Chapitre 2 - Rapprochement
Embarquement
— Tu as le numéro 789. Et moi...
Yvan marquait un temps d'arrêt.
— Quoi?
— Je suis au 778. On est pas à côté l'un de l'autre. Attends je vais l'hôtesse pour voir si c'est possible de changer.
Pendant qu'il s'élançait vers la jolie brune d'un mètre quatre-vingt, la romancière admirait la cabine. Première classe. Elle n'avait jamais pris l'avion, et n'avait aucun comparatif. Mais en passant de classe éco puis affaire, elle nota la différence. Trop d' extravagances à son gout. Elle trouva son seul intérêt dans les sièges de la cabine. Immensément larges et d'allure supra confortable. De vrais fauteuils de salon. Des accoudoirs aussi épais que l'assise. Motorisés. Un oreiller d'un blanc étincelant délicatement posé, avec une coupe de ce qui ressemblait à du Champagne sur la tablette accolée au siège royal.
Au fond, se logeait un bar imposant où étaient préparés les cocktails à des tarifs à trois chiffres.
— Tout cet espace pour si peu de place...
Cela lui paraissait immense. Bien plus que dans les classes précédentes. Il fallait le dire, c'était luxueux à faire des envieux.
Avant de s'assoir au numéro indiqué sur son carton d'embarquement, l'écrivaine jeta un œil à Yvan. Celui-ci qui semblait dépité. La réponse de l'hôtesse s'était avérée peu satisfaisante d'après son regard de chien battu. Il finit par abdiquer sur son siège quatre étoiles attribué.
— Voilà, numéro 790 Monsieur Yams, c'est ici, tout près de moi..." s'exprima l'hôtesse à la voix sexy jalousant celles des téléphone rose, en montrant du bout de ses ongles manucurés de la veille, le siège à trente centimètres de celui de Maïleen.
— Put*** j'y crois pas! pesta la romancière rancunière.
— Comme on s'retrouve! balança Liam comme si de rien n'était.
Elle esquissa un sourire poli puis s'empressa de mettre ses écouteurs. I don't want to miss a thing d'Aerosmith. Le plus bel hymne à l'amour.
— Qu'est-ce que t'écoutes?
— De la musique.
De nouveau son sourire enjoliveur laissa place à ses sublimes fossettes.
— I don't want to miss a thing, des gouts musicaux discutables à ce que je vois.
Elle ne répondit pas. L'ignorance était la meilleure des armes d'après elle.
Quelques minutes après les consignes de sécurité, l'avion commença à s'élancer. Ne voulant pas passer pour une mauviette, Maïleen fermait les yeux pour contrôler son stress. Elle pensait à Yvan, quelques sièges derrière. Comment avait-il pu ne pas vérifier les numéros de sièges?
Au moment, où l'appareil prenait enfin son envol, instinct de survie ou pas, elle ne put s'empêcher d'ouvrir les paupières et de serrer ses paumes aussi fort que possible, retenant ainsi sa trouille ainsi que mon souffle par la même occasion. Par réflexe, elle tournait la tête et s'aperçut à sa gauche, qu'elle était la plus courageuse des deux.
Le grand Liam Yams, les yeux exorbités, se cramponnait comme une sangsue à sa proie, au fauteuil, s'efforçant de faire des exercices de respiration ressemblant plus à un cours de préparation à l'accouchement qu'à autre chose. Cette vision chassa toute la frayeur de la belle. Elle le regardait avec pitié. "Peureux prétentieux, vas!".
— Il faut se détendre Monsieur Yams! se moqua t-elle sur un ton plus qu'ironique.
L'avion avait terminé sa montée fulgurente et flottait dans les airs. L'aéroport devenait de plus en plus petit, puis la ville autour. Bientôt, ils ne verraient que les nuages blancs ressemblant aux monts neigeux.
Après une dernière et profonde inspiration, le fauteuil de Liam se tourna vers elle.
— On t'a jamais dit que c'était moche de se moquer?
— Tu plaisantes j'espère, avec tout le venin que t'as craché sur moi, c'est une piètre revanche!
— Hum. Excuses moi si je t'ai un peu froissé.
— Un peu froissée!? T'insultes toujours les gens que tu connais pas?
— Absolument jamais!
— Super! Merci, ça me touche que tu m'aies accordé ce privilège!
—Alors finalement tu me connais?
— Quoi?
— Tu m'as appelé Monsieur Yams!
— T'emballes pas petit. C'est mon attaché de presse Yvan qui t'a reconnu.
— Oh. Ok.
— J'me trompe ou t'es un peu déçu?
— Il m'en faut plus!
— Hum... Prétentieux!
— Tu ne bois pas ta coupe?
— Non. J'ai donné hier soir.
— Oui j'ai cru voir ça!
— Et qu'est-ce que tu as cru voir de tes deux mètres de longueur?
