Chapitre 16

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La tempête s’était intensifiée à mesure que les combats duraient sur le navire de Barbegrise. Les bourrasques ponctuelles de vents se transformèrent en rafales puissantes et incessantes, tandis que le déluge de pluie rendait difficile la visibilité pour manœuvrer. Pour Billy, garder le cap fut la tâche la plus ardue. Les éclairs détraquaient complétement son compas, faisant virevolter l’aiguille dans tous les sens. Il n’avait plus aucun moyen de vérifier s’il se dirigeait toujours vers l’île inexplorée.

— Billy ! interrompit Thomas dans ses songes. Rapproche nous du navire ennemi, on s’éloigne trop !

— J’essaye ! grogna Billy forçant de toutes ses forces sur la barre, en vain.

L’impétuosité de la mer ne permettait pas de manœuvrer la barre aisément.

— Sécurisez les cordages et relancez des grappins ! enchaina-t-il en poursuivant son effort. On ne peut pas les perdre !

Les quelques matelots étant restés sur le pont empoignèrent chacun un cordage. Quand certains consolidaient le cordage existant, d’autres s’appliquèrent au lancer. En général, la manœuvre n’aurait pas été difficile, mais plus le temps passait, plus le navire s’éloignait, détraquant la portée nécessaire pour faire mouche. Déséquilibré par les déplacements aléatoires des deux navires, le lancer que l’on pensait bon se retrouvait être trop court, sans compter les bourrasques de pluie ralentissant la progression du grappin.

— On a le vent de front, Billy ! On n’y arrivera pas comme ça ! hurla Thomas. Lewis, Franck, le bleu ! Arrêtez de lancer ! Sécurisez les cordages en attendant que Billy nous rapproche !

— Moi, c’est Samuel, répondit maladroitement le bleu.

— Je te fais sauter moi-même par-dessus bord si un seul grappin lâche, Samuel ! s’impatienta l’officier en courant vérifier les nœuds. Occupez-vous surtout de ceux accrochés aux haubans ennemis. Ce seront les premiers à lâcher.

Sur le pont du Hell’s Keeper, l’anxiété monta d’un cran au sein de l’équipage du Capitaine Storm. Prendre d’assaut le navire ennemi sachant sa renommée était déjà osé, mais se retrouver condamner à rester sur ce navire était à un tout autre niveau. L’objectif de base était de dissuader Barbegrise de les suivre, mais luttant depuis plusieurs longues dizaines de minutes, ce fait même était contestable face à la résilience de leur équipage. En ressortir vivant était devenue la priorité, jusqu’à ce que leur porte de sortie ne s’échappât lentement mais surement devant leurs yeux.

Etant resté à l’avant pont du navire, John avait donné comme consigne de retourner sur leur navire tout en ordonnant de maintenir un périmètre de sécurité pour le retour de leur Capitaine. Quand il arriva à hauteur de Charles, la pression des lieux avait changé. La stature de l’ennemi n’avait rien à voir avec ceux qu’il avait affronté jusqu’à maintenant sur ce pont, voire sur ces mers. Une puissance démoniaque ressortait de Barbegrise, ses yeux semblaient avoir déjà croisé la mort en personne et leurs noirceurs donnaient l’idée qu’il l’avait vaincu plusieurs fois. Des frissons parcoururent le dos de John qui le vit pour la première fois.

— Capitaine, il faut partir d’ici ! interpella John en se faisant le plus discret possible.

— Prépare notre retraite avec Jack, je vais chercher Simon.

Charles se précipita jusqu’à Simon étant trop occupé à se battre pour se rendre compte de la situation chaotique dans laquelle ils étaient.

— Tu crois aller où comme ça ? interrogea Barbegrise en faisant barrage avec son corps. Ce navire sera votre tombeau, je vous ai prévenu.

— Simon ! s’égosilla Charles. On décampe d’ici, reviens !

