29. Savannah
Liam : Je m’inquiète vraiment pour toi, Sav. Réponds à la fin ! Ça fait une semaine que je te cherche partout, putain !
Les larmes au bord des cils, je lis le nouveau message de Liam. C’est au moins le dixième qu’il m’envoie depuis que je l’ai planté devant sa bécane. Ma poitrine se comprime, je peine à respirer comme à chaque fois. Indéniablement, ils me ramènent à Lui, ce grand brun aux yeux couleur de cendre qui a gardé mon organe vital avec lui. Je pensais connaître la douleur après ma séparation avec Aaron, mais j’étais très loin du compte. Vraiment loin. Ce que je ressens depuis la semaine dernière est mille fois pire. Je suffoque en permanence et mes cris de désespoir ne sont jamais bien loin. Les nuits sont terriblement froides depuis que je ne dors plus dans ses bras, quand bien même les températures nocturnes demeurent très chaudes. Il me manque. Horriblement. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment il a pu me rejeter ainsi. On avait des projets, des espoirs. Ensemble, on était tellement plus forts pour affronter cette chienne de vie qui ne nous a pas épargnés.
Je ferme les yeux et je le revois me sourire, taquin. Une larme roule sur ma joue. Je la laisse descendre jusqu'à mes lèvres. Son goût salé me rappelle sa peau recouverte d’une délicieuse couche de sueur. Mon palpitant se fendille un peu plus. Pourquoi ne m’a-t-il pas cru ? Pourquoi Liam est-il venu me chercher ? Ces deux questions tournent en boucle dans ma tête sans que je ne parvienne à obtenir la moindre réponse. Des jours que j’en cherche une, en vain. Et dire que je refusais de lui offrir mon cœur, et, pourtant, comme une idiote, c’est ce que j’ai fait. Je l’ai déposé entre ses mains en croyant qu’il le protégerait, lui qui était capable de le réparer à coups de mots doux, de caresses... À coup de Lui, tout simplement. Tout ce qu’il a réussi à faire, c’est de le broyer encore plus pour le réduire en chair à canon.
Une deuxième larme s’échappe. Je m’empresse de la chasser lorsqu’une main amicale caresse mon avant-bras.
— Eh ! Tu sais que je déteste te voir dans cet état.
Je me tourne vers Callie qui me sourit tristement.
— Ça va aller. Je te le promets.
Elle n’est pas dupe, tout en elle me l’indique.
— Son frère t’a encore envoyé un message ?
Je hoche lentement la tête.
— Et Lui ?
Elle ne prononce jamais son nom, elle sait que l’entendre m’est intolérable et je l’en remercie au fond de moi.
Contrairement à son cadet, Lui n’a pas cherché à me joindre. Sa décision est irrévocable, sinon il l’aurait sûrement fait. Même s’il ne connaît pas mon numéro de téléphone, ma cousine l’a, il aurait pu le lui demander. Je suis certaine qu’il se fiche totalement de l’état dans lequel je me trouve, bien trop occupé à renouer avec son ex. Ma respiration se coupe alors que je les imagine tous les deux nus dans ce qui était notre lit. Mes sanglots redoublent d’intensité.
Callie m’attire contre elle et me serre fort dans ses bras. Elle attend que mon chagrin s’amenuise en silence. Sa présence me fait du bien. Beaucoup. Sans elle, je ne sais pas ce que j’aurais fait ces sept derniers jours. Retourner chez moi et affronter ma mère, non merci. Elle sait que je suis chez mon amie et c’est déjà bien suffisant.
Après plusieurs secondes durant lesquelles Callie m’octroie le droit de mouiller son épaule, elle me repousse légèrement pour pouvoir planter son regard dans le mien. Elle laisse un soupir de désolation s’échapper tout en secouant la tête.
— Bon, ce n’est pas tout ça, mais il faut que je finisse d’emballer mes affaires. T’as du bol toi, ta mère t’as déjà tout préparé. Moi, je n’ai que mes petites mains. Enfin, j’aurais bien ma meilleure amie… mais pour ça, il faudrait qu’elle cesse de se lamenter sur un gros connard qui n’a pas vu que ma meilleure amie était la fille la plus merveilleuse de la planète !
Ces mots me font mal. Très mal. Il n’était pas un connard, même s’il se comportait souvent comme tel. Ce n’était qu’un masque pour ne pas montrer ses brèches.
— Toi et moi, on va s’éclater. À nous les beaux gosses du campus, ajoute-t-elle avec un sourire éclatant.
Dans une autre vie, j’aurais, à coup sûr, souri. Là, mon trou est bien trop profond pour que je puisse réagir. Une chose dont je suis certaine, les mecs et moi, c’est terminé. Ils pourront me tourner autour autant qu’ils voudront, ils n’obtiendront rien de ma part, même pas pour une nuit.
