Un peu plus tôt…

Tout sourire, je rejoins mon pote qui s’impatiente devant le box de Star. 

— C’est qui ce gars ? demandé-je en arrivant près de lui.

J’avoue, je déteste voir des mecs tourner autour de ma copine et si c’est ce connard de Sam qui se pointe pour la faire chier, je vais vite lui faire regretter son déplacement. La réaction de Kyle me surprend, il hausse simplement les épaules

— Aucune idée, mec. Nills m’a juste demandé d’aller vous chercher. Je n’ai pas trop fait gaffe à sa tronche.

Pour en découdre au plus vite avec ce type qui vient emmerder ma copine – ouais, c’est ce que je pense, que ce mec est là pour la faire chier –, je presse le pas. Quand je découvre mon quasi-sosie, debout à côté d’une bécane qui vaut la peau du cul, un casque noir à la main, ma vision se recouvre d’un voile rouge. Mon sang bouillonne. Mes mâchoires se crispent. Je ne vais en faire qu’une bouchée de ce salopard. 

— Tu le connais ? 

Aucune réponse de ma part, je suis bien trop concentré sur cette enflure que je rêve de cogner depuis des lustres.

— Mec ? me questionne à nouveau mon pote. C’est ton frère, non ?

Je tourne la tête vers lui. J’ignore ce qu’il voit à cet instant sur ma tronche, mais il m’annonce un besoin urgent pour s’éloigner de là. La voie libre, je me rue sur mon frangin, le pousse avec rage. Sa présence fait ressurgir mes démons que j’avais si bien enchaînés grâce à la présence de Sav. Je le revoie au sol, effrayé par cette enflure qui lui fait la peau.

Il le supplie, lui promet de tout lui rembourser. Je ne capte pas un mot, mais quoi qu’il en soit, il est hors de question que cette enflure continue à se défouler sur mon petit frère. L’adrénaline libérée lors du combat coule encore dans mes veines. J’attrape ce grand blond par l’arrière de son t-shirt et le plaque contre le mur. Ce type, je l’ai déjà aperçu, ce n’est pas la première fois qu’il lui cherche des noises. Il est temps que j’y mette un terme. Un premier coup part dans sa mâchoire tandis que mon poing gauche enchaîne sur son estomac. Les mots hachés par son souffle coupé au sujet de mon cadet ne font qu’accroître ma colère. Personne n'est en droit de critiquer mon frangin, peu importe ce qu’il a bien pu foutre. Je me défoule sur cette enflure jusqu’à ce que Liam, remis sur ses pieds, me tire en arrière. J’entends à peine ce qu’il me dit tant je suis fou de rage. Quand on quitte la salle mes poings sont en sang et les flics sont là. Je les essuie rapidement sur mon short. Putain, dans cette histoire, je n’ai pas eu le temps de me changer. Je suis dans la merde s’ils me chopent. Manque de bol, c’est ce qui se produit. Nous sommes conduits au poste, chacun mené dans une salle différente. Les heures tournent sans qu’on me dise pourquoi on me retient aussi longtemps. Un avocat débarque et est le premier à m’expliquer les faits. On a porté plainte contre moi pour coups et blessures. L’autre serait à l’hôpital avec de multiples fractures. Il n’y avait personne dans ce couloir hormis mon frangin et moi. Ce sera sa parole contre la mienne. Liam me soutiendra, j’en suis intimement convaincu. Je n’ai fait que prendre sa défense pour lui sauver la vie. 

— Le témoin a confirmé la version de la défense, m’informe l’homme au costume gris.

Je n’y crois pas une seule seconde. Liam n’aurait pas pu me faire ça. 

Je l’ai attendu à chaque seconde de ma détention jusqu’au jour du procès. Son silence m’a flingué, a bousillé tout mon avenir. Furax, je lui tourne autour comme un animal enragé. Il en fait de même, méfiant. Il me connaît assez pour savoir dans quel état je suis à cet instant. Mon poing part. Sa pommette craque. Il doit souffrir le martyre, mais je n’en ai rien à battre. Sa souffrance ne sera jamais aussi forte que celle qui me vrille les tripes chaque fois que je pense à lui.

— Comment as-tu pu me faire un tel coup, salopard ? Je suis ton frère, putain de merde ! 

Ma voix n’est plus que tonnerre. Liam lève les bras devant moi en signe de protection. Il est prêt à subir mes foudres.

— J’avais pas le choix. J’te jure que si j’avais pu, je l’aurais dénoncé, mais ses potes m’attendaient au tournant.

Dans une autre vie, j’aurais certainement creuser pour en apprendre davantage, mais là, c’est beaucoup trop tard. Il a laissé passer sa chance de s’expliquer depuis dix-huit putains de mois !

