Chapitre 15

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D’un seul soupir, Charles se retrouva propulsé contre le grand mât après avoir survoler le pont sur quelques mètres. Ce n’était qu’après plusieurs secondes qu’il réalisa le tour de force qu’il avait subi, avant de gémir du foudroiement lui remontant toute la colonne vertébrale jusqu’à sa blessure. En relevant la tête, il vit une imposante lame laissant juste apparaître en dessous d’elle le sourire narquois de l’estropié.

— Vous n’êtes personne sur ces mers et vous osez mettre les pieds sur mon navire ? Et vous en prendre à mes hommes ?! s’insurgea Barbegrise. Les jeunes n’ont plus aucun respect, je regrette la belle époque, soupira-t-il dans un bourdonnement ressemblant à un courant d’air s’échappant d’une grotte.

— L’époque où vous pilliez tous sur votre passage ? s’indigna Charles en essayant vainement de se relever tant la douleur était trop forte. C’est une conception de la piraterie qui me répugne. Vous vous attaquez à des gens même pas armés, profitez d’eux et repartez en laissant que le néant derrière vous. Tu parles d’une belle époque ! pesta-t-il. Que des lâches oui !

— Tu ne sais rien la bleusaille ! cria Barbegrise dans une colère noire en martelant son arme contre le sol. Tu ne sais pas ce que l’on a vécu, ce que l’on a dû faire pour survivre dans ce monde pourri jusqu’à l’os ! Il n’y a aucune bonté dans ce monde, ni dans l’autre !

Marcus recula par instinct devant l’hostilité de Barbegrise. Au plus profond de lui, il sentit que sa vie ne tenait qu’à un fil, que cette homme défiait toute logique connue dans ce bas-monde. Il le dominait physiquement alors qu’il devait déjà naviguer dans ces eaux dangereuses avant qu’il ne soit déjà en capacité de marcher.

— Vous vous êtes jetés dans la gueule du loup, sourit l’estropié. On n’aurait dû vous suivre dès le début !

— Tais-toi ! interrompu sèchement Barbegrise. Enferme toi dans la cabine et occupe-toi de Joe.

Charles parvenait enfin à se relever quand il réalisa la menace qu’il avait devant lui. Ses matelots peinaient à se défaire de leurs ennemis et ils se retrouvaient face à l’homme responsable de la mort de Robert. Mais la revanche ne lui paraissait pas aisée à prendre. Au contraire. Il venait d’essuyer un sale coup et avait déjà peiné à neutraliser ses précédents adversaires et maintenant il se devait d’affronter le pirate le plus imposant et le plus expérimenté qu’il n’avait jamais rencontré.

— Alors ? Tu vas rester longtemps assis ? provoqua Barbegrise. Tu n’es pas censé venger la mort de ton matelot ? A bien y réfléchir, il est pas mal où il est, vu l’état de son capitaine. Aussi bruyant qu’un cerf en rut et aussi inutile qu’une épée émoussée.

— Ce n’est qu’une question de temps avant que je ne venge Robert, grogna Charles en serrant les dents tandis qu’il se relevait.

— Ah oui ? s’étonna Barbegrise. Et comment tu vas y parvenir ? Avec la bleusaille qui se fait défaire derrière toi ? enchaina-t-il en haussant les épaules. Sois réaliste et rends toi. Je reconnais ta valeur, je t’ai observé à déjouer la vigilance de l’Imperator. Rejoins ma flotte et j’épargnerai la moitié de tes hommes.

Charles parvenait enfin à se redresser difficilement sur ses jambes pas complétement tendues, l’épaule déconfite, le bras gauche ballant tandis que le droit s’attelait à comprimer la douleur à la clavicule.

— Rejoindre la flotte d’une pourriture sanguinaire dont le seul plaisir est le goût du sang ? Plutôt mourir que de m’imposer cet enfer.

— Faut croire que tu n’es pas si malin que ça. La fin justifie les moyens, et ceux qui ne le comprennent pas n’ont pas le temps d’en débattre, sourit-il en renforçant sa prise sur son arme. Trêve de bavardages, dis-moi où se situe cette île, et peut-être que ta mort sera des plus douce et rapide.

