3. Une journée pleine de rebondissements - 2/4
— Thobois ! s’écria Cédric avec mauvaise humeur en avançant. Je t’ai cherché toute la journée. Qu’est-ce que tu fais encore dehors ? Tu n’en fais vraiment qu’à ta tête.
Ethan comprit alors pourquoi Cédric avait été absent ces derniers jours. Celui-ci avait le bras droit dans un plâtre.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? l’interrogea-t-il avec une surprise non dissimulée.
Cédric ferma son poing valide et son teint vira au rouge.
— Tu te fous de moi ? Tu sais très bien ce qui m’est arrivé !
— Comment veux-tu que je le sache puisque ça fait quatre jours que je ne t’ai pas vu ?
Cédric s’approcha à nouveau d’Ethan et le bouscula violemment.
— Arrête de faire l’innocent, espèce d’abruti, hurla-t-il en devenant toujours plus écarlate. C’est ta faute si je suis dans cet état.
— Hé ! Ne me touche pas. Je te répète que je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il t’est arrivé, se défendit Ethan qui commençait à perdre patience.
— Menteur ! explosa Cédric en bousculant à nouveau Ethan. Tu m’as poussé dans les escaliers et tout le monde l’a vu. Tom et Nadia étaient aux premières loges, mais évidemment personne n’a rien dit.
Ethan ne comprenait pas pourquoi il était accusé à tort. Il savait qu’il était habituellement le bouc émissaire pour tout ce qui n’allait pas dans la vie de Cédric, mais là, c’en était trop. Il n’avait jamais fait une chose pareille.
Il mit quelques secondes à répondre, attiré par les nuages noirs qui effectuaient peu à peu leur apparition dans le ciel.
— N’importe quoi. Et j’aurais fait ça quand d’après toi, gros malin ?
— Je t’ai dit d’arrêter de faire l’innocent ! C’était au moment de ton anniversaire. Quand tu es revenu le soir, après ta promenade. Je te laisse tranquille un jour et voilà comment je suis remercié. Tu peux me croire que dès que je serais guéri, ta vie sera un véritable enfer !
Ethan ne sut pas quoi répondre. Et pour cause, il ne gardait aucun souvenir de cette période-là. Il ignorait en tout point ce qui avait pu advenir. En revanche, tous les enfants lui souriaient lorsque Cédric était absent. Avait-il vraiment effectué une telle chose ? Il le détestait, évidemment, mais de là à le faire tomber dans les escaliers. Et puis, ses amis n’avaient fait mention de cet incident à aucun moment.
Les nuages menaçants s’étaient rassemblés, cachant le soleil et plongeant l’horizon dans une obscurité précoce. L’orage tant attendu ne tarderait pas à éclater.
Ethan se fit bousculer une nouvelle fois. Il commençait à en avoir ras le bol. Il sentit la colère monter en lui.
— Je ne suis pas désolé si tu veux savoir, fulmina-t-il en poussant à son tour Cédric. Six ans que tu penses que je suis ton paillasson, c’est tout ce que tu méritais. Non, tu sais quoi ? Tu as de la chance, j’aurais dû te casser une jambe aussi !
Cédric eut un mouvement de recul. Surpris de la réaction d’Ethan qui était habituellement docile. Mais il revint très vite à sa hauteur.
— Qu’est-ce que tu viens de me dire là ? réussit-il à articuler, la lèvre inférieure prenant une teinte violacée et tremblant de rage.
— Tu es bouché ? Tu veux que je répète ?
Cédric fonça sur Ethan qui s’étala sur le sol. Cette fois-ci, il était allé trop loin. C’était décidé, plus jamais il ne se laisserait marcher sur les pieds. S’il fallait se battre pour qu’il comprenne, il n’hésiterait pas une seconde.
Tant pis si son adversaire n’avait qu’un seul bras pour se défendre. Il avait passé une journée suffisamment minable, ce n’était pas ce crétin qui réussirait à l’empirer.
Il roula sur le côté et se remit rapidement sur ses jambes.
— Je ne me laisserais plus faire, espèce de sombre abruti, cracha Ethan avec toute la haine qu’il avait en lui. J’en ai marre que tu me casses les pieds à chaque fois que tu me croises. Maintenant, si tu veux qu’on se batte, pas de problème, allons-y !
Il y eut un moment de flottement durant lequel les deux se jaugèrent du regard. Puis sans prévenir, Cédric cria de rage, fonça sur Ethan et le projeta de toutes ses forces. Au même moment, un éclair fendit les cieux et une détonation le renvoya aussi fort qu’il avait poussé Ethan. Ils se retrouvèrent tous les deux au sol, tandis que de grosses gouttes commençaient à tomber.
Ethan, encore douloureux des contusions qu’il avait dans le dos, se tourna lentement et vit le visage de son ennemi. À présent, ce n’était plus la colère qui déformait ses traits, mais de la peur. Celui-ci se redressa vivement lorsqu’il croisa le regard d’Ethan.
— Ne… ne t’approches plus de moi, bredouilla-t-il.
