’autre homme. N’utilise pas la mort de Robert pour servir tes intérêts. Je ne te le permets pas !
Sur ces dernières paroles, quelques bruits de pas étouffés s’approchèrent de la porte, surprenant Hector. Il se faufila jusqu’à sa fameuse planque, recroquevillé entre deux tonneaux de rhum. Il fut surpris de constater que le prisonnier n’avait pas été réveillé par les complaintes des autres matelots, représentant une divine aubaine pour lui afin de ne pas se faire repérer. La porte s’ouvrit.
— Attends ! soupira la voix grave en retenant la porte.
Hector fut interpellé par la main de l’homme. Elle était massive et puissante, et portait une bague ornant un kraken, dont les tentacules s’enroulaient autour de son index.
— J’aimerai au moins que tu y réfléchisses, continua-t-il. Observe et fais-toi ton propre avis. Tu sais où me trouver.
Le vieil homme grogna en guise de réponse avant de disparaitre dans l’obscurité de l’entrepont. Peu de temps après, deux autres hommes sortirent du sellier et suivirent la même direction, dont l’un des deux avait l’allure voutée.
Il put enfin reprendre son souffle.
Lui, à la vie monotone et tranquille jusqu’à maintenant, allait devoir évoluer pour survivre à son propre rêve.
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