Chapitre 10.1

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— Capitaine, nous approchons de Massali, dit Marcus en pénétrant dans la cabine. Bill vient de me prévenir.

— Merci, Marcus. Fais préparer la chaloupe.

Marcus acquiesça avant de sortir, laissant la place à John, Simon et William.

— Rentrez matelots, dit Charles. Fermez la porte derrière vous.

Les trois hommes rentrèrent, dont John et William s’asseyant aux chaises face au Capitaine. Le jeune mousse posait ses mains sur ses jambes agitées et ne pouvait s’empêcher d’arborer un immense sourire, c’est la première fois qu’il s’installait à la même table que le Capitaine. Il se sentait investit d’une mission importante, et cela le changeait de ses fonctions habituelles au sein de cette cabine. Simon, quant à lui, resta debout, le visage inexpressif.

— Vous nous avez convoquez, Capitaine ? questionna John, avachi dans son siège, les jambes croisées.

— Oui, répondit Charles en avançant les coudes sur la table, les mains croisées contre sa bouche. On va débarquer sur l’île de Massali avec un petit effectif et c’est vous que j’ai choisis pour m’accompagner. On ne peut pas se permettre de se faire remarquer. Notre objectif est de récupérer le journal de bord du fameux explorateur Crawford. Celui dont la légende raconte qu’il aurait découvert une île, dont la position reste encore inconnue à ce jour.

Simon pouffa de rire en se recroquevillant.

— Simon ? s’étonna Charles avant de plisser les sourcils. Qu’est-ce qui te fait rire ?

— Rien, Capitaine, répondit-il en reprenant son souffle. C’est juste que je connais bien les histoires à son sujet. Elles sont bien évidemment fausses, vous n’allez pas vous fier à ces mythes, j’espère ? s’agaça-t-il en redressant le buste, le visage s’étant refermé.

John déplia ses jambes et se retourna en un éclair.

— Simon, reste à ta place.

— Du calme, John. Sa question est légitime.

Le capitaine se leva doucement et marcha jusqu’à un mobilier dont quelques papiers étaient enroulés sur le dessus et bon nombre de livres poussiéreux trainaient sur les étagères.

— Tu vois ces ouvrages vétustes ? interrogea-t-il en prenant un exemplaire avant de le brosser avec sa main.

Ce dernier acquiesça d’un sourire nerveux.

— « Cartographie des terres occidentales », lu-t-il d’une voix enjouée. Tu as devant tes yeux le premier écrit qui relate les premiers pas de l’homme sur ce que l’on appelle plus communément aujourd’hui, le nouveau monde.

Charles ouvrit le livre tout en revenant nonchalamment à sa place, absorbés par les quelques mots qu’il avait pu lire. Les deux hommes assis le regardèrent faire dans le silence, les yeux suspendus à ses lèvres.

— Il faut savoir qu’à l’époque, reprit-il en détachant péniblement le regard du bouquin, l’exploration n’était pas très bien perçue par les citoyens du vieux continent. Beaucoup d’argent était nécessaire pour mettre en place de tels périples et il allait sans dire que cet argent était directement ponctionné des poches de toutes les classes sociales. Les plus riches voulaient préserver leurs patrimoines, tandis que les plus pauvres croulaient sous la misère et la famine. A cela, rajoutez la présence d’hommes participant à ces expéditions alors que leurs retours n’étaient pas assurés, loin de là. Bon nombre de tempêtes, d’indigènes inconnus et de manque de vivre ont réduit à néant la majorité de ces efforts. Alors la question, c’est pourquoi entreprenaient-ils de tels voyages ? questionna-t-il.

John et William se regardèrent en haussant les sourcils, cherchant la réponse dans le regard de l’autre.

— Parce qu’ils sont débiles, répondit Simon sur un ton sec. Débiles de chercher ailleurs ce qu’ils ont devant leurs yeux, débiles de mourir dans l’indifférence de tous sauf de leurs familles, et enfin débiles de devoir proliférer des mensonges afin de rendre plus intéressants leurs voyages infructueux, même si cela peut nuire aux autres.

— Je vois que tu as déjà ton opinion sur la question, répondit Charles avec amusement. Veux-tu bien converser un moment avec moi ?

