Chapitre 14.1

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Le Hell’s Keeper était une frégate très connue au sein des équipages naviguant dans le nouveau-monde et rares étaient ceux qui survivaient à cette funeste rencontre. Doté d’une puissance de feu considérable, le vaisseau du Capitaine Barbegrise possédait une dizaines de canons de chaque côté du navire. Ses grandes voiles noires aux reflets cendrés, sa coque à l’apparence ténébreuse et la personnification de la faucheuse en tête de proue inspiraient la peur sur ces eaux. Pour tout le monde. Barbegrise faisait rarement la distinction entre un navire marchand, pirate ou des armées continentales. Sa seule motivation était l’argent.

— Billy, dit Charles en s’étant pressé de se replacer près de la barre. On va devoir le mettre hors d’état de nuire avant qu’on entre dans la tempête. Donne nous un angle de tir.

Billy acquiesça. Leur poursuivant avait une voile de plus déployé par rapport à eux, leur permettant d’avoir plus de vitesse. Or, pour manœuvrer le bateau, surtout par vent fort, Billy préférait réduire l’allure pour mieux profiter des erreurs de positionnement de leur adversaire. Quand ils allaient vite, la fenêtre de tir était toujours plus restreinte mais permettait également de rester moins longtemps sous le feu nourri de l’adversaire. Il y avait donc un dilemme entre les deux conceptions du combat différentes.

— Thomas ! hurla le capitaine pour se faire entendre jusqu’à l’entrepont. Visez la coque dès que vous le pouvez ! On vire à bâbord ! Tenez-vous prêt.

Le Rose’s Revenge effectua un virement de bord tandis que le Hell’s Keeper réagit à contretemps, virant à tribord. Une légère opportunité se présenta pour Thomas qui ordonna de tirer avec les canons. Plusieurs batteries de tirs se firent entendre à l’unisson tel un fracas d’éclair tombant à plusieurs points quasi simultanément. Les boulets furent tirés légèrement en arc de cercle, s’échouant lamentablement contre les vagues à quelques mètres de la coque.

— Merde ! gueula Thomas de toutes ses tripes. On s’est pris une rafale de vent de face ! On réajuste le tir, levez vos canons de 15 degrés ! Magnez-vous !

La douzaine de matelots reculèrent leurs canons pour préparer une autre salve de tirs, quand une multitude de détonations se firent entendre. Des cris agités sur le pont venaient de confirmer la première attaque du Hell’s Keeper. Les boulets soufflèrent aux dessus de leurs têtes, manquant d’exploser plusieurs de leurs mats. Impuissants, le Capitaine regarda la dizaine de projectiles survolée le pont de son vaisseau, emmenés au loin par la force de la tempête.

En se baissant pour voir à travers les différents sabords, Thomas signala à Billy qu’ils n’avaient plus l’angle de tir pour les attaquer. Ces derniers en revanche, suite à leur manœuvre rapide à tribord, se retrouvèrent derrière le Rose’s Revenge, pouvant toujours couvrir une nouvelle salve de tirs avant de se retrouver de nouveau à leurs portées.

— Pardon Capitaine, j’ai foiré, dit Billy en grimaçant, les yeux fixant ses pieds tout en martelant la barre. Ils vont avoir de nouveau l’occasion de tirer. C’est ma faute !

— Arrête, répondit le Capitaine en posant la main sur son épaule.

Billy retourna brusquement sa tête vers Charles. Il ne voulait pas se défiler une nouvelle fois. Pas encore. Il voulait devenir meilleur que ça. Une personne de confiance, que les autres matelots respecteraient et sauraient qu’ils pouvaient placer leurs vies entre ses mains, sans inquiétude.

— Je peux continuer, cria-t-il en soutenant son regard, les sourcils froncés de détermination.

— Arrête, répéta-t-il. Arrête de t’excuser et montre-moi ce que tu vaux, sourit-il en lui tapant le dos.