— Ton entrée triomphale dans l'aéroport. T'aurais pu réveiller un mort tellement tu beuglais.
— Tu peux pas t'empêcher d'être minable. T'as des actions chez la Trump Organization pour chaque espièglerie qui sort de ta bouche?
— C'est vrai. J'te l'accorde. Je suis tyrannique. Mais c'est de ta faute. Je suis pas comme ça avec la plupart des gens.
— Ah… d'accord. Alors on devrait peut-être en rester là.
D'un bref coup d'œil, elle observa les passagers. Toutes les places étaient occupées. Dommage pour Maïleen. Onze heures de vol avec ce crétin! Cela risquait d'être très long. Elle dormirait une bonne partie du voyage, c'était décidé.
Les deux premières heures lui avaient paru une éternité. N'étant pas parvenue à trouver le sommeil, son attention s'était portée sur le mythique Jeu du serpent, un inconditionnel des fans des années 90 du Samsung 3310! Actualisé en version premium depuis quelques mois sur la célèbre boutique en ligne effigiant une pomme croquée. Ce jeu avait retrouvé ses inconditionnels et triomphait de nouveau. Après deux parties frénétiques, Maïleen décidait de prendre un bouquin acheté à la va-vite dans la librairie de l'aéroport. La moufflette au bouquet de roses d'un auteur qui lui était totalement inconnu. Titre peu attrayant mais la couverture lui avait donné l'envie de le lire.
Elle referma avec soin ce thriller épouvantable après une dizaine de pages. Ce bouquin, dont la couverture laissée penser à une histoire innocente, était atroce dès les premières lignes. On pouvait comprendre le début d'une enquête policière sur le meurtre d'une petite fille âgée de sept ans dans des circonstances qu'on ne voudrait jamais pouvoir avoir imaginer.
En tant que mère, aussi fictive que soit cette histoire, Maïleen ne put s'empêcher de faire les parallèles avec ses propres démons maternels. Impossible d'en lire davantage. Trop d'émotions, trop de projections.
Liam l'observait puis d'une voix peu assurée lui dit :
— Pas attrayant?
— Pas vraiment!
Il souriait. Il était vraiment beau. Un visage parfait. Une chevelure aux mèches rebelles laissaient devinés ses yeux noisettes abritant un cortège ciliaire qui jalousait n'importe quelle femme, donnant ainsi de la profondeur à son regard charmeur. Mais ce qui le sublimait par-dessus tout, c'étaient ses deux adorables fossettes. Elles auraient fait fondre n'importe qui.
Enfin, même si la couverture d'un livre donne la première impression, elle n'en fait pas le contenu. Et ici, Liam ne faisait pas exception aux yeux de sa voisine de cabine. Beau à l'extérieur. Vilain de l'intérieur.
— On a un peu moins de dix heures à passer ensemble, on pourrait en profiter pour discuter un peu? proposa le bellâtre.
— Je suis pas du même avis. On peut très bien rester chacun de notre côté. C'est un programme qui me va très bien!
Il esquissa un large sourire.
— Que dis-tu qu'on reprenne de zéro?
— Qui te dis que je veux bien reprendre quoique se soit? Tu ne m'as pas donné la moindre envie de te connaitre pour les dix prochaines heures qui restent à écouler!
— Aller, donnes moi une seconde chance. On n'a que ça à faire de toute façon! A moins que tu veuilles reprendre ta lecture passionnante!
— Quitte à faire des cauchemars pour les dix nuits avenirs… le choix est vite fait!
Après un échange de regards remplit de complicité, Maïleen décida de lui accorder une seconde chance.
Durant les trois heures qui suivirent, ils avaient échangé, sur leurs parcours professionnels respectifs. Celui de Liam étant bien plus attrayant que celui de son auditrice, elle lui posait d'innombrables questions sur le showbiz. A peine avait-il répondu, elle renchainait sur une autre. Maïleen était aussi curieuse de tout que têtue. Autant dire, échanger sur un sujet qui lui était totalement étranger, la captivait.
Liam était arrivé dans la profession un peu par hasard. Lors d'un séjour à Miami, chez sa tante, où ses parents l'avait envoyé pour "se débarrasser du grain de sable qui empêchait l'engrenage de tourner" [Maïleen avait voulu rebondir sur cette phrase, mais il ne lui en avait pas laissé l'occasion], il avait décidé de s'inscrire à un concours de danse pour faire plaisir à sa chère tante Rose-Mary. Du haut de ses dix-neuf ans, il avait alors été repéré par un manager connu pour être un vrai limier en repérant les futures stars hollywoodiennes. D'ailleurs, toute l'industrie filmographique le connaissait sous le nom de Bloodhound et non, Rex Black, de son vrai nom. Le jour du concours, il avait accompagné sa nièce Adelyne. Lors de demi-finale, la partenaire de Liam s'était foulée la cheville. Au moment, où ils allaient botté en touche, Rex Black était venu à la rencontre Liam afin de lui proposer de danser avec une autre partenaire, sa nièce, éliminée un peu plus tôt au cours de la compétition. Habituellement dans ce genre de compétition, les juges pointaient un refus catégorique de cet arrangement mais personne ne refusait rien au grand Bloodhound.
