Chapitre 12 : L'Installation

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Le jour de l’inauguration de l’installation interactive de Sofia était enfin arrivé. La friche industrielle, transformée en un espace d’expression brute et éclectique, était prête à accueillir les visiteurs. Sofia avait passé les derniers jours dans un tourbillon de stress et de détails de dernière minute, réglant les problèmes techniques, ajustant les projections lumineuses, et veillant à ce que chaque élément trouve sa place dans ce labyrinthe artistique. La fatigue se lisait sur son visage, mais l’excitation était palpable.

Le groupe des Invisibles était au complet. Clara, Lucas, et Julien étaient venus tôt pour aider Sofia à mettre en place les derniers détails. Clara s’occupait des textes, ajustant les fragments poétiques sur les murs, tandis que Lucas vérifiait l’audio et les installations sonores. Julien, malgré la tristesse qui l’habitait encore, était présent, apportant une touche finale à ses croquis suspendus dans un coin discret de la friche. Il avait décidé d’exposer les dessins qui représentaient des scènes de rue, des visages anonymes saisis dans des moments de vie éphémères, en hommage à Jean-Marc et à tous ceux qui l’avaient soutenu.

La performance était conçue comme une expérience immersive. Dès l’entrée, les visiteurs étaient plongés dans une atmosphère onirique, guidés par des sons de la ville mixés à des enregistrements de voix racontant des histoires anonymes. Le parcours se déployait en plusieurs étapes : des murs couverts de graffitis improvisés, des cabines où l’on pouvait écouter des témoignages, et des espaces interactifs où chacun pouvait laisser sa trace. Tout était pensé pour que l’art s’enrichisse de l’expérience des visiteurs, pour que chaque passage dans l’installation devienne un acte créatif en soi.

À l’ouverture des portes, le public afflua peu à peu, curieux de découvrir ce projet hors norme. Il y avait des habitués des cercles artistiques, mais aussi des anonymes, des passants attirés par l’atmosphère intrigante qui émanait de la friche. Sofia observait la foule avec une nervosité contenue, espérant que l’installation provoquerait l’émotion qu’elle avait imaginée.

Les premières réactions furent hésitantes, les visiteurs prenant leur temps pour s’imprégner de l’ambiance singulière du lieu. Puis, peu à peu, quelque chose se produisit. Des gens commençaient à interagir, à écrire sur les murs, à s’asseoir dans les cabines pour écouter les récits des Invisibles. Les rires, les murmures, et parfois même les larmes ponctuaient le parcours. Un homme resta longuement devant l’un des dessins de Julien, absorbé par la tristesse et la beauté mélancolique de la scène. Une jeune femme inscrivit un poème sur un pan de mur blanc, avant de se retourner et d’échanger un sourire complice avec Clara.

Lucas, posté près de l’une des installations sonores, observait tout cela avec un mélange de fierté et de soulagement. Il vit quelques-uns de ses élèves passer par là, intrigués par ce que leur professeur avait contribué à créer. L’un d’eux, un jeune garçon à l’air timide, s’approcha de Lucas et lui dit simplement :

— C’est super, monsieur. On ne voit pas ça tous les jours.

Lucas sourit, touché par cette reconnaissance silencieuse. Il sentait que, malgré les reproches et les doutes, cet espace était la preuve que leur travail comptait, qu’il pouvait toucher des gens au-delà de leur cercle restreint.

Sofia, toujours en mouvement, tentait de contenir son émotion en voyant son rêve devenir réalité. Mais en passant devant une cabine où l’on pouvait écouter un enregistrement de Julien, elle s’arrêta, incapable de détacher son regard de l’écran où défilait une série de photos et de dessins accompagnés de sa voix. Julien y racontait une anecdote de son temps dans la rue, un moment de solidarité inattendu avec un inconnu qui lui avait offert un repas chaud un soir de décembre glacial.

La voix de Julien résonnait, calme mais empreinte d’une tristesse contenue :

— Ce qui te sauve, parfois, c’est juste une main tendue, une parole. C’est de savoir que tu n’es pas invisible. Que tu existes pour quelqu’un, même juste pour une minute.

Sofia sentit les larmes lui monter aux yeux. Ce moment capturait l’essence de tout ce qu’ils essayaient de faire : donner une voix à ceux qu’on n’entend pas, rendre visible ce qui ne l’était plus. Elle se tourna vers Julien, qui se tenait à quelques pas, visiblement ému lui aussi par la réaction des visiteurs.

— Merci, Julien, murmura-t-elle, sans trop savoir pourquoi elle ressentait le besoin de le dire. Merci pour tout.

Julien haussa les épaules, un sourire modeste sur les lèvres.

— On fait ce qu’on peut, répondit-il simplement.

Plus la soirée avançait, plus l’installation se remplissait de vie. Clara, après avoir déposé ses textes dans des endroits stratégiques, se perdit parmi les visiteurs. Elle observa les interactions, les gestes, les réactions des uns et des autres face aux œuvres. Elle comprit alors que son écriture n’était pas seulement un exercice personnel ; c’était un moyen de tisser des liens invisibles entre des inconnus, de créer une toile d’émotions partagées.

À un moment, elle croisa le regard d’une femme qui tenait un de ses poèmes dans les mains, les yeux humides. Elles échangèrent un sourire silencieux, et Clara ressentit une profonde satisfaction. Elle n’avait pas besoin de mots pour comprendre que quelque chose avait résonné, que son texte avait trouvé un écho.

La soirée s’acheva sur une note vibrante, un mélange de joie, de fatigue et d’émotion. Les Invisibles se retrouvèrent dans un coin de la friche, épuisés mais comblés, pour partager leurs impressions. Ils avaient réussi à créer quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes, un espace où l’art, les vies, et les histoires se croisaient.

— On a réussi, dit Sofia, un sourire radieux sur le visage. On a vraiment réussi.

Clara, Lucas, et Julien acquiescèrent, chacun perdu dans ses pensées mais reconnaissant d’être là, ensemble. Ils levèrent un verre pour célébrer cette victoire collective, ce moment suspendu où leurs rêves avaient pris forme.

Ce soir-là, alors qu’ils se séparaient, chacun repartit avec un sentiment renouvelé d’appartenance. Les Invisibles n’étaient plus seulement un groupe d’amis, mais un collectif soudé par des expériences communes, par la volonté de créer du sens dans un monde souvent indifférent.

En rentrant chez elle, Clara se laissa tomber sur son lit, épuisée mais le cœur léger. Elle repensa à tout ce qu’ils avaient traversé, aux hauts, aux bas, aux incertitudes qui avaient jalonné leur parcours. Elle prit son carnet et y inscrivit une simple phrase : « Nous existons, et c’est tout ce qui compte. »

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