Le capitaine ne pouvait camoufler le rictus à ses lèvres. Les joutes verbales, le défi d’arriver à convaincre l’autre partie grâce à des arguments irréfutables. Il n’en fallait pas plus pour éveiller son esprit de compétition.

— Cela ne vous dérange pas de parier nos vies sur un mensonge, Capitaine ? Vous avez entendu cette rumeur sur les émeraudes mais je peux vous assurer qu’ils n’existent pas. J’ai vécu mon enfance à Massali et je suis bien placé pour vous dire que la réputation de cet explorateur est très négative. Cela ne nous a apporté que des ennuis, croyez-moi. Concentrons-nous plutôt sur des butins plus réels, répondit Simon en tentant de raisonner son Capitaine.

— Des rumeurs ne restent que des rumeurs, répondit Charles sur un ton calme. Elles deviennent des faits dès lors que l’on a la preuve de leur authenticité ou non. Je serais plus inquiet si l’on me proclamait haut et fort qu’ils n’existaient pas. Peux-tu le proclamer, Simon ? Es-tu en capacité de me prouver que l’explorateur n’a pas découvert cette île et qu’il n’a pas découvert ce trésor inestimable ?

Un long silence régna dans la pièce. John et William se regardèrent de nouveau dans l’attente d’un rebondissement quelconque de l’un des deux parties.

— J’en conclus que non, s’exclama-t-il. Permets-moi de reprendre alors. A mon sens, je dirais que l’exploration est l’essence même de la vie pour toutes les civilisations. C’est en repoussant les limites de nos connaissances de l’existant que l’on peut découvrir de nouvelles façons de bâtir des demeures, de nouvelles denrées à rajouter à notre assiette, de découvrir des peuples inconnus à la culture si différente à la nôtre, et bien d’autres choses encore. Et ce sont ces nouvelles connaissances qui nous permettent d’avancer toujours plus loin dans nos façons de vivre. Grâce à tous cela, le riche trouvera d’autres moyens de s’enrichir et le pauvre trouvera d’autres moyens de se nourrir. C’est grâce à la volonté de découverte perpétuelle de nouveaux horizons que notre civilisation d’aujourd’hui évolue vers celle de demain. Ne penses-tu pas ? interrogea-t-il en observant Simon.

— J’approuve une partie de votre vision des choses, Capitaine. Cependant, toujours repousser les frontières peut finir par nous nuire. Certains peuples pourraient finir par nous faire la guerre et la distance entre les riches et les pauvres ne fait que s’agrandir. On ne fait que repousser le problème jusqu’à la rupture.

— En effet, répondit-il. C’est pour cela que le plus important n’est pas forcément l’acte, mais la pensée qui l’accompagne. Si nous cessons d’espérer, nous ne ferons pas le nécessaire pour que la faible probabilité que cela se produise puisse se produire. C’est au moment où nous cessons d’y croire que le rêve s’arrête réellement, non ? N’est-ce pas notre raison de vivre même des pirates que l’on remet en question ? Si nous ne faisons pas tout le nécessaire pour atteindre ces pierres précieuses, est-ce toujours cohérent de continuer à nous revendiquer de la sorte ?

— Là n’est pas la question Capitaine. Nous sommes dans une situation inédite. L’Imperator peut nous prendre en chasse à tout moment. Réaliser une expédition incertaine est une prise de risque inutile. Autant prendre des risques où l’on sait qu’il y a un vrai gain à la fin.

— Justement. C’est parce que nous sommes dans une complication, qu’il nous faut persévérer et tenter l’impossible. Nous sommes voués à l’extinction si nous n’évoluons pas. Peux-tu t’imaginer le fracas retentissant à travers le monde, si l’on apprend que notre équipage à découvert un trésor considérable sous le nez de l’Imperator ? Qu’elles seraient leurs réactions ?

— Je ne sais pas, reconnu-t-il. Cela pourrait être considérer comme un coup de chance, rien de plus.

— Rien n’est lié au hasard. Cela signera le début de la résistance.

John et William étaient resté silencieux sur leurs chaises, ils ne s’attendaient pas à ce que cette conversation prenne une telle tournure. Grâce à cela, ils purent prendre de la hauteur et comprendre que l’enjeu n’était pas simplement de récupérer une montagne de pièces, mais aussi un moyen de protéger leur mode de vie. Les butins d’une forte valeur dormant paisiblement quelque part devenaient rares.