Grimaçant de constater que Simon n’entendait pas, et devant l’opposition de l’ennemi, Charles n’avait plus d’autre choix que d’en finir avec lui pour aller prévenir son matelot.

— Tu l’auras voulu, remarqua Charles en se mettant en garde haute, prêt à passer à l’offensive.

— Enfin ! Tu vas arrêter de m’esquiver, viens ! beugla Barbegrise.

A peine s’élança-t-il, qu’un craquèlement l’interpella. Regardant le plancher par réflexe, le bruit paraissait venir d’en dessous, au niveau de la coque. Continuant de craquer de plus en plus sourdement, Charles vit ses jambes tressaillir, piétinant de quelques pas en reculant en quête d’équilibre.

— Qu’est-ce que… ? murmura-t-il en se retrouvant adossé au mât brisé.

— Accrochez-vous, hurla John derrière lui, s’accrochant fermement à la rambarde. On va voguer sur une énorme vague.

D’un coup d’œil, la vérité de John lui éclata à la figure. Un mur colossal se dressait devant eux, embarqué par le manque de direction du Hell’s Keeper. Ils allaient se la prendre de plein fouet, malgré les vaines tentatives de Billy essayant de ramener le cap des deux vaisseaux, avec pour seul aide la dizaine de grappins restants permettant de lier leurs destins.

Charles pensait qu’il était temps de prier, d’expier tous les péchés passés que sa foi lui interdisait pour que sa raison se calme. Sa vie ne lui paraissait pas si imparfaite que ça, mais il lui restait encore tellement à faire pour atteindre son objectif. Il ne devait pas baisser les bras maintenant. Il ne pouvait pas. Il s’y refusait.

— Simon ! hurla-t-il de toute ses forces.

Ce dernier se retourna, observa rapidement la situation contraignant son Capitaine à maintenir fermement un mât entre ses deux bras. Il se rua tout droit devant lui, dépassa son adversaire déséquilibré par la tempête et fonça dans la cabine du capitaine Barbegrise avant de refermer la porte.

La secousse fut inédite, un flux continu et considérable d’eau se déversa sur tous les matelots présent sur le pont, imbibant les mains des malchanceux ayant trouvés refuge sur les prises affectées par le remous. Remontant la vague à la verticale, les pirates inavertis furent embarqués dans les eaux tumultueuses, jusqu’à ce qu’une accalmie de courte durée apparût. Le navire se figea un instant, puis retomba fracassement de tout son long, embarquant par surprise le corps des matelots dans l’autre sens. Bon nombre d’entre eux vinrent s’entrechoquer, armes à la main, blessant alliés comme ennemis. Le constat fut difficile à déterminer pour Charles tant le chaos régnait sur le pont. Chaque matelot peinait à réaliser ce qui venait de se passer, regardant à droite et à gauche en quête de réponses. Voir des visages inconnus à côté d’eux leur rappela la bataille qui faisait encore rage.

Les matelots du Rose’s Revenge, surement plus vif d’esprit que leurs ennemis, s’étaient relevé plus vite dans l’optique de rejoindre leur navire, leur semblant encore plus éloigné qu’avant le passage de la vague. Ce n’était qu’à l’écoute des hurlements provenant de l’autre bateau qu’ils comprirent que seuls quelques grappins avaient survécu au choc. L’éloignement était réel.

— Matelots ! hurla Charles depuis l’arrière-pont. Remontez sur le navire en vous accrochant aux cordes !

Pris d’incompréhension, la consigne eut du mal à passer. En effet, les grappins servaient à aborder un autre navire en servant d’appuis sur les haubans, mais ceux-ci ne permettaient pas de faire le trajet retour. De plus, dû au passage de la vague, ces derniers s’étaient quasiment tous décrochés.

— Thomas ! hurla à son tour John. Couvrez-nous !