— Bon, allez bouge ton cul et aide-moi à faire tes valises. Quant à Liam, si tu ne veux pas qu’il continue à te harceler, tu ferais mieux de lui dire que tu ne veux plus lui parler. Je suis certaine que c’est le genre de gars qui ne lâchera pas l’affaire tant qu’il n’aura pas obtenu ce qu’il désire.
Je fixe celle qui est devenue ma seule et meilleure amie, puis mon portable. Elle a certainement raison. Je pars m’asseoir sur son lit tandis qu’elle plie ses fringues et les pose dans sa valise. Mon téléphone dans les mains, j’hésite… et hésite encore.
— Fais-le, l’entends-je m’ordonner dans mon dos.
Je passe la tête par-dessus mon épaule et la découvre en train de m’observer à moitié penchée au-dessus de sa valise.
— Oui, maman, finis-je par lui répondre.
Si je ne le fais pas, elle ne me lâchera pas la grappe. Alors autant se délester d’un poids supplémentaire en lui obéissant comme une petite fille bien élevée.
Je tape une première phrase et l’efface aussitôt. Il me faut encore quelques secondes pour parvenir à écrire quelque chose de cohérent.
Moi : Si je ne t’ai pas donné de nouvelles, c’est pour une bonne raison. Je ne veux plus te voir Davis.
Je regarde ce que j’ai noté pendant au moins une bonne minute, avant de me décider à l’envoyer.
— Maintenant que c’est fait, viens m’aider. J’ai trop de choses à emballer.
Au moment où je me relève pour aller lui filer un coup de main, mon téléphone se met à sonner. En voyant le nom de Liam s’afficher, j’hésite à lire sa réponse. Puis, je me convaincs que c’est nécessaire pour qu’il ne me contacte plus jamais.
Liam : À cause de mon frangin, c’est ça ? Qu’est-ce qu’il t’apportait de plus que moi ? Je suis certain qu’il n’a même pas pris de tes nouvelles.
Touché-coulé.
Moi : Pourquoi t’es venu foutre la merde, Davis ? Je ne t’avais rien demandé !
Une capture d’écran de Messenger me parvient. À cet instant, je découvre les mots exacts que les deux frères ont lus. Mon sang bouillonne, la colère me gagne. Comment ai-je pu être aussi stupide pour laisser les codes d’accès sur l’ordinateur professionnel ? Harper – je reste persuadée que c’est elle – avait toutes les cartes en mains pour m’éliminer de son chemin.
Liam : Tu m’as supplié de le faire. Comment voulais-tu que je réagisse ? Je m’en voulais déjà bien assez de ne pas avoir pris de tes nouvelles plus tôt.
Moi : Ce n’était pas moi. Tu savais que j’étais avec ton frère.
Liam : Comment j’aurais pu savoir que ce n’était pas toi ?
Il a totalement raison, ce n’est pas pour autant que je ne lui en veux pas moins.
Moi : De toute façon, vu le premier message, tu aurais fini par débouler là-bas. Tu ne supportais pas que je sois avec le mec que tu détestes le plus.
Liam : Rectification, ma belle. Ça, c’est lui, pas moi. Je ne déteste pas mon frère et je ne pensais pas qu’il m’en voudrait autant.
Moi : Peu importe. On n’a plus rien à faire ensemble, Davis. Je suis tombée amoureuse de ton frère et cette fois, tu ne pourras pas m’aider à me relever. Te voir, c’est comme le revoir, lui. C’est au-dessus de mes forces.
J’attends plusieurs secondes, mais comme aucun message ne me revient, je suppose qu’il a enfin compris qu’il était inutile d’insister.
*******************
Nous y voilà. Depuis combien d’années attendions-nous ce moment où nous nous retrouverions à l’université ? Je me souviens des nombreuses discussions entre Aaron, Leah, Callie et moi, totalement surexcités à cette idée. Nous savions pourtant que nous serions séparés, puisqu’vec mon ex, nous avions décidé de partir pour San Francisco. C’était notre rêve. Commencer notre vie à deux dans une nouvelle ville. Les filles devaient rester ici. Callie est là, mais qu’en est-il de Leah ? A-t-elle changé d’avis et demandé son transfert comme moi ? Je l’espère, je n’ai aucune envie de la croiser. Si elle ne m’avait pas volé mon mec, je ne serais pas là à souffrir pour un autre. Tellement plus fort.
Ma valise devant moi, je laisse mon regard couler sur les grands bâtiments qui me font face. Ici, tout est démesuré. Il m’avait bien prévenu que ça n’avait rien à voir avec le lycée. Je ne peux qu’admettre qu’il avait parfaitement raison. La foule grouille. Plusieurs étudiants forment des petits groupes, heureux de se retrouver. D’autres étreignent leurs parents dans un dernier câlin avant de commencer une nouvelle vie.
J’aurais tellement aimé que papa soit là, qu’il me serre lui aussi contre lui en me disant qu’il était fier de moi.
— Wouah ! C’est dément !
Je pivote vers ma meilleure amie qui scanne les alentours, totalement surexcitée.
