5. Eterna - 4/4
Ils se frayèrent un chemin parmi la foule jusqu’à une curieuse échoppe qui ne semblait même pas avoir de nom, presque cachée, dans le coin de la rue. Ils y entrèrent en poussant la petite porte et une cloche se mit à sonner.
Le magasin de baguette magique ne ressemblait absolument pas à la banque ou la boutique de l’apothicaire. C’était un lieu sombre et à moitié enterré sous le sol. Pourtant, il y régnait une atmosphère apaisante et Ethan trouvait l’odeur que dégageait le bois des baguettes particulièrement agréable.
Il n’y avait pas d’autres clients. Ethan et Hendrick s’approchèrent du comptoir qui était également désert.
Ils attendirent quelques minutes, mais le détenteur du magasin ne semblait toujours pas vouloir se montrer. Ethan commença alors à faire le tour du propriétaire et observa les différentes baguettes qui étaient entreposées. Il y en avait pour tous les goûts. Certaines étaient courtes, d’autres longues, de toutes les sortes de bois possibles et aussi, de tout prix.
De l’autre côté de l’échoppe, à l’opposé des baguettes, étaient stockés toute sorte d’objets magiques. Des bâtons, des sceptres, des gants et tout un tas d’autres articles. Le regard d’Ethan s’attarda quelques instants sur un petit anneau en métal quand enfin le propriétaire du commerce fit son apparition.
Il s’agissait d’un vieil homme, les cheveux gris, le visage pâle et marqué par le temps. Il se déplaçait à l’aide d’une canne et semblait porter, à l’œil droit, un œil de verre.
Il contourna le comptoir et s’approcha d’Ethan, ignorant totalement Hendrick.
— Bienvenue dans mon humble boutique, jeune homme.
Il fit lentement le tour d’Ethan en le détaillant de la tête au pied.
— De toute évidence, vous êtes à la recherche d’une baguette magique, que viendriez-vous faire ici autrement ? marmonna-t-il presque pour lui-même.
Sans dire un mot, il souleva les deux bras d’Ethan puis les relâcha aussitôt.
— Droitier, continua-t-il, cela va sans dire. Vos bras sont plutôt courts pour votre âge, mais vous avez les poignets fermes. Je doute, cependant, qu’une baguette de plus de vingt-cinq centimètres soit ce que nous recherchons.
Il ouvrit la main et une baguette étonnamment tordue s’envola de sous le comptoir et vint s’y poser. Il fit de brefs mouvements de celle-ci. Ethan ignorait ce qu’essayait de faire le vieil homme. En revanche, il savait que la magie était à l’action. Il eut d’abord extrêmement chaud. Il avait l’impression que quelqu’un avait poussé le thermostat de la boutique au maximum.
La minute suivante, il se sentit frappé par une vague de fatigue et dut lutter pour rester éveillé. L’instant d’après, il batailla à nouveau pour demeurer sur la terre ferme et chasser l’étrange sensation de flotter dans les airs. Enfin, il eut le sentiment d’être immergé dans une eau glacée alors qu’il était tout ce qu’il y avait de plus sec.
Ethan n’osait dire un mot durant cette curieuse expérience et s’efforçait de rester stoïque. Hendrick était accoudé au comptoir et regardait la scène avec un intérêt non dissimulé.
— Intéressant, murmura le vieil homme les yeux rivés sur le sol, très intéressant. Castel-Lapis, je suppose ?
— Comment le savez-vous ? parvint à lui demander Ethan.
— J’ai mes méthodes.
Il observa curieusement les yeux du garçon et son rictus s’effaça peu à peu.
— Comment ai-je pu ne pas le remarquer avant ? s’écria-t-il en fronçant les sourcils. Vous ne savez pas.
— Qu’est-ce que je ne sais pas ? répondit Ethan qui commençait à trouver le vieil homme plus qu’étrange.
— Vous ignorez ce que je vends ici. Vous n’avez pas la moindre idée de ce que vous êtes venu acheter. Vous ne savez pas à quoi sert une baguette magique.
— À faire de la magie, j’imagine, répliqua sarcastiquement Ethan.
Le vendeur leva les yeux au ciel puis claqua des doigts. Ethan sentit quelque chose lui frapper les jambes puis chuta en arrière. Il se retrouva affalé dans un fauteuil particulièrement moelleux. Un autre siège était apparu et le vieil homme s’installa face à lui.
— Il est important que vous saisissiez ceci, lui expliqua-t-il très sérieusement. Un sorcier peut faire de la magie sans posséder de baguette, mais il lui sera impossible d’utiliser son plein potentiel. La baguette ouvre une fenêtre dans le pouvoir d’une personne. Vous me suivez ?
Ethan acquiesça, il comprenait mieux comment les fauteuils avaient surgi alors qu’il avait simplement claqué des doigts.
— Toutes les baguettes sont créées de la même manière. Elle ne définit pas la puissance du sorcier. Bien au contraire. Elle n’est qu’un réceptacle à la magie.
Il montra alors sa propre baguette à Ethan.
— Dans un instant, vous allez choisir la vôtre. Le seul critère de sélection que vous devez avoir en tête, c’est si elle vous plait. Facile, non ? Vous la trouvez jolie, elle est à vous !