— Cette île ? s’esclaffa Charles en manquant de s’étouffer. Tu n’as donc toujours pas compris ? enchaina-t-il en se raclant la gorge tout en retrouvant son sérieux. Et tu te prétends appartenir à la génération dorée ?

Dans un grondement de tonnerre sourd, Barbegrise fit un pas en avant tout en brandissant son épée loin derrière lui. En un clignement d’œil, elle pourfendit l’air en deux dans la direction de Charles, avant qu’un éclat cinglant retenti. Les deux lames de Simon lui opposèrent de la résistance avant de valser en arrière, ouvrant ainsi sa garde à une blessure superficielle. En effet, agile comme un chat, il eut in extremis le temps de bondir en arrière.

— J’ai rarement vu des spécimens comme toi, interpella Simon tout en faisant tourner ses armes en roulant ses poignets.

— Dernière chance, matelots. On a assez couru après vous, arrêtez de nous faire perdre notre temps, répondit Barbegrise en s’approchant doucement d’eux, le visage fermé.

Charles ne pouvait que constater impuissant son adversaire progresser vers lui, son corps ne répondait plus comme il le souhaitait. Le précédent choc lui faisait souffrir le martyr tout le long de la colonne vertébral, tandis que Jack et Simon, eux, reculaient sans en prendre conscience, sous la puissance de l’aura du maitre de ces lieux.

— Où est l’homme que l’on surnomme le fléau des mers ? questionna Simon en se forçant à aller de l’avant. On dit que c’est le meilleur combattant qui parcourt ces flots.

Barbegrise détourna le regard deux secondes de Charles pour observer l’impudent lui faisant face. D’un revers de main, il balaya Simon en le propulsant contre la rambarde.

— Le fléau des mers tu dis ? grogna-t-il en se raclant la gorge. Tu veux combattre mon officier avec ton niveau ? Et en plus de ça tu ignores ma requête ?

Les yeux de Barbegrise s’obscurcirent brusquement, empoignant le col de Charles étant désormais à sa portée. Il le souleva à bout de bras, faisant grimacer sa victime sous des douleurs cinglantes.

Simon grinçait des dents devant ce spectacle. Le capitaine du Hell’s Keeper était pour lui un adversaire des plus redoutables, ses deux épées faisaient pâle figure face aux grosses lames, d’autant plus quand son ennemi lui était supérieur en taille d’allonge. Rares étaient les bretteurs plus grand que lui.

— Alors, Capitaine de seconde zone ? Il faut que je te sorte les tripes dehors pour que tu parles ? Il est passé où ton petit air condescendant ?! beugla Barbegrise à en postillonner sur le visage de Charles.

— Aaah…, soupira-t-il. Parle moins fort veux-tu ? somma-t-il en redressant la tête, laissant rapidement entrapercevoir une grimace. Et si tu répondais plutôt à ma question avant d’exiger une réponse ? Pourquoi vas-tu jusqu’à aller torturer tes confrères sur Skullwater ? demanda-t-il en brandissant discrètement un coutelas caché dans sa tunique avant d’apposer sa lame sur sa glotte.

Le statut quo sur le pont arrière du Hell’s Keeper figea les quelques spectateurs qui s’y trouvaient. Le capitaine Storm semblait avoir retrouvé de la vigueur tandis que Barbegrise ne montrait aucun signe de faiblesse en réponse à l’arme braqué sur son cou.

— Quoique tu fasses, réfléchis-y bien à deux fois, grogna Barbegrise. Je peux te briser la nuque en moins de temps qu’il ne te faudra pour me trancher la gorge.

Il jugea que la menace était partiellement vraie. L’immense main de son adversaire semblait d’une fermeté à toutes épreuves, recouvrant entièrement toute la surface de son cou, continuant la pression sur le col de Charles. Néanmoins, avec ses réflexes, il n’était pas envisageable que son étreinte ne se referme avant qu’il n’ait le temps de lui trancher la gorge. Les deux hommes restèrent campés sur leurs positions.