En un instant, John sortit son épée pour la coincer entre ses dents. Il s’approcha de la rambarde où se situait un grappin tendu par l’éloignement du Rose’s Revenge, avant de l’enjamber pour disparaitre derrière les yeux anxieux des autres matelots. Un grognement plus tard, deux jambes apparurent pour s’emmêler autour du cordage. John traversait en se tractant à l’aide de ses bras, le corps ondulant au-dessus de la mer agitée, s’exposant ainsi à ses caprices.

John baragouina vainement aux autres de se dépêcher avant que les cordes ne rompissent ou que les pirates de Barbegrise ne les empêchassent de traverser. Ils ne comprirent que quand il s’arrêtât pour faire un signe de main de le suivre, comprenant ainsi que dans tous les cas, leur vies étaient en danger aussi bien sur le navire ennemi ou lors d’une traversée incertaine. Le temps jouait en leur défaveur.

En plus des tirs nourris de Thomas et ses hommes, Charles donnait toutes ses forces dans la bataille pour aider ses matelots à traverser tout en temporisant l’arrivée attendue de Simon, n’ayant toujours pas montré signe de vie. Gardant également un œil avisé sur Barbegrise, Charles constata que ce dernier avait dû subir un mauvais coup dans sa chute, encore sonné dans la confusion de la bataille. « C’était maintenant » se disait Charles. L’occasion était rêvée pour quitter ce navire avec le moins de pertes possibles, mais il fallait que Simon se ramenât.

Le même grincement de porte se fit retentir de nouveau, attirant immédiatement le regard de Charles. La dernière pièce manquante venait de se montrer, analysant rapidement la situation avant de comprendre qu’il lui fallait rejoindre Charles. Il courut tête baissée, les bras recroquevillés contre son corps, esquivant habillement sur le passage les coups de Barbegrise ayant retrouvé un brin de conscience.

— Vous croyez pouvoir détaler où comme ça ?! beugla Barbegrise en se dirigeant à leur rencontre. Aucun mort n’a jamais quitté son tombeau, aujourd’hui ne sera pas une exception, lâches !

Quand Simon parvint à rejoindre son capitaine, tous les autres matelots avaient finis leurs traversées, non pas sans encombre. Au fil des voyages, les cordages supportaient de moins en moins le poids de ses passagers. Deux malchanceux virent leur cordage se défirent, se faisant emportée par le premier déferlement. Il ne restait plus qu’une issue de secours et seuls demeuraient Charles et Simon sur le pont du Hell’s Keeper, sous les appels assourdissants de leurs alliées.

— C’est quoi le plan ? demanda Simon essoufflé. J’ai ce qu’il nous faut, on peut partir. On aura sa tête un autre jour à cette pourriture.

— Traverse, répondit Charles tout en devant se défendre d’un homme tentant sa chance. Je te couvre.

— Quoi ?! s’insurgea Simon. C’est moi qui devrais vous couvrir. Allez-y, j’en emporterai autant qu’il le faut avec moi ! Il y a bien longtemps que je m’étais résigné à en finir comme ça de toute façon.

— Ça suffit ! s’emporta Charles. Les ordres sont les ordres. Je trouverai un moyen quitter ce navire ! Traverse !

— Comme c’est touchant, s’amusa Barbegrise en se rapprochant d’eux. Regardez-les ! enchaina-t-il, en levant les mains au ciel. Ils veulent se sauver l’un et l’autre mais aucun des deux ne repartira de ce navire.

Barbegrise se mit à braquer son pistolet à silex dans leur direction, le regard glaçant.

— Cap…

Une nouvelle secousse frappa le Hell’s Keeper, propulsant au sol tous les matelots à son bord, contraint de se maintenir de nouveau sous peine d’être abandonné derrière par le soulèvement du navire. La tempête ne décolérait pas, au contraire. Le dernier grappin attachés à la rambarde céda sous la contrainte de la vague, fermant la dernière possibilité de s’enfuir.

— Simon, interpella Charles accroché à la rambarde à côté de lui. Reste attentif et fais-moi confiance.