La lueur de ses yeux changea. On ne lui avait encore jamais dit, c’était le premier matelot sur ce navire à lui dire qu’il lui faisait confiance. Et pas n’importe lequel.

— Bien ! jubila-t-il en souriant, raffermissant son emprise sur la barre. Allons le couler ! Mettez-vous à couvert ! hurla-t-il par-dessus la barre.

En effet, le Hell’s Keeper fit une nouvelle fois feu sur son opposant. Idéalement placé derrière le Rose’s Revenge, il pouvait se permettre d’ajuster leurs tirs sans crainte d’essuyer une attaque. En revanche, ils ne pouvaient pas viser toute la longueur du vaisseau, mais seulement sa largueur. Autrement dit, le seul visuel qu’il avait, était la cabine du Capitaine et l’endroit où se trouvait les couchettes de l’entrepont.

Billy se retourna recroquevillé pour constater une dizaine de boulets de canons converger droit dans sa direction, impuissant et vulnérable.

Les premiers vinrent s’échouer contre la vague que venait de surplomber le Rose’s Revenge, puis dans la redescente, deux boulets sifflèrent aux dessus de leurs têtes, transperçant leur unique voile déployée.

— Déployez la voile du grand mât, hurla Billy. Plus vite ! On a besoin de mouvements !

John répéta les consignes avec une intensité incroyable. Les gabiers montèrent en vitesse pour la déployer, dont la rafale de vent fortuite leur redonna un véritable élan sur cette mer agitée. Dans une tempête, s’ils ne naviguaient pas assez vite, cela pouvait revenir à signer leur arrêt de mort, tant les vagues pouvaient déferler sur le navire avec une violence inouïe, balayant tous les matelots sur son passage.

— C’est bon, murmura Billy. On a échappé au pire. Ils sont loin derrière nous maintenant. Que faisons-nous, Capitaine ? On réengage le combat ?

— Bien sûr, grimaça le Capitaine. Que pouvons-nous faire d’autres face au fameux Hell’s Keeper ?

Plus méfiant qu’à sa première manœuvre, le timonier n’effectua pas une approche aussi frontale. Son objectif était de se rapprocher du vaisseau ennemi tout en gardant une certaine distance, afin de rendre les tirs plus difficiles à toucher. Il avait pleine confiance dans l’expertise de Thomas pour prendre le dessus sur l’adversaire, ayant démontré à d’innombrables reprises ses prouesses dans les tirs à longue distance.

Pendant ce temps, le capitaine continuait à garder à l’œil le Hell’s Keeper grâce à sa longue vue. Ils ne faisaient que répéter les déplacements de Billy à l’extrême opposé, condamné à respecter sa vitesse d’exécution. Le premier à effectuer le déplacement avait généralement l’avantage car il avait généralement le temps d’ajuster sa trajectoire pour contrer le décalage de l’autre vaisseau.

Voguant en formant un cercle de très grande distance avec l’autre navire, Thomas fit tirer une batterie de tirs depuis l’autre rangée de canons. Ils n’atteignirent que les trois quart de la distance voulue à cause des conditions climatiques n’étant pas favorables à des tirs d’aussi longue portée. La pénétration dans l’air ralentissait les projectiles au moment de s’abattre sur la cible.

— Réajuster encore l’angle de tir, hurla Thomas dont la voix était étouffée par le bruit de la pluie. On va les couler par le fond !

Les échanges belliqueux continuèrent entre les deux opposants, réduisant subtilement leurs stocks de boulets. Aucun tir ne faisait mouche tandis que Billy avait changé subtilement l’angle de braquage de sa barre pour s’approcher de son opposant. Il était difficile de s’en apercevoir, mais au fil du combat, les boulets envoyés ne manquaient plus que de quelques mètres leur cible.

Soudain, la distance était parfaite pour Thomas.

— Tirez ! hurla-t-il.

— Non ! Visez les mâts, interrompit sèchement le Capitaine en hurlant depuis le pont.