Cela pouvait paraitre présomptueux, mais en cas d’échec, les pirates pourraient être amenés à être anéanti doucement mais surement par les armées continentales. Un vrai succès redonnerait une bouffée d’air frais à leur élan, et briserait la barrière psychologique de la domination sans faille de l’Imperator.

— Je reste convaincu que c’est une erreur, et que rien ne nous attend au bout, si ce n’est la mort.

— Accompagne-nous et tu auras tes réponses, répondit Charles.

Un cognement contre la porte retentit.

— Entrez, on a fini.

La porte s’entrouvrit suffisamment pour laisser passer la moitié du visage du vice-capitaine.

— Tout est prêt. On a également l’île de Massali en vue.

Dans un mouvement général, tout le monde rejoignit le pont. Les voiles commençaient à être remonté une à une, tandis que Billy observait à la longue vue pour affiner ses dernières manœuvres. Il n’était pas mécontent d’être enfin arrivé à destination, car cela lui avait demandé beaucoup de ressources et de d’analyses de cartes afin d’optimiser son trajet pour éviter les mauvaises rencontres. Les armées continentales avaient leurs petites habitudes, ils mouillaient régulièrement dans les mêmes ports des îles leur étant les plus amicales.

— Garde bien l’œil ouvert ces prochains jours, Billy, dit Charles après l’avoir rejoint, accompagné de Marcus et Thomas. Je ne serais pas surpris qu’on ait de la visite. Les derniers mots de Robert sur son lit de mort m’inquiètent toujours un peu. Ils savent notre destination, ils sont peut-être même déjà sur l’île. Retirons notre pavillon pour le moment, soyons discrets. Vous autres, dit-il en se retournant vers ses officiers. Soyez prêt à toutes éventualités, si vous apercevez le moindre danger, levez l’ancre et foutez le camp !

— Et vous, Capitaine ? interrogea Thomas les yeux écarquillés.

— Vous partirez sans nous. On va se faire passer pour des étrangers, ça nous laissera le temps d’évaluer la situation.

Charles paraissait soucieux de ce qui l’attendait sur l’île tout autant qu’il était pressé de connaitre l’identité de ses poursuivants ainsi que leurs motivations. Qui pouvait bien s’en prendre à autant de pirates au sein même de leur repère ? Un corsaire à la botte des Anglais ? Un pirate sans aucune considération pour ses pairs ? Ou juste un fou furieux qui a pour seul plaisir de torturer ? Son identité était l’information la plus cruciale qu’il souhaitait détenir rapidement. La vérité se trouvait sur Massali, et il était bien déterminé à tirer tout cela au clair.

Les quatre hommes débutèrent leur périple en barque tandis que le Rose’s Revenge restait au large des côtes, non loin de quelques navires marchands et bateaux de pécheur mouillant dans la baie de Brasslight. Au fur et à mesure qu’ils s’approchaient, les odeurs propres à la campagne se faisaient sentir. On pouvait apercevoir beaucoup de terrains agricoles cultivés sur les collines, et de moulins à vent travaillant au gré des brises remontant les falaises. La plupart semblait moderne si l’on se fiait à la blancheur des pierres ainsi qu’à la maille intacte du tissu permettant la rotation des ailes. Simon raconta que Massali était une île très fière de leur autonomie agricole et de leurs spécialités culinaires. Ils pouvaient cultiver bons nombres de plantations et de végétaux différents, faisant ainsi venir bons nombres de curieux et de marchands désireux de commerces de tous les horizons. L’île et ses habitants étaient ce qui se rapprochait le plus d’un pays au sein du nouveau monde.

— Arrêtons de ramer, on va accrocher notre barque ici, dit Charles en montrant le ponton le plus proche.

Ils retroussèrent les manches de leurs capes recouvrant leur tunique et s’appliquèrent à la tâche. Des éclaircies perçantes illuminaient le petit port de Brasslight, ville maritime permettant d’entretenir les relations commerciales des trois villes de Massali avec l’extérieur. Les autres villes se situaient plus à l’intérieur des terres, dont seules les falaises surplombaient la mer, donnaient un accès mortel à la mer.