— Dégage de ma vie, avant que je te tue !

Liam se mord l’intérieur de la joue, à la fois honteux et triste. Que croyait-il ? Que je lui sauterai dans les bras après sa révélation. Qu’il aille se faire foutre !

— Je ne suis pas là pour toi, mais pour elle, fait Liam en donnant un coup de menton dans sa direction. Elle m’a demandé de venir la chercher.

Putain, c’est quoi sa foutue connerie ? Je refuse de croire qu’elle ait pu me mentir sur ses sentiments. Elle n’a pas pu jouer avec moi, impossible !

— Quoi ? 

Mon étonnement m’échappe. Je me tourne vers Sav à la recherche des réponses, celles qui me rassureront inévitablement. J’y crois dur comme fer en la voyant secouer la tête. Je n’ai plus confiance depuis longtemps en mon cadet, mais en elle si.

— Dis-lui, Sav, que tu m’as supplié de venir te chercher, parce que tu n’en peux plus d’être ici

— Ne l’écoute pas, Ashton ! Il ment. Je ne lui ai pas parlé depuis le jour où tu m’as dit de le bloquer. 

Je me tourne vers elle. Son regard sincère me donne la force de croire en elle. 

— Va pas me faire gober n’importe quoi, connard ! tonné-je en me confrontant à son regard. J’ai confiance en Sav.

— Ce n’est pas n’importe quoi ! J’te jure. Tiens, regarde. Elle me l’a envoyé hier.

Hier ? Hier, j’ai passé plus de deux heures avec Harper en ville. Est-ce qu’elle aurait profité de ce moment pour lui envoyer un message ? Non, impossible, elle laisse toujours son portable au chalet. Pourtant quand je lis l’échange sur Messenger entre elle et lui, je me prends le pire uppercut de ma vie. Elle s’est bien foutue de ma gueule, la salope ! Pourquoi m’a-t-elle piégé de la sorte ? Que cherchait-elle ? Déjà bien à cran, mes nerfs me lâchent complètement. Je suis tellement dégoûté que j’en ai la gerbe au bord des lèvres. Mes démons profitent de cette brèche pour m’envahir. Elle ne vaut pas mieux que les autres. Pourquoi suis-je aussi maudit ? Qu’ai-je fait pour que tous ceux que j’aime me laissent sur le bord de la route ? J’ai mal, putain ! Aussi mal que le jour où j’ai pigé que je n’avais plus aucune famille. Terrassé par la douleur, je porte un regard dédaigneux sur celle en qui je croyais.

— Dégage de ma vie, Cortes ! Tu m’écœures. 

Elle semble me lancer un SOS à travers ses yeux. Malheureusement pour elle, je suis devenue insensible à sa détresse.

— Je te jure que je ne lui ai pas parlé.

Avec les preuves que j’ai, comment peut-elle encore me mentir ? 

— T’as la mémoire courte, princesse, craché-je avec dégoût. C’est écrit texto que tu ne pouvais plus supporter d’être ici et que ton petit jeu avec moi commençait à t’ennuyer ! Et pour couronner le tout, tu lui as dit que tu l’aimais! 

— Non, non, non. Je ne sais pas d’où ça vient, mais je te jure que ce n’est pas moi… Harper ! Je suis sûre que c’est elle.

Harper ? Mais bien sûr ! Franchement, elle en a de bien bonnes. Un rire jaune quitte mes lèvres.

— Vous ne valez pas mieux l’un que l’autre. Allez crever, tous les deux ! 

Sans lui prêter plus d’attention, je file en direction de l’écurie. Je n’ai qu’une putain d’envie me casser loin de toute cette merde, mais je dois d’abord récupérer mon casque que j’ai laissé dans le bâtiment. À mi-distance, sa main se pose sur mon avant-bras. La réaction de mon épiderme n’est pas celle que je voudrais. Son contact me fait frissonner. Dans un geste brusque, je me dégage de son emprise. Je veux qu’elle capte qu’elle n’a plus le droit de m’approcher.

— Ne me touche pas, princesse. Tu me files la gerbe.

Je vomis son surnom comme au début. Je suis certain que ça va la faire réagir, qu’elle me foutra enfin la paix. Comment ai-je pu être aussi crédule ? Comment ai-je pu tomber amoureux alors que je me suis toujours juré de ne jamais m’approcher d’une fille qui me plaisait un peu trop ? Pourquoi ne me suis-je pas écouté ? J’aurais dû me souvenir de mes potes de l’université.

— C’est toi que j’aime, Ash. Je te jure, crois-moi.

—Menteuse ! explosé-je. J’en ai la preuve, alors fous-moi la paix ! De toute façon, toi et moi, ce n’était qu’un jeu, n’est-ce pas ? Tu t’es bien éclatée, maintenant c’est terminé !