Ce dernier acquiesça de la tête. Charles attendit plusieurs longues secondes avant de se redresser d’un coup, profitant de la fameuse accalmie avant la redescente. Il prit le bras de son matelot, lui montrant du doigt un cordage pendouillant des haubans. Charles empoigna également un autre résultant de l’abordage, et se rua avec un équilibre parfait jusqu’à la rambarde opposée, malgré le navire qui entamait sa redescente.

— Maintenant ! hurla Charles en sautant sur la rambarde pour se projeter au-dessus des flots, à l’opposé du Rose’s Revenge.

Avec un léger décalage, Simon recopiait les faits et gestes du Capitaine les yeux fermés. Les deux hommes arrivèrent au bout de leur course dans les airs avant de profiter d’une plus grande impulsion les ramenant par-dessus le pont de leurs ennemis. Flottant par-dessus les corps subissant la chute libre du navire, ils se retrouvèrent en route pour le Rose’s Revenge, jusqu’à ce que Charles criât de lâcher la corde malgré le fait qu’ils étaient toujours au-dessus de la mer. Ils arrivaient à bout de leur course d’élan. La distance qu’ils parcoururent était insuffisante, ils se devaient de prier pour réussir leur chute libre et trouver un point d’appui sur la coque.

Sous les yeux impuissants de leurs compagnons d’armes, ils ne purent qu’observer leurs chutes. Le saut de Simon fut plutôt réussi vu la distance à parcourir entre les deux navires, atterrissant brutalement contre l’un des sabords encore ouverts malgré la tempête. Charles n’eut pas la même réussite, échouant dans l’eau proche de la coque.

— Capitaine ! hurla Marcus penché par-dessus la rambarde, manquant de tomber à son tour.

— Homme à la mer ! hurla John de plus belle. Ralentissez le navire, lever les voiles ! Jetez tous les cordages que vous avez ! Vite ! pressa-t-il en se ruant en quête de cordages.

Tout l’équipage s’exécuta à réaliser les doléances de leur officier, remontant la dernière voile encore abaissée, tout en aidant Simon à rentrer à l’intérieur du navire.

— Attendez ! beugla Marcus de toutes ses forces. Là ! Du mouvement ! cria-t-il en pointant du doigt un endroit proche de la coque.

Scrutant pendant de précieuses secondes la surface de l’eau à la recherche de la moindre présence du capitaine, ils finirent par apercevoir une main accroché à l’un des cordages s’étant défait du pont ennemi et ayant fini sa course le long de la coque, sous l’eau. Une deuxième main apparut, forçant la remontée de la tête de Charles, inspirant à gorge déployé lorsque cette dernière dépassa le niveau de l’eau. La respiration fut de courte durée, la houle déchainée le submergeant de nouveau.

— Vite ! se hâta Marcus proche du cordage maintenant à flot le corps de Charles. Aidez-moi à le remonter ! Thomas, couvrez-nous, feu à volonté !

Dans une cacophonie assourdissante, John et un autre matelot se penchèrent pour tirer le cordage, remontant péniblement leur capitaine jusqu’à ce qu’ils pussent empoigner son corps par-dessus bord. Propulsé brutalement contre le sol suintant, Charles se recroquevilla à quatre pattes, la tête en bas, recrachant toute la quantité d’eau ayant pénétré son corps.

— Et Simon ? se redressa-t-il instinctivement après avoir tout recracher. Il s’en est sorti ?

— Oui, soupira Marcus apaisé, tapotant sèchement le dos de Charles.

— Quel est ton…, toussa-t-il vigoureusement à s’en décrocher les poumons. Rapport sur la situation ?

— On a plusieurs trous dans la coque, une équipe s’occupe d’écoper et de réparer les trous, les conditions météorologiques s’étant drastiquement détérioré, c’est notre priorité absolu, débita rapidement Marcus. Billy fait de son mieux pour garder le cap mais le compas ne fonctionne plus, on s’en remet à son instinct. On commence à s’éloigné du Hell’s Keeper qui ne pourra pas nous rattraper vu les dommages qu’on lui a infligé, enchaina-t-il sans reprendre une seule fois sa respiration.