Simon continua en disant que chaque ville avait sa spécialité, Brasslight était un repère de pécheurs hors-pairs, dont les fameux marchés réalisés tous les trois jours faisaient descendre les habitants des villes voisines. Rainfield, la ville à l’ouest, profitait de la richesse des terres aux abords des forêts, avec des collines travaillées par l’homme afin de devenir des plantations et des cultures. Moonstell, elle, nichée au plus haut, regorgeaient de moulins pour transformer les denrées. Sa position permettait de les faire fonctionner jour et nuit, subvenant aux besoins de tous les habitants. Ces trois villes se complétaient grâce à leurs différences.

— Etrangers, interrompu un vieil homme au visage fermé. Que venez-vous faire ici ?

L’homme, au crâne dégarni et aux cheveux blancs gras lui tombant sur les épaules, avait rejoint les membres de l’équipage grâce à ce que John considéra être digne d’un bout de bois fraichement ramassé. Il resta posté au-dessus d’eux, les deux mains posés fermement sur sa canne, les empêchant ainsi de monter sur le ponton.

— Bonjour, répondit Charles d’une voix amicale. Nous sommes ici pour rendre visite à un ami. Il s’appelle Esteban Crawford et habite à Moonstell.

— Je le connais, répondit-il en soupirant. De toute façon, je connais tout le monde ici. Je ne l’ai pas vu revenir depuis qu’il a pris la mer. Il ne vous a pas dit qu’il n’était pas là ? interrogea-t-il en dévisageant les quatre hommes avec insistance, avant de marquer un temps d’arrêt sur Simon, rendant ce dernier mal à l’aise.

— Si, si, bien sûr. Il nous a demandé de l’attendre chez lui. Nous ne resterons pas plus de quelques jours, vous…

— Quelques jours ? interrompu le vieil homme en levant les yeux. Ça ne va pas le faire, marmonna-t-il. Nous n’acceptons que très peu d’étrangers, et vous n’êtes pas les seuls à avoir jeté l’ancre ces derniers jours.

— D’autres étrangers ? s’éveilla Charles. Ils sont encore ici ? Vous les avez vu ?

— Calme toi. Il n’y a que moi qui pose des question ici, asséna-t-il. Je n’ai pas encore décidé de votre sort. On n’aime pas trop les étrangers qui rodent par ici. On ne leur fait pas confiance.

John remonta sa main au niveau de sa hanche jusqu’à ce que Charles lui fasse discrètement signe de se tenir tranquille. Le capitaine voulait jouer le jeu du vieillard, quitte à repartir et accoster ailleurs. Mais ils ne devaient absolument pas dévoiler leurs cartes, ce qui n’était pas chose aisée face à cet homme perspicace. Le moindre scandale préviendrait quiconque sur l’île de leur arrivée, compromettant significativement leur mission.

— Ecoutez, repris Charles en levant les deux mains pour calmer le jeu. Nous désirons juste manger un bout avant de repartir, nous sommes affamés.

— Vous ne pouviez pas manger sur votre bateau là-bas avant de venir ? répondit le vieil homme en pointant du doigt le Rose’s Revenge. Ne me prends pas pour un con, vous faites quoi ici ? Que lui voulez-vous ? s’indigna-t-il en brandissant sa canne dans tous les sens.

— Je…, hésita Charles. Je suis le capitaine de ce bateau, enchaina-t-il en défaisant sa cape. Vous comprenez…, c’est lui qui nous envoie. Il veut que l’on récupère quelque chose lui appartenant. Une partie de ma flotte a fait un détour pour le récupérer. Il s’occupe du transport de marchandises précieuses appartenant à la royauté espagnole, et nous autres, corsaires, sommes chargés de sa protection.

— Foutaises ! s’insurgea de nouveau le vieil homme. Les Espagnols ne passent jamais par ici, et il y a beaucoup trop d’Anglais naviguant dans les environs. Ne me prenez pas pour un con !

Le vieil homme devint furieux et révolté que l’on se moque de lui. Sa main s’agitait d’avantage, manquant de les frapper à plusieurs reprises.

— Justement, nous n’avons aucune bannière, ils ne s’attendent pas à ce que l’on passe par ici. La vérité se trouve souvent là où ne l’on regarde plus.

Charles trifouilla dans sa tunique pour en extraire un parchemin, avant de le tendre au vieil homme.

— Tenez, dit-il. La lettre de marque signée de la main du roi d’Espagne. C’est suffisant ? ironisa-t-il.

