Tsimavio - 4
Avec les premières forces retrouvées, des femmes se sont mises au travail, déchirant les épaisses toiles trouvées sur la plage, dépiautant des cordages pour en obtenir des brins. Bientôt, des pagnes avec leur ceinture apparaissent. Chacun participe et s’empresse sur cette tâche, car ces petits bouts de tissus qui cachent leur intimité les sortent de l’animalité dans laquelle on les avait jetés.
Des Blancs isolés se rapprochent de plus en plus de leur camp, sans cacher leur désir d’abuser des femmes. Le retour de leur dignité rend ces tentatives insupportables ; ils sont deux ou trois à tendre un piège et à capturer un marin. La bastonnade, les coups de pied et de poing tombent sur l’homme à terre. Un groupe de spectateurs les entoure, se gardant bien de les arrêter, sans pour autant les encourager, pris entre le désir de vengeance et leur répulsion coutumière pour la violence.
Le bruit attire tout le groupe. Cette fois encore, Mihanta ouvre la parole :
— Pas possible !
Takalo le regarde, un encouragement dans les yeux.
— Faut parler avec les Fotsy pour arrêter.
Ces mots figent l’assemblée, arrêtant la rossée ; l’homme git dans le sable, simplement étourdi ; le nombre de coups palliait leur manque de force.
Les Malgaches se regardent. Doucement, certains s’éloignent : ils appartiennent à ces familles qui ne participent pas aux décisions, qui se laissent guider par des plus sages. Une douzaine d’hommes et de femmes restent, se reconnaissant dans cette caste qui engendre les décideurs. Sans se le dire, ils savent qu’ils ont tous assisté à des conseils. Ils ne possèdent pas l’expérience de leurs aînés, mais leur rôle, leur devoir s’imposent à eux.
Mihanta étouffe de colère. Il ne comprend pas pourquoi il est incapable de parler, se contentant de phrases brèves, alors que les idées et les mots bouillonnent au bord de ses lèvres. De toute façon, comment leur expliquer son intuition ? Le vrai chef des Blancs, celui avec lequel il a croisé le regard, comprendra leur démarche, il en est convaincu. Mais il vient de leur proposer d’aller affronter, nus et démunis comme ils sont, ces êtres violents et sans retenues qui les traitent comme des bêtes.
Mihanta a lancé son idée sans avoir apprécié l’avis des autres, qui se sentent heurtés par ce bousculement des coutumes : le sujet doit longuement murir avant d’en débattre. Ceux et celles qui l’entourent se taisent, inaccoutumés à palabrer, et choqués par cette proposition suicidaire. L’idée est folle ! Ces hommes blancs ne montrent que mépris et violences envers eux. Aller les affronter est inutile, dangereux. Pourtant, ils perçoivent que continuer à subir va dégénérer, que les filles vont être abusées et les garçons tués. Se défendre, montrer une volonté, ils ne savent pas ! La vie est dure, les morts et les malheurs fréquents ; accepter la fatalité permet de la supporter. Ils ne peuvent reculer devant l’ultime exigence : la protection des femmes.
Le Blanc à terre s’ébroue, étonné de ces quelques mots incompréhensibles et du silence qui suit. Quand il se relève, rien ne se passe. Il tente de partir quand un puissant coup de pied dans les fesses le propulse dans le sable et les buissons. Aucun juron, aucun rire n’accompagne sa fuite piteuse.
Mihanta profite de la digression pour lancer :
— Demain, j’irai !
Bakoly se rapproche de lui. Après une hésitation, un garçon se joint à eux, puis un autre. Takalo est resté en retrait.
Le groupe se disloque, s’interrogeant sur le lendemain et cette tentative vers les Fotsy, quand ils sont attirés par des bruits lointains : les Blancs paraissent très agités, poussant des cris. Expriment-ils de la colère ou de la rage à leur encontre ?
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