— Et les pertes ? demanda-t-il en grimaçant.

— On a perdu une dizaine de matelots dans la bataille. Les pertes auraient été plus élevé si le temps était plus calme. On s’en sort bien !

— C’est trop, pesta Charles. On n’a jamais subi autant de pertes sur un abordage, Barbegrise est redoutable.

— Et on n’a pas eu affaire aux plus valeureux ! ajouta Simon les ayant rejoints sur le pont. Ravi de vous voir Capitaine ! lança-t-il d’un très discret sourire en coin.

Le capitaine partageait subtilement sa joie de revoir son plus grand contradicteur sain et sauf. Affrontant les forces ennemis au plus profond de la bataille, il était satisfait de l’attitude de son matelot ayant tenu tête aux deux plus grands dangers présents.

— Comment-ça ? interrogea-t-il surpris après avoir mis de côté la fierté qu’il éprouvait pour son matelot.

— Le fameux « Joe » m’a raconté que le reste de sa flotte voguait actuellement sur d’autres mers et que leurs expéditions comprenaient tous les officiers. Il n’y avait que de la bleusaille sur leur pont aujourd’hui.

— C’est encore pire que ce que je pensais, murmura le Capitaine Storm. Tu en es sûr ? Il ne se jouait pas de toi ?

Simon désapprouva de la tête. Le constat était sans appel, Barbegrise et sa flotte au complet leur était hors d’atteinte.

— Capitaine ! hurla Thomas ayant disparu dans l’entrepont après les tirs de couvertures. Ils nous braquent de nouveau avec leurs canons !

— On n’en a pas encore fini avec eux, grimaça-t-il en vérifiant l’information à l’aide de sa longue-vue. Préparez nos canons, on en finit une bonne fois pour toute. On n’aura jamais plus de si belle occasion s’ils rejoignent le reste de leurs flottes.

— Bah justement, bredouilla Thomas en se grattant la tête, l’air contrarié. On a pratiquement plus de munitions ou de boulets. Si on les attaque maintenant, on ne pourra plus se défendre.

Les plans de Charles venaient de tomber violement à l’eau. Prendre le risque d’attaquer maintenant Barbegrise ne leur assurait même pas le succès de leur entreprise. De plus, seul Dieu savait ce que leur réservait l’île aux émeraudes, peut-être était-elle habitée et ses habitants riposteraient négativement à leur intrusion. Attaquer maintenant revenait sûrement à périr demain. C’était avec les poings serrés, la mâchoire contractée, que Charles ordonnât de changer de cap pour se mettre hors de portée du Hell’s Keeper.

— La barre est bloquée !

La voix cinglante de Billy submergea le pont. Charles se rua au poste de commandement, l’aidant vainement à redresser la barre.

— Attendez, intervint le charpentier essoufflé. Laissez-là moi !

Se reculant pour laisser la place, les deux hommes le regardèrent faire. Il donna quelques à-coups secs des deux côtés de la barre, avant de réussir de tourner à nouveau la barre à bâbord.

— Voilà, ça devrait le faire pour l’instant, je vais vérifier les cordages en chanvre. Il doit y avoir une poulie qui fait des siennes, je m’en occuperai quand on fera un arrêt.

Billy reprenait sa place soulagée de pouvoir éloigner le navire à temps lorsque retentit plusieurs batteries de tirs revanchards de Barbegrise. Trop tard, la distance était creusée.

— On a détruit le poste de commandement du Hell’s Keeper lors de notre premier assaut Capitaine, on ne risque plus rien, souffla Billy. Par contre cette tempête m’inquiète, elle ne décroit pas et je ne sais pas où on va.