Le vieil homme analysa longuement le morceau de papier entre ses mains, tout en regardant Charles, soutenant son regard effronté. A cet instant, son aura débordait d’assurance. Il rendit le parchemin avant de s’écarter du passage.

— J’aurais préféré ne pas avoir dû aller aussi loin, alors je vous prierai de bien vouloir garder le silence sur notre présence, dit-il en montant sur le ponton avant de s’arrêter à sa hauteur, la main sur son épaule. Sa vie ainsi que les nôtres peuvent être en danger.

Il acquiesça de la tête avant de les voir disparaitre au loin. Les quatre hommes se dirigeaient vers le quartier commerçant de Brasslight, en quête d’un endroit pour se nourrir.

L’air marin remontait et accompagnait tous les fumets de la ville à mesure qu’ils s’y enfonçaient, sous le regard persistant des habitants observant les nouveaux venus. Ils pouvaient ressentir la tension, les yeux méfiants, comme s’ils examinaient leur moindre faits et gestes. Cela avait le don de mettre mal à l’aise William qui détestait être au centre de l’attention.

Les mêmes pierres blanches des moulins composaient la structure de tous les habitats, renforçant les magnifiques charpentes en bois. Il n’y avait pas meilleur remède pour éviter les fortes chaleurs tropicales de l’été quand on voulait rester tranquillement au frais chez soi. La conception de la ville était bien pensée et mettait en valeur les synergies possibles d’agglomérat humains de l’île. Simon racontait que plusieurs carrières proche de Moonstell permettait d’employer bon nombres d’habitants afin de subvenir à tous les besoins d’infrastructures.

Un vrai pays autonome pensa Charles. Il comprenait pourquoi les étrangers étaient mal perçus, ils craignaient de perdre cet écosystème fonctionnel.

— Arrêtons-nous là, proposa John après avoir vu l’enseigne « A la bonne gamelle ». On devrait pouvoir manger quelque chose de bon là-dedans ! Ça nous changera de la cuisine de notre cuistot. J’crois bien que je suis devenu allergique à sa bouffe.

— Tu n’es pas le seul, ironisa Simon en tapant le dos de John. Malheureusement il n’y a que lui pour cuisiner.

— En même temps, surenchéri Charles. Faire à manger pour cinquante personnes, je lui laisse. Il essaye peut-être de nous empoisonner pour réduire le nombre de couverts.

Les trois hommes ne purent s’empêcher d’éclater de rire devant la taverne, tandis que Simon esquissa juste une grimace. Cela qui ne manqua pas de ramener l’attention des Massaliens, y compris ceux à l’intérieur.

Quand ils rentrèrent dedans, le gérant, un grand gaillard costaud, semblait suffisamment débordé pour ne pas leur prêter attention. Quelques groupes de personnes occupaient déjà les lieux, dont certains semblaient s’impatienter.

— Michael, si ça continue, on va manger chez Franck, dit l’un d’eux. On n’en peut plus d’attendre, sers-nous, il faut qu’on retourne travailler dans les champs.

Il releva la tête, observa une table de cinq personnes avant de soupirer et quitta la pièce en direction de la salle au fond. Il revient aussitôt avec les cinq assiettes dans les deux bras, ce qui avait le don de choquer nos étrangers.

— Tenez, pesta-t-il en balançant violement les assiettes.

— Mais putain, Michael, intervint un autre. Ce n’est pas ce qu’on a commandé. Et en plus, ce n’est même pas assez cuit, enchaina-t-il en repoussant l’assiette.

Le gérant se rapprocha de la table.

— Vous allez me bouffer ça et apprécier ce délicieux repas, s’énerva-t-il en fracassant ses deux énormes points contre la table, faisant trembler les assiettes. C’est compris ? menaça-t-il.

Les hommes se turent et se mirent à manger en silence la tête baissée, en esquissant un sourire en coin. Charles fit signe aux autres de se tenir tranquille, avant de chercher subtilement une table.

— Faut pas l’énerver, compris les gars ? conclut Charles. Je ne veux pas d’embrouilles, on a déjà assez de regards tournés vers nous.