Ethan voulut lui répondre que c’était plutôt à lui de ne plus venir l’ennuyer, mais avant qu’il en ait l’occasion il avait pris ses jambes à son cou et s’était éclipsé sans demander son reste.
Le vent s’était levé et un véritable déluge s’abattait maintenant sur le village. Avec la chaleur qu’il avait fait si longtemps, il était normal que la tempête soit puissante et pourtant cela demeurait étrange, elle s’était formée en seulement quelques instants.
L’autre évènement étonnant était la détonation qui avait violemment repoussé Cédric lorsque celui-ci l’avait bousculé. Ethan, toujours assis dans la cour de l’orphelinat se releva avec un sourire.
La journée ne se terminait pas si mal finalement, la pluie tant attendue était enfin arrivée et il avait tenu tête à Cédric. Pourtant, il n’avait pas vraiment compris pourquoi il avait pris peur de cette manière. En revanche, il y réfléchirait maintenant à deux fois avant de s’en prendre à lui.
Il se releva vivement et s’empressa de se mettre à l’abri à l’intérieur du refuge. Il était déjà presque trempé. Il manqua de glisser sur le carrelage et fut rattrapé au vol par sœur Madeleine. Il s’attendait à un commentaire désobligeant sur sa tenue, cependant elle n’en fit rien. Elle se contenta de le regarder avec un œil mauvais et déclara :
— Père Daniel à un mot à te dire, Thobois. Tout de suite.
Ethan déglutit avec difficulté et suivit sœur Madeleine en silence. Père Daniel était le directeur de l’orphelinat. C’était un homme juste, mais sévère. Les enfants le voyaient assez rarement. Ce qui n’était pas plus mal, car le rencontrer était souvent source d’ennui.
Et Ethan se dirigeait droit dedans. Cédric avait dû le dénoncer à son retour et maintenant il allait se faire expulser du refuge. Ses pensées se bousculaient dans sa tête à mesure qu’il approchait du bureau.
Qu’allait-il advenir de lui ? La vie n’y était pas parfaite, pourtant c’était le seul endroit qu’il n’eut jamais connu. Peut-être pourrait-il devenir un religieux ? Il n’avait jamais été très croyant, mais si cela pouvait être la solution pour rester, il était prêt à fournir un effort. Il ne voulait pas se retrouver à la rue, abandonné à nouveau.
Ils arrivèrent finalement et sœur Madeleine le laissa seul devant la porte. C’était le moment de vérité. Il prit une grande inspiration puis toqua.
— Entrez, répondit une voix grave à travers celle-ci.
Père Daniel était un homme d’une soixantaine d’années. Malgré son âge, il en paraissait beaucoup moins que sœur Madeleine qui était pourtant plus jeune de dix ans. Il avait les yeux bleus et le crâne dépourvu de cheveux.
Il n’avait pas une carrure particulièrement imposante, néanmoins il avait un regard perçant, à tel point qu’Ethan avait l’impression qu’il pouvait scruter son âme.
— Ah, Ethan, fit-il lorsqu’il le vit entrer dans la pièce. Installe-toi, je t’en prie.
Il s’avança, sans un mot, dans la salle. Celle-ci était aussi modeste que la chambre d’Ethan. Seulement une bibliothèque avec des livres religieux, un bureau avec quelques chaises et, sur le mur du fond, une croix chrétienne.
— Comment se déroule ta vie à l’orphelinat ? l’interrogea père Daniel une fois le garçon assis face à lui.
— Bien, répondit timidement Ethan.
Le directeur le scruta avec attention avant de déclarer :
— Je pense que tu n’es pas tout à fait honnête avec moi. Je sais ce qu’il se passe sous mon toit, vois-tu.
Ethan baissa la tête, mais s’efforça de rester silencieux. Il ne servait à rien de dire quoi que ce soit, il était déjà au courant. Il n’avait plus qu’à empaqueter ses affaires et trouver un coin, pas trop humide, dans le village où dormir cette nuit. Peut-être que monsieur Najin accepterait de l’héberger quelques jours ?
— Cependant, ce n’est pas pour ça que je t’ai fait venir ce soir Ethan, lui confia père Daniel.
Surpris, le garçon releva vivement la tête pour écouter.
— Cela fait douze ans que tu vis à l’orphelinat. Durant ces douze années, je n’ai jamais reçu la moindre lettre pour toi, comme tu le sais. Ni de ta famille ni de qui que ce soit d’autre.
Il marqua une courte pause avant d’ajouter :
— Jusqu’à ce soir.
Père Daniel sortit une enveloppe blanche d’un de ses tiroirs et la déposa sur son bureau. Ethan leva les sourcils et regarda le courrier avec intérêt. Qui donc lui avait envoyé une lettre ?
— Je ne l’ai pas ouverte, évidemment, continua-t-il très calmement. Elle t’appartient. En revanche, je suis surpris, car elle n’a ni timbre ni adresse d’expédition. Je serais donc bien incapable de te dire qui a bien pu t’écrire.
Il tendit le courrier à Ethan avec un sourire.
— J’imagine que c’est à toi de le découvrir.
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