— Tu serais prêt à sacrifier tout ton équipage et ton navire pour un butin ?

— Jusqu’à preuve du contraire, on a l’avantage. Tes matelots peinent à survivre sur le pont de ton navire, alors que mes canonniers sont toujours à bord, prêt à faire couler ce vieux rafiot. L’horloge tourne à ton désavantage.

— Tu crois vraiment tes conneries ? pesta-t-il en refermant davantage sa poigne. Qu’adviendra-t-il de ton équipage une fois que je t’aurai écrasé comme une miette ? Je ne leur laisse même pas 5 minutes avant de pisser dans leur froc.

Charles pressa davantage sur son arme d’un coup de poignet.

— Relâche-moi et tâchons de mettre un terme à ce massacre. Tu veux mon butin, je veux réparation pour mon matelot.

— Un compromis ? grogna-t-il. Je veux que tu m’amènes jusqu’à l’île et que tu me donnes la moitié du butin. J’ai entendu parler de deux émeraudes. Une chacun, plus une partie de tes munitions, nourriture et caisse de bois pour la gêne occasionnée.

— Vous n’allez quand même pas accepter ça ? se révolta Simon. Il tue l’un des nôtres et on lui donnerait notre butin ? enchaina-t-il en adoptant de nouveau sa posture de combat.

— Attends, intima Charles. Lâche moi maintenant, enchaina-t-il en tournant sa tête vers son ennemi qui relâcha son emprise.

Une fois les pieds au sol, le capitaine reprit son souffle tout en tapotant sa veste toute froissée. Il rangea son coutelas dans sa cachette avant de se baisser pour ramasser l’autre.

— Bon, reprit-il. Pourquoi convoites-tu autant notre trésor ? Pour l’or, la renommée ?

— Il n’y a qu’un seul moyen de régner sur ce bas-monde, au-delà même des rois. L’or. Elle amène convoitise et jalousie, mais elle nous apporte surtout le respect. C’est grâce à cela que nous pouvons survivre un jour de plus dans ce monde, grogna Barbegrise. Avec cet or, tu tiens à distance la mort.

— Donc si on te paye ta part en or là maintenant, tu nous laisseras tranquille ? lança le Capitaine d’un air sérieux.

Barbegrise marqua un léger temps d’arrêt avant de répondre.

— Hélas, vu tout le bordel que tu as mis sur mon navire, tout l’or que tu peux avoir sur le tien ne suffira pas. Sans compter que je ne connais pas la vraie valeur de ces émeraudes, comment te faire confiance pour me dédommager le bon montant ?

— Tu as raison, tu ne peux pas me faire confiance. Nul ne connait encore leurs vraies valeurs, malgré les rumeurs d’une expertise datant de sa découverte. Cependant, j’ai besoin des deux pour arriver à mes fins.

— Je m’en fous de tes histoires. Donne-moi ce que je te demande ou périssez. Je ne suis pas venu négocier.

— Où est passé le grand Capitaine Barbenoire d’antan, celui qui aurait même négocier des chimères ? interrogea le capitaine d’un air provocateur, arborant un sourire narquois. Celui que toute la marine recherche activement encore aujourd’hui.

— Il n’existe plus, répondit fermement Barbegrise. Et si j’entends encore une fois ce nom, cela sera tes dernières paroles.

En un instant, Simon s’était rué sur le Capitaine du Hell’s Keeper, empoignant fermement ses deux sabres dans sa direction. Le prenant par surprise, il lui asséna une entaille sur l’avant-bras gauche, avant que ce dernier ne recule d’un pas en mettant sa lame en opposition.

— Quelle mouche l’a piqué celui-là, rigola-t-il à gorge déployé. Il a enfin arrêté de faire dans son froc et s’en prend à moi. Pas de chance gamin, ton premier acte de bravoure sera le dernier.

