Chapitre 11

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Dans la petite cité de Moonstell, perchée en contrebas de la montagne surplombant toute l’île, se déroulait un évènement des plus inhabituelles. Plusieurs rangées de soldats anglais, jusqu’alors dissimulés derrière leurs capes, tenaient en joue 3 hommes devant la maison abandonnée des Crawford. Les résidents de la rue, à moitié collés devant leur vitres et à moitié cachés au fin fond de leur combles, n’en revenaient pas. Depuis l’incident, l’île ne voyait que très rarement de nouvelles têtes, alors assister de nouveau à une querelle entre des pirates et l’armée anglaise sur leurs terres, leurs inspiraient effroi et haine.

— Il m’a fallu beaucoup de temps pour vous retrouver, vous n’êtes pas facile à attraper, Capitaine Storm, dit le commodore. On n’aurait pas eu à en venir à de tels stratagèmes si vous n’aviez pas eu bonne fortune la dernière fois que l’on s’est rencontré.

— Bonne fortune, vous dites ? s’esclaffa Charles. Continuez à penser que notre retraite était due à la chance et cela se reproduira de nouveau. Vous n’avez aucun moyen de nous rattraper sur les flots, c’est bien pour cela que vous nous tendez un piège sur la terre ferme, n’est-ce-pas ? enchaina le Capitaine avec insolence. Au moins vous essayez de palier à vos propres lacunes.

La foule de marins anglais était légèrement perturbé par les propos de leur ennemi. Ses mots en interrogèrent plus d’un, relâchant légèrement leur concentration et leur mise en joue. Le réputé Imperator serait-il si faible qu’il ne le dit ? Le commodore Newind en serait-il conscient et essaye-t-il de contourner le problème ?

— Ça suffit, grogna Edward Newind en balayant du regard ses troupes. Ne vous laissez pas distraire et ne soyez pas dupes. Ils n’auraient pas accosté ici s’ils avaient aperçu l’Imperator. Voilà l’effet que procure notre bâtiment aux navires païens. La peur ! La crainte ! Il leur suffit d’un regard en notre direction pour qu’ils se pissent dessus.

Le regard des matelots de l’Imperator retrouva de la vigueur à l’écoute des mots de leur commandant. Ils se mirent à resserrer les rangs autour des trois pirates, ne leur laissant aucune option de contre-attaques possibles.

— Jetez vos armes, vous n’avez aucune chance.

— Un instant, reprit Charles. Comment avez-vous su qu’on était ici ? C’est vous qui avez torturé Robert jusqu’à la mort ? accusa-t-il en empoignant la crosse de son pistolet à silex.

— Un mauvais geste de votre part, et vous n’aurez pas le droit à la corde, païens, répondit le commodore en montrant du doigt les mousquets de sa troupe. Je ne connais pas ce pauvre Robert, mais c’est peut-être l’équipage qui vous a précédé ici. C’est dommage, nous sommes arrivés à peine après eux ! On a préféré tout laisser intact pour ne pas vous gâcher la surprise, enchaina-t-il en secouant son doigt devant eux tout en affichant un sourire sadique. Vous avez aimé la délicate attention ?

— Vous connaissez leurs identités ? répondit Charles dont le visage s’animait tout en relâchant l’emprise de son arme.

— Non. Et à vrai dire, cela ne vous concerne plus, la vengeance n’est pas pour les morts, Capitaine Storm. Néanmoins, comptez sur moi pour les traquer. Les pirates ne seront bientôt plus qu’une vaste plaisanterie servant à distraire le peuple londonien au théâtre. Capturez-les ! ordonna-t-il.

Les marins anglais s’approchaient doucement autour des pirates tout en resserrant leurs emprises à l’aide de leurs sabres. Ne connaissant pas l’animosité de ces derniers, ils prirent les précautions nécessaires pour ne pas subir de pertes inutiles dans ce combat totalement déséquilibré.

— Arrêtez de vous faire les yeux doux et allez-y, bon sang ! ordonna-t-il de nouveau en empoignant le col de l’un de ses hommes avant de le pousser en avant au front.

Ce dernier finit sa course contre John, qui d’un geste, l’arrêta et le repoussa contre la formation anglaise. La seconde d’incompréhension générale permit aux trois hommes de rejoindre l’intérieur avant de dégainer leurs armes.

