Chapitre 3 : Sofia

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Sofia Bertrand ferma la porte du café avec un soupir d’épuisement. La journée avait été longue, pleine de commandes mal prises, de clients impatients et de sourires forcés. Elle passa une main dans ses cheveux bruns, fatigués de leur propre désordre, et alluma une cigarette en marchant vers la station de métro. Le froid de la soirée parisienne mordait sa peau, mais elle aimait cette sensation presque vivifiante, celle qui lui rappelait qu’elle était bien là, malgré tout.

Le café où elle travaillait était l’un de ces lieux branchés du Marais, où se pressaient les freelances avec leurs MacBook et les jeunes cadres dynamiques venus se donner l’air décontracté. Sofia y travaillait depuis trois ans, une éternité pour un job qu’elle avait pris “juste pour dépanner”. Sa vraie passion, c’était la peinture. Dans son petit studio du 19e arrondissement, elle passait des heures à peindre des toiles qu’elle n’avait jamais le courage de montrer. Les murs de son appartement étaient couverts de couleurs, comme un musée privé de ses rêves inaboutis.

Ce soir, elle avait rendez-vous avec Clara, comme souvent quand l’une des deux avait besoin de parler. Leur amitié remontait à l’université, un lien forgé dans les couloirs austères de la fac et renforcé par des nuits blanches passées à refaire le monde. Clara était devenue sa confidente, la seule personne devant qui Sofia n’avait pas besoin de prétendre que tout allait bien.

Sofia éteignit sa cigarette et entra dans le bar où elles avaient l’habitude de se retrouver. L’endroit était bruyant, animé par la foule des habitués et la musique qui crachait des tubes des années 90. Clara était déjà là, installée à une table dans un coin, le visage éclairé par la lueur tamisée des néons. Elle releva les yeux en voyant Sofia approcher et lui sourit faiblement.

— Tu as l’air épuisée, lança Clara en guise de salut.

— Comme d’hab, répondit Sofia en retirant son manteau. Les gens pensent que servir des cafés, c’est facile, mais ils oublient que tu dois en même temps supporter leurs mauvaises humeurs.

Clara hocha la tête, compatissante. Elle connaissait trop bien cette fatigue, même si la sienne prenait une autre forme. Elles commandèrent deux verres de vin et restèrent un moment silencieuses, perdues chacune dans leurs pensées. Enfin, Sofia se décida à parler, brisant le silence pesant.

— Je me demande ce que je fais encore là. Dans ce boulot, dans cet appart, dans cette vie qui n’avance pas.

Clara la regarda avec une attention sincère. Sofia avait ce côté impulsif, toujours en quête de quelque chose de nouveau, mais aussi paralysée par la peur d’échouer.

— Et si tu te donnais une vraie chance avec ta peinture ? demanda Clara doucement.

— Tu sais très bien que ce n’est pas aussi simple. Paris est pleine d’artistes comme moi, des gens qui pensent qu’ils vont révolutionner le monde avec leurs toiles, et qui finissent par se perdre en chemin. Et puis, il faut bien payer le loyer.

Clara ne répondit rien. Elle comprenait. Sofia était talentueuse, c’était indéniable, mais la réalité était plus dure que les rêves. Elle-même, avec son salaire confortable, se sentait parfois prise au piège d’une existence qu’elle n’avait pas vraiment choisie.

Sofia but une gorgée de vin, tentant de chasser ses pensées moroses. Elle changea de sujet, passant aux nouvelles de Clara, à son travail, aux petits drames du quotidien. Elles parlèrent de tout et de rien, évitant soigneusement les sujets qui faisaient trop mal. Vers la fin de la soirée, Sofia se pencha en avant, un sourire ironique aux lèvres.

— Tu as croisé Lucas, dernièrement ?

Clara leva un sourcil, surprise.

— Lucas ? Non, pourquoi ?

— Juste comme ça, répondit Sofia en haussant les épaules. Je l’ai vu l’autre jour, il traînait dans le quartier. Il a l’air perdu, lui aussi. Comme nous tous, je suppose.

Clara ne savait pas quoi répondre. Elle avait vu Lucas plusieurs fois, toujours dans ce même café, mais ils ne s’étaient jamais vraiment parlé. Sofia avait raison : il avait ce regard de quelqu’un qui se débattait avec ses propres démons. Comme elle. Comme Sofia. Comme Julien, le sans-abri du quartier, qui les regardait tous passer avec une indifférence polie.

— Peut-être qu’on devrait faire quelque chose, tous ensemble, proposa Clara d’une voix hésitante. Sortir de cette routine, essayer de… je sais pas, créer quelque chose, ou juste se retrouver pour parler, vraiment.

Sofia acquiesça. L’idée lui plaisait. Elle ne savait pas ce que cela pourrait apporter, mais l’idée d’un changement, même infime, lui réchauffa le cœur.

— Oui, pourquoi pas, répondit-elle en souriant. Après tout, on n’a rien à perdre.

Les deux amies restèrent là encore un moment, à refaire le monde comme elles savaient si bien le faire. Elles ne changeraient peut-être pas leur destin ce soir-là, mais elles avaient au moins partagé un instant de répit dans leurs vies mouvementées. Et parfois, c’était tout ce dont elles avaient besoin.

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