Le couple de jeunes danseurs avait remporté le concours haut la main. Adelyne pratiquait la danseuse classique depuis ses quatre ans, et Liam avait bénéficié, étant gosse, de cours particuliers donnés par une amie proche de sa mère. Cela avait grandement aidé pour interpréter leur solo. Pour remercier Liam, Rex lui avait laissé sa carte et lui avait demandé de l'appeler dans les prochains jours. Il recherchait des jeunes figurants pour un film.
Finalement, comme il s'adonnait à le dire, sans aucune difficulté, il eut le grand rôle. Il ne s'est pas étendu sur les détails. Mais son idylle naissante avec la nièce du plus grand recruteur de jeunes talents d'Hollywood n'y était certainement pas pour rien! Ils avaient entretenu une relation tumultueuse et fusionnelle durant plusieurs mois avant de rompre d'un commun accord. Là, encore une fois, il ne fit pas dans le détail.
— Tu as faim?
— Oui! Vraiment très faim!
Revenu du bar quelques minutes plus tard avec un plateau repas remplis de mini-sandwichs, il était ostensiblement agacé de la ténacité féroce avec laquelle la barmaid lui avait extirper un selfie sans son consentement. Les roulés battants de cils légèrement exagérés et les innombrables pincements de lèvres directement sortis d'une série érotique, n'avaient semble t-il eu aucun effet sur le bellâtre.
Durant le reste du vol, comme une bonne copine, Maïleen l'avait pas mal taquiné sur ce drôle d'évènement. Liam, le beau, le grand, si grand séducteur et rien dans le pantalon? Il ne rebondissait pas à ses petites railleries. Elle fut surprise par ce revirement de comportement. Il semblait bien loin du Liam qu'elle avait rencontré à l'aéroport, car il était différent de celui qu'elle avait rencontré aux premiers abords.
Liam venait d'Australie. Sa famille était venue s'installer en France lorsqu'il était encore en couche-culotte. Son père était un trader respecté, tout comme son père avant lui, pour une grande société américaine. Il coordonnait les échanges entre les États-Unis et la France pour des clients dont on ne prononçait pas le nom. Issu d'une famille de la haute bourgeoisie de par sa mère, il avait troqué ses études de commerces en France pour des petits boulots à Miami. Principalement de modèle. Hébergé chez sa tante et son cousin durant six mois, il avait prit son envol grâce au premier rôle décroché pour un film d'ados resté numéro un au box office durant trente-six semaines consécutives.
Maïleen, plus brève sur son parcours personnel, lui avait précisé être fille unique et avoir rencontré Sam il y a une bonne dizaine d'années au moment où elle débutait ses études d'infirmière et qu'après de nombreuses ruptures, ils avaient réussi à trouver un équilibre, pour enfin créer ce qui comptait le plus à ses yeux, une famille.
Liam lui avait ensuite cité les endroits les plus cools de L.A. et avait prévenu Maïleen que la mentalité des gens, très snobe d'apparence était en faite très touchante lorsqu'on s'y attardait un peu.
Il revenait deux à trois fois en France par an pour entretenir le minimum de relations sociales avec ses parents. Il avait confié à Maïleen qu'il n'était pas en très bon terme avec eux. Surtout son père. Maïleen sans demander plus de précision, en avait déduit que l'abandon de ses études de commerce y était pour quelque chose. Son père projetait certainement le même désir professionnel pour son fils que pour lui.
Mais ce qu'ils gardèrent en mémoire de ce voyage, furent les nombreux fous rires qu'ils avaient eu tout du long. Ils s'adonnaient à la même passion. Ils repéraient deux individus qui leur étaient totalement étrangers et imaginaient pour chacun d'eux, leurs âges, leurs vies sentimentales, leurs boulots et s'amusaient à créer leur histoire. Aussi, on se retrouvait dans cet avion avec un homme d'affaire, la trentaine bien tassée, à la pilosité épaisse proposant à la barmaid ultra féministe, une petite danse de cheerleaders. Bien sur s'était lui qui offrait la danse!
Ils s'étaient amusés avec à peu près tous les passagers de la première classe. Maïleen avait mit un point d'honneur à ne pas toucher à Yvan.
Le temps avait filé finalement trop rapidement et bientôt, aux abords de dix-neuf heures, heure française, ils allaient atterrir.
Lors de la descente, Liam avait prit la main de Maïleen. Elle ne savait pas si c'était pour elle ou pour lui.
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