— John, va nous trouver une sortie à l’arrière de la maison, ordonna le Capitaine. On va les retenir ici, l’espace est restreint, on devrait pouvoir rééquilibrer le combat dans cette pièce.

Les Anglais se précipitèrent en direction de la porte quand le premier à franchir le palier se prit un tir de plombs dans le crâne. Profitant de l’instant d’hésitation des suivants, Simon fonda sur ses ennemis telle une ombre, avant de blesser le deuxième et parer l’attaque du troisième grâce au plat de sa seconde lame. Il appréciait ce genre de moments où l’ennemi peinait souvent à affronter un opposant détenant deux armes. Certes, cela rendait la force des coups moins forte et moins précise, mais Simon pouvait aisément affronter plusieurs adversaires grâce à sa maitrise incontestée de l’escrime et son aptitude au combat. L’équipage du Rose’s Revenge le surnommait le démon au double visage.

— Recule, Simon, cria le capitaine. Tu vas te faire encercler si tu restes trop près de la porte, et tu risques de te faire toucher par les mousquets de dehors. Laisse les rentrer, ils feront office de boucliers.

Ce dernier s’exécuta, reculant tant bien que mal tout en combattant. Son adversaire n’était pas un fin combattant, mais bloquait aisément toutes ses attaques. Son évasion lui apporta un manque de stabilité et de force dans ses appuis, rendant ainsi ses coups moins pertinents. Ce n’est qu’au moment où une balle vint se loger dans l’épaule de son opposant, ralentissant l’exécution de sa parade, que Simon put enfin lui entailler le buste.

Le désordre dans la maison, rajouté aux premières victimes de ce conflit jonchant sur le sol, rendait difficile les manœuvres groupées. Simon en profitait pour les attaquer grâce à sa grande allonge naturelle, et Charles, plus en retrait, les criblait de plombs à chaque rechargement. Finalement, plusieurs d’entre eux purent atteindre le Capitaine, le forçant à dégainer son épée. Un véritable combat à mort se déroulait sous les yeux impuissants des habitants, regardant le combat depuis leurs fenêtres.

Charles se débattait comme un diable avec son épée, maitrisant différentes postures pour se défaire de ses adversaires. Une attaque combinée de deux anglais fut esquivée in extremis, avant de donner un rapide coup d’estoc à l’estomac au premier. L’autre marin profita de l’ouverture pour attaquer de nouveau rapidement le flanc gauche de Charles, avant de se voir bloquer son coup par son pistolet à silex. Vint rapidement une entaille hâtive sur sa garde relevée. En regardant l’état du combat, il constata que le rapport de force était de 1 pour 10, et qu’il leur était impossible de lutter éternellement dans ce combat. Sans compter que les mousquets deviendraient rapidement une menace sérieuse dès lors que le nombre d’hommes à l’intérieur serait amoindrit, laissant des fenêtres de tirs à ces derniers. Le temps jouait contre eux, alors qu’un fracas métallique proche de son oreille vint faire frissonner Charles. Un homme s’étant faufiler dans son angle mort, tentant de lui asséner une attaque large, venait de se faire parer à temps par John.

— J’ai trouvé une sortie, Capitaine ! s’exclama John. Il y a quelques anglais dehors, mais c’est toujours moins que ce tas de rats présent ici.

John prit la relève de son capitaine dans le combat, afin qu’il puisse aider Simon à se défaire de ses ennemis. Il n’en était rien, Simon n’avait aucun problème à les tenir à distance, voire de les faire reculer. La longueur de ses lames, ainsi que la vitesse à laquelle elle tournait devant eux, fit inconsciemment fléchir les marins anglais. Charles tira sa manche, et ils se précipitèrent vers la sortie indiquée par John, une vitre brisée donnant accès au verger de la maison. Les arbres avaient perdu toutes leurs fleurs, et la flore régnait en maitre dans ces lieux. Au centre de cette nature sauvage, quatre hommes, dont deux armés de mousquet, les attendaient en cas de retraite de leur part.

— Ramenez-les moi coûte que coûte, bordel, cria le commodore Newind au loin.

John enjamba l’obstacle en premier, sous la couverture du tir de Charles permettant d’abattre l’un des deux mousquets. Il essaya de se ruer sur le second avant de se faire intercepter par les deux bretteurs de l’Imperator. Simon lui emboita le pas, tandis que Charles continuait de lutter à l’intérieur, réalisant quelques tirs ponctuels dès qu’il parvenait à venir à bout de certains avec sa lame.