— Fais confiance à ton instinct, répondit-il en tapant fermement le dos du timonier. Je te laisse gérer la navigation, amène nous à bon port. Charpentier, tu as pu colmater toutes les brèches dans la coque ?

— Bien sûr, répondit-il en dévalant les escaliers suivit de Charles. Sinon nous ne serions plus là pour en parler. Surtout après les deux murs d’eau que cette petite bête a grimpée, enchaina-t-il en caressant de la paume la rambarde. Nous avons pu également faire un renforcement de fortune autour du mât de misaine. Il faudra qu’on règle ce soucis assez vite, sinon la consolidation ne tiendra pas.

— D’accord, les nouvelles ne sont pas si mal.

— Par contre…, grimaça-t-il en plissant les yeux. On a eu un petit problème quand on est descendu à l’entrepont pendant votre abordage.

— Lequel ?! s’impatienta Charles.

— Adam n’a pas survécu. Quand on est descendu constater les dégâts, sa geôle était trouée de part et d’autre. Son corps gisait inerte au sol, on l’a jeté par-dessus bord.

— Quoi ?! interpella-t-il d’une voix étranglée en marquant un long temps d’arrêt. Il est mort sur le coup ?

— J’crois bien oui, répondit le charpentier d’un léger haussement d’épaules. On était tellement pressés par les conditions à l’extérieur qu’on n’a pas eu le temps de beaucoup réfléchir. Ce n’était vraiment pas beau à voir. Je l’aimais bien ce p’tit gars, mais bon, il nous a vendu aux Anglais, il a eu que ce qu’il mérite. N’est-ce pas Capitaine ?

D’un léger acquiescement de la tête, Charles prit les devants pour atteindre les geôles avant les autres matelots. Avant lui surtout. Il ne se remettrait pas de la perte de son meilleur ami, il lui fallait descendre rapidement pour réfléchir à une histoire crédible. « Il aurait très bien pu s’enfuir et rejoindre le navire de Barbegrise à notre insu » pensa-t-il en arrivant proche des couchettes. « Pris au dépourvu par la bataille, il aurait saisi sa chance de sauter par-dessus bord en quête d’une terre d’exil supposé non loin d’ici ? ». Aucune de ses réflexions ne semblait réellement tenir la route à ses yeux. De toute façon, l’ombre d’un homme au fond de la pièce vint effacer tous ses songes.

— John ? interpella maladroitement Charles en s’approchant de lui.

Ce dernier ne répondit pas. Il se tenait debout devant la geôle transpercée, l’eau pas encore totalement évacuée lui arrivant à hauteur des chevilles. Contrastant avec l’extérieur, l’ambiance devenait de plus en plus silencieuse et pesante à chaque pas que faisait Charles.

— Il est mort, enchaina-t-il calmement. Le charpentier raconte qu’il n’a pas souffert, il n’a pas dû voir la mort venir.

Il ne savait pas quoi penser de son pénible silence. Lui d’habitude si jovial, prévenant envers les autres, ne calculait pas un seul instant son interlocuteur. Il restait raidi sur place, les bras ballants, dont le corps ne trahissant aucune émotion à Charles restant derrière lui.

— Ecoute, John, reprit-il dans l’espoir de provoquer la moindre réaction. Je connaissais une personne quand j’étais gamin. Un ami. Sur le vieux continent, la vie n’était pas simple pour tout le monde. Mais elle ne l’était surtout pas pour nous. Les plus grands s’organisaient pour voler quelques fruits sur les marchés, même si les denrées étaient précieuses en temps de guerre. Après tout, les marchands eux-mêmes fermaient les yeux quelques fois face à la pauvreté du village. Mais pour une raison qui m’est encore inconnu, pas ce jour-là. C’était comme un rituel pour nous, ce marchand de fruits était une épreuve à passer pour devenir un « grand », peut-être était-ce dû à sa forte personnalité intimidante, enchaina Charles en esquissant un léger sourire, ponctuant son récit de quelques pouffements du nez nostalgiques. Mais, ce jour-là, il ne ferma pas les yeux. Il voulait marquer le coup de quelques réprimandes prononcées, semblant être dites à contrecœur, par nécessité. La guerre frappait fort, personne n’était épargné. La dispute rameuta des gardes patrouillant dans le coin. Ils voulaient en faire un « exemple » qu’ils disaient. Je ne l’ai plus jamais revu. Des actions quotidiennes et normales ne l’étaient plus. Tel un sort du destin, il fallait que ça lui tombe dessus. Il fallait que ce marchand se plaigne exceptionnellement ce jour-là. Il fallait que ses gardes patrouillent au même moment dans le village. Tous ses engrenages mis bout à bout tissent le fil du destin. Cruel, inévitable et impartiale. Ce même destin a encore frappé aujourd’hui, et j’en suis désolé, John.