Même s’il n’y avait qu’un critère de sélection, Ethan pensa que devant la quantité de modèles différents qui s’offrait à lui, le choix n’allait pas être aisé.
— La première fois que vous prendrez votre nouvelle baguette en main, continua le vieil homme, celle-ci va se lier à votre pouvoir. Vous devriez le sentir, bien que votre marque de sorcier ne soit pas encore active. Cela signifie qu’elle pourra uniquement être utilisée par vous. En revanche, prenez garde, car si vous la perdez, vous ne pourrez pas en acheter une autre, ni même vous servir d’une baguette de rechange. Hormis pour le style, vous auriez autant de puissance que si vous employiez la magie sans.
— Et que se passe-t-il si elle se casse ? l’interrogea Ethan qui pensait que cela devait certainement arriver quelques fois.
— Le lien entre vous deux se rompt et dans ce cas précis, vous pouvez revenir dans ma boutique pour en choisir une nouvelle, s’esclaffa le vendeur.
Il fit signe au garçon qu’il pouvait aller sélectionner sa baguette tandis qu’il se dirigeait vers le comptoir à l’aide de sa canne.
Ethan ne savait pas vraiment vers quel modèle se tourner. Certaines avaient un style très naturel tandis que d’autres étaient plus travaillés avec des gravures et des ornements. Il y en avait même qui étaient serties de pierres précieuses.
Il arrêta sa décision sur une baguette de dix-neuf centimètres en bois d’acacia. Elle était en apparence très simple, cependant elle comportait de fines gravures en formes de lierre le long du manche.
— Excellent choix, commenta le vieil homme d’un ton expert au moment de payer. L’acacia est un bois solide, vous devriez avoir du mal à la casser. Une allure sobre et épurée, un style que j’apprécie. La baguette d’un sorcier en dit long sur sa personnalité, vous savez.
Après avoir dépensé quelques couronnes d’or, Ethan prit la baguette pour la première fois. Elle était légère et semblait parfaitement adaptée à sa main. Une agréable sensation de chaleur se dégagea du manche de celle-ci et se diffusa dans son corps, mais elle ne dura pas.
— Ce vendeur était quand même étrange, fit remarquer Ethan à Hendrick une fois de retour dans la rue.
— Ce n’est pas n’importe qui, lui apprit ce dernier avec un large sourire. Cet homme est Ignace Duchêne, un brillant sorcier et l’un des meilleurs fabricants de baguettes. Je ne t’ai pas amené dans la pire des boutiques, tu peux me croire.
Ils remontèrent la voie bondée en sens inverse et entrèrent dans une librairie pour acheter les manuels scolaires. Lorsqu’ils ressortirent, Ethan avait le porte-monnaie beaucoup plus léger qu’au début de l’après-midi.
Il ne l’avait pas vu passer. Sa première expérience dans le monde des sorciers était particulièrement plaisante. La ville était calme et jolie, les gens semblaient agréables et surtout, il y avait de la magie partout.
Les rues étaient peu à peu désertées tandis qu’ils prenaient la direction de l’auberge. Des lampadaires s’étaient allumés pour éclairer la voie. Contrairement à ceux qu’avait l’habitude de voir Ethan, ceux-ci ne possédaient pas d’ampoules, mais de véritables flammes.
Lorsqu’ils furent de retour devant l’auberge, Hendrick confia le lourd chaudron à Ethan.
— C’est ici que je te dis au revoir, lui annonça-t-il. Tu devrais pouvoir te débrouiller pour la suite. Le bateau quitte le port à treize heures, ne le rate pas.
Ethan avait beaucoup apprécié passer l’après-midi en compagnie d’Hendrick. C’était le premier sorcier qu’il côtoyait réellement et il n’avait pas été déçu. Au contraire, il était même un peu triste de le voir partir.
— Merci d’être resté avec moi pour acheter tout ce dont j’avais besoin, répondit-il avec reconnaissance.
Hendrick serra l’unique main disponible qu’il restait à Ethan avec un sourire sincère.
— J’ai été heureux de faire ta connaissance. Peut-être que nous nous reverrons un jour.
Sur ces mots, il sortit sa baguette de sa poche et disparut dans un léger « pop », laissant Ethan seul sur le trottoir. Il avait appris à apprécier la solitude durant ses années à l’orphelinat, pourtant il n’était pas totalement rassuré à l’idée d’être livré à lui-même dans ce nouveau monde.
Il se raisonna rapidement, après tout il ne resterait pas longtemps dans cette ville. Dès demain, il emprunterait le bateau en direction de Castel-Lapis. Il avait hâte de savoir ce que l’on pouvait bien enseigner dans une telle école.
Il salua le réceptionniste en entrant dans l’auberge puis se rendit dans sa chambre. Sur son chemin, il manqua de trébucher sur un balai qui nettoyait le couloir tout seul. Il n’était pas mécontent de pouvoir déposer le chaudron. Heureusement qu’il ne l’avait pas porté toute l’après-midi. Il se laissa tomber sur son lit.
Quelques minutes plus tard, Ethan prit soudainement conscience qu’il mourrait de faim. Il n’avait rien avalé depuis son départ, qui lui paraissait bien loin. Il se redressa et quitta vivement la chambre, il avait hâte de découvrir la nourriture des sorciers.
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