Puis, d’un pas rapide et agile, le capitaine profita d’un moment d’accalmie pour sauter à travers la vitre. Un retentissement puis un sifflement vint prolonger l’éclat le long de son oreille. En relevant la tête après son saut, le tireur braquait son mousquet sur lui et venait de manquer de peu sa cible. Ce dernier s’empressa de recharger pour tenir en joue Charles, à genou sur le sol, et qui s’était hâté également de rengainer son pistolet à silex. Les deux hommes se braquaient l’un et l’autre, mais une légère avance du Capitaine lui permit de presser la queue de détente en premier. En vain. Le coup n’était pas parti. Les yeux écarquillés, il regarda impuissant son ennemi le tenir en joue. Seules quelques gouttes de pluie purent brisées le silence qui lui parut durer une éternité. Puis survint un rugissement de douleurs. Les deux pirates se retournèrent vers leur capitaine, et le virent jonché au sol, recroquevillé, la main accrochée sur le haut de son buste.

Avant que l’artilleur anglais ne puisse recharger, Simon avait comblé la distance les séparant et se vengea de lui d’un coup net. Les deux autres bretteurs n’avaient pas tenu le coup face à leurs vigueurs. Il ne restait plus que les deux pirates debout dans le verger sauvage, et Charles, gisant dissimulé dans les hautes herbes. Un grognement de souffrances vint les presser à rejoindre le capitaine. Le teint pâle et transpirant abondamment de tout son corps, il fut touché à la poitrine, au niveau de la clavicule.

— Aide-moi à le relever, hâta John en regardant Simon, tout en prenant Charles par l’épaule. Il faut qu’on se casse d’ici. Hors de questions de le laisser entre les mains de ces fumiers d’anglais !

Simon se précipita de prendre l’autre épaule, et sous le coup de l’adrénaline, les deux hommes le portaient aussi aisément que s’il s’agissait d’un enfant. La différence de taille permettait de maintenir les pieds du Capitaine à quelques centimètres du sol, ne créant ainsi aucune gêne supplémentaire.

— Partons par la gauche, je n’en ai pas aperçu de ce côté-là !

Enchainant les grandes foulées, d’une facilité aussi déconcertante que surprenante, ils avaient pu prendre suffisamment d’avance pour ne plus apercevoir d’anglais derrière eux. Ils empruntaient le chemin parallèle à celui qu’ils avaient emprunté plus tôt dans la journée. Les racines saillantes des arbres et les nombreux cailloux reposant sur le chemin de terre, leur rendaient la tâche laborieuse, mais représentait le seul endroit permettant d’avancer à l’ombre des bois. Les secousses du terrain abrupt n’aidaient pas Charles, le faisant gémir de douleurs à chaque obstacle.

— Capitaine ! engueula Simon. Tenez bon, mais essayez de prendre sur vous pour éviter de nous faire repérer, bordel. On a une bonne longueur d’avance sur eux, mais il faut qu’on garde le rythme si on veut s’en sortir.

Ce dernier acquiesça péniblement avant de sortir quelques bruits inaudibles de sa bouche.

— Will… murmura-t-il. …

— Quoi ? s’exclama John.

— William, réussit-il à dire. On doit …, le retrouver…

— Vous n’y pensez pas vraiment ? s’étonna Simon. Impossible qu’on y retourne, dit-il en relevant son bras pour le reprendre correctement par l’épaule. D’ailleurs, quand je le reverrais, je lui toucherai deux mots de ne pas nous avoir prévenu de leur arrivée. S’il n’est pas bête, il a dû prendre la fuite.

— Je n’en suis pas si sûr, répondit John en grimaçant. William est jeune, mais il ne désobéit pas aux ordres. Le connaissant, il attendra notre retour quoi qu’il en coûte. Il refusera de partir en nous laissant derrière.

— John, interrompit Simon en s’arrêtant de marcher. On ne peut pas le chercher tout en portant le capitaine. On rejoint notre camp d’hier et on avise là-bas. On ne peut pas sauver tout le monde, on risquerait de tous y passer ! souligna-t-il en essayant de convaincre son ami. D’ici ce soir, toutes les villes et les grands axes seront occupés par les Anglais, il faut qu’on quitte cette île avant.