Sur ces mots, Barbegrise leva haut la jambe avant de faire une enjambée de géant vers l’avant, effectuant une attaque circulaire à deux mains dont la circonférence força les matelots à proximité à se baisser. L’attaque fredonnait telle une rafale de vent, soufflant au-dessus des têtes de Simon, Jack et Charles, tout en ne manquant pas de sectionner au passage la dernière partie restante du grand mât.

Accroupis, ils observèrent d’un regard désabusé, le mât principal craquelé petit à petit jusqu’à la rupture de ses derniers liens boisés qui le maintenaient accrochés. Dans un crépitement discret en premier lieu, le mât débuta sa chute inévitable avant de finir en fracas contre la rambarde bâbord, écrasant les quelques malheureux qui se trouvaient sur le chemin.

Barbegrise venait de couper son propre mât en une seule attaque.

Les jambes hésitantes de Simon l’empêchèrent de profiter de l’ouverture qu’avait créé une telle attaque. Tambourinant dessus de toute la force de son poing droit, il finit par se propulser au corps à corps de Barbegrise. Enchainant sans relâche des attaques synchronisées sur ses deux flancs, Simon mettait en difficulté son opposant qui peinait à répondre à temps à la fréquence soutenues de ces frappes.

— Je vois que tu en as dans le froc finalement ! ricana Barbegrise. J’aurai plutôt dû m’occuper de toi en premier. Rejoins-nous, quitte l’équipage de cette chiffe molle ! Je saurai bien mieux exploiter tes talents que lui.

— Rejoindre un pourri ? Plutôt crever, répondit-il en crachant par terre.

— Un pourri, dis-tu ? Qu’est-ce qui me différencie de ton Capitaine ? On est tous deux des pirates, nous sommes des hors-la-loi, nos têtes sont mises à prix, le monde entier veut notre extinction.

— La manière, trancha Simon en lui assénant une énième entaille au bras. Ce que tu as fait sur Massali est impardonnable. Tu as dupé des milliers de personnes, fais tuer des centaines et pour seule récompense tu les pilles avant de t’enfuir. C’est ça la différence ! Sans même parler de ce que tu as fait à Robert. Impardonnable, impardonnable, murmura-t-il de plus en plus fort. Impardonnable ! hurla-t-il en déployant toutes ses forces dans la bataille grâce à une rage débordante.

— Trop longtemps j’ai canalisé ça au fond de moi, enchaina-t-il en beuglant. Je vais enfin pouvoir tout relâcher contre la saloperie qui est coupable de ce massacre.

Simon enchainait les coups à vitesse exceptionnelle, donnant l’illusion de manipuler des couteaux plutôt que des lames. Chaque coup n’avait pas vocation à tuer, mais à accumuler des dégâts légers afin d’affaiblir son ennemi. Simon avait analysé rapidement la façon de se battre de Barbegrise, et il ne fallait en aucun cas engager le combat dans son allonge. Toute sa puissance était insufflée dans sa portée maximale, emportant tout sur son passage. Le seul moyen de contourner tout cela était un corps à corps des plus proches, permettant d’exploiter pleinement la différence de tailles entre leurs armes.

Barbegrise reculait continuellement sous les assauts de plus en plus pressants de Simon, peinant à parer les attaques les plus rapides, marquant à vif ses deux bras. Les blessures devenaient sérieuses.

Furieux, il mit son arme devant lui, pointé vers le bas, en opposition aux prochaines attaques de Simon. Son bras gauche tenait le plat de sa lame, et quand l’attaque survint, il poussa ses deux membres vers l’avant, bousculant son opposant au passage sous le poids de l’arme.

Déséquilibré, la tête en arrière, ce n’était que quand il se reprit, qu’un énorme poing se présenta devant ses yeux. Simon fut envoyé à plusieurs mètres.

— Aaah…, soupira fortement Barbegrise en levant les yeux au ciel. Ça fait du bien quand ça part. Aaah… ! s’extasia-t-il encore plus fort. C’est le pied putain ! Reviens, provoqua-t-il en se remettant en position. Viens avec tout ce que tu as. Montre-moi à quel point tu me hais !