— Regarde-moi ces canons ! Ma belle, je te jure que tu vas vite zapper ton palefrenier.
Je fixe les mecs qui lui ont tapé dans l’œil. Ils sont trois et ils ont l’air plus vieux que nous. Si je n’étais pas aussi abîmée, il est possible que j’aurais pu en trouver un ou deux à mon goût. Là, il n’y a que Lui qui emplit mon cerveau et hante mes souvenirs. J’ai encore le goût de ses lèvres sur les miennes, la rugosité de ses mains sur mon corps et le son de sa voix rauque qui me murmure combien il m’aime.
Je crois qu’aucun gars, aussi sexy soit-il, ne pourra lui arriver à la cheville.
— C’est quoi cette tête ? s’enquiert Callie, en haussant un sourcil.
J’ignore ce qui la perturbe sur mes traits. Peut-être la légère grimace que je tire en continuant à observer ces trois gars qui viennent dans notre direction.
— On devrait aller voir où est notre chambre, suggéré-je.
— Juste deux secondes. Je crois qu’ils viennent vers nous.
En effet, c’est bel et bien le cas. L’instant suivant, l'un d’eux, un métis aux yeux verts, nous tend un flyer. Je l’attrape machinalement, sans même m’y intéresser. Il finira sûrement à la poubelle avec tous les autres qui me seront donnés.
— On fait partie du club de boxe, nous informe son copain.
Callie glousse. Curieuse, je la dévisage et me rends compte que celui qui vient de prendre la parole lui a tapé dans l’œil. Je reporte mon regard sur lui. Il doit avoisiner le mètre quatre-vingt-dix tellement il me paraît grand. Ses cheveux châtains sont coupés ras et son regard rappelle la couleur du ciel un jour d’été. Son t-shirt moule ses abdos très bien dessinés. Je comprends mieux pourquoi Callie bave devant lui.
— Si ça vous intéresse, poursuit-il, les entraînements reprennent dans une semaine. En tout cas, je serais super heureux que deux superbes nanas se joignent à nous. Moi, c’est…
— Ce sera sans moi, le coupé-je abruptement.
Tous se tournent vers moi, surpris de mon intervention amère. Mais, je ne peux pas. La boxe c’est Lui. Comment pourrais-je pratiquer ce sport sans penser un seul instant à ce nous qui n’existe plus ?
— Et toi ? demande le type en s’adressant à Callie.
Le sourire qu’elle lui lance n’a rien d’innocent. Elle le veut et va tout faire pour l’obtenir, quitte à se mettre à cette discipline juste pour ses beaux yeux. Je secoue la tête, dépitée, devant son attitude. En même temps, faut dire qu’elle et le sport, ça fait deux.
— Compte sur moi. Et elle aussi viendra.
Non, mais elle n’est pas sérieuse de s’avancer ainsi ! D’un regard en biais, je lui laisse comprendre ma façon de penser.
— Bon, ben on compte sur vous… Au fait, moi, c’est Jamie. Lui – il désigne le métis du pouce – c’est Warren. Et lui, c’est kurt.
Le fameux Kurt est le plus petit des trois, mais sa musculature en impose tout autant. Son crâne rasé à blanc, orné d’un tatouage, lui confère un look dangereux que seul son regard émeraude contredit. Je ne crois pas qu’il soit mauvais, ça doit être juste pour se donner un style.
Callie les suit un moment du regard alors qu’ils passent d’étudiant en étudiant pour leur présenter leur club.
— Oh mon Dieu ! finit par lâcher Callie. T’as vu ce mec, il est hot de chez hot ! Rien qu’en le regardant, j’en mouille ma petite culotte.
Dépitée, je lève les yeux au ciel.
— Et si on allait enfin voir notre chambre ?
— On va y aller. Mais, je veux que tu me fasses une promesse avant.
Même si je m’attends au pire, je l’invite à poursuivre d’un signe de la main.
— Toi et moi, on s’inscrit à la boxe. Promets-le moi.
— Désolée, je ne peux pas.
Elle fronce ses sourcils, puis pose ses mains sur mes épaules afin de sonder mon regard.
— Merde, Sav ! Ne me dis pas que c’est à cause de Lui ?
Pas besoin de répondre, je crois que mes mimiques lui en disent plus que je ne le voudrais.
— Bon, écoute – elle regarde le flyer – les inscriptions sont lundi prochain. D’ici là, je vais tout faire pour que tu le zappes et ensuite, on ira s’inscrire.
Quand elle a quelque chose en tête, difficile de l’en faire démordre et je sais combien elle peut être convaincante. La preuve en est, elle a su démontrer à ma mère que j’étais réellement en danger alors que celle-ci se fichait totalement de ce qui pouvait m’arriver après la perte de papa.
Comment vais-je bien pouvoir retourner la situation dans mon sens ? Il perturbe déjà assez mes pensées comme ça. Si en plus, je dois pratiquer son sport favori, je vais totalement couler.
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