— D’accord, répondit John en faisant signe de la tête de se remettre à avancer. Mais une fois là-bas, je retourne ici le chercher.

Sous le regard et les cris des hirondelles cherchant refuge dans ces terres pour hiverner, les matelots avancèrent péniblement dans l’inquiétude de la perte de leur compagnon d’arme. Ils s’envolèrent quand retentirent quelques coup de feu en provenance de Moonstell, renforçant ainsi le malaise ambiant qui pesait depuis les derniers mots de John.

Ce n’est que quelques heures éreintantes plus tard, que les trois pirates finirent par rejoindre l’emplacement où ils avaient dormi la veille.

— Vous pensez qu’ils ont trouvé William ? s’inquiéta John essoufflé, brisant ainsi le silence tout en reposant délicatement le capitaine à terre.

— Non, répondit le capitaine allongé au sol, le regard porté au ciel. Ils ne lui auraient pas tirer dessus, il détient des informations capitales à leurs donner. John, il faut que tu le retrouves vite, on a peut-être encore le temps de remonter sur notre bateau avant que les Anglais ne bloquent la baie de Brasslight.

— D’accord, répondit ce dernier. Et vous ? Ça va aller ?

— Ne t’en fais pas, assura-t-il en se redressant. J’ai connu pire que ça. Je commence à m’habituer à la douleur, et le plomb semble n’avoir que traverser ma clavicule. Mais je ne dirais quand même pas non à du whiskey pour aider, ironisa-t-il en tenant son épaule sous la douleur de ses plaisanteries.

— Attendez ! murmura John en signalant de se taire. J’entends quelque chose.

Non de loin de là, le bruit d’une branche cassée venait d’interpeller John à l’ouïe peu ordinaire. En général, dès qu’il le pouvait, il allait dormir à des heures décalées des autres matelots afin de pouvoir dormir sans être déranger par les ronflements de ses compairs. Son acuité auditive était une malédiction, mais se révélait diablement efficace dans des situations délicates. Il apposa son doigt sur sa bouche en regardant les autres, avant de se diriger discrètement vers l’origine du bruit. Ne sachant pas s’il avait affaire à un animal sauvage ou à un homme, il préféra prendre le risque de ne pas dégainer son arme, afin de garder sa progression la plus silencieuse possible.

Quelques bruissements dans la végétation confortaient son idée d’une présence dans les environs. Simon le regarda avancer, jusqu’à ce qu’il aperçût une ombre disparaitre derrière un arbre.

— John ! souffla discrètement Simon en lui indiquant la position de l’intrus.

Ce dernier s’approcha furtivement en regardant chaque emplacement où il posait ces pieds, et finit par atteindre l’endroit indiqué.

— T’es qui ? réclama-t-il après avoir fait le contour de l’arbre, la pointe de sa lame braquée contre le dos de la personne dissimulé derrière une cape.

— John ? répondit-il surpris. Mais oui c’est ta voix ! C’est moi ! C’est moi ! hurla-t-il de joie en se retournant. William !

— Putain, William, tu nous as fait une de ses peurs ! répondit-il avec joie. Calme toi, on n’est peut-être pas tout seul ici.

— Je ne pensais pas vous retrouver un jour, dit William soulagé, après avoir rejoint l’autre moitié du groupe. Je gardais l’entrée que vous m’aviez demandé Capitaine, et au bout d’un moment, j’ai remarqué beaucoup d’agitations dans la rue. La plupart des habitants avait quitté leurs maisons et ils se sont tous rassemblés en rond. On aurait dit une groupe qui préparait un mauvais coup, enchaina-t-il avec sérieux. Je me suis rapproché, je les ai contournés, et j’ai remarqué plusieurs rangées de soldats anglais au loin. J’ai compris que c’était pour vous… Je m’en veux de pas avoir fait plus attention que ça, Capitaine…

— Tu n’y es pour rien William. Ils ne sont pas venus depuis ton côté, tu ne pouvais pas savoir, rassura-t-il. Comment tu as pu nous retrouver ? questionna le capitaine en grimaçant pour contenir la douleur.

— Quand j’ai compris la situation, je me suis caché pour observer la suite. Si vous étiez fait prisonniers, j’aurai accouru vers le navire pour chercher des renforts. J’ai compris que ce n’était pas le cas quand j’ai vu leur commandant faire un scandale à ses hommes. Ils ont commencé à interroger les habitants directement dans leurs maisons, les menaçant, j’ai entendu plusieurs tirs. J’ai profité de l’occasion pour rejoindre le dernier point connu de nous quatre, ici, finit-il en souriant niaisement. Je suis content de voir que je ne me suis pas trompé.