Les poings serrés, sans un mot, John finit par faire un pas en direction de la geôle. Les barreaux gelaient la paume de sa main, d’une froideur à faire blanchir sa structure en fer. Ses tympans perçurent la même sensation lorsqu’il plaqua sa tête entre deux barreaux, communiant une dernière fois avec la prison de son ami.

— Il faut que l’on pense que le traitre est mort aujourd’hui, essaya une nouvelle fois Charles de briser le silence. J’espère que tu comprends. On va tout droit à notre perte si tu continues de soutenir l’innocence de Matt. Je suis désolé de te demander ça, mais la vie de beaucoup de matelots est en jeu. Je te promets qu’il n’est pas mort en vain.

Sur ces dernières paroles, John tourna les talons, exposant son visage fermé aux faibles lueurs du ciel tumultueux. Ce n’était que lorsque qu’il dépassa la position de Charles, qu’il lâcha par-dessus son épaule :

— C’est fini. On récupère les émeraudes, on partage le butin, et après, c’est fini, répondit-il d’une voix faible mais inflexible.

Le souffle coupé, Charles ne reprit sa respiration que lorsque John disparu au sommet des escaliers menant au pont. Il détestait cette partie de lui-même, mais il lui fallait tenir ce discours pour garder la cohésion de l’équipage. Sinon cela ne serait qu’un meurtre de plus. Avec un espion toujours en liberté, le mensonge était sa meilleure arme pour éviter une guerre intestine. Il se convainquit qu’il devait mettre son humanité de côté pour préserver la vie.

En remontant voir Billy, Charles constata une attitude normale de la part de John, comme s’ils n’avaient jamais eu cette conversation controversée.

— Qu’est-ce que ça donne ? interrogea Charles en feintant vainement de regarder l’horizon imperceptible tant la brume de la tempête recouvrait tout l’espace.

— Je pense qu’on a le bon cap, mon compas ne marche plus, mais je me fie aux différents courants marins pour repérer la probable position de l’île, débita Billy d’une traite en effectuant pleins de mouvements de têtes interrompus pour analyser les environs. Si mes calculs sont bons, on ne devrait plus être très loin, mais en fonction de sa taille, on pourrait être surpris rapidement et s’échouer lamentablement sur des bas-fonds voire des récifs.

Le Rose’s Revenge poursuivit sa route pendant plusieurs heures à travers les orages impétueux, la pluie incessante, les vagues s’écrasant inlassablement sur la coque du navire, envahissant sur son passage l’entrepont via les petits interstices des réparations de fortune réalisés par le charpentier. Plus l’attente se fit longue, plus les matelots commencèrent à fatiguer. L’abordage, l’écopage, les réglages de la voile, l’attention prolongée du moindre faux pas à éviter pour ne pas se retrouver par-dessus bord. Tant d’efforts fournis pesant de plus en plus sur les épaules de chaque matelots, dont les plus inexpérimentés. La tempête ne permettait pas la moindre erreur.

Puis, tel un léger rayon de soleil succédant aux caprices des dieux, l’annonce se fit entendre.

— Terre en vue, cria la vigie.

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