— Je te retrouve bien là, dit Simon en reprenant ses esprits. Le grand capitaine Barbenoire, membre de la liste noire dans toute sa splendeur et sa subtilité.

— Cet homme n’existe plus, s’irrita-t-il. Passe à autre chose.

— Tu crois que changer de nom va te laver de tes crimes ? Laisse-moi te dire que tant que je suis vivant, je resterai le juge et bourreau de tes méfaits, enchaina-t-il, le regard assombrit par la haine. Le peuple de Massali n’a pas eu d’autres choix que de passer à autre chose. Il le fallait. Mais je ne tournerai pas la page aussi facilement. Je te condamne à la mort, de ma main !

Sous le regard de Jack et Charles restés en retrait, Simon tenta de nouveau une percée, forcé d’esquiver les allers et retour de cette lame paraissant infranchissable, tant la distance à combler semblait si lointaine et impossible à atteindre. Quelques bons jeux de jambes lui permirent d’accéder au corps à corps tant convoité, enchainant sur quelques rapides combinaisons dont lui seul détenait le secret. Puis… Le trou noir. Simon sentit une bourrasque de gouttes d’eau tapisser son visage. Quand il ouvrit les yeux, il vit un ciel nuageux. Ça ne présageait rien de bon se dit-il.

Soudain, comme un mort que l’on aurait réveillé, il se redressa en sursaut, la bouche grande ouverte inspirant à pleins poumons. Il vit Barbegrise s’éclaffer volubilement à quelques mètres de lui. Il venait de se faire mettre au tapis.

— Il semblerait que le juge et le bourreau ne se sont pas mis d’accord, sourit-il en grognant. On n’a pas la même expérience du combat, gamin. Tu as 30 ans de retard. Les petits malins qui favorisent le combat très rapproché face à moi ont tous subit le même constat. Une mort qui venait les faucher sans même qu’ils ne s’en rendent compte.

Simon ne pouvait pas répondre à ces propos. Il avait raison. Même s’il continuait de le charger encore et encore. Il subirait la même défaite cuisante jusqu’à que son corps lâche sous la puissance de ces coups. L’équipage du Rose’s Revenge n’avait jamais affronté de tel monstre auparavant.

Soudain, un grincement se fit entendre. La porte de la cabine du Capitaine Barbegrise se mit à s’ouvrir, laissant entrevoir une silhouette élancée.

— Aaah…, soupira l’homme franchissant la porte. Quel vacarme ! grogna-t-il en baillant. Qui a osé me déranger, enchaina-t-il en se grattant le sommet du crâne, les cheveux en bataille, fusillant du regard les personnes présentes sur l’arrière-pont.

— Ah, vous avez réveillé Sleepy Joe. Encore une mauvaise nouvelle pour vous, matelot, hurla Barbegrise de rire. Il serait prêt à trancher la main de l’homme qui le sort de son sommeil.

— Salut Capitaine ! répondit Joe. Je rêve encore ou on se fait aborder ?

— Non tu ne rêves pas. C’est l’équipage aux émeraudes.

— Je vois. Pas de chance pour eux. Ils vont devoir payer pour leurs crimes.

— Ça constitue un crime de te réveiller ? pesta Simon en se remettant sur ses pieds. Vous n’avez aucune notion du bien et du mal. Ça suffit ! hurla-t-il à pleins poumons, les mains tremblant de rage.

— Il n'a pas l’air commode, répondit nonchalamment Joe en se tournant vers son capitaine, l’air blasé.

Son air impassible déclencha quelque chose chez Simon qui lui fit perdre le contrôle. Sans aucune retenue, il fonça tête baissée sur Joe se frottant les yeux de fatigue en le regardant venir. En un éclair, ce dernier brandit son fourreau incurvé et sortit une arme semblable à une épée dont la pointe de la lame en forme de feuille de saule pouvait transpercer sa cible. Le manche, légèrement incurvée, ne ressemblait à nulle autre armes sur ces mers.