Dans un moment d’hésitation, les canonniers regardèrent Thomas, les yeux écarquillés. Leurs mèches étaient allumées et ils n’avaient aucun moyen de désamorcer leurs tirs. Thomas se précipita sur l’un des canons, et tenta de réajuster l’angle de tir en mettant tout son poids sur la barre d’anspect servant de levier pour ajuster la hauteur. Les autres matelots suivirent l’exemple avant de se retrouver propulsées en arrière par le recul des canons ayant fait feu.

Charles bondit hâtivement dans l’entrepont et aperçut tous ses canonniers au sol, dont certains gisaient inconscients par le coup reçu sur leur tête en percutant soit une poutre en bois soit un allié.

— Pardon les gars, grimaça-t-il en se dépêchant de les révéler alors que l’ennemi venait de répondre à leurs attaques par un autre bombardement.

— Pourquoi, Capitaine ? s’étonna Thomas. On les tenait pour une fois, pourquoi ne plus vouloir les couler ?

— Je crois avoir reconnu l’un d’eux, répondit Charles, la voix rauque. J’aimerai lui poser quelques questions avant qu’il ne meure, enchaina-t-il froidement, le regard décidé.

Après les avoir aidés à se relever ou les ayant placés à l’abri, Charles remonta sur le pont pour rejoindre Billy.

— Capitaine ! On les a touchés ! Regardez ! s’excita jovialement le timonier en lui tendant la longue vue.

En effet, le grand mât avait subi la puissance de feu de l’un de leurs canons. Le Hell’s Keeper ne naviguait désormais plus qu’avec une seule voile de déployée.

— Je braque à babord, Capitaine. On va changer de cap ! Préparez-vous à relever la voile du grand mât, enchaina Billy en donnant ses consignes à John.

Le Rose’s Revenge effectua un revirement complet, mettant fin à l’interminable face à face rotatif. Ils coupèrent leur trajectoire pour foncer droit sur eux tel un requin sur sa proie. Manifestement perturbé par la perte de leur mât principal et des dégâts occasionnés par sa chute, ils ne répondirent que très tardivement aux manœuvres de Billy. Engageant le combat de manière frontale à bâbord, le Hell’s Keeper referma également son angle pour s’octroyer une fenêtre de tirs des plus avantageuses. Ils avaient devant eux le vaisseau ennemi, pile devant leurs canons, alors qu’ils ne risquaient pas de se faire tirer dessus.

— Couchez-vous, ça va gronder sec, hurla le Capitaine.

Un bombardement paraissant interminable se produisit devant leurs yeux. Les premiers boulets de canons soufflèrent aux dessus de leurs têtes, tandis que les suivants balayèrent l’avant du bateau, occasionnant des dommages considérables sur le pont du Rose’s Revenge. Des matelots furent projetés dans l’eau, démembrés par la puissance du feu nourri de l’ennemi. Les rambardes de la proue étaient détruites, alors que le mât de misaine ne tenait que sur la moitié de sa structure. Un dernier tir retardataire frappa de plein fouet la coque avant du navire, secouant le navire de tout son long.

— Bordel, cria Billy. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils nous punissent aussi bien. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

Alors que la situation sur le pont était chaotique, Billy continua sa manœuvre pour se faufiler à l’arrière du Hell’s Keeper. Thomas put tirer une rafale de boulet avec les canonniers encore debout, visant chirurgicalement le mât d’artimon et occasionnant de lourds dégâts sur le poste de commandement de l’ennemi. Ils avaient réussi à leur priver de leur dernier mât déployé et à les empêcher de changer de direction en condamnant leur barre.

— Préparez-vous à l’abordage, hurla le Capitaine en descendant sur le pont. Charpentier, prend quelques hommes avec toi pour colmater le trou dans la coque et écoper si besoin !

La majorité des gabiers ainsi que les canonniers remontèrent sur le pont, prêt à engager l’escarmouche, tandis que trois matelots accompagnèrent le charpentier à la réparation. Les navires étaient suffisamment propres pour continuer à faire feu en effectuant des dommages considérables, mais ce ne fut pas la stratégie retenue par les deux camps. Ils voulaient en découdre l’arme à la main.

