Chapitre 20 : L'Accomplissement

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Lorsque les premières pelleteuses entrèrent en action, les Invisibles ne restèrent pas pour observer la destruction. Ils avaient déjà dit leur adieu à la friche la veille, dans ce moment suspendu où leur œuvre avait enfin vu le jour. Maintenant, ils étaient tournés vers l'avenir, mais aussi, d'une certaine manière, vers eux-mêmes.

Chacun ressentait un mélange d’apaisement et de mélancolie. Après des mois de création, d’introspection et de doutes, ils avaient enfin montré ce qu’ils portaient en eux, sans compromis. Mais avec la friche sur le point de disparaître, une question se posait : qu’allait-il rester de tout ça ?

Ce soir-là, ils se réunirent chez Lucas. Assis dans son salon, ils se regardaient, épuisés mais soulagés. Une nouvelle dynamique flottait dans l’air : celle d’un collectif qui avait surmonté ses fractures, reconstruit ses liens et trouvé une manière de s’exprimer.

— On l’a fait, lâcha finalement Clara, brisant le silence. On a réussi à montrer ce qu’on voulait, sans céder à quoi que ce soit.

Julien, penché sur son verre de vin, acquiesça en souriant.

— Et c’est probablement l’un des trucs les plus authentiques qu’on ait jamais fait.

Sofia, qui regardait par la fenêtre, ajouta :

— On a été invisibles jusqu’au bout. Ils ne sauront jamais que c’était nous, et c’est parfait comme ça.

Lucas, toujours plus pragmatique, haussa les épaules.

— C’était exactement ce qu’il fallait faire. Le mystère va parler pour nous, même après la destruction de la friche. Les gens ne pourront pas oublier cette expérience.

Chacun comprenait ce que cela signifiait. Leur œuvre n’avait pas besoin d’être pérenne pour exister dans l’esprit des autres. L’éphémère avait cette capacité unique à marquer les esprits plus profondément qu’une œuvre durable. Ce qu’ils avaient créé resterait gravé dans la mémoire des visiteurs.

Pourtant, une question persistait dans l’esprit de Clara. Elle ne put s’empêcher de la poser :

— Et maintenant ? Qu’est-ce qu’on fait après ça ?

Le silence retomba. Chacun avait esquivé cette question, mais elle était inévitable. Le projet qui les avait tant unis arrivait à sa fin, et avec lui, la nécessité de trouver une nouvelle direction.

Julien prit la parole en premier, comme souvent lorsqu’il s’agissait de répondre aux interrogations profondes.

— Je pense qu’on a besoin d’un peu de temps pour digérer tout ça. Ce projet a été intense, et il nous a permis de retrouver notre essence. Peut-être qu’on doit simplement se laisser porter par ce qu’on ressent maintenant. Rien ne presse.

Lucas hocha la tête.

— Je suis d’accord. On ne peut pas se précipiter dans un nouveau projet tout de suite. Mais je crois qu’on a prouvé qu’on pouvait créer quelque chose de fort, sans dépendre de l’extérieur. C’est ça qu’on doit retenir.

Sofia, toujours introspective, murmura :

— Ce qui me rassure, c’est qu’on n’a plus besoin de montrer quoi que ce soit à qui que ce soit. Ce qu’on fait, c’est pour nous, et si un jour on a envie de le partager, on le fera à notre manière, comme cette fois-ci.

Clara sourit à cette idée. Leur démarche créative avait évolué, mûri. Ils n’étaient plus ces artistes en quête d’approbation. Ils avaient trouvé une paix intérieure qui les guiderait dans leurs futurs projets, quels qu’ils soient.

Cette nuit-là, ils restèrent longtemps à discuter, à refaire le chemin qu’ils avaient parcouru ensemble. Les moments de doute, de tensions, mais aussi les moments de création pure, ces instants magiques où ils avaient l’impression d’être en parfaite harmonie. C’était cette alchimie qui avait rendu leur collectif unique. Ils s’étaient perdus pour mieux se retrouver.

Le lendemain, chacun retourna à sa vie. Les jours qui suivirent furent calmes, presque trop calmes. Chacun, de son côté, réfléchissait à la suite. Clara retourna à ses esquisses, Lucas à ses installations interactives, Sofia à ses croquis, et Julien à ses sculptures. Mais quelque chose avait changé en eux. Leur approche de l’art n’était plus la même. Le collectif continuait à exister en silence, sans besoin de se manifester.

Quelques semaines plus tard, Lucas reçut un appel inattendu. C’était une ancienne connaissance, un galeriste influent qui avait entendu parler du mystérieux événement à la friche. Il voulait organiser une exposition autour de ce projet énigmatique. Lucas écouta poliment, mais il savait déjà ce qu’il allait répondre.

— Merci pour l’intérêt, mais ce projet est terminé, dit-il calmement. Il n’est pas destiné à être exposé ou analysé. C’était une expérience éphémère, et elle doit rester telle quelle.

Le galeriste insista, offrant même des sommes conséquentes pour recréer une partie de l’œuvre ou pour produire un nouveau projet collectif. Mais Lucas resta ferme. Il n’était plus question de vendre leur art ou de le transformer en un objet de spéculation.

Après avoir raccroché, il se sentit soulagé. Il contacta les autres pour leur raconter l’anecdote, et chacun réagit de la même manière. Ils savaient que ce qu’ils avaient fait à la friche était unique, et que rien ne pourrait remplacer cette expérience.

Les semaines suivantes, ils se retrouvèrent de manière informelle, sans pression de produire quoi que ce soit. Ils profitaient simplement du plaisir d’être ensemble, de discuter, de partager leurs idées. La friche était désormais un souvenir, mais elle avait laissé une empreinte indélébile sur chacun d’eux.

Un jour, alors qu’ils étaient réunis chez Clara, Lucas proposa quelque chose de simple, mais chargé de sens.

— Et si, la prochaine fois, on créait juste pour nous, sans jamais avoir l’intention de le montrer ?

Sofia sourit en entendant ces mots.

— C’est peut-être ça, notre accomplissement. On n’a plus besoin de prouver quoi que ce soit. On est enfin libres.

Clara acquiesça, sentant une vague de soulagement l'envahir.

— Oui, on est libres.

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