Jouant avec son poignet, Joe n’avait aucun mal à contrer chacune des attaques de Simon, sa dextérité ne coïncidait pas avec celle d’une personne qui viendrait de se réveiller. Il fallait à Simon plusieurs dizaines de minutes d’entrainement pour acquérir ce même niveau d’agilité, sous peine de se rompre un tendon.

— Tu me soûles de si bon matin, grogna Joe en ne pouvant pas s’empêcher de bailler.

Tout à coup, Joe se recula de deux pas, se mit de profil par rapport à Simon et leva son arme à deux mains au-dessus de sa tête, la lame orientée vers le sol le long de son dos. Tandis que sa main droite glissait avant de se bloquer à hauteur de son épaule avec l’arme, la paume de sa main gauche venait faire front à l’opposé, le bras tendu. S’en suivit une fente d’un pas accompagné d’une attaque circulaire tranchant l’air à la parallèle du sol, à mi-hauteur d’un homme. Simon parvint in extremis à parer son attaque latéral, perturbé par la rapidité de l’enchainement et de la lame pénétrant l’air sans contrainte. En un instant, son ennemi avait comblé la distance qui les séparait.

— Il me semble que c’était comme ça, marmonna Joe en ramenant sa jambe avancée pour la mettre sur la pointe du pied, légèrement replié.

Joe remonta son bras gauche tendu face à son adversaire, la paume ouverte, tandis que sa lame pointait de nouveau vers le sol derrière lui. Pliant sa jambe en la levant, il propulsa son centre de gravité vers l’avant, le pommeau plaqué contre son buste avant d’effectuer une estocade de toute son allonge, tout en ramenant son bras gauche derrière lui en quête d’équilibre et de force de balancier. L’enchainement précis et rapide eut raison de la garde de Simon, subissant l’attaque au niveau du ventre. Par réflexe, il put se désengager suffisamment du combat pour ne subir qu’une blessure superficielle, mais l’agilité dont faisait preuve Joe l’inquiéta au plus profond de lui-même. C’était la première fois qu’il affrontait un ennemi aussi fort dans son propre domaine de prédilection.

— C’est toi le fléau des mers ? interrogea Simon, fronçant les sourcils lorsqu’il toucha instinctivement sa plaie.

— Loupé, répondit Joe en reprenant une nouvelle posture. Tu voulais l’affronter c’est ça ? Et ma façon de combattre te fait penser que je suis le pirate le plus fort sur ce navire ? enchaina-t-il en laissant penser qu’il pouvait lire dans la tête de Simon.

— Oui, répondit naïvement Simon. A part Barbegrise, je ne vois pas d’autres proies plus intéressante que toi. Il y a même un fossé immense entre vous deux et les autres membres de votre équipages.

— Rien de plus normal, répliqua-t-il sereinement. Tous les hommes que tu vois derrière toi sont des mousses. Ils n’ont pas plus de 3 ans d’expérience.

— Quoi ?! s’offusqua-t-il. Il n’y a que toi et Barbegrise qui êtes officiers sur ce navire ? Tous le reste est de la bleusaille ?

— C’est à peu près l’idée. Et l’estropié qui se cache, enchaina-t-il en montrant derrière lui la cabine du capitaine.

— Où sont les autres ? interrogea-t-il en se réengageant d’un pas vers le combat. Ils nous tendent une embuscade dans cette purée de pois ? renchérit-il en observant vainement l’horizon, camouflée par un rideau de pluie dense et tumultueux.

— On n’a pas besoin d’eux. Enfin pas pour ce genre de travail. Notre flotte à des contrats bien plus urgent à régler sur les mers orientales. En attendant, on forme les nouveaux, enchaina-t-il en ne pouvant s’empêcher de finir sa phrase la gorge déployée de fatigue. Qu’on en finisse…

Devant cette insolence ultime, Simon repartit à la charge, continuant le combat d’une attaque large sur son flanc droit, parée à temps par Joe ayant mis sa lame en opposition, soutenue par la paume de sa deuxième main apposée contre le dos du sabre. Profitant de l’ouverture, il enchaina à l’identique sur l’autre flanc, avant de constater le même résultat, le sabre de son ennemi repoussa de nouveau son attaque. Au-delà d’une parade, cela bousculait le centre de gravité de Simon, voyant venir la riposte complétement désarmé. Ce n’est qu’en provoquant sa chute volontairement qu’il put esquiver la frappe croisé qui lui était destiné.