— Tu as bien … réagis, grimaça le capitaine. Allons au port, il n’est peut-être pas trop tard.

Ils reprirent leur chemin en direction de la baie de Brasslight. Les quelques brises de vents prirent la relève sur les coups de feu antérieurement tirés. S’ils n’avaient pas subi d’assaut, ils auraient pu croire à une de ces journées calme d’automne, où la flore proposait un paysage à couper le souffle. La pluie fine suintait sur les branchages jaunissant, dépouillés au fil des jours, laissant ainsi entrevoir la baie en contrebas. L’humidité planait dans l’air, dont une légère brume enveloppait les navires amarrées, comme enlisées dans un nuage descendant des cieux. Ils leur étaient impossible d’apercevoir le Rose’s Revenge dans ces conditions.

Après un long trajet, ils approchèrent de la ville, où la forte température ne faiblissait pas malgré le ciel s’étant assombri. Un éclair vint s’écraser sur le sommet du clocher de l’église, dans un fracas assourdissant, faisant se mouvoir la population cherchant à rentrer chez eux. Les bourrasques de pluie s’installèrent, alors que les matelots essayaient de retrouver leur chemin jusqu’à leur barque, malgré la visibilité s’amenuisant à vue d’œil. William, le seul n’était pas ralenti par la condition physique du capitaine, peinait à les guider. La maison à quelques mètres d’eux était déjà partiellement camouflé d’un manteau de brumes, alors comment retrouver la bonne route dans ces conditions ? se demanda-t-il. Les grondements ne faisaient que s’amplifier quand le capitaine leur ordonna de s’arrêter.

— Arrêtons-nous là deux secondes, dit-il en montrant l’abri sous la devanture d’une forge. J’ai besoin d’une petite pause, et foncer la tête baissée dans ce brouillard ne va pas nous aider. Je pense que l’on n’est pas loin, si on regarde bien ce qu’il y a autour de nous, enchaina-t-il en regardant les différentes bâtisses visibles en face d’eux. Ça m’a l’air familier.

— On dirait la même rue que l’auberge où nous avons mangé hier, s’étonna John.

Un grondement vint s’écraser non loin d’eux.

— Le ciel te répond, dit Charles en lui tapant le dos. Tu as raison, je reconnais l’endroit maintenant. On n’est pas loin. Repartons. C’est le temps idéal pour rejoindre notre bateau sans être vu.

— A ce propos, répondit Simon. J’ai remarqué plusieurs colonnes de fumées provenant de Moonstell, ainsi que de la montagne tout à l’heure. Ce n’est pas courant d’en voir autant, ce sont forcément les Anglais…, conclut-il après réflexion.

— Tu penses qu’ils préviennent leur troupe de cette manière ? interrogea Charles en s’adossant contre le mur, légèrement recroquevillé pour se maintenir sur ses jambes. Si c’est le cas, l’Imperator doit être en route. Il devait mouiller dans les environs, en refermant leur piège sur nous quand on accosterait. On a un traître dans nos rangs, ils n’auraient pas pu en savoir autant autrement. Désormais, tout le monde est suspect, enchaina-t-il en prenant un ton sérieux en regardant les autres.

Les mots du Capitaine installèrent un froid entre les matelots. Qui a bien pu trahir l’équipage et collaborer avec la marine anglaise ? Pour quels motifs ? Beaucoup de questions fusèrent dans leurs cerveaux, ils ont failli être fait prisonniers aujourd’hui, voire être exécuter sur place. Quoique, se disait Simon, ils ne sont même pas encore tirés d’affaire. Peut-être que l’espion œuvre encore, et qu’il est parmi eux.

— Ça peut même être l’un de vous, intervint Charles en disant tout haut ce que les autres pensaient dans leur coin. Quoique non, cela n’a pas de sens, enchaina-t-il en se malaxant le crâne. Autrement, vous en auriez profité pendant le combat. Il y avait beaucoup d’ouvertures possibles. Oui. Et aucun d’entre vous ne les a exploités, marmonna-t-il de plus belle sous le regard perplexe des matelots.