— Non, Ash…S'il te plaît… Tu dois m’écouter.

Je la dévisage avec froideur. Pourquoi continue-t-elle son foutu jeu ? C’est bon, elle est démasquée, alors qu’elle cesse son putain de manège !

J’avise Harper juste devant les écuries, un large sourire sur les lèvres. Si Sav ne dégage pas rapidement, je jouerai le tout pour le tout.

— Un dernier deal, rouquine ?

Devant mon sarcasme, elle ferme les yeux. Quand elle les rouvre, son cœur se brise devant moi. Le temps d’un soupir, je veux y croire encore, mais mes démons ne me foutent pas la paix. Ils sont là à me narguer, à me dire que je l’ai bien mérité. Vaincu, je la laisse en plan. Harper me retient avant même que je puisse franchir les deux portes en bois. Elle frôle mon bras, me sourit comme si elle était heureuse de cette putain de situation où mon cœur vient de se faire piétiner méchamment. Mon regard est noir, ce n’est pas pour autant qu’elle s’en formalise. 

— Je vais t’aider à l’oublier, me susurre-t-elle.

Je ne relève pas. Il n’y a rien à dire à ça. Je tente de me dégager doucement de son emprise pour éviter de me lâcher sur elle. Sa pression me retient jusqu’au moment où je sens quelqu’un me donner un coup dans l’épaule. Je me retourne sur un Kyle qui me mate comme si j’avais perdu la tête. 

— À quoi tu joues avec Sav ? Putain, ne la laisse pas partir, tu vas le regretter, mec.

— Elle aurait peut-être dû y songer avant de dire à ce connard qu’elle l’aimait.

La mâchoire de mon pote en tombe. Ouais, toi aussi, t’as du mal à y croire ? Ça m’a fait la même chose.

— Quand ?

— Fous-moi la paix, putain ! tonné-je. Elle n’est plus rien pour moi !

J’ai à peine prononcé ces mots que Harper se colle un peu plus à moi. Sans prêter gare, elle vient coller un baiser au coin de mes lèvres. Je ne sais pas à quoi elle joue et je m’en fous royalement. Je n’ai pas le temps de la repousser que Kyle revient à la charge. 

— Quand ?

Son ton est calme comme s'il parlait à un demeuré. 

— Qu’est-ce que ça peut foutre qu’elle lui ait envoyé à dix heures ou vingt heures ? intervient Harper alors que le vrombissement d’une bécane se fait entendre dans mon dos. Le message qu’elle lui a envoyé sur Messenger était suffisamment explicite.

Mes bras m’en tombent. Comment peut-elle savoir que c’était sur Messenger ? Je n’en ai jamais parlé. Je suis peut-être hors de moi, mais ma mémoire ne me joue pas des tours. Est-ce que… Non, putain, ne me dites pas que Sav avait raison ?  J’avise mon pote qui me fixe attristé, il sait que je viens de réaliser mon erreur. La pire de ma vie.  Il n’a pas besoin de mots pour me le dire, j’en suis pleinement conscient. J’ai laissé toute ma haine envers mon frère occulter le reste de mes sentiments et un minimum de discernement. Je me retourne lentement vers l’endroit où j’ai vu la fille de mes rêves, ma moitié, pour la dernière fois. Elle n’est plus là. Qu’est-ce que je croyais ? Que je pourrais la blesser en ne lui faisant pas confiance et qu’elle resterait là à m’attendre ? Foutaises ! Mon cœur dégringole à mes pieds, me laissant avec un trou béant sous la poitrine. Je peine à respirer et tout ça à cause de cette salope qui n’a pas accepté que je la rejette hier. Mon sang ne fait qu’un tour dans mes veines, je me retourne vers Harper avec la rage au ventre. Ma main enserre sa gorge. Je la fais reculer jusqu’au mur.

— Pourquoi t’as fait ça ? Pourquoi ?

Ses mains battent l’air à la recherche de l’oxygène dont je la prive.

— Cesse tes conneries, Davis ! Tu vas la tuer.

Je jette un œil sur Kyle, puis dévisage Harper, avant de laisser retomber ma main. 

— Elle ne te méritait pas, halète mon ex. Tu vaux beaucoup mieux qu’une fille paumée.

— On était tous les deux paumés et ensemble on était plus forts que tout. Je suis dingue d’elle, putain !

Cette vérité me frappe violemment et me coupe le souffle. Putain, j’ai perdu la seule personne qui voyait en moi plus que ce que je voulais bien montrer. Je hais Harper autant que je hais Liam. Tous les deux ont réussi à nous bousiller en un claquement de doigts.