— C’est de l’art martial ? interrogea Simon en finissant d’exécuter sa roulade arrière.

— De l’art provenant d’un monde si vaste que tu ne soupçonnes même pas, répondit-il. Mais ce n’est pas encore au point, pesta-t-il en murmurant. Ça me soule.

Sur ces mots, Joe tourna les talons pour pénétrer dans la cabine de son capitaine. Après plusieurs longues secondes d’attente, il en ressortit avec deux fourreaux coutumiers.

— Encore plus intéressant, grimaça Simon.

Tandis que l’affrontement continuait entre les deux bretteurs, Charles était aux prises avec Barbegrise, faisant jeu égale grâce aux blessures occasionnées par son matelot. Le maitre des lieux avait la respiration lourde et forte, sans compter la tempête interférant grandement dans tous les combats sur le pont du Hell’s Keeper. Un faux pas et les hommes pouvaient se retrouver clouer au sol voire projeter par-dessus bord. La concentration ne pouvait pas être entièrement donné sur son adversaire tant les conditions étaient désastreuses.

Barbegrise enchainait les attaques puissantes et distantes, alors que Charles ne répondait qu’en esquivant légèrement avant de parer l’attaque, ce qui avait le don d’énerver son ennemi.

— Bats-toi comme un homme, cracha Barbegrise en soufflant fortement.

La seule réponse qu’il eut fut un rictus moqueur, n’arrangeant pas la colère du vétéran. Reprenant son élan, il fracassa le plancher avec son pied avant de recommencer son attaque dévastatrice de mât, une attaque circulaire de toute son envergure. Même s’il fallait sacrifier des hommes sur son passage pour abattre son ennemi, Barbegrise était prêt à tout.

Charles mit son sabre en opposition, faisant dévier la trajectoire de l’attaque surpuissante. En effet, face à la force démoniaque de Barbegrise, Charles s’était mis en tête de le fatiguer. « Les plus gros bras ne sont pas les plus endurants » s’était-il dit. Forçant son ennemi à frapper à plein régime, il mettait toute sa dextérité et sa force en opposition pour faire glisser toutes les attaques loin de lui, en visant l’arme plutôt que l’assaillant.

— Attaquer son adversaire demande de l’énergie, mais se les voir envoyer balader ailleurs à chaque fois en coûte encore plus, revendiqua le Capitaine Storm. Le mental affecte énormément notre énergie vitale, surtout quand toute notre force fait deux fois le parcours souhaitée. Notre corps tout entier est impacté. Tu ne le ressens toujours pas ? provoqua-t-il alors qu’il venait de réorienter un nouvel assaut.

La frustration de ne jamais atteindre son adversaire rendait furieux Barbegrise.

— Capitaine, enfin ! haleta John à moitié recroquevillé en empoignant la manche de Charles. C’est une catastrophe, il nous faut nous replier ! beugla-t-il.

— Comment ça ? Tous nos matelots se sont fait anéantir ? répondit-il les yeux écarquillés en jetant des coups d’œil à l’avant du navire.

— Pas encore, souffla-t-il en peinant à finir sa phrase. On est tous dans la merde ! Regardez ! s’étrangla-t-il avec le peu d’air qu’il lui restait dans les poumons.

John montrait du doigt le Rose’s Revenge. Les conditions météorologiques s’étant grandement détériorées, la moitié des grappins servant à maintenir les deux navires côte à côte s’étaient décrochés. Désormais, leur navire était à plusieurs mètres du Hell’s Keeper, prenant leur large au fur et à mesure que de nouveaux grappins décrochaient.

— Ils vont tous se décrocher ! hurla une voix emportée au loin. Revenez sur le pont ! On dégage d’ici !

Billy était accoudé par-dessus la rambarde du Rose’s Revenge en train de prier tous ses matelots de revenir à bord.

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