— Et William ? accusa Simon en le regardant. Il est plutôt jeune, il aurait pu se faire retourner le cerveau facilement, ou alors c’est un espion anglais qui nous a infiltré depuis le début. Ça va faire quoi ? 2 ans à peine qu’il nous a rejoint ? questionna-t-il en bousculant le mousse.

— Non ! ordonna Charles à Simon en lui retenant l’épaule. Restons calmes et lucides. On ne doit pas jouer leur jeu, sinon on a déjà perdu, souffla-t-il après avoir arrêté sa course. William faisait le guet, il les a peut-être laissé passer en effet. Mais pourquoi il nous aurait rejoint sans eux ? questionna-t-il rhétoriquement. On aurait été fait comme des rats dans ces bois. Et son regard soulagé en nous retrouvant. Non, conclut-il en reprenant sa respiration, ça ne coïncide pas.

Simon baissait les yeux, il s’en voulait de sa réaction. Son premier réflexe a été de suspecter les autres sans fondements comme l’aurait fait les Massaliens lors de l’incident. Il ne faisait que reproduire les erreurs passées qu’il exécrât.

— Heureusement, dit-il, j’ai choisi les bonnes personnes avec moi. Enfin, je pense. Oui, je pense que le traître n’est pas ici, donc il est sur le navire, raisonna-t-il. Il faut qu’on le démasque, mais sans prévenir les autres. Sinon, on aura plein de Simon qui vont s’attaquer aux autres, et là … c’est la guerre garantie, grimaça-t-il de douleurs.

— Dépêchons-nous, Capitaine, interrompit John. Il faut qu’on vous fasse soigner, rejoignons la barque.

La pluie n’avait cessé de tomber, même au contraire, elle s’intensifia au rythme fracassant du tonnerre. Si Charles avait vu juste, il ne leur restait plus beaucoup de distance à parcourir avant de rejoindre leur embarcation de fortune.

— Il faudra vider l’eau de la barque, dit William après avoir pris la relève pour soutenir la marche rapide du capitaine.

— Les voilà, hurla une voix derrière eux, dont un rideau de pluie cachait partiellement l’identité.

— Dépêchons, cria Charles en tentant d’accélérer le mouvement malgré sa blessure.

Le capitaine se démêla des autres matelots sous le coup de pression qu’ils venaient de recevoir. Il peinait à maintenir le rythme, mais il était hors de question d’abandonner si proche de la baie.

— Les Anglais, Capitaine, s’exclama John après avoir donné quelques rapides coups d’œil en arrière. Ils sont nombreux, au moins une dizaine. Ils doivent savoir pour notre barque, on devrait changer de plan !

Charles s’empressa de trouver une idée convenable pour se sortir de ce bourbier. L’ennemi les encerclait de toutes parts et ils avaient surement connaissance de leur projet. Sans compter l’espion qui les attendait sur leur navire. Quoiqu’ils puissent faire, ça les mènerait doucement mais surement à la potence. Le commodore Newind était peut-être en train de gagner la partie, pensa-t-il.

— Là, tournons à droite à la prochaine ruelle ! ordonna-t-il.

— Mais Capitaine, s’étonna Simon. C’est à l’opposé de la baie !

— Je sais. Dépêchons.

— Je les vois, hurla un Anglais derrière eux les ayant aperçus. Bloquez les dans la rue suivante, vite ! Il faut qu’on les capture pour l’honneur de la marine, ainsi que pour notre commandant !

Ces derniers s’étaient hâtés de boucler les différentes ruelles principales de la ville où ils avaient repéré les pirates. La forte pluie rendait la poursuite difficile, mais leur nombre comblait cette lacune. Plusieurs corps de la marine composées de dizaines de matelots patrouillaient actuellement dans Brasslight. Une unité, la plus proche des hors-la-loi, bifurqua sur la droite pour suivre leur mouvement.

— On les a perdus de vue, officier Smith. Quels sont vos ordres ?

— Allons tout droit, ils essayent de nous éloigner de la baie, répondit-il en plissant les yeux sous la tombée des gouttes. Ils vont tomber sur le 2ème corps s’ils continuent dans cette direction. On va les avoir en tenaille, se réjouit-il.

Prolongeant la direction proposée, ils finirent par tomber sur le 2ème corps.

— Officier Smith ? interrogea l’un des matelots en face d’eux. Vous ne l’aviez pas en chasse ?

Les pirates avaient disparu.

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