Alors que John fut occupé à remonter le dernier matelot accroché à la rambarde, victime du souffle de la déflagration, chacun était armé d’un grappin dans l’optique de rapprocher leurs navires côte à côte et permettre aux premiers gabiers accrochés au cordage de pénétrer le pont du Hell’s Keeper.

Sous couvert des tirs de mousquets alliés planqués dans les hunes, ils jetèrent leurs grappins sous le regard furieux de leurs ennemis, les dissuadant à travers leurs tirs répétés et en tentant de trancher leur cordage à l’aide de leurs épées.

Alors que leurs deux navires s’étaient alignés, les membres du Rose’s Revenge purent apercevoir le commandement ennemi, situé à hauteur de leur barre défaite, le Capitaine Barbegrise, aux directives très graves et sépulcrales. Un être imposant dont l’envergure dépassait l’entendement du raisonnable. Affublé d’un tricorne dont l’ombre camouflait une longue barbe grise, sa taille démesurée et ses membres longs et robustes pouvaient naturellement effrayés n’importe quels hommes. L’aura et la puissance émanant de son immense corps étaient tels que l’on pouvait s’imaginer facilement se voir broyer la tête sous l’emprise de sa main. Un vrai géant parmi le commun des mortels.

— Continuez, ordonna le Capitaine. Tirez !

L’ennemi avait cessé d’essayer de saborder leur tentatives d’abordage, mais ne cessèrent pas pour autant de les attaquer sous un feu nourris de plombs.

— Laissez-les venir, hurla Barbegrise dont la voix caverneuse portait jusqu’au pont du Rose’s Revenge. Ce navire sera leur tombeau. Montrez leur ce qui se passe quand l’on défie des hommes naviguant pour la mort en personne !

Sur ces mots, le Capitaine s’accrocha à un cordage et se balança jusqu’à survoler le pont de l’ennemi, avant de poser les deux pieds sur le sol glissant lors de son retour, assénant un coup d’épée mortel au pauvre matelot qui se trouvait là. Il venait de débarquer à l’avant du Hell’s Keeper, entouré d’une soixante d’ennemis.

— Capitaine ? interpella John l’air surpris, balayant du regard autour de lui. Vite ! On y va !

En un éclair, une trentaine de matelots du Rose’s Revenge se balancèrent à tour de rôle sur leurs cordages. Les grappins, fermement accrochés aux rambardes du vaisseau ennemi, permettaient de faire une jonction que John emprunta en sautant après une bonne prise d’élan. Simon lui emboita le pas, couvert par les tirs aux mousquets de Thomas et sa dizaine d’hommes restant sur le bateau pour s’assurer les manœuvres en cas de repli.

Sur un terrain inconnu, l’équipage du Capitaine Storm était en désavantage numérique malgré les marins chutant des hunes sous les tirs de couvertures.

— Capitaine, interpella John en se frayant un chemin jusqu’à lui à coups d’épées. Vous êtes fous de plonger dans la bataille comme ça, laissez-nous vous dégager le chemin !

— Hors de question ! répondit Charles le visage fermé malgré un regard vif et enflammé. J’ai un compte à régler ici-même, et personne ne se mettra en travers de mon chemin, enchaina-t-il en tranchant le bras de son ennemi.

Malgré leur sous-nombre, un équipage abordant un autre avait toujours l’avantage psychologique. John se débarrassa facilement des quelques pirates lui fonçant dessus grâce à sa force et son expérience du combat. La faiblesse de leurs coups parvenait à peine à faire vibrer le fer de son arme. Du côté de Simon, comme à son habitude, il traitait plusieurs menaces à la fois grâce à ses deux sabres. Contrairement aux anglais, ses opposants ne semblaient pas surpris par sa maitrise exceptionnelle de l’escrime, peinant tout de même à le mettre en difficulté. Les autres matelots arrivèrent au compte-goutte sur le pont, dans une bataille générale.

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