Chapitre 13 : Tisser des Liens Invisibles

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Les jours qui suivirent l’inauguration de l’installation furent marqués par une étrange accalmie. L'effervescence des préparatifs laissait place à une sorte de vide, un temps suspendu où les Invisibles cherchaient à retrouver leurs repères. Le succès de l’événement les avait rassurés, mais il avait aussi ouvert la porte à une autre question : et maintenant ? L’art était leur refuge, leur langage commun, mais il ne suffisait pas toujours à combler les fissures personnelles.

Un dimanche après-midi, Clara proposa de les réunir chez elle. Ils n’avaient pas eu de vraie discussion depuis la performance, et elle sentait le besoin de se reconnecter, de passer un moment simple, loin des projecteurs. Elle s’était mise en tête de cuisiner pour eux, quelque chose de réconfortant et de familier. Elle prépara un gratin de pommes de terre, une recette transmise par sa grand-mère qu’elle ne sortait qu’en de rares occasions. Pour elle, c’était plus qu’un plat : c’était une manière de prendre soin, de montrer son affection sans avoir à prononcer les mots.

Lucas arriva le premier, visiblement soulagé de se retrouver dans un cadre intime. Ils s’installèrent dans le salon, avec une bouteille de vin et quelques souvenirs de la soirée à la friche.

— Ça fait du bien de se poser un peu, dit-il en s’affalant dans le canapé. J’ai l’impression qu’on n’a pas pris le temps de respirer depuis des semaines.

— Je suis d’accord, répondit Clara. J’avais envie qu’on se retrouve, juste nous. Sans pression.

Julien et Sofia arrivèrent peu après, Julien avec un petit sourire timide, comme s’il cherchait encore sa place après l’émotion de ces derniers jours. Sofia, toujours pleine d’énergie, avait apporté un bouquet de fleurs qu’elle posa sur la table, illuminant la pièce de ses couleurs éclatantes.

— J’avais envie de fleurs, expliqua-t-elle en haussant les épaules. Je me suis dit qu’on avait tous besoin d’un peu de douceur.

Clara servit le gratin avec une fierté discrète. Le repas fut simple, ponctué de rires et de discussions légères. Ils parlaient de tout et de rien : des anecdotes du vernissage, des petits tracas du quotidien, des films qu’ils avaient envie de voir. Pour un moment, ils s’échappaient des contraintes de leurs vies et retrouvaient une complicité qui dépassait le simple fait de créer ensemble.

À un moment, alors qu’ils finissaient le dessert, une tarte aux pommes que Clara avait improvisée, Lucas prit la parole, d’un ton plus sérieux.

— J’ai l’impression qu’on ne se connaît pas vraiment en dehors de nos projets. On passe tellement de temps à bosser ensemble qu’on en oublie… enfin, qu’on est aussi des amis, non ?

Il y eut un moment de silence. Chacun comprenait ce qu’il voulait dire. Les Invisibles étaient devenus une famille choisie, mais le rythme effréné des derniers mois les avait parfois éloignés de l’essentiel : les liens humains qui les unissaient au-delà de l’art.

— C’est vrai, concéda Sofia. On s’est tellement jetés dans nos créations qu’on en a oublié de prendre soin de nous, de nous écouter.

Julien, les bras croisés, semblait plongé dans ses pensées. Il finit par se redresser, les yeux baissés sur son verre de vin.

— Vous savez, c’est pas facile pour moi de… de m’ouvrir. Je veux dire, vous êtes mes amis, mais il y a des choses que je garde pour moi. Parfois, j’ai l’impression que si je dis tout ce que je ressens, ça va vous peser.

Clara lui sourit doucement.

— On est là pour ça, Julien. On ne fait pas que partager l’art, on partage aussi nos vies, nos fardeaux. On est tous passés par des trucs difficiles, et c’est justement parce qu’on sait ce que c’est qu’on peut se comprendre.

Sofia ajouta, un peu hésitante :

— J’ai l’impression qu’on a créé un truc qui nous dépasse. Mais on oublie parfois que c’est nous qui le faisons vivre. C’est nos histoires, nos galères, qui nourrissent tout ça. Et si on ne prend pas le temps de se parler, de se soutenir, on va se perdre en route.

Lucas hocha la tête, touché par les mots de Sofia. Lui aussi avait souvent l’impression d’être enfermé dans son rôle, de devoir toujours être celui qui rassure, qui encourage, sans vraiment montrer ses propres faiblesses.

— Parfois, j’ai l’impression de devoir être un pilier, confia-t-il. Que si je montre que ça ne va pas, tout va s’effondrer. Mais je suis juste un type normal, avec mes doutes et mes peurs.

Ils restèrent silencieux un instant, savourant la simplicité de cet échange. Pour la première fois depuis longtemps, ils ne parlaient pas d’art, mais d’eux-mêmes, de ce qui les habitait au quotidien. Il n’y avait pas de grand discours, juste une sincérité touchante qui les rapprochait.

— Vous savez quoi ? dit Clara en levant son verre. À nous. Pas aux Invisibles, pas à nos projets. Juste à nous, et à tout ce qu’on traverse ensemble.

Ils trinquèrent, les regards complices. Ce toast n’était pas seulement un geste symbolique, mais un engagement mutuel à être présents les uns pour les autres, même dans les moments de doute.

Sofia, touchée par cette ambiance apaisante, prit une grande inspiration avant de se lancer dans une confession :

— Je ne vous l’ai jamais dit, mais j’ai failli tout arrêter l’année dernière. J’étais à deux doigts de quitter Paris, de laisser tomber l’art, parce que je ne savais plus pourquoi je le faisais. Mais vous êtes arrivés, avec vos idées folles, vos projets, et ça m’a redonné envie. Vous m’avez sauvée, en quelque sorte.

Lucas lui prit la main, sans un mot, mais avec une tendresse qui disait tout. Julien, d’habitude si réservé, posa son autre main sur celle de Sofia, créant un cercle silencieux mais puissant de solidarité.

Ils passèrent le reste de l’après-midi à se raconter leurs petites histoires, à partager des souvenirs d’enfance, des rêves enfouis, des blessures jamais vraiment refermées. C’était simple, mais profondément nécessaire. Les Invisibles découvraient qu’au-delà de leurs créations, il y avait des personnes, des vies entremêlées, des liens invisibles qui les tenaient debout.

Lorsqu’ils se séparèrent en fin de journée, chacun repartit avec le cœur un peu plus léger, les épaules moins chargées de poids invisibles. Pour une fois, ils n’avaient pas besoin de créer quelque chose de tangible pour se sentir complets. Leur art, c’était aussi cette amitié, cette manière silencieuse de dire : « Je suis là, et je te vois. »

Clara, en rangeant les restes du repas, souriait en repensant à cette journée. Elle réalisa que, parfois, il n’y avait pas besoin de grandes œuvres pour se sentir vivant. Parfois, il suffisait de se retrouver autour d’une table, de partager un peu de chaleur humaine, et de se rappeler qu’ils n’étaient pas seuls.

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