— Ne vous inquiétez pas, répondit Simon en rigolant. C’est la spécialité ici, ça m’avait manqué. Je ne m’en souvenais plus en mettant les pieds ici, mais Michael est un fou qui ne supporte pas la pression. Les clients s’en amusent et en profitent pour animer leur repas. Je vous rassure, il n’a jamais tapé personne, conclut-il en reprenant son souffle.

Le repas se passait plus normalement que l’avait prévu Charles. Les gens ne leur prêtaient même plus attention, et la taverne se vidait doucement. Il restait juste un groupe de personnes se faisant interpeller par un homme. Ce dernier leur proposa de les financer pour une mission dangereuse à la demande d’un contact inconnu, il n’était que l’intermédiaire. Ils prétextaient que leur groupe avaient arrêter la moindre activité touchant de près ou de loin au banditisme et qu’ils mettaient leurs talents à contribution dans leur île natale, le plus loin possible de l’Imperator.

— C’est quoi la suite maintenant, Capitaine ? interrogea John en s’appliquant scrupuleusement à finir les derniers morceaux restant dans son assiette.

— On monte à Moonstell, on fouille la maison des Crawford pour trouver le carnet de bord, et on repart, répondit Charles les yeux écarquillés devant son inélégance. Simple mais efficace. Le plus compliqué sera de ne pas attirer l’attention, mais ça devrait aller. Elle est située en périphérie, non loin de l’école. On ira aux heures du repas, quand les gens mangeront chez eux. Les tavernes ne sont pas dans la même rue.

— Et si on ne trouve rien là-bas ? interrogea Simon.

— On retourne avoir une discussion avec notre prisonnier, répondit-il avec agacement. Ne t’en fais pas, je le redis pour la dernière fois, j’explore cette piste au maximum. Pour le moment, j’espère que vous avez pris des forces, on a un long trajet qui nous attend.

— Au faites, Capitaine, demanda William. C’était quoi le papier que vous avez donné au vieil homme ? C’était une vraie lettre de marque ?

— Bien sûr que non, ricana le capitaine. C’est la liste de nos stocks du Rose’s Revenge. J’ai parié sur le fait qu’il ne savait pas lire. Et ça a fonctionné.

William fut captivé par le bluff et la conviction dont avait fait preuve le Capitaine. Les quatre hommes payèrent leur addition et reprirent leur chemin. La prochaine étape n’était nulle autre que Moonstell, la ville venteuse.

Située en contrehaut de Brasslight, diverses chemins pouvaient mener à cette ville. Simon conseilla d’emprunter le plus rapide qui consistait à emprunter les voies tracées par les paysans pour accéder à leurs champs. Néanmoins, ces routes étaient pentues et difficilement accessible sans l’aide précieuse d’un cheval, mais cela représentait l’avantage d’éviter de croiser des gens.

Le début de l’automne se faisait sentir sur les terres agricoles, dont les végétaux, diminués par les températures, donnaient leurs dernières fructueuses contributions. Plus loin à l’horizon, les forêt se distinguaient, laissant percer à leurs cimes quelques rayons de soleils couchants à travers les branchages découverts. La nuit commençait à se dévoiler, et les membres de l’équipage n’étaient toujours pas arrivées.

— On devrait s’arrêter dans la forêt pour y faire un camp cette nuit, ça vous va ? demanda John en se retournant vers les autres qui peinait à garder son rythme de marche.

— Faisons ça, soupira Charles. Reposons-nous, on en a assez fait pour aujourd’hui. Traverser tous ces champs… ça me rappelle beaucoup de bons souvenirs, dit-il en esquissant un sourire quasiment enfantin.

— C’était mieux avant…, ronchonna Simon. On en perdait la tête tellement cela s’étendait à perte de vue. Plus loin, du côté de Rainfield, des milliers de tournesols s’orientaient vers le soleil lorsque la saison était bonne, enchaina-t-il avec nostalgie. On a perdu tout ça.

Simon accéléra le pas et prit la tête du convoi d’un pas déterminé. Les autres matelots le regardèrent partir au loin, tête baissée.

— On n’aurait peut-être pas dû l’amener. Ça doit lui rappeler pas mal de souvenirs, et visiblement pas des bons, conclut John. Je ne sais pas ce qu’il a vécu ici… Il ne m’a jamais parlé de sa vie d’avant.

— Il nous en parlera quand il s’en sentira prêt, dit Charles en tapant son dos. Avançons, on va le perdre de vue !

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